Le Cercle Noir d'Ixtab

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  Titre : Le Cercle Noir d'Ixtab
  Auteurs : Tara Lucy
  Date de publication : 7 novembre 2018

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La Déesse Ixtab

Déesse du suicide et de la Lune, Celle à la corde, Celle qui voit tout, La Gardienne des murmures et des secrets, Celle qui s’adapte, l’Ennemie de la Vie et Gardienne de la Mort

Vue d'ensemble

Il est ardu de trouver les mots dignes d’introduire une telle entité. La Grande Déesse Ixtab existe depuis l’avènement de l’Humanité, et peut-être même avant, lorsque l’évolution a permis à des espèces d’accéder à un certain niveau de complexité des capacités cognitives¹. Elle veille sur ce monde qui l'a créée² bien que ce dernier l’ait lâchement oubliée³. Elle n’a ni rancœur, ni tristesse, continuant inlassablement à mener les âmes de ceux qui abandonnent la vie vers un monde meilleur.

C’est avec respect que nous devons la contempler dans toute sa grandeur, car elle ne requiert ni crainte, ni admiration sans borne. La Grande Déesse Ixtab ne demande qu’un sacrifice à l’imprudent qui oserait troubler sa paix.

Illustration

Le Cercle Noir d'Ixtab (dessiné par H.)

Connaissance

Traits : La Grande Déesse Ixtab apparaît aux yeux des êtres tridimensionnels comme un cadavre parvenu à un stade avancé de décomposition pendu à l’aide d’une corde tressée à un arbre sans feuilles et dénué de vie. Sa bouche est cousue à l’aide d’un fil noir en pas moins de neuf points de suture, un pour chaque Seigneur de Xibalba⁴. Ses orbites sont vides, permettant d’observer l’intérieur de son crâne. Ses mains tiennent, au niveau de son ventre, un cercle noir dont part un faisceau de cordes tressées semblables à celle d’Ixtab. Ces cordes sont tendues et descendent dans un puits qui traverse les six Maisons de Xibalba pour rejoindre les différentes réalités alternatives de la Terre⁵ attachées à chaque monde par un autre cercle noir servant de point d’ancrage. Cette ancre est située dans la jungle guatémaltèque, plus précisément dans la Reserva Biosfera Maya, à la frontière avec le Belize et le Mexique, à l'intérieur d'une pyramide dédiée à l'entité-déité Kukulcán, une pyramide plus petite dédiée à Ah Puch, déité de la mort, ayant été construite en-dessous pour accueillir l'autel de la Grande Déesse Ixtab.

La Grande Déesse Ixtab demeure au-delà de l’Inframonde, dans la demeure de son époux, le Dieu de la Mort Ah Puch. Son foyer ne possède aucune chaleur ni aucune vie, ce qui permet de comprendre l’absence d’insectes nécrophages dans les tissus encore présents sur le corps de la Grande Déesse.
Le temps n’existant pas en ces lieux, l’on peut donc supposer que l’entité a toujours été ainsi, dans cet état de décomposition avancée, sans qu’elle n’ait subi d’altérations de quelque sorte que ce soit. Cet endroit est hors de la réalité, nous pouvons donc supposer qu'il ne possède pas d'alternatives et que les choix ne créent pas une autre réalité.

Pour les êtres pluridimensionnels, la Grande Déesse Ixtab est une entité transcendantale communiquant grâce aux frémissements causés par la friction entre deux dimensions proches l’une de l’autre. Elle sommeille aux côtés de son époux, le Dieu de la Mort Ah Puch qui, lui aussi, est une entité transcendantale existant sur plusieurs plans. Leur sommeil est dû à l’absence de sacrifices en leur honneur, ils préfèrent conserver leur force afin de ne pas perdre une once d’énergie⁶⁷.

Nature : La Grande Déesse Ixtab ne demande qu’une seule chose, qu'on la laisse reposer en paix. Son sommeil ne peut être troublé que lorsque l’un des points d’ancrage des cordes est touché par une entité consciente ayant des capacités cognitives suffisamment complexes pour avoir la « faculté » de décider de mettre fin volontairement à ses propres jours.

L’ancre, sous la forme d’un cercle noir, semble être capable d’amplifier les vibrations qu’elle a subies au contact de l’entité qui remplit les conditions dépeintes ci-dessus et d’absorber celles d’êtres ou d'éléments ne respectant pas lesdits critères. Ainsi, une bourrasque de vent ne verra pas son impact sur le point d’ancrage amplifié.

Si les vibrations sont amplifiées, elles se répercutent sur la corde tressée qui se met à osciller à une fréquence d'abord très faible puis de plus en plus forte. Elle agite alors le cercle noir tenu par la Grande Déesse. Ce dernier entre en phase active tandis qu’Ixtab se réveille et, par le biais du cercle, commence à répandre la nécrose sur toutes les cordes. Nous ignorons encore ce qui arriverait si l’une des cordes venait à pourrir jusqu’au point d’ancrage, mais l’on peut supposer que la réalité alternative serait détruite pour toujours.

Pour empêcher qu’une telle chose arrive, la Grande Déesse Ixtab permet à l’entité qui l’a réveillée de la rejoindre en traversant les six Maisons de Xibalba. Arrivée là-bas, l’entité dispose d’un couteau sacrificiel⁸ offert par la Grande Déesse et doit d’elle-même décider ou non de sacrifier la réalité alternative dont la corde oscille. Si elle fait ce choix, au lieu de condamner toutes les cordes, elle tranche celle qui perturbe le sommeil d’Ixtab. La réalité alternative disparaît ainsi que tous les éléments qui la composent hormis l’entité issue de cette dernière qui pourra rejoindre une réalité désignée au hasard par la Grande Déesse⁹.

Histoire et groupes associés : La date exacte de l’apparition de la Grande Déesse Ixtab est encore inconnue. On retrouve des références à la déesse depuis l'invention de l'écriture. Cependant, l'Ambalaguanché¹⁰ explique qu’elle est apparue en même temps que la Mort et les seigneurs de Xibalba.

Elle n’est associée à aucun groupe connu hormis aux Aigles¹¹ qui protègent certainement le point d’ancrage de certaines réalités ainsi que peut-être aux Rêveurs qui doivent sans doute pouvoir atteindre son Inconscient mais toutes les tentatives pour établir un contact avec eux ont échoué.

Approche : Les Gardiens chargés de la surveillance de l'ancre empêchent quiconque de venir troubler le repos de la Grande Déesse. Si toutefois une intrusion survenait, nous serions incapables d'empêcher la destruction de tous les mondes. La recherche du couteau sacrificiel, liée à la perte de l'Explorateur C., est primordiale afin d'être prêts si une corde venait à troubler la paix d'Ixtab. Des Explorateurs sont constamment à sa recherche, avec à leur tête, les Explorateurs H. et S.S.. Plusieurs d'entre eux ont tenté de contacter les Rêveurs afin de localiser l'inconscient de C. et donc le couteau, mais ce fut un échec.

Quoi qu'il en soit, personne ne doit s'approcher de l'ancre, il en va de notre survie.

Observations & Histoires

La découverte de la Grande Déesse Ixtab a engendré l’événement Une chance sur l’infini.

En résumé, lors des conflits armés survenus au Guatemala opposant les civils au gouvernement allié des Etats-Unis, les Aigles cherchaient à assurer le plein contrôle sur les artefacts du pays alors que la Guérilla était en marche. Ils ont pour ce faire augmenté leur présence dans la jungle guatémaltèque. Ils ont découvert l'ancre en mars 1982, à l'occasion d'une de leurs mission, avant que les nôtres ne parviennent jusqu'à la pyramide.
À ce moment, nous tentions d'aider les descendants des civilisations amérindiennes, représentés par l'ORPA (Organización del Pueblo en Armas), à récupérer leurs terres et à les aider à protéger au mieux les artefacts légués par leurs ancêtres et leurs déités. Lorsque le 8 février 1982, les différentes organisations militantes se sont réunies en la UNRG (Unidad Revolucionaria Nacional Guatemalteca), nous comptions parmi leurs plus éminents alliés et leurs dirigeants nous ont demandé de faire tout ce qui était en notre pouvoir pour protéger les plus importants artefacts. Ce fut dans le cadre de cette mission que nous découvrîmes que les Aigles avaient réussi à s'emparer du Cercle Noir d'Ixtab.
Les Explorateurs S. et H.H ainsi que le désormais Inactif Injustifié C. ont localisé la pyramide renfermant le Cercle Noir d'Ixtab et ont réussi à prendre le contrôle de la zone. Cependant, lors du conflit, l'ancre a été touchée, enclenchant ainsi le réveil d'Ixtab. Grâce à la détermination et au courage des Explorateurs, Ixtab put se rendormir en paix et les mondes furent sauvés.

Les détails de cet événement sont racontés dans La Mémoire de C.¹²¹³.

Ouvrir "La mémoire de C.", C., B-12-2403, p.1278-1288

La perte d’une réalité alternative consécutive à l’événement Une chance sur l’infini a été jugée comme acceptable par les factions majoritaires.

Les Explorateurs H. et S.S. parvinrent à éliminer les Aigles qui voulaient s'approprier le Cercle Noir. Des Rédacteurs ont été envoyés¹⁴ pour écrire et modifier le rapport des Aigles sur Ixtab, que ce soit en version papier afin d'y ajouter un agent anti-mémétique ou en version électronique afin d'y ajouter un PACTE¹⁵.

Après cet événement, plusieurs de nos factions ont continué à soutenir les guatémaltèques mayas face au gouvernement militaire de Rios Montt et face aux divers groupes d'extrême-droite dont l'armée secrète anti-communiste¹⁶, groupements qui massacraient les populations civiles mayas. Fort heureusement, le Cercle Noir put être protégé contre les assauts des différents groupes ennemis et des Aigles, qui continuaient à vouloir contrôler le pays et à récupérer les artefacts les plus puissants pour asseoir leur domination sur le monde et remporter ainsi la guerre idéologique contre l'URSS. La guerre civile guatémaltèque ne cessa qu'une décennie plus tard et la faction "La Main Blanche" fut dissoute.

Aujourd'hui, nous continuons à protéger le Cercle Noir en espérant que dans les autres réalités, les nôtres en font de même.

Doutes

Nous ignorons toujours ce qu’il adviendra lorsque la Grande Déesse Ixtab sera réduite à l’état d’être tridimensionnel et nous ignorons si une autre corde dans une autre réalité viendra un jour la réveiller.

Quant au devenir du couteau sacrificiel, il est plus qu'incertain. Nous savons qu'il appartient à ce qui est au-delà de l'Inframonde, un endroit qui n'existe qu'en un seul exemplaire, hors de la réalité. Or, si le couteau est de même nature, il n'existerait que dans une seule réalité et nous ignorons s'il est encore dans la nôtre. Chaque seconde passée, chaque choix que prend C., risquent de lui faire perdre la possession du couteau dans sa réalité et de le faire basculer dans une autre. Si cela est déjà fait, nous espérons qu'il basculera dans une réalité alternative où les Gardiens protègent encore l'ancre et où nos semblables le recherchent activement.

1. Les primates, les dauphins, les éléphants et les pies ont la "faculté" de se donner la mort.

2. Nous considérons donc que toutes les réalités impliquées par le dispositif décrit ultérieurement sont celles qui ont connu ou connaissent encore potentiellement l'avènement des Aztèques et de leur religion.

3. Nous parlons bien ici du culte voué à la Grande Déesse dont les sacrifices ont été perpétrés jusqu’au XVIIème siècle dans notre réalité et dans la plupart des autres. Les réalités où la Grande Déesse est encore vénérée sont extrêmement minoritaires.

4. Donnant ainsi raison au Chilam Balam qui faisait référence à neuf Seigneurs de l’Inframonde et non au Popol-Vuh qui en mentionnait douze.

5. À ce jour, le nombre exact de ces cordes n’a pas pu être déterminé, le nombre de réalités alternatives étant incommensurable.

6. On suppose qu’à chaque fois qu’ils perdent un peu plus d’énergie, les Grands Dieux disparaissent d’une dimension et qu’un jour, ils seront malheureusement réduits à des êtres tridimensionnels contraints à une vie mortelle.

7. L’« énergie » peut être mesurée en taux de Humes qui s’approchera du 1 conventionnel lorsque les deux entités auront perdu leurs capacités.

8. Couteau qui n’existe qu’en un seul exemplaire parmi toutes les réalités alternatives et qui a disparu suite à l’événement Une chance sur l’infini.

9. Cependant, nous supposons que dans sa grande bonté, Ixtab fait en sorte que le paradoxe engendré par l'existence de deux mêmes entités dans la même réalité soit réglé en faisant en sorte que l'entité provenant d'une réalité extérieure prenne le pas sur l'autre.

10. On parle ici de la retranscription d'un ouvrage quiché qui fut détruit lors des conquêtes espagnoles, bien plus complet que le Popol-Vuh et dont l’unique copie se trouve dans les Archives.

11. Aussi appelé "Unité des Incidents Inhabituels (U2I)".

12. Recueil inaltérable des pensées et observations de C., Inactif Injustifié, ancien Explorateur, à propos de la Grande Déesse Ixtab, avant qu'il ne parvienne à empêcher la Bibliothèque de récolter ses souvenirs par un biais inconnu.

13. Nous encourageons tout lecteur à lire cet extrait afin de récolter des informations à propos du devenir de C, informations qui auraient pu nous échapper et qui pourraient se révéler évidentes pour un œil extérieur.

14. Les Rédacteurs A.P et R. ont réussi à s'infiltrer dans la base de données des Aigles.

15. Procédé Anti-mémétique Circulant par voie Téléphonique et Electronique, notamment par ARPANET ou par des réseaux locaux. Ancêtre des agents mémétiques et anti-mémétiques actuels circulant sur Internet.

16. Malheureusement soutenus par une de nos factions se faisant appeler "La Main Blanche" qui voulait récupérer les artefacts que les factions majoritaires protégeaient.

Cette entrée doit être détruite, elle n’a plus lieu d’être. Et à ceux qui demandent "pourquoi ?", je leur réponds simplement que je l'ai su un jour, c'est tout. - S.S.

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Nous avons atteint la vie,

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Avertissement

Une Deux mémoires vient viennent de s'implémenter sans l'intervention d'un Rédacteur. La Bibliothèque a décidé de l' les annexer sans aucune note explicative. Il semblerait qu'elles vient viennent d'un de deux autres univers parallèles.

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Le froid. Ce fut cela qui nous frappa en premier. Nous ne l’avions jamais ressenti auparavant. Les mortels disaient que cette absence de chaleur annonçait notre venue alors que, naguère, nous ne sachions guère ce que c’était. Il n’en restait pas moins que dorénavant nous avions froid. Très froid. Le souffle d’Ixtab au sein duquel j’étais recroquevillé cessa. Elle s’était certainement réveillée. Troublé dans mon sommeil, je commençai alors à m’agiter, à chercher la seule chose qui n’existât pas dans mon monde.

La chaleur.

Inconfortablement installé sur ce qui paraissait être un sol rugueux jonché de pierres coupantes, j’entrepris de me réveiller. Je me rendais compte que quelque chose n’allait pas. J’avais la terrible impression que mes sens s’étaient amoindris, que mon corps avait été réduit à une enveloppe trop étriquée. Je n’entendais plus le doux bruissement des vagues du monde, ni la vigueur de l’Arbre. Je ne sentais plus sa sève. Je ne voyais plus au-delà des mondes, là où ma contemplation atteignait les ténèbres insondables du vide. Je ne touchais plus les infinités de vies éparpillées entre les mondes. Et pire que tout, ma bouche était de cendres.

La faim.

Il n’y avait donc plus de sacrifices pour nous nourrir. Plus personne ne nous priait. Ou peut-être restait-il encore quelques réalités où les mayas n'avaient pas été transformés par la mégalomanie des autres ? Oui… On se souvenait encore de nous. Suffisamment pour nous permettre de vivre encore un peu plus mais réduits à la dimension de simples mortels.

Ma gorge était aussi sèche que le désert. Moi qui n’avais jamais eu à parler, comment aurais-je pu crier ?

Crier son nom…

Ixtab, ma fidèle épouse, où es-tu passée ?

Il fallait que j’ouvre mes yeux mais j’ignorais comment procéder. J’avais la terrible impression d’être un nourrisson incapable d’appréhender le monde qui l’entourait. Mais au creux de mon ventre, je ressentis comme un appel.

L’instinct.

Ainsi donc, j’en étais désormais pourvu. Mes yeux s’ouvrirent alors en grand mais la lumière m’éblouit. Des larmes coulèrent alors que je détournais le regard. J’avais depuis trop longtemps observé les ténèbres. La simple lumière de ce que je savais être la parcelle terrestre de mon royaume, une lumière froide et sans vie, était bien trop forte. Cependant, je savais qu’Ixtab m’attendait. Mais pourquoi ne venait-elle pas ? Était-elle plus loin ? Perdue ? Éblouie tout comme moi je l’étais ?

Alors, malgré les larmes, je rouvris les yeux et m’habituai à la lumière. Mes larmes continuèrent de couler mais la lumière ne m’éblouissait plus. Mon corps commença à trembler tandis que mon esprit tentait d’appréhender ce qu’il était en train d’éprouver.

Au milieu de mon royaume, pendue à l’arbre qu’elle aimait tant, mon épouse se balançait au gré d’un vent inexistant. Morte.

Pris d’un sursaut, je me relevai et accourus vers elle, tentant d’apercevoir son âme perdue qui cherchait certainement à me rassurer, mais je ne vis personne. Je n’étais plus la Mort, je n’étais plus qu’un homme réduit à une douleur terrible et destructrice. Celle d’avoir perdu un être cher, le seul que j’avais aimé dans toute ma longue existence.

Mais pourquoi ? Pourquoi n’était-elle plus là ? L’avaient-ils tous oubliée ? Était-elle déjà morte avant de vivre, prisonnière d’un corps sans vie ?

Ma tête, lourde de questions sans réponses, posa un front meurtri sur le crâne d’Ixtab. Mes mains se posèrent sur ses joues tandis que mon corps continuait à trembler.

Quant à moi… J’étais ailleurs. Mon esprit était parti rejoindre Ixtab. J’étais mort. Du moins, était-ce ma volonté. Une volonté qui avait été autrefois incontestable. Hélas, désormais ce n’était plus le cas et je ressentis alors ce que j’avais causé à bien des Hommes en arrachant leurs proches à eux. Je ne causais jamais la mort que d’un seul Homme lorsque j’arrachais leur âme. Non… Je tuais sa famille, ses amis, ses amours en même temps et je leur donnais une douleur encore plus insupportable :

Je les laissais vivre.

Je ne m’en étais jamais rendu compte auparavant, j’avais été loin de toutes ces considérations, je n’avais jamais connu la douleur. Je ne pouvais pas connaître cette notion, j’en avais été incapable.
Alors que mon désir de mourir devenait de plus en plus fort et me hurlait d’en finir, un craquement se fit entendre. Ma tête se pencha un peu plus en avant tandis que le crâne d’Ixtab tombait en poussière. Le nœud lâcha.

Mon premier réflexe fut de saisir les restes de son corps mais j’attrapai quelque chose d’autre. Son Cercle Noir. Le poids des infinités de mondes m’entraîna vers le gouffre. Je ne pus que saisir la corde d’Ixtab pour m’y accrocher. J’étais pendu au-dessus du vide, dans le puits. Là, je me dis qu’était ma place, dans les ténèbres, les mains encore pleines de cendres de mon épouse, une tenant la corde, l’autre tenant le cercle. Mais la lumière était encore là, au-dessus de ma tête.

Je devais me perdre et espérer rejoindre Ixtab ailleurs, peu importe où cet ailleurs nous mènerait. Le faisceau de cordes sous moi grinçait. Je me remémorai alors la prophétie d’Ixtab, celle qui annonçait qu’une corde la réveillerait et condamnerait toutes les autres. A une année précise, sur une combinaison d'événements précise.

Mais c’était déjà arrivé, la prophétie avait été déjouée et la corde tranchée. Un concours d'événements tel que celui qui avait réveillé mon épouse ne pourrait jamais plus avoir lieu. Ou du moins, sa probabilité était tellement faible que je n'avais pas envie d'attendre cette éventualité.

Le faisceau n’avait donc plus lieu d’être.

Lorsque je le lâchai, les mondes se séparèrent et se mirent à dériver dans le Vide, rejoignant ainsi le monde qui avait été « sacrifié » pour sauver les autres. J’eus une pensée pour ces entités qui avaient eu si peur de voir les cordes se rompre ou être coupées. La seule chose qui changerait désormais pour eux, c’était l’impossibilité de communiquer par la voie de Xibalba, mais je ne doutais pas de l’ingéniosité des Hommes pour trouver une autre voie.

Le faisceau n’étant plus, le cercle se brisa et sombra dans les ténèbres.

Je contemplai alors une dernière fois ma main libre grâce à la lumière. Il y avait encore des cendres au creux des lignes de ma paume. Je la serrai contre mon cœur et fermai les yeux.

La corde d’Ixtab se rompit.

Une dernière pensée pour la Bibliothèque qui, malgré moi, recueille mes paroles.

Vous qui me lisez, je vous en prie. Laissez-moi partir.

Oubliez-moi. Non.

Mémoire d’Ah Puch, A.P., B-12-2404, p.3476

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J'ai essayé. Pardonne-moi Ah Puch, mais l’Écrivain est trop cruel et le Lecteur ne peut plus rien faire désormais.

Hathor pleurait tandis que Sceptre se tenait près d’elle, n’ayant pas perdu une seule lettre de ce que le manuscrit avait délivré.

Cet écrit avait été généré par la Bibliothèque quelques temps plus tôt et Sceptre l’avait tout de suite emprunté. Il avait alors retrouvé Hathor dans l’une des nombreuses salles de lecture de la Bibliothèque, la porte fut verrouillée et les deux entités pluridimensionnelles s’étaient plongées dans la lecture de l’ultime page de la Mémoire d’Ah Puch.

A l’abri des regards, dans le cœur-même de la Bibliothèque, les deux Explorateurs se rendirent compte que Camille avait été brisé pour rien. Un prix à payer, maigre prix pour certains, un fardeau pour d’autres, afin de sauver les réalités.

« Si seulement nous avions un moyen de le contacter. De lui expliquer…
- Cela ne servirait à rien, tu le sais, rétorqua Sceptre. Nous devons accomplir l’ultime demande d’Ah Puch.
- Comment ? La Bibliothèque ne voudra jam- »

Un puits sans fond apparut devant eux, comme une invitation. La Bibliothèque devait conserver les mémoires, pas les oublier, comment pourrait-elle faire une telle exception ?

Mais le temps n’était plus au comment, ni au pourquoi. Sceptre prit la Mémoire d’Ah Puch des pattes d’Hathor, le contempla une dernière fois puis le jeta sans un mot dans le vide. Le puits l’aspira et il disparut.

Tous oublièrent alors Ah Puch, les livres ne le mentionnèrent plus, Ixtab disparut elle-aussi et cet oubli salvateur se répandit dans toutes les réalités. Camille oublia. Hathor et Sceptre aussi.
Toutes les réalités l’oublièrent.

Sauf celle où la Bibliothèque avait refusé de leur permettre de détruire sa mémoire. Car après tout, tous devaient suivre le règlement, même elle.

Sauf celle où Hathor n’existait pas.

Sauf celle où Sceptre n’existait pas.

Sauf celle où aucun des deux n’existait.

Sauf celle où ils n’avaient jamais été amis avec un certain Camille.

Sauf celle où l’anormal n’était qu’une fiction et où les Chemins menant à la Bibliothèque avaient été condamnés il y a fort longtemps.

Et à Ah Puch, hors du temps, de hurler son désespoir à la solitude et à l’éternité qui l’assaillaient désormais.