Derniers mots d'un Sarkiste



Alors que la chair et le sang pleuvaient sur la plaine, le Grand Karciste Ion marchait, cherchant des réponses. Entre les morceaux qui tombaient du ciel, un homme entier, parfois vivant, retombait. Comment se faisait-il que lui, avait pu s’égarer ? Si le rituel s’était poursuivi selon l’idée du français… Les défigurés l’avaient été par des machines de guerre, certes, mais cela invalidait-il réellement le caractère sacré du rituel ? Non, il en était persuadé. Son apocalypse avait-elle donc échoué sur la simple superstition d’un coreligionnaire arriéré ? Il n’avait qu’à lui poser la question directement.

Le soir tombé, on lui amena celui qu’il cherchait. Piotr Vassiliev, du moins ce qui en restait. Le rituel avait absorbé tout le bas de son corps, et il ne restait qu’un buste, une tête et un reste de bras. Et pourtant, il respirait encore. En se mêlant au rituel et par sa seule volonté, il avait imposé à un dieu de ne pas naître. C’était si étonnant qu’Ion en oubliait même d’être en colère.

- M’entends-tu Piotr Vassiliev ?

Un mouvement de tête.

- Tu as réussi. J’espère que tu es fier.

Nouveau mouvement de tête. Un sourire amer.

- Nous n’avions pas mobilisé autant de ressources depuis Babylone, et une telle occasion de faire régner Mère ne se représentera plus avant une éternité. Littéralement.

Piotr leva la tête, révélant une gueule cassée des plus affreuses.

- Je sais dit-il dans un souffle douloureux. Je ne le sais que trop bien.

Des larmes se mirent à couler sur ses joues scarifiées. Ion poursuivit :

- Tu sais que ça aurait marché, n’est-ce pas ?

- Oui…

- Et que malgré l’origine impie de nos sacrifiés nous aurions vu de nos yeux la gloire de Yaldabaoth ? Que nous aurions trouvé… simplement ce que nous cherchons ?

- Je le sais…

Pour la première fois depuis un temps immémorial, le Grand Karciste ôta son masque, révélant au mourant son visage. Chacun soutint le regard empli de peine que l’autre lui adressait. Ion mit fin à l’interminable silence, la voix brisée :

- Alors pourquoi ?

Piotr, qui sentait que son prochain souffle serait le dernier, choisit ses mots avec attention et les prononça avec toute la gravité que d'ultimes paroles méritent :

- Aucun compromis.

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