Herman Fuller présente : L'Ahurissante Armée d'Acrobates
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La page suivante provient d'une publication intitulée Nés pour le Cirque : la Ménagerie des Monstres d'Herman Fuller. Ni l'identité de l'éditeur, ni celle de l'auteur ont été établies, et des pages disséminées ont été retrouvées insérées dans des livres ayant pour thème le cirque dans des bibliothèques de par le monde. La ou les personnes derrière cette dissémination est/sont inconnue(s).

L'ahurissante armée d'acrobates

Elvis ? Houla, parlez moins fort, vaut mieux pas que Fuller vous entende parler de lui. Il ne lui a toujours pas pardonné d’avoir lâché le Cirque. C’est vrai que son numéro déchainait les foules après tout. Une troupe d’acrobates composée d’une seule personne qui se démultiplie en plein salto ? Le public l’adorait, ses collègues l’adoraient, et Fuller adorait le succès qu’il apportait au cirque.

Elvis a rejoint le cirque quand il avait à peine 8 ans. Un fugueur comme tant d’autres, mais celui-là était spécial. Ses parents l’avaient foutu à la porte quand ils se sont rendu compte qu’il allait avoir bien plus qu’une bouche à nourrir avec leur gamin. Et pour cause, le gosse était capable de se démultiplier à volonté. Chaque double avait sa volonté propre, et pouvait se dédoubler à son tour. Herman l’a bien interrogé pour essayer de savoir comment il faisait ou d’où lui venait cette capacité, mais tout ce dont il se souvenait, c’était de s’être moqué d’une vieille gipsy dans une foire qui visitait sa ville. Ses parents lui avaient interdit d’y aller, mais il ne les a pas écoutés. Il était parti tout seul, ils étaient revenus à quatre.

Avec sa particularité il avait une place garantie sous le grand chapiteau, mais avant ça il fallait qu’il apprenne à mieux contrôler sa capacité. Au début, il ne maîtrisait rien du tout, se dédoublant sans le vouloir et incapable de le faire de son plein gré. Vous auriez dû le voir quand il a eu une crise de hoquet, une nouvelle réplique toutes les cinq secondes. Au début, on savait pas trop quoi faire des gamins en trop, au point que Fuller commençait même à regretter de l’avoir pris sous son aile.

Et puis un jour il a confié un des gamins à Mandy la Magnifique Moniale Magique pour qu’elle lui apprenne à méditer et à faire du yoga en espérant que ça l’aide à mieux contrôler sa capacité. Et quant aux autres gamins, Fuller est parti avec eux je ne sais où, et il est revenu tout seul. On n’a pas demandé ce qu’il en avait fait, et je pense que de toute façon personne ne voulait savoir. Après ça, à chaque fois qu’il commençait à avoir trop d’Elvis, il les emmenait avec lui. Il a fait croire au gamin restant que les autres avaient disparu, que les clones n’étaient pas permanents et que c’était lui le vrai. Et le gosse l’a cru, du moins au début.

Avec la méditation, Elvis a fait de gros progrès avec sa capacité. Et en plus de ça il s’est entraîné dur pour monter un numéro d’acrobate. Pas qu’il ait eu vraiment le choix d’ailleurs, Fuller ne le laissait rien faire d’autre. Peu importe si l’un d’entre lui se brisait les côtes en tombant, il n’avait qu’à se redédoubler pour recommencer. Et croyez moi, il se blessait souvent au début, et les Elvis blessés finissaient comme les Elvis en trop. Fuller était dur, mais le résultat était incroyable. Si au début il devait se concentrer pour se démultiplier, à la fin il pouvait le faire en quelques secondes.

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To the Circus Born

Et les représentations où il participait étaient magiques. Ici au Cirque, j’ai vu pas mal de trucs qui retourneraient le cerveau du premier couillon venu, mais ça, ça me laissait bouche bée. Imaginez un peu : le gamin commençait tout seul sur la piste en jonglant, avant de se décupler et de se faire des passes à lui-même. Ils continuaient de se décupler jusqu’à être une dizaine, et alors il commençait les acrobaties, se lancant dans le vide pour se faire rattraper par un double qui venait tout juste d'apparaitre. Pour le clou de son spectacle, il sautait du haut d’une tour de lui-même pour faire un triple salto durant lequel il se décuplait en grand nombre en plein vol, avant de se faire rattraper par un autre de ses corps à l’atterrissage, noyant la piste sous un nombre invraisemblable de lui-même, et noyant les gradins sous un tonnerre d’applaudissements.

Et tout ça aurait pu continuer pendant longtemps, s’il n’avait pas découvert la chanson. Un autre gamin qui était arrivé avant lui donnait des cours de chant et tout le monde s’est rendu compte qu’il était doué. Mais surtout, il aimait ça. Bien plus que jouer à l’acrobate. C’est là que ses disputes avec Fuller ont commencé. Il voulait devenir chanteur, ou au moins rajouter du chant à son numéro, et honnêtement nous on aurait bien voulu le laisser faire, parce qu’il avait du talent le gamin, mais le patron ne voulait pas le laisser modifier son numéro, trop lucratif. Leurs disputes sont devenues légendaires avec le temps, Fuller ne pouvant pas trop punir un de ses numéros phare. Le petit a fini par se résigner, mais il continuait à chanter dans son coin quand il pensait que personne ne l’entendait. Il était doué, il est devenu incroyable. Son numéro était toujours incroyable après ça, mais il avait perdu la flamme, et ça se voyait.

Et puis un jour alors qu’on venait de finir une représentation en Papouasie-Nouvelle-Guinée , tout a basculé. Fuller nous avait fait nous installer au pied du Mont Lamington, il disait que ça rajouterait du "cachet" au spectacle. Tout s’est bien passé, jusqu’au moment où nous nous apprêtions à partir. Au moment d’ouvrir une voie vers notre prochaine destination, l’apprenti du Maître Des Voies de l’époque a fait une fausse manip avec l’appareil et ouvert une fissure menant directement au cœur du volcan. Et vu la force des tremblements qui ont suivi, ça l’avait réveillé, et il s’apprêtait à nous péter sous les pieds. Ça allait être une éruption bien massive, du genre qui te bouche le ciel de cendres pendant des semaines, si ce n’est des mois, et qui te provoque des putains de tsunamis dans toute la région. Ça allait être un carnage. Après avoir balancé le pauvre gamin dans la faille, Fuller a décidé qu’il était temps de mettre les voiles, laissant les gens du coin se démerder avec le volcan.

Mais Elvis n’était pas d’accord. Il voulait qu’on répare notre merdier nous-mêmes, disant qu’on ne pouvait pas provoquer une catastrophe et partir comme si de rien n’était. Au début, Fuller a éclaté de rire, pensant qu’il faisait une blague, mais quand il a compris qu’il était sérieux, il est rentré dans une colère noire. Il faisait de plus en plus

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chaud alors que la majorité du Cirque évacuait par une nouvelle voie, et Fuller et Elvis étaient toujours en train de se disputer. Fuller a lancé à Elvis qu’il n’avait qu’à boucher le trou lui-même s’il le voulait, avant de lui tourner le dos et d’emprunter la voie. Il devait penser qu’Elvis le suivrait, mais il en a décidé autrement.

Je suis passé dans les derniers, alors j’ai vu ce qu’il a fait. Il a pris Fuller au mot, et a commencé à boucher le trou. Avec lui-même. Avant que je passe par la voie à mon tour, des dizaines de doubles avaient déjà sauter dans le trou pour essayer de le colmater. Ça faisait un moment qu’il ne croyait plus le mensonge que Fuller lui avait raconté quand il était gamin, mais il se sacrifiait quand même en boucle volontairement. Et croyez moi, les cris de douleurs des Elvis quand ils touchaient la lave étaient insoutenables, mais pas autant que l’odeur de chair brûlée. Et pourtant, alors que je passais à mon tour par la voie, j’ai pu apercevoir son visage alors qu’il continuait de sauter. J’ai jamais vu un type avec un air aussi déterminé. Je pense que c’est pour ça que moi et les autres gars qui étaient restés derrière, on n’a pas essayé de l’en empêcher, de le ramener de force avec nous, même pas un seul d’entre eux. Nous les monstres, les parias, on a rarement la possibilité de choisir où l'on va mourir. Et lui il était résolu à se sacrifier pour des gens qu’il ne connaissait même pas, et on s’est dit qu’on pouvait pas lui enlever ça.

De l’autre côté, Fuller ne s'est pas rendu compte tout de suite qu’Elvis ne l’avait pas suivi, il était trop occupé à gérer le capharnaüm provoqué par notre débâcle. Le temps qu’il réalise et qu’il force le Maître des Voies à réouvir une voie vers la Nouvelle-Zélande, il s’est écoulé facilement plusieurs heures. Et une fois sur place, c'était trop tard. Tout ce qui restait, c’était une montagne de corps calcinés soudés les uns aux autres, bloquant la faille vers le coeur du volcan. Il n’y avait plus aucun signe de vie d'Elvis. Herman a déclaré qu’il était mort, a fait recouvrir le tas de cadavres de terre en guise de sépulture, et est passé à autre chose. Trois jours plus tard, le Mont Lamington entrait en éruption, ravageant la région et tuant des milliers de personnes. Fuller aimait dire que le sacrifice d’Elvis n’avait servi à rien, mais je reste persuadé que sans lui, les dégâts auraient été mille fois pires.

Deux ans plus tard, alors que tout le monde le pensait mort, on l’entendait à la radio, et la moitié du globe l’adorait déjà. On ne sait pas trop comment il s’en est tiré, probablement en laissant traîner un clone dans un coin. Jamais vu Fuller aussi furieux que cette nuit-là. Les radios ont été proscrites et quiconque prononçait son nom était immédiatement puni. Fuller était vraiment hors de lui, et il en voulait à mort à Elvis. Pour lui, il avait trahi le Cirque et il n’y avait pas de crime plus grave que ça. Il s’est promis d’avoir sa peau, mais il suffisait à Elvis de se créer un clone pour lui échapper. Il a dû finalement se contenter de le tuer socialement en s’arrangeant pour que quelqu’un découvre son corps avant qu’il ne le remplace par un clone. Aujourd’hui tout le monde pense qu’il est mort, alors qu’il se balade par dizaines dans tous les États-Unis. Des sosies ? Et puis quoi encore ?

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