What news from the West, O wandering wind ?
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Quelques notes résonnaient dans l'aridité du désert. La nuit tombait sur les immensités vides, dans une sorte de mélancolie muette. 
Le coursier rangea son harmonica, rêveur. Son cheval fourbu mangeait dans le sac de grain qu'il avait détaché de la selle en cuir. Le feu jetait des ombres mouvantes sur l'homme et sa monture. Grand, fin, guêtres en cuir usées et lunettes de protection remontées sur le haut du crâne, celui-ci ne payait pas de mine. Pourtant derrière les yeux cernés et les joues creusées se cachait l'estafette la plus rapide de ce coin de l'Amérique.
Il vérifia qu'il restait assez de bois, avant de s'étendre, la tête calée sur ses bagages. Matthiew Giacardi contempla un instant les milliers d'étoiles, avant de fermer les yeux. 
Demain il rallierait la petite ville d'Aleph.

***

Aleph était en pleine effervescence. Les conversations allaient bon train et les rues dégageaient une fébrilité palpable. On y parlait surtout français, la bourgade ayant été fondée par des colons de la Nouvelle-Orléans venus tenter leur chance dans le grand Ouest. 
En passant au pas dans la rue principale, le coursier remarqua des drapeaux aux fenêtres et des bannières aux balcons. C'était visiblement jour de fête. 
Il attacha sa fidèle jument au rack avec les autres montures et poussa les portes du saloon. Il lui fallait trouver le destinataire de la missive, et le débit de boisson serait un bon endroit où commencer sa recherche. 
Ses yeux mirent quelques temps à s'habituer à la pénombre ambiante. Du fond de la salle, un jeune homme aux cheveux blancs le héla, en faisant glisser le long du comptoir une chope généreuse.
"- Salut, l'étranger ! Bienvenue au Good Old Grym's Saloon, j'te sers quoi ?"
"- Un doigt de tequila, le voyage était rude." Répondit l'intéressé en se glissant entre une table de joueurs de cartes et une joyeuse compagnie occupée à rattraper des osselets de plomb à grands renforts d'alcool bon marché.
Il prit place sur un des tabourets de bar, à côté d'une femme aux longs cheveux bruns ramenés en queue de cheval. Il détailla d'abord le tenancier, qui avait entrepris de verser le contenu d'une bouteille verte dans un petit verre. La vingtaine, chevelure décolorée et de longues balafres sur le visage et les mains, il devait avoir un passé mouvementé. Ça n'était pas rare dans l'Ouest. Le verre atterrit avec un bruit sec et Matthiew reporta son attention sur la raison de sa présence à cet endroit. 
"-Vous sauriez où je peux trouver le ranch des Gray ? 
- Le domaine du gros et de son empaffé de fils ? À la sortie de la ville, faut suivre la piste en direction de High Rock c'est pas possible de le rater.
- Pas la peine d'aller voir là-bas, aucun des deux n'y est."
C'était la brune qui avait dit ces mots. Elle prit une pause le temps de sortir un cigare et de l'allumer pour répondre au regard interrogateur de l'étranger. Il remarqua que son œil gauche était recouvert d'un bandeau noir.
"Ça va faire un mois que Gray père s'est volatilisé et Gray fils est parti à sa recherche il y a peut-être une semaine. Il n'y a plus que les domestiques et les vachers là-bas."
Long soupir, un nuage opaque envahit un instant l'espace.
"C'est con quand même, à chaque fête de l'anniversaire de la ville il payait une tournée générale. C'est mal barré pour la bière aux frais de la princesse, cette année."
Un pli soucieux se dessina sur le front du messager.
"C'est problématique…"
Une vigoureuse bourrade mit fin à sa réflexion. La borgne le regardait, un sourire en coin.
"Picole un coup, tu chercheras des solutions après !"
De l'autre coin du comptoir une voix moqueuse s'éleva.
"C'est pour ça que t'as toujours pas réussi à me descendre, chérie."
Une chope de bière fendit l'air pour aller s'encastrer dans la face du patron goguenard. 

***

Le lendemain matin fut une épreuve à traverser, mais ni les éléments ni une cuite ne devaient l'empêcher de délivrer les missives à bon port. Le messager fit donc abstraction que sa tête résonne comme des cloches un dimanche et se mit à interroger les habitants qu'il croisait. 
Tous étaient occupés à la préparation de la fête qui allait avoir lieu le lendemain. Il apprit cependant que les Gray étaient depuis peu entrés en conflit avec la tribu indienne qui vivait en périphérie de ses terres, sans raison apparente. Gray père avait disparu peu après, alors qu'il était vers leur village. La tribu s'était volatilisée et le fils s'était lancé à leur poursuite sur les terres encore vierges de toute civilisation, au Nord.
Le coursier soupira : il était bon pour une course épuisante dans le désert. Mais il avait une réputation à tenir, et il irait jusqu'au bout pour que cette lettre arrive à son destinataire.
Celui-ci fut-il à l'état de pâtée pour vautour.

***

La bourgade avait disparu à l'horizon. Il était passé devant le ranch et avait continué dans la direction qui lui avait été indiquée.
À présent il chevauchait sur des terres dans lesquelles les colons ne s'aventuraient pas. 
Le soleil à son zénith cuisait la terre sableuse, soulevant un nuage à chaque pas de la monture. Clopataclop clopatacling…
Les animaux avaient déserté la surface asséchée, pour la faveur d'obscurs trous et seuls quelques virevoltants vagabonds croisèrent sa route.  
La fatigue se faisait sentir, d'autant plus forte que l'air était lourd. Il avisa une formation rocheuse. Il serait plus prudent d'attendre que passent les heures les plus chaudes.
Le promontoire offrait une zone d'ombre assez vaste pour que l'homme et sa monture puissent s'y abriter. Le messager Giacardi attacha la bride à un bout de bois bizarrement planté de travers dans un monticule de pierres, avant de s'installer à même le sol poussiéreux. 
Un léger bruit attira cependant son attention, derrière un des rocs irréguliers. Le bruit ne se répéta pas. Le cheval ne montrait aucun signe d'anxiété, cela devait être un lézard téméraire. 
Deux heures plus tard, la température n'avait pas beaucoup baissé, mais le soleil avait entamé à nouveau sa course vers le Pacifique. L'estafette s'étira, la nuque endolorie d'avoir dormi sur la tête d'un clou tordu. Il vérifia les fontes sanglées à la selle, puis jeta un dernier regard à la vieille planche qui lui avait servi d'oreiller. Les lettres qui y étaient gravées avaient été usées par le temps
"L. Luke - 8 a..ût 18..6"
Un nouveau bruit, plus fort cette fois, détourna son attention de l'inscription. C'était clairement un éternuement, venant du même endroit que précédemment. 
"Qui est là ?"
Pas de réponse. Il arma son revolver par prudence, dont le clic résonna contre la paroi de l'abri.
"Montre-toi, je sais qu'il y a quelqu'un."
Une voix enfantine s'éleva, pleine de reproches. 
"Je suis pas quelqu'un. Toi tu es quelqu'un, moi je suis moi."
Une touffe de cheveux noirs, puis un masque peint émergèrent de derrière l'éboulis. L'arme retourna dans son holster, tandis que la gamine sortait de sa cachette.
"Je m'appelle Matthiew, et toi ?"
Elle devait avoir entre huit et dix ans, et elle avait la peau sombre des indigènes. Son visage était caché derrière une figure de reptile, peinte avec des couleurs vives sur une pièce de bois sombre. Sa tenue était simple, une tunique serrée à la taille par une ceinture de cuir rebrodée de fils colorés, où était glissé un canif. 
"Non, Mafiou ne veut rien dire. Mauvais nom. Mon nom à moi est… -elle semble chercher ses mots- Neige de feu, dans ta langue bizarre. Je te salue Quatre-yeux."
Le coursier leva un sourcil perplexe. Que faisait une enfant à cet endroit, alors qu'il n'y avait ni campement ni quelconque autre présence indienne à proximité ?
"Où est ta famille petite ?"
La fillette se renfrogna.
"Loin au Nord, ils sont partis…"
Un hurlement étrange résonna au loin et elle se raidit soudainement. Son interlocuteur posa une question, vaguement inquiet. 
"Qu'est-ce que c'était que ce bruit ?
- Le désert. Très dangereux en ce moment."
La petite fille prit lestement la main de Matthiew, et le tira avec empressement en direction de la jument.
"Va-t-en avec ton ami à quatre jambes, tu es en danger.
- Je ne vais pas laisser une gamine en plein désert !
- Pas grave, je n'ai pas besoin d'aucune aide. Je suis née ici.
- Hors de question, quelle sorte d'adulte abandonne un enfant comme ça ?"
La petite eut un moment d'hésitation, serra les poings, puis se résigna.
"Si je viens avec toi, tu t'enfuiras au galop ?
- Monte."
Elle saisit la main tendue et bondit sur la croupe du cheval prestement. 
"Hue !"

Quelques minutes plus tard, une seconde plainte gutturale traversa les grands espaces. Quelque chose n'avait pas apprécié que sa proie se fasse la malle.

***

"… et là paf je lui pointe le canon entre les deux yeux et je lui sors un mémorable "tu voulais braquer qui déjà, le pied-tendre ?"
- Et après ? 
- Il s'est barré en courant après m'avoir laissé sa ceinture et ses bottes pour se faire pardonner… Les bandits de Washington, de vraies gonzesses !"
L'après-midi touchait à sa fin, dessinant de longues ombres. On était à présent largement dans ces territoires sauvages que seuls connaissaient les coyotes et ces chamans d'un autre temps qui guidaient encore parfois les clans.
À force de discuter avec la fillette juchée derrière les fontes, Matthiew avait réussi à comprendre à demi-mot pourquoi la tribu était partie et pourquoi la petite avait été abandonnée au milieu de nulle part, à la merci de la nature. 
Il y avait eu un problème. 
Un étranger était venu, il avait amené des cadeaux et on l'avait accueilli à bras ouverts. Un italien qui proposait de l'alcool et des armes contre des terres, qu'il revendait à des compagnies de chemin de fer ou tout acheteur prêt à en payer le prix. Un business juteux, pour qui avait assez de bagout et un certain goût du danger. 
Le territoire large de quelques miles qui longeait l'Est d'Aleph avait été vendu par son intermédiaire au "gros avec les vaches", contre une somme dérisoire. Comme toujours lorsqu'il s'agissait de spolier les biens indigènes, l'Italien avait gagné bien plus que toute la tribu. 
Il était revenu plus tard racheter d'autres terres à vil prix, à la demande du riche propriétaire, contre une commission conséquente, évidemment. Cette fois Gray senior voulait ouvrir une nouvelle route vers High Rock, où il vendait chaque année son bétail lors de la foire aux bestiaux. Cependant cette fois il se heurta à la résistance des locaux, ce qui n'était pas prévu. 
En effet, une vieille légende indienne situait sur le tracé la tombe d'un grand guerrier, qui aurait arraché du ciel une étoile. Celle-ci aurait enseveli le héros et le monstre qu'il combattait alors, l'enfermant afin qu'il cesse pour toujours de terroriser les habitants du désert. La grande dépression où il aurait accompli ce sacrifice était depuis sacrée et nul ne devait s'en approcher, pour empêcher que l'esprit de la créature ne se réveille pour revenir se venger.
Il était alors impensable de céder un tel endroit à un gros homme bruyant et ses bœufs. Gray insista. La tribu refusa. Gray menaça l'Italien. La tribu faillit lapider l'Italien. L'Italien finit par se barrer, sentant les ennuis poindre à la place de son paquet de dollars. Et puis Gray disparut, et toute la famille de la petite fille fuit dans la plus grande précipitation.
L'enfant était restée derrière.
"J'ai été désignée Gardienne du Grand Trou, quand je suis née, c'est un rôle très important. Je ne peux pas m'en aller avec la grande famille vers d'autres collines. Cet endroit et moi ne peuvent pas être séparés."
La nuit se couchait et les derniers rayons de soleil faisaient briller des larmes contenues. Matthew pouvait voir dans ces yeux humides à quel point la séparation avait été difficile pour elle, du haut de sa dizaine d'années. 
"Tu pouvais juste t'en aller. Ça ne sert à rien de veiller sur des vieilles histoires…"
La petite lui lança un regard gorgé de mépris, doublé d'une moue dégoûtée.
"Bête. Vous les peaux claires comprendez jamais rien."
Le coursier se sentit inexplicablement vexé, et fit claquer les rênes, laissant s'installer un silence boudeur.

***

La jument renâcla, puis se mit à farfouiller dans les cheveux de son maître d'un air satisfait. Celui-ci ne se formalisa pas du grand rire enfantin dans son dos, et continua d'étriller le poil bai de sa monture.
Il faisait à présent quasi-nuit, et la lune pointait derrière les collines. Ils avaient trouvé un abri, un camp abandonné. Il était constitué de quelques habitations en bois, à la mode indienne. Cela faisait longtemps qu'il ne servait plus : il n'y avait plus là que de vagues formes grisâtres, noyées parmi les herbes desséchées et les affleurements de rochers irréguliers. Quelles étaient les raisons de l'abandon ?  Cela faisait sûrement plusieurs années que l'on avait oublié. Le messager était content que sa jeune passagère lui ait indiqué un endroit comme celui-ci, car même si l'on voyait la grande ourse à travers, il était toujours utile d'avoir un toit pour passer la nuit.
Il avait donné son tapis de selle pour qu'elle n'ait pas froid, aussi commençait-il à frissonner. Les terres sauvages n'étaient hospitalières ni sous le soleil ni en son absence. 
Il donna une petite tape amicale sur la croupe du cheval, et s'empressa de se rapprocher du feu que l'enfant avait allumé. Celui-ci ronflait sourdement, projetant gracieusement flammes et bouquets d'étincelles vers la voûte étoilée. Matthiew se prit à contempler le tourbillon rougeoyant, et l’entrelacs délicat des bûches. La gamine y avait mis beaucoup de soin.
Il sourit, et remonta son col élimé.

"Fais de beaux rêves, Neige.
- Les esprits veilleront sur toi, Quatre-yeux."

***

Un son strident perça le silence. L'homme, désespéré, jeta un regard sur les plaines et continua son ascension. La montée était dure, le sol s'éboulait sous ses pieds. Peut-être cela ralentirait son poursuivant. Ça ne serait probablement pas le cas.
Ses mains étaient en sang et ses forces épuisées, pourtant il fallait qu'il avance. Il avait réussi à survivre à la créature pendant longtemps, mais cette fois elle l'avait retrouvé et il savait qu'il n'avait plus assez d'endurance pour lui échapper à nouveau.
Mais il n'était pas de ceux qui renoncent à vivre si facilement, et même si aux yeux de sa famille et des villageois il était un dandy un peu lâche, il avait découvert un courage insoupçonné au cours de sa longue fuite. C'était pourquoi il était encore en vie, et pourquoi il mourrait dans ces collines désertes, sans amis ni jeunes femmes pour le pleurer. Il regrettait beaucoup de ne pas avoir pu contempler une dernière fois la délicate chute de hanches d'Ariane. 
Il s'effondra encore une fois. Il aurait pu fermer les yeux et abandonner, mais une lueur d'espoir apparut soudain, ténue et vacillante. Tel un phare transperçant la nuit, un feu brillait non loin.

***

Le réveil fut  rude pour Matthiew. La voix paniquée de l'enfant, la nuit encore profonde et le grondement menaçant qu'on entendait au loin, tout indiquait un danger imminent. Même la jument semblait nerveuse, et tirait sur ses rênes, les oreilles en arrière. 
"Queuqwa ?" fut sa première réaction.
Question tout à fait appropriée dans cette situation, soit dit en passant, mais à laquelle Neige ne répondit pas. Elle préféra le traîner fermement par la manche jusqu'à la lisière du camp abandonné. 
Il prit d'abord le tas informe qu'elle lui désignait pour une carcasse d'animal, mais il finit par distinguer des doigts, des bottes, et une chemise en lambeaux. Que faisait donc un être humain dans un endroit aussi perdu ? Il se pencha sur le corps et constata qu'il était juste inconscient. À nouveau un cri guttural résonna en contrebas et le messager, mal à l'aise, chargea le blessé sur son dos pour le ramener vers le feu.
Une fois celui-ci allongé près des braises, les deux comparses détaillèrent leur visiteur nocturne. Bien que blessé et amaigri, on pouvait deviner les draps de soie de son enfance sur les traits du visage du jeune homme. Ses possessions étaient pourtant maigres : un colt sans munitions, des éperons, une gourde quasiment vide, deux mouchoirs brodés et quelques miettes de pain. La sacoche qu'il serrait contre lui, tachée par ce qui semblait être du sang séché, contenait quant à elle plusieurs bâtons de dynamite, qu'ils s'empressèrent d'éloigner des flammes.

"Pas bon, pas bon du tout…."
La fillette semblait effrayée. Son regard allait du blessé à la vallée noyée dans l'ombre.
L'estafette sentait également l'inquiétude le gagner.
"Il y a un souci ?
- Elle a faim…- la petite pointa pointa du doigt les deux humains et le cheval- Trois proies. On était trop loin pour elle, mais elle a suivi lui. Maintenant elle vient manger.
- Et… c'est quoi "elle" ?
- Celle-qui-est-tombée, la Bête qui a oublié son nom. La protectrice blessée que les ancêtres ont enfermé dans une étoile quand elle est devenue folle…

- …Le monstre que mon père a libéré. "
Le jeune homme s'était redressé avec peine, et avait fini la phrase dans un souffle.
Il promena les yeux sur le campement.
"Vous avez une arme ?
- Évidemment. "
Un soupir, suivi d'un gargouillis sonore.
"Et…. à manger ?"

***

"Je m'appelle Dastan Gray, j'ai 23 ans. Je suis beau, riche, élégant. J'ai une certaine réputation de tombeur. Que dire de plus… je suis l'héritier du plus grand ranch de la région et on loue mes traits d'esprit dans tout Aleph. Et vous vous êtes… ?
- Enchantée Parle Beaucoup pour Rien, mon nom est Neige de Feu.
- Matthiew Giacardi, coursier."

L’accueil était pour le moins froid. C'était compréhensible : le fils-à-papa dévorait à pleines dents les provisions de toute une semaine, et il était environ deux heures du matin. En ajoutant à cela des yeux rivés sur l'obscurité et une arme chargée, l'ambiance atteignait un degré de tension assez extrême. 

"Et ce monstre, il ressemble à quoi ?"
Gray déglutit. 
"Trois mètres de haut, des griffes acérées, des dents terribles. Et un cou très long, mais ça je suis sûr qu'il ne l'était pas la première fois, quand il a dévoré mon cheval. Et pourtant, après il était en mesure de m'atteindre dans ma cachette ! -il désigna la profonde estafilade sur son bras droit- J'ai dû vider mon chargeur dessus pour le faire fuir."
La petite indigène remua les braises avec un bout de planche, faisant crépiter le feu de plus belle. Elle répondit avec une moue.
"Les esprits prennent la forme qu'ils veulent. Sinon comment les humains pourraient les voir ? S'il a décidé de te manger tu finiras dans son ventre."

Un silence s'installa, seulement entrecoupé par les crépitements du feu, les renâclements du cheval et le bruissement sourd d'un prédateur guettant sa proie. Le monstre était à l'affût lui aussi. 

L'atmosphère devint plus lourde à mesure que les minutes s'égrenaient. L'attaque était imminente. L'enfant s’agrippa au garrot de la jument, et tout le monde se rapprocha encore du feu. On entendait à présent le souffle de la créature, ample et grondant. La main du messager se crispa sur la crosse. Trois vies dépendaient de lui.

Le râle se transforma en un cri, et une tête hideuse fit son apparition en défonçant le bois vermoulu de l'abri. Une détonation assourdissante, et la première balle déchira la nuit, puis la seconde, puis la troisième. La bête cabra, rugit, puis laissa échapper un grondement de défi. À mesure qu'elle se révélait à la lueur des flammes, au rythme de son pas pesant, Matthiew réalisa l'étendue de la menace. 
Il tira encore une fois, et encore une fois la balle ricocha sur l'épais camail écailleux. La créature s'était adaptée,  elle ne craignait plus la morsure des armes. 
Seul le feu les séparait à présent d'un funeste destin. Tandis que chacun réfléchissait désespérément à une solution, celui-ci fut piétiné sans opposer une quelconque résistance, envoyant de multiples étincelles alentours, à des mètres de hauteur. Alors que le messager passait le revolver et ses deux dernières munitions à Gray, pour au moins lui laisser tenter sa chance avant de mourir, la gamine poussa un cri.
"Les yeux !"
La bête plongea à ce moment, et le jeune dandy fit feu.
Un hurlement cauchemardesque emplit l'air, vrillant les cieux et faisant trembler la terre. Un flot de sang gicla, tandis que la créature se tordait de douleur. 
Aveugle, elle ne vit pas son repas dévaler à toute vitesse la pente vers la vallée.

***

"Comment tu as su ?"
La fillette était assise à califourchon sur la monture, et lui flattait l'encolure pour la calmer. 
"Su quoi ?
- Pour les yeux. Le point faible de cette horreur."
La voix du jeune homme était un peu étouffée. Il évoluait en contrebas, à tâtons, mais devait pourtant accomplir une tâche délicate.
"Elle a cligné d'un œil quand une des braises volantes a sauté. Je crois qu'elle a eu mal. Mais maintenant elle guérit,  et elle aura plus jamais mal aux yeux…
-  Ne t'inquiète pas, on a un plan."
Le plan était dangereusement hasardeux,  et s'il échouait, ils ne reviendraient jamais en vie à Aleph. Mais cela, Dastan ne le dit pas à voix haute. 
Une autre voix émergea de l'autre côté de l'escarpement.
"J'ai fini.
- Plus qu'à attendre ?
- Plus qu'à attendre. "

***

Celle-qui-est-tombée était furieuse. Sa chair se régénérait et elle réclamait vengeance. Aucune proie ne lui avait jamais résisté ainsi, elle allait broyer ces bipèdes insolents et achever son festin avec le grand quadrupède à sabots. Elle huma l'air à l'aide de son tout nouveau sens. 
Elle sentit le sang chaud de la viande qui s'agitait en contrebas.
Un grondement de plaisir s'éleva de la gorge de la protectrice déchue.
La chasse reprenait. 

***

"Elle arrive !"
Un frisson passa d'une épaule à l'autre. Le coursier arma nerveusement le détonateur, priant tous les dieux qu'il connaissait pour qu'ils n'aient pas trop foiré leurs calculs. Tout reposait sur les épaules de la petite fille, perchée derrière eux, en haut du goulot d'étranglement formé par le lit de la rivière à sec. Impossible de voir quoi que ce soit d'en-bas, cependant ils pouvaient entendre distinctement la bête se rapprocher. Le timing serait crucial. 
Gray junior n'en menait pas large, serrant la sacoche à présent vide contre lui. Le dernier cadeau de son père ressemblait beaucoup trop à un moyen de suicide à son goût. 
Soudain, le prédateur apparut. Dans sa monstrueuse majesté, il goûta un instant l'air de sa langue, et poussa un cri glaçant,  ressemblant terriblement à un rire victorieux. Puis il plongea, dévalant la pente à une vitesse vertigineuse. 

Malgré l'effroyable vision du monstre qui fonçait sur eux, les trois appâts se forcèrent à ne pas bouger. 
Une seconde passa.
Le cheval voulait s'enfuir, et le jeune dandy avait du mal à le retenir. Il fallait attendre.
Deux secondes.
Les griffes crissaient sur les rochers.Le signal allait bientôt venir.
Trois secondes. 
Là ça commençait à être beaucoup trop proche…
"MAINTENANT !"

L'explosion des bâtons de dynamite fit voler les berges en d'immenses gerbes de terre et de pierres. Ils ne prirent pas le temps d'admirer le spectacle. Le messager sauta sur sa monture et celle-ci partit aussitôt au galop, les deux hommes sur son dos. Alors qu'elle les emportait hors de la zone d'éboulement, le nuage de poussière et de roc sur les talons, dérapant sur le terrain instable, la fidèle jument fut à n'en pas douter l'être vivant le plus héroïque de l'Ouest.

***

Le jour pointait derrière les collines, et par miracle personne n'était mort. En somme, la journée commençait sous de bons augures.
Ce qui avait été le jour précédent un raidillon de rivière à sec ressemblait à présent à une avalanche grisâtre parsemée aléatoirement d'énormes blocs de roc. 
"C'est moins impressionnant que faire tomber une étoile, mais c'est efficace aussi."
Neige de Feu rit, et sa bonne humeur éclaira un peu plus le matin pâle.
"Il n'y a plus besoin de gardien du Grand Trou…
- Tu pourrais essayer de retrouver ta famille, ou bien venir à Aleph."
Son regard se fit mélancolique. 
"Ma place n'est plus ici, ni autre part."
Sa phrase souleva des regards perplexes. Elle soupira et ses yeux se remplirent de larmes.
"Hé, faut pas pleurer…"
Le messager pris la gamine en pleurs dans ses bras, sans trop savoir quoi penser de cette soudaine tristesse. 
Gray junior hésita, avant de se joindre maladroitement au câlin.
La fillette inspira un grand coup, puis se lança dans un long monologue. 

"Plus rien n'est pareil.
Trois vies avant, les plaines étaient libres et seule ma tribu y chassait. Maintenant ils sont partis et il ne reviendront pas. 
L'alcool et la poudre noire remplacent les traditions, et les hommes à la peau claire et à la parole agile prennent peu à peu la place des chamans et les sorciers. Mon peuple a abandonné ses ancêtres et bientôt il abandonnera ses dieux.
Les gens du soleil levant sont venus à leur place, mais ils sont violents et ignorants. Ils mangent les animaux sans écouter leurs plaintes, ils obéissent à quelqu'un d'invisible qui leur donne le droit de se massacrer entre eux si ils vont prier. 
Ils ont amené le fil qui chante, les machines qui crachent de la fumée noire, les goûts et les drapeaux d'un vieux monde lointain. 
Ils essaient de tout comprendre, ne craignent ni le vent ni la foudre. Ils rêvent tous d'or, de mariage ou d'oubli. 
Ils tuent des dieux avec des bâtons de dynamite. 
C'est pour ça que je suis venue à vous, c'est pour ça que mon rôle s'arrête là.
Plus personne ne croit aux esprits."

Ils ne surent jamais vraiment quand la petite avait disparu : quand le soleil dépassa l'horizon, elle n'était plus là.

***

"Au nom de mon défunt père, Harold Gray, protecteur d'Aleph, et de moi-même, le vaillant -et séduisant- Dastan Gray, qui ai terrassé le terrifiant monstre des plaines ; je déclare officiellement la fête du dixième anniversaire de la ville ouverte ! Tournée générale !"
Une ovation répondit à la déclaration, et les chants, les jeux et les danses reprirent de plus belle. 
Le patron du Good Old Grym's Saloon était parti défier la jolie borgne au tir, laissant les saoûlards se servir. De toute façon la fortune des Gray paierait toutes les bouteilles manquantes, comme chaque année. 
Adossé au bar Matthiew Giacardi discutait avec un marchand itinérant déjà à moitié torché. 
"… j'en ai entendu des pelletées d'histoires, gamin. Ici les nouvelles vont lentement, on n'a même pas encore le télégraphe. Par contre quand tu voyages, tu en vois et tu en entends des choses ! Mais tu sais de quoi j'parle, hein ? L'Ouest c'est bin pratique pour les déserteurs..
- Un coursier ça voyage beaucoup, et c'est dur de passer à côté de la guerre qui vient de s'achever. 
- Saleté de guerre. Heureusement que ni le Nord ni le Sud n'en avaient rien à foutre des petits patelins paumés dans le désert. 
- Yep… Dis le vieux, tu connais un peu les légendes locales ?
- Plutôt, faut bien connaître ses potentiels clients. Les histoires indiennes c'est un bordel j'te dis pas ! Par exemple, les locaux ils ont tout un tas d'esprits pour tout et n'importe quoi : la chasse, la guerre, l'accouchement, la médecine, la divination. Du renard à l'aigle royal, c'est tout un panthéon. Et devine le plus marrant ? 
- Hmm ?
- Leur esprit tutélaire c'est une pauvre salamandre. Un lézard !"

Le messager sourit et se resservit une chope de bière, pendant que le marchand se mettait à divaguer sur le prix des peaux tannées.

***

Dastan trouva la lettre à laquelle il devait la vie le lendemain, en même temps que la facture pour 10 livres de grain, deux semaines de provisions et douze cartouches de revolver. 
Il la déplia, la tête encore enfarinée.

Urgent 
À Harold Gray, Aleph, Nevada
Baltimore détruite, mari tué. Ai tout vendu pour gagner l'Ouest avec enfants et vieille mère. Voyageons avec un pasteur de l'église de la Lumière. 
Arrivons dans deux mois
Dieu bénisse notre famille
Ta petite sœur 
Anemone

***

Dans les rayons du soleil couchant, un harmonica égrenait la mélodie d'un messager solitaire.

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