Vous êtes au centre de toutes les choses qui m'arrivent

Allons-y, toi et moi
Quand l'Empire des onze jours crachera la terre
Et que mes yeux prendront la forme d’une toupie brisée

Addendum : Dans le cadre d’une enquête sur la disparition de James Talloran, une copie du livre « Dictionnaire des cent mille et un sexes de l’univers et au-delà », écrit par Finn Felicity, membre de Caldeira, a été découverte dans le bureau du chercheur. Curieusement, Talloran n’a jamais eu la possibilité d’utiliser sa salle de bureau, car celui-ci a disparu presque immédiatement après sa réaffectation sur le Site-118.

Le livre est très peu modifié par rapport à l’édition originale et ne comporte que quelques pages arrachées et un message à la dernière page des pages de garde du livre. L'encre de la lettre est confirmée identique à l'écriture habituelle du chercheur Talloran.

Ci-dessous, le message laissé.

Bonjour,

Vous ne me connaissez pas. Et vous ne me connaîtrez sûrement jamais. Je suis James Talloran, un grand fan de vous, Finn Felicity, et je vous écris, car je vous aime.

Cela fait un nombre incalculable d’années que j’ai enduré d’innombrables séances de torture, de mort, et de réitérations de souffrances sous des formes variées, par une entité au pouvoir presque infini dont je ne sais absolument rien, rien sauf qu’elle me cible moi seul pour son jeu sordide.

Mais récemment, depuis environ le dernier millénaire de martyre, quelque chose a changé. On dirait presque que l’entité a soudainement eu envie de changer sa méthode.

J’avais l’habitude de voir la réalité se modifier devant mes yeux pour m’horrifier une fois de plus, mais ce changement était différent. Cette fois-là, je me trouvais sur une plage magnifique au bord d’une mer qui semblait s’étendre infiniment. Deux transats proches présentaient chacun une chaise, l'une d'entre elles étant occupée par un homme portant un maillot de bain rouge.

C’est là que vous entrez en jeu. L’entité a décidé de créer un scénario où vous, Finn Felicity, m’accueilliez dans ce coin paradisiaque. J’étais confus, j’ai donc tenté de démarrer une discussion avec vous. Et vous m’avez répondu sans hésiter, avec un sourire mignon sur vos lèvres douces. Je me suis assis sur l’autre siège et on a donc continué la discussion pour un long moment, et même si je m’attendais à ce que la réalité change de nouveau pour me terrifier, je ne pouvais pas m’empêcher de rougir à chaque réplique romantique de votre part.

Étant, bien évidemment, troublé par le soudain changement de ton par rapport à la torture constante, j’ai rapidement succombé à votre charme, et j’ai accepté le seul amour que j’ai pu recevoir dans cet enfer. Nos lèvres se sont donc rapprochées, collées, et nous l’avons fait comme si c’était la dernière fois.

Après l’acte de chair entre vous et moi, je me suis endormi. Et dès lors que mes yeux se sont ouverts, je me suis retrouvé face à une nouvelle version de vous, cette fois habillé en marin moustachu dans un décor qui rappelait une jungle.

Au fond de moi, je savais que l’entité était responsable, mais je ne savais pas pourquoi. Peut-être qu’elle a eu enfin pitié de moi, mais j’en doutais énormément.

Ce changement continua indéfiniment, avec à chaque fois un nouveau scénario, décor, costume, toujours plus loufoque. Et à chaque fois, cela finissait avec nous deux dans l’acte de l’amour. J’en étais arrivé à oublier la torture. Je ne connaissais que l’amour de cet individu, et rien d’autre.

C’est en me disant ces mots-là que je me suis questionné sur cet amour.

Pourquoi devrais-je ressentir quelque chose quand l'entité orchestre tout ? Pourquoi devrais-je me forcer à soudainement aimer un homme après avoir vécu l’impossible ? Est-ce cela l’amour ?

C’est aussi à ce moment-là que j’ai trouvé votre livre. Ce livre, posé sur le sol sablonneux d’un décor western pendant un autre de nos rendez-vous. Je ne sais comment, mais j’étais sûr que ce bouquin était intouché par l’entité. Une sorte de « passerelle » vers le monde auquel j’appartenais. Une exception. J’ai donc pris le temps, entre chaque réveil, de lire le livre illustré de tous les membres génitaux possibles.

J’ai tout lu et relu : chaque petite citation, chacun des sexes aux noms parfois imprononçables, aux couleurs diverses, aux formes surprenantes et à la taille souvent exagérée. Je connais chaque mot des 2 048 pages, chaque lettre, par cœur.

Et pourtant, il me reste une chose que je ne sais toujours pas. Il manque un élément à cet ouvrage qui prétend avoir « catalogué tous les phallus connus et inconnus de cette réalité. » Un membre humain qui, parmi tous ceux listés, c’est celui-là que j’aimerais admirer. Le vôtre.

Cette version que l’entité me donne, même si elle possède votre visage et votre peau, n’est pas vous. Je veux savoir qui est réellement Finn Felicity, s’il a réellement tout essayé en matière de sexe. S’il possède des hobbies, s’il est timide ou social, s’il est aimable ou dur, s’il est romantique, s'il peut m'aimer.

Mais peut-être, encore, que cela fait partie du jeu de l’entité. Peut-être qu’elle a fait exprès de me faire détester sa version marionnette de Finn, pour que j’aime la vraie. Peut-être qu’elle joue avec moi en m’emportant dans ses fantasmes les plus honteux avec un personnage qui ne sait rien de moi. Peut-être que je ne suis qu’un pantin, laissé à la merci d’une créature sans gêne dans un monde façonné par lui-même.

Peut-être que l’entité elle-même a perdu le contrôle sur ses fétichismes. Ce livre, n’étant pas affecté, est l’anomalie dans un monde entièrement anormal. Le fétichisme d’un fétiche. Le chaos né de l’incohérence.

Peut-être que l’amour doit être artificiel pour apprécier le réel.
Peut-être que mon amour est un mensonge.
Peut-être que l’amour est un mensonge.
Peut-être.
Peut-être.
Peut-être.

Ceci est une lettre d’amour pour vous, Finn Felicity.

Mais de quoi vient cet amour, s’il vient même de quelque chose, c’est à vous de le décider.

~ Votre plus grand fan, James Talloran

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