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7 juin 2016
Portland, Oregon
L'Agent Sasha Merlo était assise à une table inoccupée dans un café tranquille et tapotait ses doigts sur celle-ci en regardant par la fenêtre. Le ciel, comme l'on pouvait s'y attendre, était nuageux.
Un individu plus jeune en civil se glissa dans le siège en face d'elle. "Sasha Merlo ?"
"Vous avez une once de perception," dit-elle de façon énigmatique en continuant à regarder par la fenêtre.
"Plutôt un livre d'obscur," murmura-t-iel. "Je vous jure, qui trouve ces mots de passe à la con ?"
"Je crois que cette fois, ce sont les paroles d'une chanson,"1 dit Merlo en souriant et se tournant pour faire face au nouvel arrivant. "Qu'est-il arrivé à l'Agent Spencer ?"
"Quelque chose est arrivé à Trois Ports dont il devait s'occuper," dit-iel. "Je suis son partenaire, Agent Spécial Robin Thorne."
Merlo étudia l'agent·e du FBI. Thorne était significativement plus jeune qu'elle et avait des cheveux auburn coupés courts qui encadraient un visage juvénile, mais iel dégageait une aura de confiance tranquille dont Merlo savait qu'elle venait uniquement avec l'expérience. C'était comme se regarder dans le miroir une décennie en arrière.
"Pourquoi ce nom m'est-il familier ?" demanda Merlo. Bien qu'elle fut réellement curieuse, elle utilisait également cette question comme manœuvre conversationnelle afin de tâter le terrain vis-à-vis de l'autre agent·e. Elle était venue préparée à faire son discours au notoirement inflexible Spencer et devait désormais réécrire mentalement ce qu'elle avait prévu.
Thorne cligna des yeux et les baissa en direction de la table. "Vous pensez probablement à ma mère."
Merlo retourna le nom dans sa tête encore quelques fois en essayant de déloger un souvenir coincé. Puis elle se rappela. "Vous voulez dire Florence Thorne ?"
Thorne hocha la tête en continuant de regarder la table. "Nous nous sommes déjà rencontrés auparavant, en fait. À ses funérailles." Iel leva les yeux et rencontra le regard de Merlo, à l'expression impénétrable. "Vous êtes partie tôt."
Un bref souvenir d'un·e adolescent·e dégingandé·e aux yeux remplis de colère passa dans l'esprit de Merlo. "Désolé," dit-elle. "Il y avait de nombreuses personnes qui n'étaient pas très heureuses de mon départ du Bureau."
Thorne haussa des épaules. "Je ne vous blâmais pas." Iel tambourina des doigts sur la table. "Mais je doute que cela soit la raison de notre rencontre, n'est-ce pas ?"
Merlo inhala rapidement et se mordit la lèvre inférieure. "Je sais qu'Anderson opère à Trois Portlands."
Thorne la fixa pendant un instant avant d'émettre un court rire. "Ah, ce genre de rencontre. Je suppose que ce n'est pas étonnant, venant de vous." Iel croisa les bras sur la table et se pencha légèrement en avant. "Qu'est-ce qui vous fait penser que votre baleine blanche se cache dans l'Étrange Ville ?"
Merlo bougea dans son siège, troublée par le fait que Thorne avait connaissance de sa vendetta contre Anderson. Elle poursuivit quoi qu'il en fut. "PLAMPRO fonctionne toujours ?"
Le regard de Thorne se durcit. "C'est classifié."
"Mais vous savez ce que c'est, n'est-ce pas ?"
Iel hocha légèrement la tête.
"Eh bien, quand j'ai rejoint le Bureau en 2002, la première chose sur laquelle ils m'ont mise était l'analyse du trafic PLAMPRO. Vous savez, trouver des motifs de déplacements, essayer d'identifier des routes de contrebande spécifiques. J'ai même un peu travaillé avec votre mère sur un dossier sur lequel elle bossait… Porte Sombre, je crois que c'était le nom de code ?"
"Pièce Sombre," dit Thorne, offrant automatiquement la correction. "Où voulez-vous en venir ?"
"Je veux en venir au fait que je sais à quoi ça ressemble quand quelqu'un utilise Trois Portlands comme le centre de son réseau de contrebande. La distribution spatiale et temporelle des opérations d'Anderson correspond parfaitement à ce motif."
"Donc tout ce que vous avez vraiment, c'est une intuition."
Merlo soupira. "Thorne, arrêtez de me raconter des conneries. J'ai déjà été de votre côté du jeu. Je sais qu'il est à Portlands. Vous savez qu'il est à Portlands. Vous vous demandez juste qui m'a dit qu'il était à Portlands. Maintenant, nous pouvons continuer à tourner autour du pot comme ça, ou vous pouvez accepter le fait que je ne vais pas balancer un informateur. À vous de choisir."
Thorne l'étudia silencieusement en fronçant très légèrement des sourcils. "Vous avez demandé cette rencontre, Agent Merlo. Il semble évident que vous avez besoin de nous, ou vous ne seriez pas là."
Merlo fouilla dans son manteau et en retira une enveloppe, qu'elle plaça sur la table entre eux. Thorne la regarda avec curiosité.
"Quid pro quo," expliqua Merlo. "Ceci contient une liste de cinq paracriminels fugitifs actuellement recherchés par l'U2I, ainsi que leur dernier emplacement connu hier à 18 heures. Je vous dis comment trouver vos gars, vous me dites comment trouver le mien."
Thorne fixait l'enveloppe tout en réfléchissant.
"Vous avez raison, bien sûr," finit-iel par dire. "Je suppose qu'il ne s'agissait que d'une question de temps avant que vous ne le découvriez. Ce n'est pas comme s'il était subtil à propos de ça, avec le panneau géant sur l'immeuble."
"Donc pourquoi le Bureau n'a-t-il pas déjà agi contre lui ?"
"Pourquoi ne l'avez-vous pas déjà attrapé ?"
Merlo serra les dents. "Il est très bon à ne pas se faire attraper."
"Bingo," dit Thorne en tirant avec ses doigts dans sa direction. "Strictement parlant, il n'a en fait rien fait d'illégal — rien que nous puissions prouver, en tout cas, et ce n'est pas faute d'essayer. Et même si nous pouvions l'épingler pour quelque chose de concret, agir contre lui serait… difficile."
"Comment ça ?"
"Imaginez essayer d'arrêter Jésus Christ au milieu du Vatican."
"À ce point ?"
"Pire. La moitié de la ville semble penser qu'il va réassembler Mekhane à lui tout seul, et l'autre moitié qu'il est une sorte de Robin des Bois anti-Fondation. Il faudrait qu'il tue quelqu'un dans la rue avant que l'on ne puisse agir contre lui, et même là, le dossier devrait être blindé."
Il y eut plusieurs secondes de silence alors que tous deux réfléchissaient à cela.
"Je ne suis pas liée par les mêmes restrictions," dit doucement Merlo. "J'ai juste besoin de savoir où il est."
Thorne rit. "C'est ça, parce que vous croyez qu'après tout ça, nous allons juste abandonner le Mandat Hoover et vous laisser le choper au sein même d'une enclave paranormale ?" Iel s'arrêta, son expression redevenant sérieuse. "Et — sans offense, Merlo — mais de ce que j'ai compris, vous ne brillez pas par vos réussites en la matière."
"C'est toujours mieux que vous," dit-elle.
Thorne sourit ironiquement. "C'est de bonne guerre, mais cela n'explique pas comment vous allez contourner le fait que vous êtes interdits d'opérer au sein de Portlands."
"Simple. Je ne vais rien faire dans Trois Portlands."
Thorne leva un sourcil. "Que prévoyez-vous ?"
"Les opérations d'Anderson sont peut-être centralisées à Trois Ports, mais il possède des dizaines d'installations sur Terre que nous n'avons pas encore localisées. Il est probable qu'elles soient toutes connectées ou en contact avec le siège social à Trois Portlands, et je suis prête à parier que le Bureau surveille cet endroit pour savoir ce qu'il prépare."
Thorne hocha la tête. "Très bien, et vous pensez que nous allons simplement vous dire où sont les installations satellites d'Anderson pour que vous puissiez agir et démanteler ses opérations morceau par morceau."
"C'est à peu près ça, oui."
Thorne soupira. "Bien que j'aime beaucoup l'idée de vous servir votre Jésus Électronique sur un plateau, nous sommes tout autant dans le flou que vous à ce sujet. Vous avez raison, nous avons son QG sous surveillance, mais il n'utilise pas le réseau public de Voies — nous pensons qu'il dispose d'une sorte de système de nexus privé qu'il utilise pour les livraisons et la logistique, mais pour ce que nous en savons, il pourrait entièrement utiliser l'apportation pour tout ça. Il en a définitivement le pouvoir."
Merlo hocha la tête d'un air résigné. "C'est désespérément familier. Juste au moment où je pense finalement l'avoir, il a en fait deux coups d'avance depuis longtemps." Elle soupira, puis se leva et se prépara à partir. "Je vous remercie tout de même pour votre temps, Agent Thorne. Ce fut un plaisir de vous rencontrer de nouveau."
"De même. Je suis simplement désolé de ne rien pouvoir faire de plus."
"Eh bien, si vous trouvez une piste qui pourrait nécessiter des actions extralégales, vous savez comment me contacter." Elle glissa l'enveloppe sur la table en direction de Thorne. "Allez-y et gardez ça. Peut-être que vous aurez plus de chance que moi."
Thorne regarda la femme plus âgée partir, avant de fixer à nouveau l'enveloppe.
Quid pro quo…
9 juin 2016
Campus du CIETU, Trois Portlands
"Nous arrivons maintenant à la Station Memorial Park. Les lieux d'intérêt à proximité incluent le CIETU de Portlands, le Consulat Sidhe et le Monument de la 7ème Guerre Occulte. Le prochain arrêt sur ce trajet se situe au Milk Box Boulevard et à Hobgoblin Street." La voix pré-enregistrée de l'annonceur du tramway s'arrêta avant de répéter le même message en celtique.
Thorne montra son pass de transport au contrôleur golem en sortant du tramway. Les vacances estivales signifiaient que la plateforme de la station était relativement vide pour un mardi, ce qui permettait à Thorne de se déplacer facilement avec sa mémoire musculaire. Iel avait fait le court trajet jusqu'au campus du CIETU presque chaque jour pendant quatre ans, et pouvait désormais le parcourir sans problème les yeux fermés, même des années plus tard.
Le sphinx du campus attendait au portail, la tête entre ses pattes et la queue remuant oisivement. Il existait plusieurs histoires concurrentes à propos de son origine et de la manière dont l'administration de l'école avait obtenu son allégeance, mais Thorne estimait qu'il était probable qu'elle aima juste tourmenter les étudiants.
"Bonjour, Fix," dit Thorne. "Peux-tu ouvrir le portail s'il te plaît ? Je dois juste utiliser la Bibliothèque."
Le sphinx leva sa tête et fixa Thorne de son regard. "Pour passer ce portail, tu dois d'abord répondre à mon énigme."
Thorne soupira. "Pas encore."
"Quel… est ton numéro d'identification étudiant ?"
Thorne cligna des yeux. "Fix, ce n'est pas une énigme."
"Je sais." bouda-t-elle. "Ils ont arrêter de me laisser poser de vraies énigmes après que j'ai enfermé le Doyen à l'extérieur."
Thorne prit son portefeuille et en sortit sa carte d'alumni, la tenant en l'air afin que le sphinx puisse la voir. "Voilà, c'est bon ou je dois te la lire ?"
"C'est bon," dit-elle, une note d'abattement dans la voix. Alors qu'elle rebaissait la tête, le portail commença à s'ouvrir de lui-même.
Son regard passant du portail ouvert au sphinx malheureux, Thorne prit une mauvaise décision.
"Si ça peut te faire sentir mieux, tu peux quand même me poser une énigme."
La tête du sphinx se releva immédiatement. Avec un éclair de malice dans ses yeux, elle dit, "En moi, tu peux trouver la vérité ; je ne suis pas détective, mais j'ai bien une preuve. Qui suis-je ?"
Thorne marqua une pause pendant un instant, puis dit, "De l'alcool."
Le sphinx eut un rictus. "Tu es bien plus intelligent que le Doyen. Il n'arrêtait pas d'insister sur le fait que la réponse était un procès."
Thorne gloussa. "C'est qu'il ne doit pas connaître beaucoup d'avocats." Iel fit un signe de la main au sphinx en commençant à marcher en direction de la bibliothèque. "À plus tard, Fix."
La bibliothèque était située au centre du campus et faisait partie de la toile complexe de sorcellerie architecturale qui conservait l'ensemble ancré sur place relativement au reste des bâtiments de Trois Portlands, qui dérivaient tous petit à petit en direction de la frontière extérieure de la ville jusqu'à tomber dans l'Extérieur. Le bâtiment en forme d'anneau qui abritait la bibliothèque constituait le cercle intérieur d'une géométrie magique en trois parties et encerclait entièrement la Tour de l'Horloge Servane, qui était le point central du campus et de ses enchantements.
L'immense quantité d'EEV concentrée au sein de la bibliothèque et de la tour d'horloge entraînait une conséquence imprévue : l'horloge de la tour pouvait être lue grâce à l'ombre de sa radiation d'aspect, même à travers les objets solides, et pouvait encore être vue même à plus d'un kilomètre — en tout cas pour un Observateur·rice comme Thorne. Malheureusement, la même radiation d'aspect qui rendait l'horloge visible avait également tendance à perturber ses mécanismes internes, l'heure indiquée était donc rarement la bonne — actuellement, l'horloge indiquait qu'il était un grand citron et soixante-douze minutes.
Malgré ses meilleurs efforts, les vieilles portes en chêne grincèrent sinistrement lorsque Thorne les ouvrirent, attirant l'attention du bibliothécaire à l'accueil. Ouvrant sa bouche pour délivrer une sèche réprimande, il s'arrêta et sourit lorsqu'il vit Thorne.
"Robin," dit-il, la voix à peine plus forte qu'un murmure. "Ne me dis pas que tu as changé d'avis à propos des études post-licence."
"J'ai bien peur que non, Professeur Holcomb," dit Thorne. "Désolé de vous décevoir, mais je suis juste ici pour faire quelques recherches."
Il acquiesça sagement, peu surpris. "Bien sûr, la bibliothèque t'est toujours ouverte si tu en as besoin."
"Et en ce qui concerne la Bibliothèque ?"
L'expression de Holcomb se refroidit. "Je suis presque certain que nos collections sont exhaustives en ce qui concerne la théorie occulte. Il n'y a aucun besoin—"
Thorne leva une main pour l'interrompre. "Professeur, je n'essaie pas de remettre en question votre réputation d'archiviste. Je me suis juste dit que vous ne voudriez pas que j'invoque un Étranger ici."
"Oh." Il réfléchit à cela. "Oui, cela serait loin d'être idéal." Il marqua une pause. "Suis-je indiscret si je te demande la raison pour laquelle tu requiers les services d'un daemon ?"
"J'essaie juste de compenser certaines lacunes dans mes compétences de sortilèges. Vous savez que je n'ai jamais été le meilleur pour les évocations." Iel haussa les épaules, tentant d'apparaître nonchalant·e malgré le sujet de la conversation. "Donc… la Bibliothèque ?"
Il hocha la tête. "Bien sûr. La Voie est là où elle a toujours été, mais le code de la porte a sans doute été changé depuis la dernière fois que tu l'as utilisée… Je crois que c'est delta-rhô-neuf-sept maintenant."
"Merci Professeur." Thorne lui fit un signe de la main avant de se retourner et de s'enfoncer plus profondément dans la bibliothèque.
Bien qu'elle palissât en comparaison de l'immensité et de la complexité de la Bibliothèque, la bibliothèque du CIETU disposait elle aussi de ses anomalies spatiales — le résultat combiné des quantités gigantesques d'EEV entourant et imprégnant la bibliothèque et des volumes les plus ésotériques abrités sur ses étagères. En prenant soin d'éviter les sections catalogue indexées aux nombres complexes, Thorne se fraya un chemin à travers les étagères jusqu'à atteindre une porte quelconque enfoncée dans une alcôve isolée.
Il n'y avait aucun signe sur la porte indiquant ce qu'il y avait derrière et, en l'absence du clavier alphanumérique à proximité, elle aurait pu être confondue avec un placard d'entretien par un observateur ordinaire. Thorne entra le code que le Professeur Holcomb lui avait donné ; la porte s'ouvrit d'un coup et révéla un placard vide.
Thorne entra dans la pièce et ferma la porte derrière ellui. Iel s'arrêta pendant un instant, puis murmura dans l'obscurité.
"Par cet art, vous pouvez contempler la variation des vingt-trois lettres."
Thorn ressentit instantanément un pic de Radiation d'Aspect alors que la Voie réagissait aux mots de Borges. Deux brillants points de lumière apparurent à la base du mur opposé et commencèrent à avancer doucement vers le haut sur sa surface, traçant un chemin légèrement brillant derrière eux. En approchant du plafond, les points tournèrent et commencèrent à se diriger dans la direction l'un de l'autre, s'arrêtant et fusionnant en un unique rayon de lumière en se rejoignant au centre. En réponse, le contour étincelant tracé au mur flamboya avec éclat, forçant Thorne à cligner des yeux.
Lorsqu'iel ouvrit de nouveau ses yeux, une simple porte en pin était apparue sur le mur devant ellui. Alors que la lumière commençait à s'évanouir de la pièce, la porte s'ouvrit spontanément et révéla la Bibliothèque des Vagabonds.
La porte se referma dès que Thorne fut entré·e dans la Bibliothèque, scellant la Voie derrière ellui. Iel se retourna afin de l'examiner brièvement, puis plaça une main ferme sur la poignée de porte et murmura un rapide cantrip. C'était un sort simple, dont le but était d'infuser la porte avec une petite quantité d'EEV afin de créer un lien contagieux que Thorne pourrait utiliser afin de la retrouver. Bien qu'il fut aisé à réaliser, c'était un outil vital pour explorer la Bibliothèque.
Satisfait·e de ne pas être condamné·e à errer pour l'éternité, Thorne se mit en quête d'un Bibliothécaire. Il s'agissait d'un objectif bien plus simple à atteindre que de retrouver une sortie spécifique, car les Bibliothécaires semblaient disposer d'un sens inné d'où et quand ils étaient requis. Thorne ne prit pas longtemps à en trouver un, qui l'attendait alors qu'iel passait à l'angle d'une allée.
Ce Bibliothécaire était une silhouette immense — facilement quatre mètres de haut — et entièrement encapuchonnée d'une épaisse cape verte. Son visage — s'il en avait un — était caché dans les ombres de son capuchon. Il se tenait silencieusement au centre de l'intersection, fixant directement Thorne.
Même s'iel s'y attendait, Thorne eut tout de même une vive exclamation en voyant la silhouette. En prenant soin d'éviter de regarder directement le vide à l'endroit où son visage aurait dû être, iel l'approcha avec précaution.
Thorne lui fit un faible signe de main. "Salut."
Le Bibliothécaire ne répondit pas.
"Très bien, vous n'êtes pas partant pour les bavardages." Thorne s'éclaircit la gorge. "Je cherche des livres sur les Intelligences Étrangères et Construites — les Étrangers, les daemons, les familiers, ce genre de choses. En anglais de préférence, mais le celtique moderne me convient également. Pouvez-vous m'indiquer la bonne section ?"
Le Bibliothécaire leva l'un de ses longs bras élancés, la manche de sa cape s'effaçant derrière une main squelettique serrée en un poing. Lentement, le Bibliothécaire étendit un unique doigt, depuis lequel un fin nuage de brume commença à s'élever en volutes. Thorne observa le brouillard descendre en tourbillonnant au sol et se faufiler entre les étagères.
Thorne redirigea son regard en direction du Bibliothécaire, toujours silencieux. "Euh, merci, je suppose."
Une unique syllabe dans une langue eldritch grinça loin derrière les plis de la cape et fit frémir Thorne. Cela aurait pu être une expression de remerciements, mais iel décida de ne pas demander de clarification.
Thorne se hâta à la poursuite de la traînée de brume et la suivit plus profondément dans la Bibliothèque. Elle le·a mena sur un sentier sinueux entre les rangées d'étagères, rebroussant parfois chemin pour traverser une section gondolée. Après une demi-heure de vagabondage, la traînée s'arrêta finalement à l'extrémité d'une longue rangée d'étagères qui s'élevaient sur cinq étages et s'étendaient à l'horizon. Une plaque à la base de l'étagère la plus proche indiquait seulement "ÉTRANGERS".
Thorne baissa les yeux en direction de la brume et se demanda s'iel devait la remercier. Avant qu'iel ne se décide, celle-ci s'évapora, le·a laissant seul·e au milieu des livres.
"Vous cherchez quelque chose en particulier ?"
Thorne jeta un œil derrière son épaule et vit une femme asiatique portant un blouson d'aviateur défoncé assise à une table à proximité et l'observant derrière un livre intitulé Der Nichtswanderer. Un petit charme doré en forme de pomme pendait à son cou.
"Je n'en suis pas vraiment sûr," dit Thorne en toute honnêteté.
"Mood," marmonna-t-elle. "Peut-être puis-je aider ?"
Thorne haussa les épaules. "Bien sûr. Merci. Toujours mieux que de fouiller pendant une semaine."
"J'en déduis que vous avez un objectif spécifique en tête. Peu de personnes font des recherches sur les Étrangers sur un coup de tête."
"J'ai besoin d'une Intelligence Construite pour…" Thorne marqua une pause. "Pour aider à une évocation complexe."
"Un familier de travail, je vois." Elle bourdonna doucement. "Essayez de commencer avec Sur les Daemons Extérieurs les Plus Serviables. Je pense que son auteur est Litherland ? Ouais, c'est ça. Mais prenez celui annoté par LR. Il devrait être au deuxième étage, environ douze étagères plus bas." Elle fit un geste en direction de la rangée.
"Litherland, très bien. Merci pour votre aide, euh…" Thorne s'arrêta. "Désolé, je ne connais pas votre nom."
"Alliott." dit-elle. "Et ce n'est rien. Je connais sans doute cette section mieux que certains Bibliothécaires."
Thorne fit un geste de la main en direction d'Alliott avant de se mettre en route dans la rangée dans la direction indiquée. Iel trouva rapidement le livre, un épais volume relié de cuir qui semblait pouvoir avoir entre 20 et 200 ans — bien que Thorne sut que l'annotateur était encore vivant, ce qui suggérait que son véritable âge était dans le bas de cette fourchette.
Iel emporta le livre à une table à proximité et commença à lire.
14 juin 2016
Place Prometheus, Trois Portlands
"Et pourquoi tu n'as pas demandé l'aide de Spencer ?"
Thorne jeta un œil en direction de sa partenaire actuelle. Comme d'habitude, Renee Morin avait renoncé à l'uniforme plus formel commun aux agents de l'U2I et portait à la place ses habits de civil normaux — incluant une casquette de baseball Aztèques d'Atlanta usée dans laquelle deux trous avaient été découpés pour ses oreilles. Bien que la paire constituât sans aucun doute un couple inhabituel, elle était loin d'être la vision la plus intéressante de la Place Prometheus.
"Ken n'apprécierait pas que nous fassions une faveur à la Fondation," dit Thorne. "Notamment une faveur à la… légalité discutable."
Renee arbora un sourire narquois. "La question est-elle "Est-ce que c'est illégal ?" Parce que ça l'est sans aucun doute."
"Et pourtant tu es là."
Elle haussa des épaules. "Je suis toujours partante pour un petit cambriolage chez Ronald et ses collaborateurs," dit-elle, un soupçon de venin dans sa voix. Elle s'arrêta, puis ajouta, "Officieusement, bien sûr."
"Eh bien, si le plan se déroule comme prévu — et je sais que le dire vient probablement de réduire les chances que cela arrive — il n'y aura aucune effraction incluse dans cette intrusion."
"Est-ce que quoi que ce soit se déroule comme prévu quand Anderson est impliqué ?"
"Pas vraiment, non," dit Thorne. "Mais il n'est certainement pas à l'intérieur — je le saurais si c'était le cas — donc peut-être aurons-nous plus de chance."
"T'y crois vraiment ?"
"J'aimerais." Iel se tourna pour faire face à Renee. "Tu as le charme que je t'ai donné ?"
Elle hocha la tête.
"Et si ça ne marche pas, tu as mémorisé la rune ?"
Renee s'accroupit et dessina rapidement un symbole dans la poussière. "Comme ça ?"
Thorne l'étudia pendant un instant avant d'acquiescer. "Ouais, c'est bon."
La fille-chat effaça le symbole avec le dos de sa main avant de se relever. "Bon, on est prêts ?"
"Probablement pas," dit Thorne. Iel prit une inspiration. "Allez Kit, rendons fier le fantôme de Hoover en conduisant une fouille illégale des quartiers généraux d'un leader communautaire."
Il fallait admettre que l'ancien Directeur du FBI n'avait probablement pas envisagé que ses "sales coups" seraient menés par un sorcier·e androgyne et une fille-chat insolente, mais Thorne était sûr·e qu'il aurait approuvé la nature de l'opération qu'ils avaient planifiée. Ce fait était, pour une étrange raison, encourageant.
Ensemble, les deux agents traversèrent la place en direction du siège social d'Anderson Robotics. Auparavant, le bâtiment avait hébergé les bureaux principaux de Trois Portlands des Laboratoires Prometheus. Après le choc du démantèlement des LP, l'endroit avait changé de main entre plusieurs locataires de court terme, incluant une tentative avortée d'un institut technique de Deer. Ces quelques dernières années, cependant, il était occupé par Anderson et sa ménagerie de robots, qui avaient peu à peu transformé la structure en une imposante forteresse entrepreneuriale.
Tenant son badge devant ellui comme un bouclier, Thorne marcha à grandes enjambées au travers des unités Pèlerins postées à l'entrée principale en tant qu'agents de sécurité, parfaitement conscient des yeux électriques qui la traquaient. Les robots ne firent aucun geste pour les arrêter alors qu'ils entraient dans le vestibule et approchaient du guichet d'accueil.
Contrairement aux gardes à la porte, l'homme derrière le guichet ressemblait véritablement à un humain, bien que Thorne put immédiatement affirmer en raison de son absence d'aura qu'il était une unité Sacre. Il leva les yeux lorsqu'ils approchèrent et afficha un sourire courtois.
"Puis-je vous aider d'une quelconque façon, Agents ?"
"Nous avons un rapport concernant un golem de gaz échappé dans ce quartier," mentit Thorne. "Nous avons des raisons de penser qu'il pourrait être dans ce bâtiment. Nous devons fouiller le rez-de-chaussée pour essayer de le localiser avant qu'il n'asphyxie quelqu'un."
"Je crains que l'on m'ait ordonné de ne pas laisser d'agent fédéral réaliser une quelconque fouille du bâtiment sans mandat," dit l'androïde tout en continuant à sourire sans sincérité.
Renee se pencha en avant et posa ses mains sur le bord du bureau. "Il y a des vies en jeu. Ce sont des circonstances urgentes, nous n'avons donc pas besoin d'un mandat." Elle fléchit très légèrement ses doigts, étendant juste assez l'extrémité de ses griffes pour gratter le vernis du bureau. "Ce qui veut dire que ce que vous faites actuellement est de l'obstruction à un agent fédéral dans le cadre de son service. Ce qui, dans tous les cas, nous fera revenir avec un mandat. Mais si cette chose finit par tuer quelqu'un parce que vous nous avez retardés, il y aura de sérieuses conséquences."
Le regard de l'androïde passa lentement d'un agent à l'autre et son sourire faiblit. "Je suppose que… si c'est un danger de sécurité publique… Je pourrais vous laisser réaliser vos recherches avec une escorte."
"Très bien, tant que vous nous laissez faire," dit Renee.
L'androïde fit un geste en direction de l'un des Pèlerins gardant la porte. "578, accompagnez les agents pendant qu'ils réalisent leurs recherches. Ne les laissez pas quitter le rez-de-chaussée."
Le DHUSP #578 acquiesça. "Compris." Il se tourna pour faire face aux deux agents. "Veuillez me suivre. Ne tentez pas de me quitter avant que nous soyons revenus en ce lieu."
Alors que leur escorte commençait à sortir du vestibule, Thorne esquissa un sourire en direction de l'androïde réceptionniste. "Votre coopération est appréciée."
L'androïde ne répondit pas et observa le trio partir.
Il avait déjà déclenché une alarme silencieuse qui notifierait Vincent Anderson de leur présence.
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