« Des frissons parcourent mon corps. Ce ne sont pas des frissons comme ceux qu'on a quand on a froid, où même des frissons de peur, c'est plutôt ce genre de frissons qui apparaissent lorsqu'on se vide l'esprit et où on ne sait plus quoi faire ou plus quoi penser. »
Hugo se balançait sur sa chaise en appuyant son pied droit contre se bureau, en fixant sur celui-ci un des rares points qui n'était pas jonché de papiers, de rapports ou de travaux non finis : « Ce bastion résistant encore et toujours au bordel » pensa-t-il.
Des milliers de pensées se bousculaient dans sa tête, mais pourtant, tout lui paraissait silencieux et il avait l'impression que tout dormait. Il abaissa son pied et sa chaise retomba droite. Il se pencha alors en avant et croisa ses bras sur la table avant de chercher un autre point vierge à fixer sur le bureau. Il laissa tomber son menton sur ses bras et se posa cette question fatidique qu'on se pose la veille d'un week-end à 2h du matin : « Je fais quoi maintenant ? »
Il souleva sa main droite et sorti de son confort pour gratter faiblement ce recoin propre de la surface de son bureau avec son ongle. Une couche de saleté s'en détacha alors, et la poussière en émanant s'évapora instantanément dans l'air. « Je fais quoi maintenant ? »
Cette question si simple qui avait habituellement une réponse n'en avait pas à ce moment précis. Le chercheur se redressa sur sa chaise, laissa ses bras tomber le long de celle-ci et commença à penser.
Il pensa tout d'abord aux questions classiques qu'on se pose pendant un moment de vide « Pourquoi suis-je là ? », « Quel est le sens de ma vie ? », « Existe-t-il quelque chose après la mort? », mais très vite il rejeta ces questions : il avait déjà ses réponses toutes faites qu'il n'avait plus envie de remettre en question sous peine de chambouler intégralement sa vision de la vie « …une nouvelle fois… » pensa-t-il. Il réfléchit alors à d'autres questions, plus spécifiques selon lui : « Quel est mon rôle à la Fondation ? », « La Fondation est-elle une bonne chose ? », « Qu'est-ce que la normalité ? » et tant d'autres fusèrent à l'intérieur de sa tête. Le chimiste se surprit à esquisser un « Meh » vocal avant de se dire dans sa tête « Trop classique… » et de chercher quelque chose d'autre à penser.
Hugo poussa un soupir, se leva de sa chaise et alla s'allonger sur le matelas qui lui servait de lit provisoire le temps qu'on lui trouve un logement au Site-Aleph. Il posa sa tête sur son oreiller froissé et fixa le bas de la porte d'entrée avant de replonger dans ses pensées. Même s'il remettait en question sa vision du classique, cela reviendrait à s'ennuyer encore plus. Avec tous les moments de vide qu'il avait eu dans sa vie, il avait déjà répondu à beaucoup d'interrogations existentielles qu'il n'avait plus envie de remettre en question, par fainéantise ou peut-être par peur. « Tiens ? » se demanda-t-il, « Mon rapport à la peur est-il le même qu'avant ? ». Il secoua la tête et revint à la réalité, puis toucha de son pied l'étagère contre laquelle son matelas était plaqué. La réponse était évidente : Évidemment que non : toujours aussi parano.
Petite merde trouillarde !
« Eh ! Nan ! »
En effet, Hugo avait toujours eu beaucoup de peurs irrationnelles. Peur phobique du noir ou de la solitude, il en accumulait de bien belles, mais de là à le traiter de trouillard… « Je suis pas un trouillard, juste un peu précautionneux »
Tu rigoles ? Se retourner parce qu'on pense être suivi, t'appelle ça des précautions ?
Hugo se frotta les yeux avant de rétorquer :
« Juste une précaution ! N'importe qui pourrait être là ! »
N'importe quoi… Comme si les agents de sécurité faisaient pas bien leur boulot…
« Hey, tais-toi ! Et laisse moi réfléchir »
La situation n'avait pas avancé : le chercheur ne savait toujours pas quoi penser ou faire. Il regarda sa montre : elle affichait 2h37. Avec tout ça, il ne savait même plus ce qu'il attendait.
Même pas foutu de se souvenir de ça !
« Laisse moi réfléchir ! »
Comme si tout ceci était normal…
« Hey, après tout, c'est toi qui viens me faire chier, j'ai rien demandé à la base ! »
Tout ceci est absurde…
« Si c'est si absurde, t'as qu'à me laisser tranquille ! »
Cependant il n'avait pas tort, il se trouvait effectivement dans une situation dénuée de sens :
On appelle ça : « La vie » mon pote
Il discutait avec quelqu'un et cherchait quelque chose à penser
« Arrête avec ça, on a déjà tranché la question ! »
Et finalement le temps passait sans qu'il s'en rende compte
Peut être parce que tu es trop lâche pour remettre cette pseudo-réponse en question ?
Et il avait effectivement trop pensé et réfléchit
« Stop ! Des années que j'ai tranché et retranché la question, j'ai eu ma réponse j'en reste là ! »
Si bien qu'il ne s'était pas rendu compte qu'il avait trouvé ce qu'il cherchait.
Tu ne veux pas y repenser, peut-être parce que la conclusion à laquelle tu avais abouti t'avais effrayée ? Hein Hug-
Le réveil d'Hugo sonna. Il se réveilla doucement, barbouillé qu'il était, et éteignit le réveil d'un geste lent. Il somnola pendant quelques secondes, avant de se demander avec qui pouvait il avoir parlé cette nuit-là. Quelqu'un entra alors brusquement dans son bureau. De là où il était, Hugo n'aperçu que les chaussures de la personne, mais il leva très vite les yeux pour voir une longue chevelure orangée ainsi que des petites lunettes carrées très caractéristiques de sa collègue.
« Ca va Hugo ? Tu te sens bien ? »
Il répondit doucement
« Hm… Qu'est-ce que tu viens faire ici si tôt ? »
« Si tôt ? Rétorqua la femme rousse, mais il est 10h Hugo ! »
« Dix heures ? Mais mon réveil a sonné il y a trois… »
« … Heures. »
Un silence gênant se fit entendre, puis après un brusque éclair de lucidité, le jeune chercheur laissa échapper cette phrase à laquelle il aurait dû penser :
« Ah oui, c'était toi… »
Un autre silence se fit entendre, et Hugo se réveilla ce jour-là sous le regard consterné et intrigué de sa collègue.