Vous ne pouvez pas me tuer d'une manière qui importe

Après la Première Disaporsa Nälkä, après la chute de l'Empire Kalmaktama, la plupart des groupes Nälkän sont restés secrets et isolés. Les persécutions qu'ils avaient subies aux mains de la coalition des Mékhanites avaient fait de cette option la plus raisonnable pour la majorité de ceux qui sont restés dans des régions où les souvenirs de la guerre étaient encore frais. Certains Karcistes, comme le Karciste Vaski, étaient allés plus loin pour tenter de recréer le Kalmaktama, mais la plupart d'entre eux se sont retrouvés marginalisés dans leurs nouveaux foyers. Le Nälkä était étrange et intimidant, et si une grande partie de cela était simplement la réaction d’ignorants, une réaction de peur n'était pas injustifiée envers des sectes comme les Vātula. Dans leur désespoir, ils avaient trahi ce qui avait conduit Ion à se révolter contre les Daeva.

Mais de nombreux pratiquants du Nälkä avaient fui vers le nord-est, dans ce que nous connaissons aujourd'hui comme la toundra de Sibérie. C'était une terre pauvre, mais avec leurs rituels et leur Halkost, ils pouvaient y survivre. Le fait qu'elle soit si stérile, et si éloignée, avait dû sembler être la défense parfaite contre les représailles des forces dirigées par les Mékhanites.

C'est là qu'ils ont rencontré les Veldt.

Il est impossible de savoir comment s'est déroulée la première rencontre entre les Veldt et les réfugiés kalmaktamans, mais les légendes que nous avons transmises suggèrent que la rencontre n'a pas été pacifique. Le Mythe des Deux Frères est présent, sous une forme ou une autre, à travers tout notre peuple. Il raconte l'histoire de deux frères, séparés à la naissance, et dont chacun ignore tout de l’existence de l’autre. Tous deux sont des chefs au sein de leur peuple. L'un est un grand chasseur. Il porte un manteau fait de lichen, des armes d'os et de fer météoritique, et les prédateurs de la toundra marchent à ses côtés. L'autre est un grand guerrier, mais (dans la plupart des versions de l’histoire) il fuit un ennemi puissant. Il guérit sa propre chair, et peut modifier ses formes et celles des autres. Lorsque le second frère retourne dans la toundra, il prend un aigle et s'empare de sa volonté, et l'envoie chasser la chair des herbivores.

Ils se battent pendant trois jours et trois nuits, utilisant leurs magies les plus puissantes l'un contre l'autre et envoyant leurs plus puissants partisans au combat. Mais au fil du combat, ils se reconnaissent comme frères et, à l'aube du quatrième jour, tombent dans les bras l’un de l’autre.

Pour nous aujourd'hui, éloignés de cet ancien conflit, cela semble irrationnel. Nous pouvons voir la preuve que les rituels et les croyances des Veldt et des réfugiés étaient compatibles chaque fois que nous utilisons nos magies, assistons à un rituel ou écoutons une histoire. Mais c'était une époque violente, et les kalmaktamans n'étaient pas enclins à faire confiance aux étrangers. Les Veldt voyaient probablement beaucoup de rites et de magies utilisés par les kalmaktamans comme alignés au Verdoyant. L'utilisation de carnivores comme matériau de base pour les rituels de croissance de la chair était probablement considérée comme la preuve ultime de la contamination par le Verdoyant.1

Mais même à l'époque de nos ancêtres, les similitudes dans leurs pratiques et leur théologie devaient être claires. Le fait qu'ils utilisaient tous deux la chair était évident, mais superficiel. Des similitudes plus profondes peuvent être trouvées dans les ennemis de nos ancêtres--Yaldabaoth et le Verdoyant. La croissance infinie et incontrôlée du Verdoyant montre un parallèle évident avec la création continuelle de la vie par Yaldabaoth. La nature prédatrice des Veldt est clairement reflétée dans la chasse aux Archontes de Ion.

Les sources archéologiques suggèrent que nos ancêtres ont commencé à se combiner en une seule culture dans les deux siècles qui ont suivi le contact initial, sans qu'aucune des deux cultures n'ait une position dominante sur l'autre.

Aucun des karcistes actuellement parmi nous ne peut parler de l'époque où notre peuple était divisé. Les histoires de cette époque sont transmises oralement, et bien qu'elles contiennent une grande quantité de connaissances, il est difficile de les organiser en une séquence logique. Cela n'a changé qu'au 12e siècle, avec la création de l'Elayaidi.

C'est le Karciste Kasi qui a été le premier à concevoir l'Elayaidi. Les praticiens du Nälkä s’étaient efforcés d'éliminer la malédiction de la mortalité depuis qu'Ozi̮rmok Ion avait renversé les Daeva, et de nombreux Karcistes avaient guéri leur propre chair. Mais guérir la chair d'un autre de la Malédiction n'était pas si facile. De nombreux Karcistes luttaient, noblement mais vainement, pour annuler la malédiction à grande échelle. Kasi connaissait l'artisanat des Veldt et était habile dans son rôle de berger de la chair, et il erra longuement dans sa jeunesse avant de revenir vers son peuple. Ce souffle de connaissances nouvelles lui permit d'entrevoir une autre solution--Il pouvait attacher nos consciences à de nombreuses spores, et lier les champignons de la toundra ensemble pour former une toile vivante. Lorsque nous vieillirions, nos âmes se joindraient à la toile dans le sol, et pourraient renaître à nouveau.

Ce n'était pas Ikunaan, mais cela semblait en être aussi proche que possible.

La décision de créer l’Elayaidi n'a pas été prise à la légère2. Les pérégrinations de Kasi lui avaient montré que le processus ne pouvait être parfait. Les souvenirs et la personnalité d'une vie antérieure seraient présents, mais ils seraient faibles et atténués. Cela ne fonctionnerait pas en dehors de nos terres, et il y avait un risque que le temps passé au sein des champignons nous change. Un grand conseil réunissant tous les villages a discuté de l'opportunité de procéder pendant un mois, et ceux qui étaient là disent que le débat fut très agité. Néanmoins, au final, il a été décidé de créer l’Elayaidi. Pendant des milliers d'années, nous n'avions fait aucun progrès pour défaire la malédiction. C'était notre premier pas en avant.

La connaissance détaillée de la création de l'Elayaidi n'est partagée que par les Karcistes3. Nous, les membres laïcs, savions que le réseau fongique sous nos pieds n'était pas un seul organisme, mais qu'il devait être cousu ensemble comme une tapisserie ; Kasi lui-même a traversé toutes nos terres pour fusionner le mycélium dans le sol. Les serviteurs de nos ennemis--nous ne savons pas s'ils étaient des serviteurs de Yaldabaoth ou du Verdoyant--ont tenté de l'arrêter, mais lui et ses acolytes les ont vaincus.

Le transfert de nos âmes en spores, la Seconde Naissance, doit se faire en personne, et individuellement. Aujourd'hui encore, lorsque l'un d'entre nous naît pour la première fois, il est emmailloté dans la peau d'un renne et déposé dans une parcelle de lichen. Le pouvoir du Veldt est invoqué, et un Karciste crée un petit morceau de halkost sans âme et l'introduit dans l'enfant.

Je me souviens avoir reçu la bénédiction, il y a deux vies. Les autres personnes ne sont plus aussi claires dans mon esprit - je me souviens qu'elles étaient nombreuses, et je suis presque sûr que mes parents étaient parmi elles. Ce dont je me souviens beaucoup mieux, c'est du froid et de la prise de conscience de l’existence des champignons autour de moi et sous moi. À ce moment-là, je pouvais les sentir s'élever et me sentir moi-même descendre vers eux.

Mon âme m’appartenait, bien sûr, et elle m’appartient toujours. Mais je pouvais sentir les âmes encore dans le sol, et le paysage autour de moi. Je n'ai pas d'impressions claires, bien que d'autres en aient.

Mourir m'a toujours semblé remarquablement similaire à une nouvelle naissance. Sauf qu'en mourant, je ne suis pas arraché au champignon. Je le rejoins, m'écoulant de mon corps vers la toundra, jusqu'à ce que je sois prêt à renaître encore.

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