Vers le ciel ; Une histoire de la Marche-Muraille, par Mohammed Antigone

La Marche-Muraille : il s’agit d’un passe-temps obscur mais relativement courant parmi les jeunes Vagabonds. Les participants peuvent provenir de n'importe quel type de monde ou d'univers, mais tous ont tendance à partager les joies des hauteurs, des sensations fortes ou de l'aventure. L'ascension des rayonnages de l'étendue infinie au-dessus de soi peut sembler effrayante, mais ce groupe cherche à battre des records année après année, en grimpant le plus haut possible. Mais comment tout cela a-t-il commencé ? Pourquoi ces casses-cou osent-ils défier les cieux et s'en prendre à leur altitude supposée infinie ? Les réponses sont peut-être plus simples que vous ne le pensez.

Richard Iago a été le premier Marche-Muraille et a vécu il y a deux ou trois cents ans. Il était un philosophe, un érudit, un analyste littéraire, un auteur, un scientifique et bien d'autres choses encore, mais ses œuvres les plus impressionnantes étaient ses poèmes décrivant l'élégance et la beauté de la Bibliothèque dans son ensemble. Hélas, ce n'est rien de tout cela qui a fini par graver son nom dans les livres d'Histoire ; il s’agit plutôt de son immense esprit sportif et son dévouement à la Marche-Muraille qui lui ont valu sa popularité et son prestige.

Monsieur Iago, alors qu'il était en train d'écrire son dernier poème sur l'éternité de la littérature (qui a depuis été perdu ou détruit), remarqua qu'il n'y avait aucune mention du sommet de la bibliothèque dans aucun livre, ni aucune tentative de le découvrir. Stimulé par cette soudaine énigme, il a écarté ce poème au profit d'un autre, ajoutant le premier à un monticule toujours plus grand de papiers froissés à côté de son bureau. Le second poème, cependant, fut terminé, et Richard rangea son matériel pour se diriger vers l'étagère la plus proche, à deux mètres sur sa droite.

Son premier record n'a, en réalité, pas été très impressionnant : il a grimpé trois mètres avant de tomber en arrière et de se tordre la cheville. Mais cela n'a pas ébranlé sa détermination, et un mois plus tard, il était entièrement équipé de matériel d'escalade. Le premier vrai record qu'il établit fut un total d'environ 45 mètres. Une petite foule s'était formée à la base de l'ascension, et lorsqu’il redescendit, il avait d’ores et déjà son propre petit culte pour cette nouvelle idée.

Parmi cette foule se trouvait Edward Claudius, qui devint rapidement un disciple et un concurrent de Richard Iago. Edward, voyant le potentiel de ce nouveau sport, établit le prochain record avec un total de 46 mètres dans les airs, ce qui incita Richard à établir un record encore plus nouveau de 47 mètres. Cette supposée "taquinerie" agaça un autre adepte de Richard, qui fit grimper le record à 60 mètres - et la course était lancée.

Les deux amis-ennemis se sont ensuite affrontés pendant quelques mois pour établir leurs plus hautes ascensions, jusqu'à ce que le record le plus élevé soit de 210 mètres, établi par Edward Claudius avant sa mort prématurée. Alors qu'il tentait d'établir le record de 213 mètres, M. Claudius coinça sa chaussure entre deux livres très lourds et mourut une semaine plus tard de déshydratation. Afin d'honorer son ami, M. Iago refusa de battre son record, et n'escalada que 212 mètres lors de ses tentatives ultérieures. Richard Iago mourut plus tard d'un empoisonnement à l'alcool, du poison ayant été glissé dans son alcool.

À partir de ce moment-là, la Marche-Muraille fut considérée comme morte, une mode abandonnée qui n'avait plus assez d’adeptes pour continuer. Pourtant, comme un auteur amateur sur un site Web d'écriture collaborative, elle revenait toujours à la charge, tout en sachant qu’il s’agissait d’une perte de temps. Le fils de Richard Iago, Illium Iago, était très différent de son père : au lieu d'être un philosophe, un érudit, un analyste littéraire, un auteur, un scientifique et un poète, Illium était un athlète, ce qui signifie qu'il avait un vrai travail. En découvrant le poème de son père sur le sommet de la Bibliothèque et les comptes rendus de sa rivalité avec M. Claudius, Iago Junior décida de faire revivre ce sport. Vingt-trois ans après qu'elle ait été présumée morte, la Marche-Muraille connut un renouveau surprenant.

Illium, profitant de sa position au sein de la communauté de la Bibliothèque, donna à ce sport et ses adeptes leur nom officiel. À partir de là, il a battu le premier record au-delà de 300 (305 mètres) et a formé tout un groupe de personnes à l'art de grimper sur les étagères sans énerver les Bibliothécaires. Grâce à ces capacités, les nouveaux Marche-Murailles se sont lancés à la poursuite du record le plus élevé qu'ils pouvaient obtenir sans aucune raison.

Au cours de cette période, de nombreux éléments clés de la Marche-Muraille moderne ont émergé de cette soupe primordiale : des points de passage ont été construits, l'équipement s'est standardisé et, surtout, les Jeux Olympiques bisannuels de Marche-Muraille furent instaurés. Les participants pouvaient s'inscrire à une expédition de trois jours dans l'inconnu et se lancer dans une course contre la montre pour atteindre la hauteur la plus élevée possible. En retour, les Marcheurs avaient une petite chance de gagner un autographe signé par Illium lui-même sur leurs mollets (les autographes signés plus haut étaient illégaux à l’époque). La plupart des gens, cependant, voulaient plutôt le deuxième prix - du bon vieil argent - ce qui se traduisait par des tentatives agressives d'être légèrement meilleur que médiocre, mais pas le meilleur absolu qu'ils puissent être.

Grâce à tous ces immenses progrès, des records furent battus tous les quelques mois, les professionnels franchissant la barre des trois cent mètres et entrant dans les quatre cent, puis les cinq cent, et finalement au-dessus d'un kilomètre. Pour célébrer cet événement, plus d'une centaine de Vagabonds se rassemblèrent à l'endroit où Richard Iago s'était tordu la cheville et organisèrent une grande fête. Cela se déroula aussi bien que n'importe quelle fête organisée dans une bibliothèque.

Hélas, les Jeux Olympiques de Marche-Muraille ne pouvaient durer éternellement ; au contraire, ils ne durèrent que huit ans. Au troisième tour, les habitants des mondes où les êtres intelligents avaient des ailes utilisaient leur capacité à voler pour gagner, au dernier moment, environ deux cent mètres supplémentaires, ce qui leur permettait de "tricher" avec les règles. Cela contraria beaucoup les non-ailés, qui se retirèrent purement et simplement de la compétition pour se consacrer à la Marche-Muraille non-compétitive. Iago, se rendant compte de son erreur, bannit les ailés des Jeux Olympiques, ce qui contraria fortement les pro-ailés et les incita eux aussi à pratiquer la Marche-Muraille non-compétitive. Les quatrièmes Jeux Olympiques de Marche-Muraille ne virent ainsi la participation que de trois personnes au total, dont Iago lui-même et un autre Iago lui-même, mais plus petit et portant une moustache. Les Jeux Olympiques de Marche-Muraille ont donc été rapidement arrêtés, et le nom de Iago s'est perdu dans les sables du temps.

À partir de là, la pratique de la Marche-Muraille s'est décentralisée, mais a rapidement trouvé son âge d'or. Tout a commencé avec la découverte par Jeremy Ford de la première "Zone Morte", à environ un kilomètre et demi du sol de la bibliothèque, et à environ un kilomètre du Point de Passage n°1. Les Zones Mortes étaient de grandes zones sphériques dans le "ciel" où tous les Bibliothécaires refusaient de pénétrer ; à cela s'ajoutait le fait que tous les livres présents dans la zone étaient vierges, pourris, et semblaient changer de position quand personne ne les regardait. Les Zones Mortes étaient sombres, mystérieuses et inquiétantes pour tous ceux qui les rencontraient. Mais cela n'eut que peu d'importance dans le cadre du sport qui nous intéresse, et sera promptement entièrement ignoré en ces pages.

Cependant, beaucoup s'intéressèrent à ce qui pouvait bien se trouver au-dessus des étagères, et des centaines (voire des milliers) de personnes affluèrent pour devenir des Marche-Murailles peu après cette découverte. C'est au cours de cette période plus longue que le record des cinq kilomètres a été battu, que le Point de Passage n°2 a été établi, et que trois autres Zones Mortes ont été découvertes. Quelques érudits célèbres de la Bibliothèque parlèrent même de la Marche-Muraille dans leurs publications. Tous ces facteurs ont contribué à mieux faire connaître la Marche-Muraille et à en faire ce qu'elle est aujourd'hui.

D'autres choses et phénomènes étranges ont été découverts au fil du temps, la plupart au cours de la dernière décennie. Un exemple célèbre est le village de Putos Monos (qui signifie "Village de la Demeure Sacrée" dans les anciens textes hébreux de la plupart des univers). Putos Monos est un village situé à six kilomètres de la surface de la Bibliothèque, habitée principalement par des singes intelligents provenant de plusieurs mondes, et est actuellement le troisième Point de Passage le plus élevé. Cependant, ce n'était pas la chose la plus impressionnante dans ce lieu étrange : il s'agissait plutôt du fait qu'Edward Claudius, présumé mort depuis plus de 200 ans, y était en fait toujours vivant ! Il avait réussi à grimper assez haut pour entrer dans Putos Monos, battant le record des six kilomètres, puis il était devenu immortel par des moyens inconnus et avait vécu le reste ses jours comme poète. Le corps de Richard Iago y a aussi été retrouvé, et il est utilisé comme source d'énergie infinie pour le village, puisqu'il tourne en permanence sur lui-même pour des raisons inconnues.

L'année dernière (94 AR), le 226e anniversaire de la Marche-Muraille a été célébré par des Marcheurs de tous horizons, et la première ascension de 10 kilomètres depuis le niveau de la surface a été réalisée pour fêter l'occasion. De nombreuses bizarreries amusantes ont été découvertes en chemin, notamment des livres étranges, du bois, encore du bois, du papier toilette, une zone morte et un cercueil (qui ne contenait qu'une seule abeille, vivante). Lorsque les grimpeurs atteignirent le sommet, quelques-uns se sont évanouis, mais grâce à leur longue chute et à des compétences avancées en matière de sieste éclair, personne n'a été blessé, au final.

Les possibilités sont infinies lors d'une Marche-Muraille, alors qu'attendez-vous ? Demandez à votre guide local de vous indiquer comment vous rendre au centre de Marche-Muraille le plus proche, et il vous donnera des instructions pour commencer votre propre petite aventure dans le ciel. Peut-être deviendrez-vous même l'une des nombreuses légendes dont j'ai omis de parler dans cette brochure et serez vous aussi oublié à leurs côtés ! C'est votre voyage à présent, et qui sait ce que les cieux vous réservent ?*

*probablement du caca d’oiseau               

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