Bientôt l’anniversaire. Dans une minute et vingt-sept secondes, très exactement. Cela fera alors sept cent quarante-trois ans que j’ai quitté mon peuple. Sept cent quarante-trois ans d’errance, à chercher cet objet de planète en planète, fouillant chaque recoin. Je m’assieds sur un rocher, contemplant la vue du haut d’une falaise. Cette planète est plutôt belle, au moins. Ça change des terres désertiques bien trop communes dans cet univers.
Du haut de ma falaise, je peux déjà constater son atmosphère, qui dans cette nuit tout juste naissante donne une ambiance bleu foncé à tout le paysage qui se trouve devant moi. Un bleu foncé qui éclaire l’épaisse végétation constituant une grande forêt sur ma gauche. Chaque plante part du sol avec une longue tige rose, avant de se séparer en quatre pour soutenir un dôme végétal écarlate. Certaines sont plus grandes que d’autres, mais il est difficile de donner une estimation correcte de leur taille de là où je suis, dans cet environnement totalement étranger. Quelques créatures volantes survolent cette forêt. Des blanches, d’autres bleues, voire marron. Impossible de les décrire de si loin, mais il semblerait qu’elles possèdent deux longues queues virevoltant au vent à l’arrière. Certaines arborent aussi fièrement une épaisse crinière, dorée pour les blanches et les marron, mauve pour les bleues. Je les vois, faire des acrobaties entre elles, au loin. Sûrement un mécanisme de reproduction, ou alors peut-être culturel… ont-elles une culture ?
Je ne m’accorde qu’une seule pause tous les ans, au moment précis de mon anniversaire. Je me remets alors à penser à mon passé, de peur de l’oublier. Je ne me souviens déjà plus de mes parents, et mes souvenirs actuels ne décrivent que des faits. Les sentiments sont déjà bien trop anciens pour avoir été conservés. Là, sur mon rocher, en haut d’une falaise venteuse, le plus loin que je puisse me rappeler est l’erreur que j’ai faite ainsi que ma sanction. Condamné à l’immortalité jusqu’à ce que je retrouve ce que j’avais perdu. Un artefact royal qui m’avait été confié pour le réparer, mais une mauvaise manipulation, et il a été transporté… je ne sais où. Une bague de quelques centimètres pour un rayon de centaines d’années lumières. Encore cinquante-sept secondes, et je reprends ma quête.
À côté de la forêt se trouve un océan rouge-orangé. Je ne sais pas si c’est un effet de lumière ou la simple couleur du fluide qui le constitue. Il est bordé par une plage de dunes blanches caressée par les vagues. Je peux voir d’ici quelques ombres qui sortent parfois des flots. Certaines sautent avant de replonger. D’autres sont simplement à la surface. L’une d’entre elles est si grande, même d’ici, que je me demande bien quelle taille elle doit avoir en étant à côté. Et puis il y a une petite île, au large. Très lointaine, je ne peux donc voir que des points la survolant. Ces créatures sont-elles les mêmes que celles au-dessus de la forêt ? Impossible de le dire. Elles semblent libres, en tous cas. À vivre tranquillement, sans réel but autre que continuer jusqu’à la fin. Ah, la fin. J’aimerais tant pouvoir y arriver.
Je ne suis qu’au début de ma quête. Les scientifiques du royaume m’ont dit que fouiller tout cet espace prendrait bien plus longtemps que je ne pouvais ne serait-ce que l’imaginer. Impossible de me souvenir du chiffre exact, mais il me semble que j’avais pleuré à cette annonce. Ou peut-être ri nerveusement, je ne sais plus. Les émotions me semblent si lointaines, je n’en ressens plus beaucoup maintenant. Je passe simplement mon temps à marcher, à errer partout, à fouiller chaque recoin possible, deux fois, trois fois, de peur de manquer ma cible. Ce n’est qu’une fois que je l’aurai trouvée et ramenée au pays que ma punition sera levée. Qu’est-ce que j’ai hâte de pouvoir mourir. Je n’ai plus besoin de dormir, plus besoin de manger, plus besoin de boire. Je ne peux plus me blesser, je ne peux plus avoir mal. Plus avoir hâte, plus avoir envie, plus ressentir le besoin. Tout ce que je peux, c’est chercher, privé de toute distraction. Je n’avais même pas vraiment besoin de cette pause, je ne suis pas fatigué. J’arrêterai peut-être d’en faire après un certain nombre d’années.
Dix secondes. Je me lève de mon rocher pour m’approcher du bord de la falaise. En bas, entre la forêt et l’océan, se trouve une grande plaine où paissent tranquillement des créatures terrestres. La végétation tapissant le sol est d’un bleu clair contrastant avec l’ambiance foncée qui s’assombrit de plus en plus avec la nuit s’installant. Et pourtant, personne ne se cache. N’y a-t-il donc pas de prédateurs sur cette planète ? Des créatures plus petites sortent du bas de la falaise et courent ensemble. Ils semblent s’amuser. Quelle chance. Je jette un dernier regard dans les cinq secondes qui restent avant l’anniversaire vers une créature un peu plus imposante qui se repose tranquillement sur la plage. Les vagues atteignent parfois ses pattes, elle semble être posée confortablement. Je peux l’imaginer souriante, bien que je ne puisse distinguer sa tête. Enfin, elle n’en a peut-être même pas.
Une seconde. Je m’approche du bord. Zéro, je saute. Je tombe en chute libre sur la centaine de mètres de hauteur de la falaise. Quelques secondes de pure liberté. Une chute moins agréable que l’année dernière, cependant, la gravité est plus forte ici. Et, sans même que je me rende réellement compte, j’arrive au sol, à plat. Aucune douleur, aucune blessure. Et encore moins de mort. Évidemment, comme toujours. Je soupire. Voilà pour le sept cent quarante-troisième anniversaire. Et maintenant, je reprends ma recherche, prochaine pause dans un an.