L'Île
"J'ai trouvé la sérénité, elle existe sur le verre ondoyant d'une mer calme."
Chapitre 2
Remous
Après avoir quitté les quais, je suivis une petite route qui descendait en pente douce sur quelques centaines de mètres. Elle s'incurvait de plus en plus vers la droite et aboutissait à la rue principale qui permettait d'accéder au reste de l'île. Cette rue, que les locaux surnommaient à juste titre "Grand'Rue", s'étendait du quai à un petit camp de vacances, deux kilomètres plus loin. À chaque pâté de maisons, des rues perpendiculaires à la Grand'Rue remontaient plus profondément dans la petite ville, et certaines menaient même plus loin, dans la campagne sauvage de l'île elle-même. Mon hôtel se trouvait sur une de ces rues, à peu près un kilomètre du quai et à deux pâtés de maisons de la Grand'Rue.
Je parvins tant bien que mal à l'Auberge de l'Île avec mon unique bagage en m'arrêtant de temps à autre pour admirer la vue. Les boutiques, restaurants et pièges à touristes étaient tous absolument vides. Les seules âmes qui s'y trouvaient étaient les commerçants qui auraient souhaité ne pas être là plus que les touristes inexistants. Ma tête, pleine de substance et de pensées errantes, et les questions que j'allais poser aux locaux en entrant dans leur monde commençaient à se mettre en place. Je tournai à gauche dans une des rues annexes et continuai sur une centaine de mètres jusqu'à ce que la rue commence à monter doucement. Avant que la montée ne devienne trop ardue, les portes de l'Auberge apparurent. C'était un vieux bâtiment dans le style des années 50, avec des additions modernes notables. Soulagé, j'entrai.
"Bonjour, j'avais fait une réservation !" dis-je d'un ton exaspéré tandis que j'avançais péniblement jusqu'à la réception. Le trajet m'avait plus épuisé que ce à quoi je m'attendais. L'homme derrière le comptoir releva la tête de son ordinateur.
"C'est à quel nom ?"
"Hickson," répondis-je, "Jonathan Hickson."
"Ahhh, M. Hickson, OK, laissez-moi vérifier, deux nuits, vous libérerez la chambre à 11 heures. Appelez-nous si vous souhaitez partir plus tard. De 8 à 10 heures, nous servons un petit déjeuner inclus dans votre réservation, servi ici dans le hall. Puisque vous êtes en basse saison, nous vous avons fait une offre spéciale. Vous serez dans la chambre 404, qui est un peu compliquée à trouver. Montez ces escaliers en face, prenez à droite, puis encore à droite, montez les escaliers jusqu'au troisième, puis allez jusqu'au fond du couloir, prenez les escaliers jusqu'au quatrième, puis vous serez sur le palier du quatrième étage, tournez à gauche et montez les deux petites volées de marches, et ce sera la troisième porte sur la droite. Je m'appelle Greg, appelez-moi si jamais vous avez besoin d'aide."
Mon cerveau, tout performant et brillant qu'il était, était complètement engourdi à cause du trajet et ne parvint pas à comprendre la moindre indication que ce brave homme me donnait, mais acquiesça tout de même "Oh, d'accord, merci, ça va aller."
Et je trouvai bien la chambre, bien que ce ne fut pas sans mal. Il me fallut demander à rien moins que deux membres du personnel, un homme à tout faire et une femme de chambre, mais je finis tout de même par y arriver. Comme tout ce qui porte le numéro "404", c'est — logiquement — difficile à trouver. J'ouvris la porte de la chambre, et le sourire que mon visage arbora alors était inégalé par tous mes autres sourires de ces quelques dernières années. Une merveilleuse douche à l'italienne, un grand lit double, assez pour en mettre quatre comme moi ! Un balcon qui donnait droit sur l'est, vers le port et la mer ! Dans le lointain, on pouvait à peine distinguer la silhouette floue du continent au-delà du bras de mer. Je jetai sur l'énorme lit le sac de vêtements assortis que j'avais monté avec difficulté dans les escaliers et me dirigeai immédiatement vers la porte du balcon. En l'ouvrant à la volée, je fus submergé par tous les sons que la petite ville pouvait offrir. Les vagues déferlaient, les enfants braillaient, les femmes papotaient, les mouettes criaient, les chiens aboyaient, les voitures ronronnaient et les klaxons retentissaient. La sensation était si fascinante et envoûtante pour mon état second que tout ce que je pouvais faire était rire. Si j'étais mort à ce moment précis, je m'en serais estimé heureux. Un instant de paradis s'était faufilé dans ce moment et ce lieu précis.
Mon nirvana temporaire se trouva ramené à notre plan d'existence par un nouvel occupant du balcon. Un gros goéland m'avait rejoint contre le rebord en bois. La créature avait toutes les marques caractéristiques de l'acclimatation à l'homme. Peu farouche lorsque je m'approchais près de lui, nous décidâmes d'un commun accord de garder une distance respectable de deux ou trois mètres entre nous deux. L'oiseau me surveillait de près, probablement mû par le besoin de s'échapper rapidement ou d'obtenir quelque nourriture. Malheureusement pour lui, j'étais plutôt une troisième option inconnue de lui, à savoir ni une menace, ni un fournisseur de pitance, mais un observateur, modelé par la curiosité et l'intoxication. Mon esprit vagabond souhaitait briser la barrière interespèces et établir un dialogue entre nous. Je donnai à ce goéland le nom de "Georges", car il semblait si mal lui convenir que ça ne pouvait être qu'un bon nom. Je demandai à Georges depuis combien de temps il se trouvait sur l'île, s'il avait des amis ou une famille, ou comment il en était venu à mendier sur ce vestibule du quatrième étage. Chaque question n'était suivie que par un silence insondable, une légère inclinaison de bec, et un petit froissement de plumes.
Après quelques cinq minutes à échouer à devenir le premier à maîtriser la communication interespèces, je retournai à l'intérieur et m'affalai sur le lit. Pour la première fois de cette journée, je pus réaliser et me délecter de la détente que ce voyage allait m'offrir. Pour célébrer cela, je consommai un autre morceau des fragments de papier altérateur d'esprit que j'avais si facilement pu amener en douce à bord du bateau. J'attendis environ 40 minutes, allongé sur le lit, que les substances fassent leur effet. Lorsque les signes du premier pic apparurent, je présumai que l'heure était tout à fait propice pour arpenter les ruelles étroites en quête de quoi remplir mon esprit.