L'Île
"J'ai trouvé la sérénité, elle existe sur le verre ondoyant d'une mer calme."
Chapitre 1
Remous
Le travail était devenu de plus en plus chargé, fastidieux et répugnant. La tendance et l'attitude joyeuse qui enveloppait mon caractère s'étaient évanouies. La monotonie enveloppait lentement les efforts par lesquels j'étais supposément passionné. Tout ce qui restait, c'était une haine aigrie de moi-même, un sentiment que, plus jeune, j'aurais attribué à un vétéran tenace. Ce n'était pas la personne que je voulais être. Cela ne faisait que trois ans que j'occupais mon poste et bien d'autres années m'attendaient sans doute. Il était possible que ma fébrilité provienne du fait qu'hormis trois mois d'arrêt de travail pour hospitalisation suite à un malheureux accident, je n'avais en fait jamais pris de congé.
Alors, lorsque l'opportunité de prendre quelques jours de vacances s'est présentée à la fin du mois de janvier, je me réjouis de pouvoir voyager quelque part. Le congé était trop court pour une balade sous les tropiques, et par-dessus le marché, ce n'était pas vraiment la saison. J'optai pour un petit trajet en bateau traversant le petit bras de mer séparant une assez grande île de la côte. Avec une réservation de deux nuits et trois jours d'hôtel, j'avais un besoin impérieux de passer chaque jour détaché et dissocié de tout ce qui se trouvait de l'autre côté de la mer. Je fis mes bagages, récupérai un petit assortiment d'intoxications et me rendis aux quais.
Le bateau, qui était officiellement un catamaran, était relativement vide. La plupart des gens semblaient faire la traversée pour travailler la journée. Quelques autres groupes notables se mêlaient à la foule. Une petite famille qui avait toutes les caractéristiques de randonneurs à la journée, et dont les enfants se comportaient abominablement bien comparés à une petite excursion scolaire qui était composée d'un chœur hurlant. Un couple excessivement affectueux imprimait également sa marque inébranlable sur ceux qui les observaient. Je passai la plus grande partie du trajet sur le second pont à la poupe du bateau près du jeune couple, qui étaient à tous égards dégoulinants de mièvrerie. À mi-chemin, j'abandonnai mon siège et laissai les amoureux tranquilles. Je me dirigeai vers un endroit où je pouvais m'accrocher à un poteau de soutien et entrepris de me positionner aussi loin que possible au-dessus du vide et dans le vent. Je mis mes écouteurs et choisis les sons sereins d'un certain album que je ne connaissais que trop bien. L'album se prêtait souvent bien à mon humeur et accompagnait l'émerveillement et la beauté absolue que la pleine mer peut si fréquemment offrir. Je fredonnai l'air tandis que le navire était bercé par le roulis des vagues.
Le bateau arriva peu de temps après dans la petite crique du port sur l'île, juste avant quatre heures. Comme je n'avais l'intention de me sentir pressé à aucun moment de cette escapade, j'attendis paresseusement dans le bateau jusqu'à ce que la plupart des voyageurs soient descendus à terre. Après environ trente minutes, je le quittai nonchalamment à mon tour. Ce n'était pas ma première excursion sur l'île. J'étais déjà venu de nombreuses fois étant enfant, et je la visitais même souvent en journée. Toutefois, ce serait la première fois que j'y resterais la nuit, et tout particulièrement si tôt dans l'année. J'avais vraiment hâte de voir ce qui se passait dans une petite ville insulaire isolée au creux de l'hiver.