Pour tes yeux Vagabond je vais lever le voile
Le temps d’une caresse de la brise hivernale
Te conter la naissance d’une étrange fratrie
Pétrie de malfaisance, de rage, de jalousie
Dans une lointaine vallée, au milieu des primevères
Sous un ciel constellé de lueurs millénaires
Tomba un œuf massif d’une étoile funeste
D’un violet maladif au danger manifeste
Le globule malsain attira l’attention
D’un vicieux ophidien aux écailles gris charbon
La vipère emporta, l’œuf jusque dans son repaire
Où elle le couva avec l’amour d’une mère
Mais durant une nuit où dormait le serpent
Un rat glissa sans bruit, la faim le motivant,
Dans le terrier humide faiblement éclairé
Par le pourpre putride du globe convoité
Les puissantes incisives blessèrent sans remords
D’une frappe décisive condamnant à la mort
Ignorant le reptile sombrant dans l’agonie
Le rongeur aux yeux vils combla son appétit
Bien vite il se trouva qu’il était rassasié
Ainsi il s’en alla emportant son trophée
La vipère mourante baignait dans les fluides
De la chose infamante née des cieux impavides
Les liquides lentement se mêlèrent à son sang
Prolongeant le tourment du malheureux serpent
Ses organes distordus par une souffrance intense
Furent soudain parcourus d’un spasme de démence
La carcasse mutilée se tordit et gonfla
Refusant d’accepter le calme du trépas
Les écailles cendreuses devinrent opalines
Les pupilles vitreuses se firent vipérines
Ce n’était plus une bête qui sortit du terrier
Sa terrifiante tête sifflante et enragée
Elle avait d'un serpent les écailles et les yeux
Le regard fascinant, les crochets venimeux
Mais sa taille colossale et son aura unique
En faisait une vassale des entités cosmiques
La première des enfants surgie de la détresse
La Dame des serpents, la Mortelle Vengeresse
La Mère des Martyrs, l'Ondulante Sorcière
Froide comme le zéphyr, souple comme une rivière
Le rat courait toujours chargé de son larcin
Fuyant, le souffle court, la jalousie des siens
Mais sa course était vaine et il fut pris d’effroi
En sentant leur haleine caresser son poil ras
Il laissa échapper son précieux butin
Qui s’en alla rouler au fin fond d’un ravin
Cela ne sauverait pas le trop hardi voleur
Le souffle lui manqua, il s’affaissa en sueur
Sa panse était remplie et son odeur suave
Attirant les envies de ses frères aux flancs hâves
Leurs griffes déchirèrent la chair tendre et goûtue
Puis les bêtes cédèrent à une rage goulue
Combattant griffes et gueule en une mêlée furieuse
Jusqu'à ce qu'une seule se dresse victorieuse
Entourée des vestiges de ses défunts rivaux
Elle tailla son prestige dans leur peau et leurs os
Se faisant une pelisse des fourrures miteuses
Elle embrassa les vices de sa race populeuse
Sa chair difforme et flasque se mit à bouillonner
Dévoilant sous le masque de son fin cuir lacté
Les hordes translucides des petits corps grouillants
Courant en flux rapides à travers le géant
Dans le liquide grenat, sous les cieux moqueurs
Naquit le Roi des Rats, le Vicieux Ingénieur
Le Père des Multitudes, l'Éternel Insatiable
Aux vaines turpitudes, aux sujets innombrables
L'œuf porté par les flots d'un ruisseau impétueux
Fut charrié jusqu'aux eaux d'un lac majestueux
Puis échoua sur la rive où il resta suintant
De vapeurs agressives et d’effluves puants
La surface du loch, obscur miroir aqueux
Exempte de tout choc, reflétait l'arc gibbeux
De l'orbe de la lune sur les tréfonds nocturnes
Mais par quelle sombre rune, quelle folie de Saturne
Se reflétait intact l'œuf gravement mutilé ?
La fissure d'un impact creva la coque moirée
Découpant un passage pour un membre gracile
Qui quitta son image pour le monde tactile
Mais la réflexion fut soudain perturbée
Par un courant profond, tourbeux et envasé
La créature parfaite se trouva prisonnière
Des miroirs les plus nets elle serait tributaire
Son apparence était soumise à ses caprices
Ce dont elle userait avec rires et malice
Pour tromper ses ennemis et séduire ses fidèles
Mais détenue à vie des reflets irréels
Dont seul pouvait sortir un membre déroutant
Capable de gauchir les lois de notre plan
Ainsi mourut l’espoir et naquit un hybride
Le Prélat des miroirs, la Tentatrice Perfide
Le Prince des Apparences, l’Étrangleuse d’arrogants
Qui fut la dernière chance de l’œuf des cieux d’argent
L’horrible préjudice infligé au Prélat
Provenait des abysses sombres et sans éclat
Où s’était déposés les relents de la graine
Et peu à peu naissait une chose malsaine
Dans le limon visqueux grouillant de vie blanchâtre
De crustacés vaseux rampant dans l’eau saumâtre
Se formait un nuage de sédiments infects
Dont l’horrible brassage, les remugles abjects
Atteignait la surface du bassin montagneux
L’abominable masse avait faim d’air brumeux
Mais quand elle approcha la surface souillée
L’attendait le Prélat, complètement enragé
Assoiffé de vengeance, partiellement reflété
Il empêcha l’engeance d’accéder à l’air frais
Son unique membre libre tailladant l’immondice
Brisait son équilibre sur le rivage lisse
La lutte dura des heures, des jours, des semaines
Jusqu’à ce que l’ardeur cède face à la haine
Et que l’être de boue retombe dans les ténèbres
Où son corps fut dissous en un magma funèbre
Mais toujours animé d’une demie-vie furieuse
Lentement il végétait au fond des eaux fangeuses
Guettant l’heure où enfin il pourrait émerger
Goûter aux aériens délices qu’il désirait
Ainsi fut rejeté dans sa sombre géhenne
Le Duc des Noirs Bourbiers, l’Éminence Chthonienne
Le Seigneur Croupissant, l’Endormi Miasmatique
L’habitant suppurant des froids herbiers benthiques
De l'œuf il ne restait qu'un reliquat exsangue
Embryon malmené prisonnier de sa gangue
Qui demeura glacé jusqu’au lever du jour
Quand le soleil doré caressa ses contours
La chaleur lumineuse réchauffa le fœtus
Son énergie radieuse gorgea le vitellus
Et l’être s’éleva, nourri par le soleil
Étincelant d’un éclat au lustre sans pareil
Une pie attirée par la brillance pure
En un habile piqué effleura sa bordure
Dérobant un fragment de coquille prismatique
Un vol peu conséquent et pourtant dramatique
Le reste se forgea en une armure brûlante
Dont la violente aura était presque aveuglante
Révélant à l’endroit du morceau chapardé
La mouvance incarnat de la peau dénudée
Quelle sensation étrange d’effleurer l’excellence
Mais lui qui tel un ange parmi la malfaisance
Aurait pu établir la paix dans sa fratrie
Fut rongé par son ire et par son grand dépit
De se voir arraché une bribe de lui-même
Par un oiseau rusé au plumage sombre et blême
Il tourna sa puissance vers une quête unique
Recouvrer son essence, obsession fanatique
Il était le plus grand dans son courroux terrible
L’Empereur Flamboyant, le Despote Inflexible
Le Conquérant Suprême, le Souverain Calcinant
Et ce pauvre poème ne rend grâce à son rang
Le tout petit éclat fut gardé par les pies
Perdu au fond des bois, dans le creux d’un vieux nid
Et quand un oisillon en ce lieu vit le jour
Il reçut à foison nourriture et amour
Et on lui enseigna la sagesse des oiseaux
Si bien qu'il acheva sa croissance grand et beau
Paré de plumes blanches et le regard curieux
Il cachait dans ses manches mille rouleaux mystérieux
Et autour de son cou pendait l’esquille volée
Luisant d’un violet doux parfaitement maîtrisé
Car il s’était fait maître de la magie primale
Dont la chute fit naître sa famille si brutale
Mais voyant que son sang semait la destruction
En combats incessants pétris de déraison
Il lui vint une idée pour stopper ces massacres
Il allait proposer un charmant simulacre
Rédigeant des préceptes, façonnant des trésors
Rassemblant des adeptes parmi vivants et morts
Il convoqua les siens à une grande assemblée
Qui finalement se tint au bord du lac gelé
Là on convint de règles et l’on fit des paris
Sous le dur regard d’aigle du blanc enfant des pies
Enfin on fit le pacte, la partie commença
C’était le dernier acte de cette histoire là
Une fort étrange paix fut établie ce soir
Par le Blanc Fauconnier, le Gardien des Grimoires
L’Habile Illusionniste, Celui d’Encre et de Plumes
Excentrique altruiste artisan de la brume