Élégie du porteur de flamme

Pour WanthecommonWanthecommon.


Ça a quelque chose d'admirable, un incendie criminel bien pensé.

Tout d'abord, de la sueur et des larmes sont versées dans les fissures et les rainures du bois pour former une structure ordonnée et lui donner un objectif. Le charpentier remplit son œuvre de volumes de toutes sortes, afin que chacun puisse les lire. Il essuie la sueur de son front et soupire de satisfaction en contemplant sa création. Il est fier de connaître chaque joint, chaque rainure, chaque fissure par cœur. C'est à lui, et à lui seul.

Puis, le charpentier rentre chez lui. Quelques instants avant de s'endormir, il se laisse bercer par des pensées où règnent l'ordre et la complexité. En se blottissant sous des draps tissés à la main et un toit bien dessiné, il se dit que c'est ainsi que les choses doivent être.

Pendant que le charpentier dort profondément, le pyromane se faufile dans la nuit vers sa cible. Certains le considèrent comme un vandale stupide, méprisant l'expression artistique et le bel ouvrage. Ils ont tort. L'observateur moyen exprime son respect et son adoration pour une œuvre au moyen de la parole, mais le pyromane sait que cela ne suffit pas. Pour vraiment apprécier l'art, il faut voir comment il se détruit. Ce n'est qu'à travers une déconstruction violente que le public peut apprécier l'attention que l'artiste a portée aux détails.

Le pouce du pyromane rabat rapidement le couvercle du briquet. De sa mèche émerge une flamme qui lèche l'obscurité de la nuit. Le fruit défendu vacille juste à portée de main, appelant au chaos et à la frivolité destructrice.

De son autre main, il retire un livre de l'étagère. Il détaille l'histoire des forgerons, relégués à la mémoire de ceux qui se décomposent. En le feuilletant, le pyromane se rit de leur technologie. De leurs tabliers de cuir jusqu'à leurs repas, ils ont tenté de mettre le feu à genoux. Une perversion. La peau du pyromane frissonne d'horreur en imaginant le feu enfermé dans un fourneau, dans un four. Les flammes ne cherchent pas à servir, elles cherchent à être libres.

Le pyromane rapproche l'un de l'autre ces objets que tout oppose. Il sourit lorsque le papier se recourbe pour accueillir les flammes. Les pages brunissent tandis que les mots se désintègrent dans la nuit. Pendant que le feu menace de blesser son propre invocateur, le pyromane referme le livre et le repose sur l'étagère.1 Les langues oranges s'élancent avidement vers les livres voisins, détruisant des connaissances irremplaçables.

Son travail terminé, le pyromane s'allonge sur le dos devant l'étagère en flammes. Il défait le bouton de sa poche de poitrine et en sort une boîte en carton rectangulaire. Il l'ouvre pour y attraper une cigarette. Il l'allume, et il en tire une bouffée apaisante tandis que la chaleur de son incendie l'envahit.

Au cœur de la nuit, le charpentier et le pyromane dorment chacun tranquillement après une journée bien remplie.

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