Bières, flingues, aliens et tristesse

"Bonjour. Je m'appelle Michael, j'ai 28 ans et je suis alcoolique."

"Bonjour Michael."

Quand quelqu'un m'a dit que ces réunions étaient exactement comme dans les films, j'ai prié pour que ce soit un mensonge. J'étais là, assis sur une chaise pliante en métal, les bras croisés, le visage impassible, à écouter des histoires dont je me fichais, et à raconter des histoires dont ils se fichaient. En une heure et demie, il y a eu un chien mort, un ami disparu, un emploi perdu, et tout ce genre de conneries standards que l'on s'attend à entendre. Ne vous méprenez pas, les miennes étaient exactement les mêmes, mais tout de même, dès que les autres ouvraient la bouche, je ne pouvais m'empêcher de lever les yeux au ciel. La nourriture était correcte, cependant, mais c'était gratuit après tout. Je n'ai pas retenu leurs noms, ils n'ont pas retenu le mien, et puis je suis parti.

J'ai marché dans la rue, passant devant des gratte-ciels géants en verre, des baraques en bois merdiques et des petits magasins stupides jusqu'à ce que j'entre enfin dans le bar que j'appelais ma maison. Bien sûr, je n’habitais pas dans le bar, mais dans l'appartement juste au-dessus. Bien que c'était là que je passais la plupart de mon temps, donc je suppose qu'on pouvait le considérer comme faisant partie de ma maison.

J'ai accroché mon manteau à la poignée de la porte de ma chambre, j'ai rempli un verre d'eau, je me suis assis sur mon lit défait et j'ai allumé la télé. Je ne sais pas à quoi je m'attendais, cependant. Ce n'était que les mêmes vieux massacres, mensonges et vantardises que je ne pouvais plus supporter de regarder. J'ai bu l'eau, enlevé mon pantalon et posé ma tête sur l'oreiller sale.

Puis je me suis réveillé. Je me suis levé, j'ai remis les mêmes vieux vêtements, j'ai bu un peu plus d'eau et je suis allé à une autre réunion.

Bonjour. Je m'appelle Michael, j'ai 28 ans et j'ai perdu mon emploi.

Quand ce connard a dit que j'étais "trop instable et trop facilement irritable pour travailler dans un environnement basé sur la coopération", je n'ai pas pu m'empêcher de le frapper en plein visage. Bien sûr, je me suis excusé juste après, et comme il était très patient, il m'a laissé partir avec un simple avertissement sur mon dossier. Ces petites phrases étaient suffisantes pour m'empêcher de trouver un bon emploi à l'avenir, mais c'était mieux que d'aller en prison ou de payer une caution.

Sam n'était pas contente. Elle m'a giflé, mais j'y étais déjà habitué. Je faisais souvent des erreurs, alors je suppose que je n’y ai pas plus prêté attention que ça. Devinez quoi ? J'aurais dû y prêter attention cette fois-là.

Bonjour. Je m'appelle Michael, j'ai 28 ans, et ma petite amie m'a quitté.

Bien sûr qu’elle m'a quitté. Pendant un moment, j'ai commencé à aider le propriétaire du bar avec quelques petites tâches d’entretien, comme nettoyer les verres, mais c'était loin d'être suffisant. J'en ai eu assez rapidement, et elle en a eu assez de moi. Elle est partie sans un mot et je ne sais toujours pas où elle est allée.

Je me suis senti triste, je me suis senti coupable et je me suis senti seul. J'ai frappé le mur, j'ai donné des coups de pied dans la table et j'ai crié face au miroir. Mais elle n'est pas revenue.

Et puis j'ai commencé à boire. Je veux dire, je buvais avant, je buvais même beaucoup, mais à partir de ce moment-là, c'est vraiment devenu un problème.

Bonjour. Je m'appelle Michael, j'ai 28 ans, et je suis désolé, papa.

Les choses allaient mal. Quand je leur ai dit tout ce que j'avais perdu, ils ont juste raccroché le téléphone. J'ai appelé à nouveau, pas de réponse. J'ai envoyé des SMS, ils ne les ont pas lus. J'ai pleuré, mais ils s'en fichaient.

Le temps a passé, mon état a empiré, et les quelques amis qui me restaient ont commencé à s'éloigner, à passer à autre chose. Mais je suis resté le même, et à un moment donné, je crois que ça m'a énervé. J'essayais de trouver un moyen de gagner de l'argent quand j'ai vu le prospectus, et j'ai commencé à assister aux réunions.

Bien sûr, quand les choses ont commencé à aller un peu mieux, Dieu a rigolé, et m'a dit de bien aller me faire foutre.

Bonjour. Je m'appelle Michael, j'ai 28 ans, et j'aurais dû aller à la ferme.

"C'est quoi ce bordel ?" j'ai demandé, incrédule, en regardant une chaîne d'information parler d'un épisode perdu de Doctor Who ou quoi comme si c'était réel. Bien sûr, c'était réel.

Quand la première Plaie s'est ouverte, je n'ai rien fait. J'ai vu ces choses attaquer des fermes et des petits villages, mais je n'ai toujours rien fait. J'ai vu l'armée commencer à encercler la ville pour la défendre, mais je n'ai toujours rien fait. Et quand j'ai enfin réalisé ce qui se passait, c'était trop tard.

Ma famille est morte. Oui, toute ma famille. Ils vivaient tous dans cette stupide ferme, après tout. Au début, j'ai pensé à l'arsenal de mon père, à toutes les sortes d'armes qu'il avait là-bas et à quel point il savait bien s'en servir. J'ai pensé qu'ils s’en sortiraient. Mais ensuite j'ai rallumé la télé. Et j'ai perdu tout espoir. J'ai continué à les appeler, mais ils ne répondaient toujours pas.

Cette histoire d'arsenal, c'est drôle, vous savez. Je n'ai pas de photos d'eux, ou de bijoux, ou de jouets, rien. Rien à part un flingue. La seule chose que j'ai pour me souvenir de ma famille, c'est un putain de flingue. Et je ne sais même pas comment m'en servir.

Bonjour. Je m'appelle Michael, j'ai 28 ans, et c’est quoi le putain d’intérêt ?

Quand les choses ont vraiment mal tourné, ils ont frappé à ma porte. J'ai ouvert, ils m'ont donné des instructions, et ils sont partis. J’ai jamais utilisé le coupon de nourriture, jamais réclamé la couverture, et je ne suis jamais allé au stand d'enrôlement. Et ils ne sont jamais revenus. Un an a passé, je ne buvais que de l'eau tous les jours, j'ai pu trouver un emploi de caissier en bas de la rue, j'ai continué à venir aux réunions, et j'ai survécu.

Mais ils sont toujours là, et chaque fois que j'allumais cette putain de télé, je voyais la même chose. Des milliers d'entre eux, rampant hors de leurs trous dans le sol, courant et tranchant les gens tout vifs. Nous tirons sur eux en retour, mais ils continuent d'arriver. On a perdu Detroit, on a perdu Miami, Seattle est en ruines, et ça, c’est juste le mois dernier. Et pourtant, j'ai continué à assister aux réunions.

Un jour, les balles s'arrêteront. Un jour, les tanks tomberont en panne. Un jour, les avions s'écraseront. Et quand ce jour arrivera, je demanderai : à quoi bon ? Mieux encore : c’était quoi l’intérêt ? Quand la première de ces petites saloperies est sortie de ce portail infernal, nous avons ri, et nous avons continué nos vies. Rien n'a vraiment changé, même si ça aurait dû. Nous avons construit des murs et fermé les yeux, mais le problème était toujours là. Le problème est toujours là.

Quel est le putain d’intérêt ?

Pourquoi je suis ici ?

Tous les jours je vous raconte l'histoire de ma vie, la même histoire, et tous les jours vous me répondez la même chose. Rien n'a changé. Alors c’était quoi l’intérêt de faire ça ?

Peut-être que je vais juste prendre ce flingue et en finir avant que ces choses ne décident de le faire à ma place.

"C’était quand, Michael ?"

"Quoi ?"

"Quand avez-vous consommé de l’alcool pour la dernière fois ?"

"En mars de l'année dernière."

"Et comment vous sentez-vous, par rapport à ça ?"

"Je me sens… bien. Je me sens heureux."

"Eh bien voilà votre réponse, Michael. C'était l'intérêt. Vous avez établi un objectif et vous avez travaillé dur pour l'accomplir. Maintenant vous êtes ici, victorieux."

"Combien ils vous paient pour ça, madame ?"

"Assez pour me faire oublier les problèmes à l'extérieur des murs."

Et j'ai continué à assister aux réunions.

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