Nous avons tous entendu parler d'architecture qui déforme la réalité d'une manière ou d'une autre, créant ainsi des lieux magiques qui éblouissent notre esprit et créent des expériences uniques. De tels lieux sont parfois plus utiles que n'importe quel endroit fermement ancré dans la réalité pourrait jamais l’être. Il vous suffit de regarder la Bibliothèque des Vagabonds. Un tel nexus de connaissances contenant un tel volume d'informations serait impensable si les règles de la réalité étaient fermement appliquées partout en ces lieux, mais la Bibliothèque existe, grâce à la nature fragile de la réalité. De tels lieux vont de la ville non-euclidienne de R'lyeh et la Bibliothèque des Vagabonds en passant par des endroits comme le jardin volant du Roi Hethub et le Labyrinthe de Dédale, sans oublier toutes sortes de maisons hantées. On oublie souvent que ces lieux sont de nature similaire1, mais ils fonctionnent tous selon les mêmes principes de base.
Mais comment peut-on créer un tel endroit ? Plus important encore, comment peut-on contrôler le type de lieu qu'une telle création va devenir ? Dans ce court ouvrage, je partagerai certains des principes fondamentaux de l'architecture métaphysique, que j'ai appris au cours de longues années d'expérimentation et de recherche2.
De l’Importance du Genius Loci :
Il est, tout d'abord, important de comprendre qu'un fort genius loci3 est absolument nécessaire afin de créer n’importe quelle sorte d'architecture métaphysique de qualité. Chaque genius loci est un plieur de réalité, bien que la plupart d'entre eux soient trop faibles pour modifier la réalité de manière significative, si la réalité est stable autour d'eux. Cela signifie que lorsque vous brisez la réalité locale4, le genius loci prendra le contrôle actif du lieu.
Sans un but que le lieu puisse comprendre, il ne se pliera jamais à la volonté de quiconque. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi l'air de la Bibliothèque n'est jamais humide, ou pourquoi les sols de la Bibliothèque ne sont jamais faits de lave ? Ce n'est pas parce que la Bibliothèque ne pourrait pas se plier à ces états, c'est parce qu'elle ne le veut pas5. La Bibliothèque connaît son but et se plie pour le remplir au mieux.
Le jardin volant du Roi Hethub était un beau jardin normal bien avant qu'il ne s'envole, et il avait ainsi acquis un fort genius loci. S'il n'avait pas déjà possédé un esprit de détente solennelle, il n'aurait pas fini sous la forme d'une série d'îles volantes, aussi brisée que soit la réalité locale. Pour ainsi dire, seul un bouleversement mineur de la réalité était à ce stade nécessaire pour faire s'envoler le jardin, car son genius loci était puissant. La force du genius loci a facilité la rupture de la réalité locale, et le caractère du genius loci lui a donné une utilité6.
Si l'on affaiblissait la structure de la réalité dans un lieu qui n'a pas de but bien défini, par exemple un système de grottes jamais observé par la moindre créature consciente, cela créerait un lieu qui n'aurait aucun sens, se modifiant sans aucun but. On ne pourrait pas traverser cet endroit, car il ne se soucierait pas de laisser des passages praticables. On ne trouverait probablement rien d'intéressant ou même d'aussi beau dans un tel endroit que ce que l'on pourrait trouver dans n'importe quelle décharge bien ancrée dans la réalité.
Il faut cependant préciser qu'un lieu entièrement dépourvu de genius loci est difficile à trouver. Tout endroit qui entre en contact avec un grand nombre de personnes7 développera rapidement un genius loci.
Ne vous laissez pas avoir par la stabilité apparente que possède l'identité d'un lieu. Le jardin volant du Roi Hethub, par exemple, a servi de donjon au château situé en dessous de lui lorsque la guerre a éclaté dans le royaume. En raison de cela, le genius loci, et donc le lieu, est passé d'un jardin tranquille à un lieu hostile et meurtrier. Il est intéressant de noter que, même s'il a été conquis à plusieurs reprises, c'est aujourd'hui une forteresse presque imprenable, qui n'a pas vu un seul intrus survivre depuis plus de cent ans.
La leçon à en tirer est que même un genius loci puissant peut s'altérer selon les circonstances, et donc que le lieu peut changer non seulement de forme mais aussi de nature8.
Briser la Réalité :
Briser la réalité est un passe-temps très dangereux. Si vous allez trop loin, vous risquez d'entièrement arracher le lieu à la réalité. Et si vous avez mal évalué le genius loci, alors le lieu pourrait se révéler tout à fait surprenant9. Pour cette raison, il est recommandé de briser la réalité progressivement, tout en gardant un œil attentif sur les changements provoqués10. Comme indiqué précédemment, chaque genius loci est un plieur de réalité de faible niveau. Afin de créer ce que nous pourrions appeler une architecture métaphysique, le genius loci doit prendre le contrôle du lieu. Bien que cela puisse être réalisé en renforçant le genius loci, on y parvient le plus souvent en brisant la réalité.
La réalité a une trame, et la réalité a des os. Plier la réalité signifie manipuler la trame. Lorsque vous courbez la réalité, elle lutte continuellement pour revenir à sa place initiale. Imaginez-la comme du tissu étiré sur un squelette en bois. Lorsque vous poussez ou tirez sur le tissu, il change de forme, mais il finit toujours par reprendre, du moins en partie, sa forme initiale. Si vous brisez le support en bois, il ne le fera plus jamais. Votre capacité à plier la trame du réel ne sera limitée que par le nombre de bras dont vous disposez.
En ce qui concerne la création d'une architecture métaphysique, cela signifie que l'on doit briser les os de la réalité locale afin de permettre au genius loci d'en prendre le contrôle. Cela peut être réalisé de diverses manières. De talentueux plieurs de réalité peuvent généralement vous aider dans ce domaine. La solution habituelle à ce problème est donc d'engager des plieurs de réalité. Une autre solution consiste simplement à utiliser la présence de beaucoup de personnes11. Celle-ci ne fonctionne que rarement, car elle est beaucoup plus difficile que ne le croient ceux qui veulent s'y frotter.
Le problème de ces deux approches est qu'elles peuvent toutes les deux corrompre le genius loci. Des plieurs de réalité compétents et puissants peuvent généralement limiter ce phénomène et le réduire au strict minimum12, mais tenter d'utiliser un nombre important de personnes échoue généralement à cause de cela. En d'autres termes, le fait d'accueillir un nombre de personnes suffisant pour briser les os de la réalité locale, dans un lieu et un état dans lesquels celles-ci pourront le faire avec succès, aura un effet énorme sur le genius loci. Si votre méthode pour pousser les gens à exercer leur potentiel de plieurs de réalité, afin d'en briser les os, implique la torture13, alors vous créerez inévitablement un lieu épouvantable14.
Tout cela étant dit, je vous recommande de faire la chose la plus responsable qui soit, et d'engager des plieurs de réalité. Je sais que ce n'est pas bon marché, mais le taux de réussite est plus élevé.
Une troisième option est d'utiliser un broyeur de réalité. Je ne suis pas expert en la matière, aussi je n'en parlerai que brièvement ici15. Il est difficile d'interagir avec la trame et les os de la réalité par des moyens purement mécaniques, mais apparemment, cela reste du domaine du possible. Un broyeur de réalité n'interagit que modérément avec la trame et les os de la réalité, mais il le fait de façon répétitive. Dans les faits, il grignote les os de la réalité jusqu'à ce qu'ils soient assez fragilisés pour se briser.
Le principal problème avec ce type de machines est qu'elles sont difficiles à fabriquer, et donc coûteuses. De plus, une machine de qualité médiocre peut être sujette à des dysfonctionnements16. Dans l'ensemble, il s'agit d'outils valables pour déstabiliser la réalité, mais ils ne sont pas particulièrement faciles à trouver ni à utiliser.
Les Trois États :
Enfin, il faut comprendre trois états importants dans lesquels un lieu peut se trouver. Le premier est connu sous le nom de "l'état réel" et se passe d'explication. Le deuxième est appelé "le point de basculement", et le troisième est généralement appelé "l'état symbiotique".
Le point de basculement est le point où le genius loci devient plus fort que le pouvoir correcteur de la réalité. Si l'on se contente de tapoter les os de la réalité et que l'on ne fait rien de plus, la réalité finit par guérir, pour ainsi dire. Cependant, lorsque la structure de la réalité est affaiblie à tel point que le genius loci peut la briser plus vite qu'elle ne peut guérir, alors cet endroit a dépassé le point de basculement. Ce n'est plus un lieu normal, mais un lieu fortement influencé par son identité métaphysique. C'est à ce moment-là que l'on peut généralement arrêter ce que l'on est en train de faire pour déstabiliser la réalité.
L'état symbiotique est l'état dans lequel la réalité ne demeure stable que tant que cette stabilité aide le genius loci. Cela signifie en général que des forces telles que la gravité restent présentes parce que la réalité est encore plus ou moins présente, et non parce que le loci genius décide activement d'appliquer la gravité localement. L'état symbiotique existe parce qu'un genius loci raisonnable voudra généralement que l'endroit qu'il contrôle soit utilisable par des créatures qui sont habituées à ce que les lois de la physique soient présentes là où elles vont. Vouloir que les lois de la physique existent activement est quelque chose qui demanderait énormément d'efforts de la part du genius loci. C'est pourquoi le genius loci tolère généralement que certains aspects de la réalité restent dans son domaine, au lieu de les supprimer purement et simplement17.
Je vous ai à présent parlé de la plupart des concepts de base entourant l'Architecture Métaphysique, et vous devriez maintenant être capables de créer des lieux étonnants, si jamais vous avez les ressources pour le faire.
Si vous êtes une divinité lovecraftienne, alors je dois vous informer que, bien que les concepts de base s'appliquent toujours, la plupart des conseils pratiques vous seront tout à fait inutiles, car le simple fait de vouloir qu'un tel endroit existe le créera, généralement.
Je vous souhaite à tous bonne chance dans vos projets futurs.
