Extrait du Journal d'Aframos Longvoyage, Pélerin
Annoté par Avos Torr, Érudit de la Bibliothèque de Rheve
Skaldi, dix-neuvième cycle, septième année, 81ème tour
Quarante-septième jour dans les Arbres
Il se passe quelque chose de très étrange. Lorsque nous nous sommes réveillés ce matin, nous avons découvert que les arbres avaient disparu autour de nous. Après autant de jours sans rien voir d'autre que des arbres, nous avons bien failli céder à la panique. Nous étions entourés de buissons, d'herbes, de tout sauf des arbres.
Parmi l'herbe et la broussaille, il y avait de nombreux endroits dénudés. Ces endroits étaient ronds, de taille variable. Au centre de chacun se trouvait une très petite plante.
Ma première pensée était que nous avions été transportés ailleurs par magie. Cependant, Torne a fait un tour d'horizon et a dit que j'avais tort. "Je pensais la même chose, mais regarde, regarde, regarde tout autour, les arbres ont changé, mais le sol en aucune mesure." J'ai réalisé qu'il avait raison en voyant une colline qui avait la forme d'un ours et que j'avais vue la veille au soir. Je ne l'avais d'abord pas reconnue, puisqu'elle n'avait aucun des arbres qui l'ornait auparavant.
Après une brève discussion, nous avons fini par comprendre ce qui s'était passé. Les petites plantes dans les emplacements dénudés — il s'agissait de très jeunes arbres. Pendant que nous dormions, ils avaient perdu leur grande taille et avaient rapetissé jusqu'à devenir des pousses. C'est étrange, même pour cette forêt.
En se tenant sur la colline, on pouvait voir à des kilomètres à la ronde. Au loin, nous pouvions voir des arbres qui n'avaient pas changé, mais ils étaient très éloignés, et le chemin ne se dirigeait pas dans cette direction. Nous ne savions que faire.
Puis nous avons entendu un grand bruit tout autour de nous. Nous avons porté notre regard dans le lointain, et il nous semblait qu'un mur d'arbres se précipitait vers nous. Nous nous sommes retournés, et des arbres venaient de cette direction également. Nous ne savions pas où nous enfuir. Nous nous sommes simplement étreints les uns les autres tandis que les arbres se rapprochaient.
Alors que les arbres s'approchaient de plus en plus, nous avons réalisé que ce n'étaient en fait pas des arbres qui se déplaçaient vers nous mais les arbres qui grandissaient, et cette croissance se dirigeait vers nous.
Cette vague de croissance nous a rapidement atteints, et les arbres autour de nous poussèrent d'un coup, grondant et grinçant partout aux alentours. Nous sommes restés le plus loin possible de ces plantes en pleine croissance. La terre tombait en pluie autour de nous et le sol sous nos pieds bougeait tandis que les racines grandissaient.
Puis le bruit s'est arrêté. Nous étions au centre de cette poussée de croissance et elle s'était arrêtée là où nous étions.
Nous sommes restés immobiles quelques temps, mais nous avons fini par décider que nous devions continuer notre route. Nous avons rassemblé nos affaires, nous les avons nettoyées de la terre qui était tombée dessus, puis nous sommes partis.
Tout était à peu près normal jusqu'en milieu de matinée. Nous marchions parmi les arbres, en jetant des coups d'œil de gauche à droite. Il y avait de la terre retournée en tous sens sur plusieurs kilomètres. Les arbres ont fini par ne plus sembler avoir été affectés par l'évènement. Nous pensions que ce pourrait être un signe d'un retour à la normale. Comme nous avions tort.
Ça a repris lorsque Torne a grimpé sur un gros rocher pour me regarder droit dans les yeux. Il est soudainement tombé dans le rocher, jusqu'aux cuisses, et j'ai dû l'en extraire. Une partie du rocher restait collée à lui, comme si elle était liquide. Curieux, je décidai de le toucher pour essayer de trouver ce que cela pouvait être, mais ma main passait au travers comme si c'était de l'air. Souja a grimpé dessus et semblait le trouver parfaitement solide, même lorsque j'agitais ma main sous elle.
Nous avons continué notre chemin, déterminés à laisser ces étrangetés derrière nous.
Peu après midi, nous avons entendu quelque chose au-dessus de nos têtes. Les branches qui pendaient au-dessus de nous étaient couvertes de pommes. Elles semblaient peser sur la branche, bien que celle-ci était pliée vers le haut. Tandis que nous regardions, la tige d'un des fruits s'est cassée, et il est tombé non pas vers le bas, mais vers le haut. Une autre s'est brisée, et celui-ci est tombé en avant, face à nous, jusqu'à ce qu'il entre en collision avec un autre arbre et reste coincé dans ses branches. Peu de temps après, nous voyions des pommes tomber dans toutes les directions excepté le bas1. Nous nous sommes dépêchés de partir.
À la fin de l'après-midi, il était devenu clair que ce secteur des bois était très étrange. Nous avons vu une volée d'oiseaux sortir d'une falaise, puis une bûche a roulé d'une colline, s'est mise d'aplomb, et est redevenue un arbre sous nos yeux. Nous avons décidé que nous n'avions pas d'autre choix que de repartir par là où nous étions venus.
Nous sommes en train de rebrousser chemin. Nous ne camperons pas ce soir, mais continuerons plutôt notre marche. Nous nous reposons pour le moment au sommet d'une colline, d'où nous pouvons au moins garder un œil sur ce qui se passe autour de nous.