Extrait du Journal d'Aframos Longvoyage, pèlerin
Annoté par Avos Torr, Érudit de la Bibliothèque de Rheve
Erevdi, quatorzième cycle, septième année, 81ème tour
Huitième jour dans les Arbres
Souja va mieux. Elle m'a réveillé plusieurs fois cette nuit pour manger, et elle a récupéré une bonne partie de son énergie. De temps à autres, elle émet un bourdonnement. Je me demandais ce que c'était au début, mais cela semble indiquer qu'elle va bien. Je la carresse le soir, et elle reste près de moi. Parfois elle roule sur son dos et attaque gentiment mon bras. Si petite mais déjà si féroce. Elle sera une très bonne chasseuse quand elle aura atteint sa taille adulte, j'en suis certain.
Aura-t-elle besoin d'apprendre à chasser de la même façon que les conlins doivent apprendre de leurs parents ? Ou le saura-t-elle déjà, ce savoir gravé dans son cœur comme les sarlifins ? Si elle ne le sait pas… Serait-ce vraiment si grave ? Je prendrai soin d'elle. Je peux chasser pour nous deux. Sa compagnie est la bienvenue dans cette terre étrange, et je serais heureux de l'avoir à mes côtés.
Enfin, il n'y a pas de raison de m'inquiéter de choses qui sont encore à venir et que je ne peux pas faire changer. Je ne sais pas ce qui va se produire, et faire des plans à partir d'une possibilité revient à construire un palais sur une dune.
Aujourd'hui, nous avons trouvé une chose des plus remarquables. C'était un escalier près du chemin. Il était en spirale et fait de pierre et de métal. Il s'élevait loin au-dessus du sol, soutenu seulement par l'air. Des lianes pendaient du garde-fou, et des araignées avaient fait leur toile en-dessous. Il semblait être prêt à tomber au premier orage, mais à mes yeux, il était ancien. Enfin, les choses s'abîment plus vite lorsqu'il pleut fréquemment, de ce qu'on m'a dit en tous cas.
Je faillis continuer mon chemin sans m'arrêter, mais je ne pus pas résister à la tentation de tester la solidité de l'escalier. Doucement, prudemment, je mis un pied sur les escaliers, puis un autre. Il tint bon, sans même un craquement. Me sentant plus téméraire, je gravis une marche, puis une autre. Puis j'entamai l'ascension de la spirale de l'escalier, montant dans le sens des aiguilles d'une montre vers la canopée. Je comptai les marches en montant, et me retrouvai vite dans la centaine. Lorsque j'attins la deux-cent-septième marche, je m'arrêtai pour me reposer. Souja sauta hors de mon sac et regarda les marches.
À la hauteur où nous étions, il y avait moins de lianes, mais plus de toiles d'araignées. Je vis une araignée vivement colorée manger une libellule, un prédateur en mangeant un autre1. Puis un petit oiseau vert et jaune fondit sur l'araignée et l'avala. Était-ce là un signe ? Ou simplement un rappel du nombre conséquent de prédateurs dans ces bois ?
Une fois reposé, je continuai à monter les escaliers, Souja me suivant de près. Elle s'arrêtait de temps en temps pour renifler les lianes ou donner un coup de patte aux araignées, mais elle me rattrapait toujours promptement lorsque je m'éloignais trop. Après cinquante marches de plus, elle grimpa sur mes robes déchirées et fit le reste du chemin juchée sur mon épaule.
Après quatre cents marches, nous sortîmes de la canopée. L'escalier grimpait encore plus haut. Maintenant que la voie n'était plus bloquée par des arbres et des lianes, la hauteur donnait le vertige. Je dois confier que je restai figé pendant plusieurs secondes tandis que la forêt tournait sous moi. Je m'agrippai au garde-fou métallique, et je m'assombris de peur. Après plusieurs minutes, et le grognement intrigué de Souja, je parvins à maîtriser ma peur et continuai à monter. Après cinquante pieds de plus, j'attins une plateforme. Sur la plateforme se trouvait une cloche de bronze usée par le temps. Une inscription métallique sous cette dernière disait "En cas de Péril, sonnez la cloche."
Après un temps de réflexion, je décidai de ne pas la sonner. Je ne suis pas particulièrement en danger, de ce que j'en sais, et je ne souhaitais pas découvrir ce qui se passerait si l'on faisait sonner la cloche en vain. Mais je ne parviens pas à imaginer contre quel péril une cloche servirait, ni pourquoi il fallait que ce soit indiqué.