Une promesse

4 heures avant la chute d'Aleph

La mine boudeuse que j’ai dû subir pendant tout le trajet en voiture en disait long sur ce qu’Amélie pensait de ce voyage sur le Site-Beth. La perte de sa mère l’avait rendue particulièrement mature pour son âge, mais elle avait toujours du mal avec la moindre séparation, encore plus quand celle-ci durait plusieurs jours. Depuis les trois années où je l’ai recueilli, jamais nous ne nous étions séparés aussi longtemps. Lorsque ce transfert temporaire pour étudier SCP-180-FR a été ordonné, j’ai essayé de convaincre mes supérieurs de m’autoriser à prendre Amélie avec moi sur le site, celui-ci contenant des anomalies relativement peu dangereuses. Malgré mes multiples demandes, ceux-ci ont refusé, arguant qu’en cas de problèmes, le contact entre l’enfant et une entité pourrait être catastrophique. Ce qui en soit était compréhensible, mais quand j’ai essayé de lui expliquer, j’ai eu le droit à la même mine boudeuse qu’à l’accoutumée, même derrière ses longs cheveux noirs, je sentais ses yeux qui me fixaient, pleins de reproches.

Pendant le reste du trajet, j’essayais d’apaiser ses craintes sur la semaine à venir.

“T’inquiète pas, va. Une semaine, ça passe vite, j’aurai à peine le temps de partir que je serai déjà revenu en un clin d’oeil.”

Aucune réaction de sa part.

“Et puis, tu vas passer une semaine seule avec Sophie, une semaine entre filles, c’est quand même pas la… Enfin ça va passer tout seul quoi.”

J’étais à deux doigts de dire que c’était pas la mort. Mais quel con.

“Qu’est-ce qu’il se passe ? T’aimes pas Sophie ?”

Elle me répondit d’une toute petite voix.

“Si.”

“Bah voilà, arrêtes de faire cette tête boudeuse maintenant.”

Sa voix est devenue d’un coup plus forte et plus dure.

“Je veux pas que tu partes.”

Je soupirais.

“Je sais. Mais j’ai pas le choix. Et t’inquiètes pas, je serai vite revenu.”

Sa voix était redescendue.

“Tu peux pas savoir, ça.”

C’est à l’écoute de ces mots que je décide d’arrêter la voiture sur le bas-côté pour lui parler.
Elle a toujours cru que je m’en fichais quand on se quittait, même pour quelques heures. Mais c’est faux. Depuis 3 ans, dès que je la quitte, je m’inquiète. J’ai peur qu’elle se fasse mal, qu’elle tombe sur quelqu’un qui lui veuille du mal, de faire une erreur ou qu’il lui arrive quoi que ce soit. Mais je me dois de lui cacher, de pas lui en parler, de rester parfaitement serein même quand je m’inquiète plus qu’elle. Je me dois de la rassurer.

“Amélie, je t’ai toujours parlé comme à une adulte, parce que tu es devenue mature sur beaucoup de points très rapidement. Peut-être que je devrais pas, mais je continuerai à le faire. Donc, écoute-moi bien. Je te promets que peu importe ce qui arrive, peu importe la distance, le temps ou quoi que ce soit d’autre, je ferai tout pour être toujours là pour toi. Que ça soit pour rire, pour t’aider ou pour te protéger, pour que tu sois jamais véritablement seule. Je ferai toujours mon maximum pour veiller sur toi, pour que tu sois prête à surmonter ce que la vie te prépare, et que tu puisses être heureuse. Ça c’est mon rôle de père, mais pour ça, je pourrais pas être toujours physiquement là, parfois tu vas devoir te débrouiller sans moi. Mais ça veut pas dire que tu seras seule, tu auras d’autres personnes avec toi qui t’aideront à avancer, et sache que je finirais toujours par revenir à un moment. J’ai confiance en toi, je suis persuadé que tu pourras te débrouiller si je suis pas là, faut juste que toi tu ais confiance en moi
pour que je revienne toujours. C’est tout ce que je te demande. Tu comprends ?”

“…Oui.”

“Donc ?”

J’ai senti mon cœur se serrer quand j’ai vu les larmes qui montaient dans ses yeux.

“Je vais me débrouiller sans toi pendant une semaine.”

Je la serre dans mes bras, toujours inquiet pour la semaine de séparation.


Arrivés à l’aéroport, la mère de Sophie et la petite sont là pour récupérer Amélie quand je serai partie. Devant les portiques de sécurité, je dois dire au revoir à ma petite. Je m’accroupis pour être à sa hauteur.

“Tu t’en sens capable ?”

“Oui.”

Je la regardais en souriant, puis j’enlevais mon collier pour le lui donner.

“Tiens.”

Je le lui mis autour de son cou et le resserra grâce aux deux ficelles derrière pour qu’il soit à sa taille.

“J’ai ce collier depuis tout petit, et j’y tiens beaucoup, je te fais confiance pour me le garder le temps que je revienne d’accord ? Prends en soin.”

Un sourire illuminait son visage.

“Oui ! Promis !”

Un dernier câlin et les au revoir fait, je passais les portiques de sécurité en voyant Amélie me faire coucou tout en s’éloignant avec son amie.

Une fois dans l’avion, je retrouvais celle qui allait être ma collègue pour cette excursion sur Beth.

“Salut Ariane, ça faisait longtemps.”

“Ah, Flau !”

En voyant les petits yeux qu’elle faisait derrière ses grosses lunettes rouges, je compris directement qu’elle était inquiète.

“Ça va ? T’as pas l’air bien.”

Elle me répondit un peu honteuse.

“J’ai jamais pris l’avion, du coup je stresse un peu, mais je suis quand même surexcitée, je sais pas si je vais pouvoir regarder par le hublot, mais j’en ai en même temps beaucoup trop envie. Et toi du coup la petite, ça va ?”

“Ouais, la séparation était assez compliquée mais ça va.”

L’échange de banalités dura ainsi pendant un petit moment, jusqu’à ce que l’on nous dise de nous installer. L’avion décolla sans encombre, bien qu’Ariane dut le vivre différemment vu la manière dont elle était cramponnée à son siège. J’étais pour ma part plutôt détendu, même si l'inquiétude de cette première longue séparation me torturait toujours l’esprit. Commençant à imaginer tous les pires scénarios possibles, je me fis tirer de mes pensées par ma collègue qui… était en train de vomir dans un sac fait pour.

“T’as regardé par le hublot ?”

Elle se tourna vers moi, presque les larmes aux yeux.
“Oui… Mais c’est si beau vu d’en hau…”

Et elle se remit à vomir. Le ridicule de l’action me fit sourire.
Le voyage promettait de bien se passer.

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