Une journée parfaitement normale pour l'agent Ile

Mardi 25/08/2020, 02 h 24, Zone d'hébergement des gardes :

Et c'est reparti. Encore l'alarme qui s'active au beau milieu de la nuit. Tout le monde saute du lit en se claquant le dos alors que l'on espérait enfin pouvoir se reposer. Pfff, si on m'avait dit que ça se passerait comme ça quand j'ai signé pour être ici, je ne me serais jamais trouvé dans cette merde. Je prends mon temps pour me préparer. Il ne s'agit que de l'alarme d'entraînement, le premier crétin l'aurait remarqué. Mais il faut quand même faire vite, sinon c'est le cancer du colon assuré, comme si ça suffit pas de se faire simplement gueuler dessus. Lorsque j'ouvre la porte, ma bonne vieille Lolotte est déjà là, me regardant avec son air vif et combattif, comme si elle était prête à en découdre. Elle trotte vers moi, son gilet de combat dans la gueule, me demandant de le lui mettre ce que je fais derechef. Comme d'hab. Lorsque je sors en baillant, toutes les bleues bites étaient déjà au garde-à-vous devant le colonel, comme si ça allait aider à l'avancement de ces couillons, alors que la majorité des vétérans n'avaient même pas encore pointé le bout de leur nez.
Les blouseux étaient tranquillous et évacuaient en rigolant.

Une fois tous réunis, un peu plus de 10 minutes après le début de l'alerte, le colon se met à nous gueuler dessus comme à son habitude : et qu'on est trop longs à la détente, et qu'on serait tout morts si c'était pour de vrai et patati et patata. Le colon n'est pas un mauvais bougre, mais c'est quand même un drôle de laxatif. Une demi-heure plus tard, à juste dire "Oui mon colonel !" et "On le refera plus mon colonel !", le vieux nous autorise à retourner nous coucher. Perso j'en vois pas trop l'utilité, comme mon quart de surveillance commence dans moins de 3 heures… Je préfère m'installer à la guérite avec Lolotte, pour regarder la télé un petit peu et taper la discute avec l'agent de nuit.

Même journée, 06 h 00, Dans la zone sécurisée 8 :

Début du tour de garde. Mon job est de patrouiller avec Lolotte tout le long des abords du site, pour repérer les potentiels intrus et les maîtriser avant de les refiler à qui de droit.

C'est incroyable le nombre de clients différents que j'ai : des gamins qui font des paris débiles, des agents gouvernementaux cherchant à obtenir des infos sur nos ressources, et même des commandos envoyés par des Groupes d'Intérêt rivaux. Une fois, deux groupes belliqueux ont chacun envoyé leurs commandos respectifs pour récupérer je sais pas quoi, et ils se sont entretués. Ils ne nous restaient plus qu'à les récupérer à la petite cuillère. Mais bon, la plupart de nos rondes sont tranquilles et Lolotte passe plus ses journées à courir après les papillons que les gredins.

Mes deux premières heures de ronde se déroulent sans accroc, quand, vers 10h15, mon talkie-walkie se met à biper :
Urgent ! À tous les agents à proximité du secteur 8, ici base. Quebec-4 de trois individus à la façade Nord-Est du secteur. Probablement des jeunes qui s'amusent, il faut les intercepter. Terminé.
Ici l'Agent Ile. Reçu. Je suis à la façade Sud-Est du secteur 8. Je m'en charge. Terminé.
Ici l'Agent Trétin. Reçu. Je suis à la façade Nord-Ouest du secteur 7. Prêt à rejoindre l'agent Ile pour interception du colis. Terminé.
Aux Agents Trétin et Ile, ici base. Reçu. Occupez-vous-en et prévenez-nous quand vous aurez le paquet. Terminé.

Alors que j'étais en train de bigophoner, Lolotte me regardait d'un air malicieux. Une intrusion de plusieurs individus ? Enfin de l'action, et ça, elle l'avait parfaitement compris.

Même journée, 10 h 27, Nord-Est de la zone sécurisée 8 :

Il ne me fallut pas longtemps pour trouver nos trois rigolos. Faut dire, c'est pas comme s'ils faisaient vraiment attention à ne pas se faire remarquer.

Le mec de la base avait à peu près vu juste : c'est des jeunes. Mais pas le genre de jeunes auquel il pensait. Ils semblent effectivement s'être introduits ici pour le challenge du "Ouais j'suis un Ouf et j'vais où j'veux !" sans but précis, mais faudra faire attention, c'est des jeunes qui semblent vraiment peu recommandables avec leur tête de caïd toutes droit sorties de je ne sais quel quartier sensible. Le genre qui arbore fièrement ses cicatrices. Et qui est forcément armé de gros couteaux, voire même de flingues.

Et ce crétin de Trétin qui se pointait toujours pas. À tous les coups, il a encore confondu l'Est et l'Ouest.

C'est marrant de jouer à cache-cache dans les kékés avec Lolotte, mais j'allais pas faire mon planqué toute la journée. Et hop j'ai mis en joue mes clients, tout en faisant un discret hochement de tête à Lolotte pour lui demander de faire le tour par-derrière:
"Tournez-vous vers moi et mettez les mains sur la tête mes drôles, que j'vois mieux vos jolis minois."

J'ai bien fait de prendre mes précautions, car deux des gus ont sorti des petits calibres illico. J'envoyais mes bastos dans le buffet du premier individu récalcitrant tout en me mettant à couvert d'une roulade. Le deuxième tire dans ma direction, et ne se rend pas compte que Lolotte s'approchait derrière lui. Il s'apprêtait à tirer une deuxième salve quand Lolotte lui bouffe le mollet. L'imbécile tomba tête la première sur un gros rocher, s'assommant et se refaisant le portrait à la fois. De toute manière, il était tellement moche que c'est pas ça qui allait le rendre plus vilain.

En voyant ses potes étalés, le troisième, qui n'était pas armé, se fit tout sage et devint aussi obéissant qu'un petit chien.

Et comme par hasard, qui c'est qui débarque, la fleur au fusil ? L'ami Trétin ! :
Bordel qu'est-ce qui s'est passé? Pourquoi t'as tiré? Et… (Trétin remarque le visage à moitié écrasé du second gus) … euh… Il est en encore vivant où c'est un macchabée ?
Ouais, il s'est auto-asmaté la gueule dans sa chute mais il va pouvoir encore emmerder le monde un moment. Perso, je trouve que ça lui va mieux que sa tronche de cake d'avant. Par contre, son pote qui est malencontreusement tombé sur mes bastos, il a rejoint ses ancêtres.
Tu vas encore te retrouver au trou, s'pèce d'idiot, tuer des civils c'est pas vraiment bien vu, ni de transformer leur visage en toile de Picasso, d'ailleurs !
Je sais pas toi, mais moi je préfère le trou que de me retrouver moi-même avec du plomb dans l'estomac. Et le mec défiguré, y s'est fait ça tout seul, j'te dis.

J'ai re-bigophonné à la base pour leur faire mon rapport et leur demander de venir récupérer le colis. Ils sont pas contents de le séparer en 3 parties d'ailleurs : une pour l'interrogatoire, une pour l'infirmerie et une autre pour la morgue. Mais bon, zauraient dû mieux récup les infos aussi.

Même journée, 12 h 00, Self de la tour de contrôle :

Fin de mon tour de garde. J'écris mon rapport sur l'incident de ce matin tout en mangeant mon repas. C'est pas comme si j'avais beaucoup de temps libre pour l'écrire non plus, et des civils à la morgue, t'as intérêt à fournir de bonnes explications… Bon, j'aurais sans doute le papelard me signalant le nombre de jours que j'irai passer à l'ombre d'ici la fin de la semaine.

Lolotte est elle aussi attablée. Elle a toujours eu des goûts de luxe, et me demande même de lui serrer sa serviette avant qu'elle ne s'attaque à son gigot. Elle a des petites manies qui énervent souvent les gens, mais moi ça me fait marrer. Toute petite, elle était déjà caractérielle et du genre à se faire comprendre lorsqu'on l'emmerde. Il n'y a qu'avec mes supérieurs hiérarchiques qu'elle a appris à dire "Oui et Amen" lorsqu'ils disent un truc ne lui plaisant pas.

Même journée, 14h00, Laboratoire de recherche des objets de Classe Sûr :

Des chercheurs de ma connaissance, les Drs Versus et Urluberlu, avaient besoin d'un animal pour réaliser des tests avec un objet anormal en cours d'évaluation, qui permettrait de voir au travers des yeux d'un autre individu ou un truc dans le genre.

Pour des blouseux, ces deux-là sont de bons bougres, et tout le monde sait que Versus refuserait de mettre en danger un animal, même une simple mouche, pour ses expériences. C'est pour ça que lorsqu'ils m'ont demandé s'ils pouvaient se servir de Lolotte comme sujet, j'ai interrogé la principale intéressée du regard. Elle secoua la queue et me sourit pour me signaler qu'elle n'y voyait aucun problème. Lolotte me trouve trop protecteur, et elle a un peu raison, mais je ne veux pas qu'il lui arrive la même chose qu'à mon dernier chien… C'est aussi pour ça que j'ai demandé ma mutation, et même si mes journées ici sont bien chiantes, c'est beaucoup moins risqué ici que là-bas…

L'objectif du jour est d'étudier ce qui se passerait quand un Classe-D se mettra à voir au travers des yeux de Lolotte. Je ne suis pas très serein car c'est le premier test réalisé avec un sujet non humain, mais le Dr Urluberlu me rassura en expliquant que l'usage de base était sans doute de permettre aux aveugles de voir au travers les yeux de leur chien.

Bon, j'ai pas tout compris au déroulement de l'expérience, mais ça semblait intéressant. Même le Classe-D y prend du plaisir, bien que je n'apprécie pas de voir l'un de ces criminels si près de mon chien. Je dois même admettre que j'ai sursauté quand il l'a caressée, mais le Dr Versus m'a calmé et demandé de me rassoir.

On arrête les tests un peu plus d'une demi-heure plus tard, lorsque le Classe-D commence à montrer des signes de faiblesse. L'objet a un grand pouvoir, mais son usage semble très fatigant.

J'ai encore un peu discuté avec les deux docs, histoire de comprendre un peu mieux sur quoi portaient leurs expériences du moment. Ils sont parfois difficiles à suivre à cause de leur voc savant, mais j'ai globalement bien compris ce qu'ils me racontaient. Je demande si je pourrais moi aussi voir au travers des yeux de Lolotte un de ces jours, histoire de comprendre mieux son point de vue. Les blouseux me disent que cela peut faire une expérience intéressante, mais qu'ils n'ont pas encore fini d'étudier les effets que cela peut avoir sur le porteur, et préfèrent encore restreindre leur test au personnel de Classe-D.

Même journée, 20 h 00, Zone d'entrainement Nord :

La soirée est des plus banales, à faire des manœuvres ennuyantes et des entrainements fatigants. On nous dit qu'on fait ça pour maintenir notre forme physique, mais j'ai plus l'impression qu'on nous tue à petit feu… Combien de temps il me reste encore à tenir ? 6 ou 7 ans ? J'ai déjà plusieurs fois pensé à poser ma dém, en fait, j'y pense tous les jours, mais c'est pas comme si je pouvais me le permettre. En plus, ils seraient bien capables de me refiler l'un de leurs amnésiques pour me faire oublier que j'ai signalé mon départ. Ptet ben qu'ils l'ont déjà fait. Je devrais arrêter de laisser vagabonder mon esprit durant les manœuvres, ça me donne le cafard.

Je préfère me coucher tôt, je suis de quart entre minuit et 6 heures demain. Avec tous les cauchemars que je fais depuis l'incident qui a pris la vie de Smart, mon ancien chien, je vais sans doute une fois de plus pas réussir à profiter correctement de ma nuit. Et ces 4 heures de dodo ne seront pas de refus pour me préparer à ma prochaine journée de travail au Site-Aleph.

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