Une étoile est née

L’agent Manchard toussa pour expulser la fumée qui envahissait ses poumons. Cette dernière était noire, à l’odeur âcre. Il s’approcha le plus possible des lieux de l’accident. L’avant de la voiture avait été comme compressé, le choc avait dû être rude. Pourtant, il n’y avait aucun obstacle visible sur la route. De là où il se tenait, il pouvait voir une femme dans la fleur de l’âge dont le crâne s’était fracassé contre le pare-brise. Le sang coulait le long de la paroi transparente. Elle était morte depuis quelques minutes. Quant au conducteur, sa cage thoracique avait percuté avec violence le volant, avant même le déclenchement de l’airbag. Il ne bougeait plus.

Il contourna la voiture, un morceau de tissu sur sa bouche et son nez pour voir s’il y avait des survivants à l’arrière. Malheureusement, les passagers avaient l’air inertes. Au vu de leur jeune âge, ça avait dû être fatal. Il allait prévenir ses supérieurs qu’il n’y avait aucun survivant quand soudain, l’un des passagers se mit à tousser. Son sang ne fit qu’un tour, il bondit jusqu’à la portière pour tenter de l’ouvrir. Mais elle était bloquée. Il jura.

Il jura une seconde fois lorsque l’enfant, car c’en était un, tomba sur le côté, inconscient. Il fit alors le tour pour passer par le côté du deuxième passager qui était un enfant encore plus jeune, afin de libérer le premier mais la voiture était au bord d’un fossé, en équilibre précaire. La portière donnait sur ce fossé. A la moindre secousse de ce côté, la voiture basculerait dans le vide. Il revint alors vers la première portière, dans un état de stress maximal. Il avisa alors la vitre. Ni une ni deux, il prit son arme et assena un violent coup sur le verre qui vola en éclats. L’enfant reçut quelques bris de verre mais au vu son état, ce n’était pas cela qui allait changer quoi que ce soit. Il tenta de l’ouvrir de l’intérieur en passant son bras mais rien n’y fit. Il plongea alors tête la première dans l’habitacle pour essayer d’extirper l’enfant.

Ce dernier était une jeune fille qui devait avoir douze-treize ans à peine. Il la saisit par les bras puis la sortit en lui protégeant la tête. Cette dernière, se sentant soulevée, gémit. Il la déposa à quelques dizaines de mètres de la voiture. Lorsqu’il retira ses mains, il vit qu’elles étaient pleines de sang. Les cheveux bruns de l’adolescente étaient poisseux. Son crâne avait dû percuter le siège avant. Cependant, elle ouvrit les yeux, les pupilles complètement dilatées. Elle balbutia un prénom. Puis encore une fois. Désespérée, elle essayait de lui faire comprendre quelque chose.

Peut-être parlait-elle de l’autre enfant ?

Il voulut lui dire qu’il était certainement mort mais, devant le regard désemparé et paniqué de l’adolescente, il n’eut pas le cœur à renoncer, sa conscience ne le lui permettant pas.

Il laissa la rescapée en position latérale de sécurité, prévint son supérieur qu’il y avait un survivant, voire deux tout en n’oubliant pas de signaler sa position puis se dirigea à nouveau vers la voiture. Malheureusement, l’enfant était trop loin pour qu’il puisse le sortir de la première portière. Il allait devoir passer par la seconde.

Le fossé était peu profond mais l’agent Manchard ne le craignait pas. C’était surtout les conséquences que cela entraînerait pour lui mais aussi pour l’enfant restant qui l’inquiétaient. Il tenta d’ouvrir la portière en priant pour que cette dernière le fasse sans résister. Ce fut le cas, cependant, le poids de la portière fit vaciller la voiture. Il recula, ne touchant plus à rien, attendant que la voiture se stabilise pour ensuite retourner voir si l’enfant restant était encore en vie.

C’était aussi une fille mais plus jeune, à peine dix ans. Elle était inconsciente et pourtant, elle n’avait aucune blessure. Il la secoua mais elle ne répondit pas. Cependant, il pouvait voir que sa poitrine se soulevait à un rythme régulier et lent. On aurait dit qu’elle était endormie. Il détacha la ceinture tout en priant pour que la voiture ne tombe dans le fossé. Il la sortit avec précaution mais fort heureusement, elle était très légère. Cependant, l’agent avait oublié quelque chose. Son propre poids. Pris d’un déséquilibre, il s’appuya sur le siège, ce qui fit dangereusement basculer la voiture. Il était temps de dégager d’ici. Il serra fort la petite fille contre elle puis recula.

La voiture grinça et tangua. L’agent écarquilla les yeux de peur quand il la vit basculer vers lui. Il eut tout juste le temps de se décaler grâce à une poussée d’adrénaline. L’épave faite de tôle froissée s’écrasa dans le fossé dans un bruit de fin du monde. L’agent put presque la sentir le frôler.

Épuisé, il ne s’arrêta pas pour autant et retourna auprès de l’autre enfant qui avait sombré dans l’inconscience. Il déposa délicatement l’autre enfant auprès d’elle, tout en constatant une nouvelle fois que cette dernière n’avait aucune blessure puis s’assit lourdement sur le sol, en sueurs.

Première mission d’agent sous couverture de la Fondation. Il ne savait pas que ce serait aussi anxiogène et exténuant.


Le professeur Kendrick, fraîchement nommé au poste d’archiviste avec un beau petit niveau d’accréditation de niveau quatre1, lui assurant à la fois un certain calme mais aussi la capacité de manipuler des informations de la plus haute importance, sirotait tranquillement son café en compagnie de l’agent Curt qui, lui, se contentait d’un simple verre d’eau. Le tout nouveau bureau du professeur Kendrick était aussi ordonné que son possesseur. L'agent Curt se cala dans son siège.

« Comment se passe ton premier mois comme archiviste ? Demanda-t-il après une bonne gorgée.
- Franchement ? Super. Je peux pas me plaindre.
- Avec tes capacités, tu pouvais quand même rêver à mieux, non ?
- Quoi ? Un boulot où il faut risquer sa vie ? Très peu pour moi. Là, je classe, je corrige, je range, je bois du café et tout va bien. Le niveau d’accréditation de niveau quatre me va bien même si mes supérieurs font un peu la gueule de voir quelqu’un de si jeune aussi haut dans la hiérarchie… Mais je regrette que d’autres n’aient pas eu cette chance. »

L’agent Curt saisit l’insinuation à peine voilée et haussa les épaules :

« Que veux-tu ? Il n’y avait plus aucun candidat, la constellation2 était vide. Ne restait plus que toi.
- A croire que certaines aient oublié leur sens des priorités.
- N’en veux pas aux parents de ne pas vouloir envoyer leurs enfants à une mort quasi-certaine. Même si je reconnais l’utilité de ce protocole… »

Un peu d’inquiétude passa sur le visage de l’agent qui s’assombrit. Kendrick connaissait bien son ancien formateur. C’était un roc impassible, au visage toujours lisse et bienveillant, aucun souci ne paraissait le troubler. Il avait un self-control à toute épreuve… Mais pas aujourd’hui. Kendrick sentit que quelque chose d’important le troublait.

« Que se passe-t-il ?
- Tu as bien une accréd’ de niveau quatre ?
- Ouais, il paraît, crâna le jeune professeur.
- J’imagine que tu auras en main ces dossiers un jour ou l’autre alors, remarqua l’agent en haussant les épaules.
- Dépend.
- Tu vois passer des dossiers concernant les GdI ? »

Kendrick acquiesça d’un mouvement de la tête puis demanda, curieux :

« Lequel ?
- L’Insurrection du Chaos.
- Pas avec ce GdI qu'on aura une conversation intéressante. Sont cons comme la lune, ceux-là.
- Peut-être cons mais néanmoins dangereux, prévint l’agent d’un ton grave.
- Je sais. Faut pas les sous-estimer. Mais du coup, que se passe-t-il ? »

L’agent but une énième gorgée d’eau ce qui fit trépigner d’impatience le jeune professeur. Enfin, son interlocuteur avoua :

« Nous avons eu plusieurs rapports de mission établissant que les agents infiltrés dans l’Insurrection ont tous été débusqués et ont révélé des… informations capitales sur nous avant de se faire exécuter.
- Ils ont affiné leurs techniques de torture ?
- Pas que. Ils arrivent à retrouver nos agents parmi tous les insurgés. Apparemment, ils auraient engagé une personne dont l’identité nous est encore inconnue. Elle a, apparemment, un flair à toute épreuve et une manière de torturer assez… efficace.
- Si nos agents avaient été du protocole, ça ne se serait pas produit. »

Cette réponse sonna comme un couperet. L’agent baissa les yeux et un peu de culpabilité passa dans son regard. Cependant, il se reprit vite puis contra :

« Je te le répète. Même si tu as très mal vécu le démantèlement de la constellation et l’arrêt du protocole… Nous. N'y. Sommes. Pour. Rien.
- En attendant, vous auriez bien besoin d’une seconde constellation, rétorqua un Kendrick pragmatique.
- Je sais, avoua l’agent. J’ai transmis une demande au conseil des O5 et ils ont accepté de dégager des fonds. Ne reste plus qu’à trouver les candidats.
- Des parents se sont déjà signalés ?
- Non, pas encore. Je pense que ça sera de nouveau un fiasco mais j’en serai. Et toi aussi.
- Ah ? »

L’agent observa le professeur avec appréhension. Ce dernier n’aimait pas du tout qu’on prenne des décisions sans son accord, aimant avoir un contrôle sur tout. Mais il haussa les épaules et se contenta d’un « Cool. ». En réalité, le professeur allait se proposer pour en être et cette promotion était plus que bienvenue.

« On reprendrait nos locaux ici, à Aleph, mais aussi à Samech, prévint l’agent.
- Vais avoir besoin d’une assistante.
- On verra quand tu seras vraiment surchargé de travail, se moqua l’agent. »

Le professeur Kendrick ignora cette remarque. Nouveau encore, ses supérieurs avaient un peu de mal à lui confier des tâches importantes et lui refilaient le boulot le plus facile. Mais il savait que la confiance viendrait à la longue et même plus rapidement qu’avec les autres. Après tout, il n’était que loyauté envers la Fondation…

Soudain, le téléphone de l’agent sonna. Il décrocha. Un long silence plus tard, il raccrocha après un laconique : « Bien, j’arrive. »

« Mon seul jour de pause et il a fallu que cet imbécile de Rembert soit malade.
- Il se passe quoi ? »

L’agent se leva puis sortit. Le professeur, toujours aussi curieux, le suivit :

« Dis-moi ! J’aurais certainement le dossier à traiter.
- Un accident de voiture sauf qu’il n’y avait aucun obstacle. La voiture semble pourtant avoir reçu un grave choc.
- Anormal ?
- Sans aucune hésitation. Y a un jeune agent fraîchement nommé sur place. Les parents sont morts. Les filles sont en vie mais l’une ne veut pas se réveiller.
- Orphelines ?
- Ouais, triste n’est-ce pas ?
- Providentiel plutôt non ? »

L’agent, malgré l’urgence, se tourna vers le professeur, interloqué :

« Tu te moques de moi ?
- Jamais je ne me le permettrai. Mais c’est une coïncidence heureuse, tu ne trouves pas ?
- Elles sont inconscientes, l’une d’elle est dans un état comateux. Je ne connais ni leur âge, ni leur psychologie, ni même si elles auront un responsable légal. Et tu me parles d’en faire des agents ?
- Réfléchis-y quand elles se réveilleront et que tu les interrogeras. Ne les amnésie pas de suite, conseilla Kendrick. »

Le visage de l’agent exprima une expression de rejet mais le jeune professeur avait le pressentiment que sa remarque avait fait mouche.


Cela lui prit quelques heures avant d’arriver sur place. Il pesta une énième fois contre le docteur Rembert qui était absent. La Fondation avait besoin de psychologues pour enfants afin de mener l’interrogatoire dans le cas où les filles se réveilleraient. Malheureusement, cet imbécile n’était pas là et l’agent Curt, habitué à travailler avec des enfants, avait été dépêché sur place en catastrophe.

Il lut le bilan médical des deux filles. L’état de la plus jeune était le plus préoccupant. Aucun moyen de la réveiller, pourtant, elle n’avait aucune blessure. L’hôpital qui s’occupait d’elle était bien entendu civil mais il y avait néanmoins un docteur affilié à la Fondation. L’agent Curt se rapprocha de lui :

« Alors ? La plus petite ?
- On a pas réussi à l’identifier. Tout ce que je peux vous dire c’est que je ne comprends rien. Elle n’a rien. Rien de visible. Scanners, radio, IRM… rien. Elle semble être juste plongée dans un sommeil profond. Elle ne réagit à aucun stimuli.
- Mais elle respire ?
- Oui, et même très bien. Tout va bien, aucune lésion interne. Ses organes sont intacts. Non franchement, je ne sais pas du tout ce qui ne va pas chez elle. »

Les deux se regardèrent, entendus. L’agent conclut :

« Va falloir l’emmener dans nos installations. Est-elle transportable ?
- Oui. Aucun problème. Il n’y a aucune anomalie, aucun effet indésirable. Juste une belle au bois dormant qui attend son prince charmant, ironisa le docteur. »

La remarque ne fit pas grâce aux yeux de l’agent qui cacha son exaspération sous un sourire froid et poli. Le docteur se reprit en se raclant le fond de la gorge :

« La plus grande en revanche s’en est un peu mieux sorti. Trauma crânien assez léger. Elle a perdu beaucoup de sang mais elle est hors de danger. Une petite transfusion et tout ira bien.
- Elle est réveillée ?
- Bientôt. Mais elle est sous morphine, allez-y doucement.
- Vous me prenez pour qui ? »

L’agent baissa ses yeux vers le docteur qui frissonna devant l’autorité qui s’en dégageait. Après avoir pris congé du docteur, l’agent Curt ouvrit la porte de la chambre de l’aînée.

Treize ans, de taille moyenne, musculature élancée, corpulence normale quoi qu’un peu trop mince. Aucun gramme de graisse en trop. Pas de défaut corporel visible. Selon le rapport, elle n’avait pas besoin de lunettes. Aucune prothèse, dentition normale. Il n’y avait, apparemment, aucun antécédent médical visible. Pas de fracture, pas de contusion. Son visage était ni beau ni laid, juste banal.

« Oui… Pourquoi pas…, se dit-il à lui-même. »

Kendrick avait peut-être raison. C’était probablement son jour de chance. Le seul problème serait le responsable légal éventuel qui viendrait tout faire capoter…

Soudain, la jeune fille ouvrit les yeux. Des yeux marrons, renforçant son extrême banalité. D’abord fixant le plafond, ils cherchèrent à analyser l’endroit où elle était pour enfin se poser sur l’agent qui lui fit un grand sourire pour la rassurer. Elle ouvrit la bouche mais aucun son n’en sortit. Elle la referma puis déglutit. Ses lèvres étaient craquelées, sèches. Il lui était interdit de boire mais l’agent eut pitié. Il sortit de son sac une bouteille d’eau, seule boisson qu’il pouvait tolérer, ainsi qu’un mouchoir. Il l’humidifia et le porta sur les lèvres de l’adolescente. Une fois sa bouche humectée, elle put tenter de reparler à nouveau. Une voix aiguë mais néanmoins éraillée en sortit :

« Je suis où ?
- Dans un hôpital. Il y a une autre fille avec toi.
- Ma sœur ?
- Oui. Elle dort à côté, mentit-il. »

Le soulagement qui apparut alors sur le visage de l’adolescente fit regretter immédiatement son mensonge à l’agent.

« Et mes parents ?
- Je suis navré, ils n’ont pas survécu. »

La dure réalité la frappa mais elle ne broncha pas. Aucune larme, aucun tremblement. Elle se contenta de dire :

« Au moins, il reste ma sœur.
- Oui. Tu n’es pas triste pour tes parents ?
- Ils nous amenaient à notre foyer. Ils ne nous ont jamais aimées. Je suis un peu triste quand même mais pas trop. »

L’agent mit ça sur le compte de la morphine qui devait lui troubler les idées mais il rangea cette information dans un coin de sa tête. Ainsi, la seule personne physique ou morale qui pourrait revendiquer les deux filles n’était qu’un foyer pour enfants ? Rien de bien compliqué.

« Et pourquoi vous emmenaient-ils là-bas ?
- Papa disait qu’on prenait trop de place dans la maison, qu’on coûtait trop cher. »

Aucune autre larme. Sacrée capacité de résiliance cette petite…

« Comment t’appelles-tu ?
- Tara. Tara Lucy. Ma sœur s’appelle Julie. Elle est gentille mais fragile. Faites attention à elle. Elle est un peu dans son monde mais elle est très… très gentille. »

Tara commençait déjà à s’assoupir, la morphine n’aidant pas. Il la laissa dormir, profitant de ces quelques instants pour faire son rapport.


Tara Lucy. Treize ans. Aînée de deux enfants. Enfance heureuse jusqu’à ce que les deux parents perdent leur travail à un mois d’intervalle. Ils avaient alors dû vendre la maison familiale pour un petit appartement. Le père avait trouvé un travail peu payé mais aux horaires impossibles. La mère se désintéressait de ses filles et ne faisait que dormir toute la journée. C’était Tara qui s’occupait d’elle et de sa sœur. Mais les conditions de vie étaient telles qu’ils eurent vite des ennuis avec l’assistante sociale. Le placement en foyer fut la seule solution que les parents apportèrent.

Elle n’avait donc aucune attache hormis sa sœur. Aucun responsable légal. Pas de grands-parents, pas d’oncle ni de tante, ni de vieux cousin éloigné.

L’agent Curt retourna auprès de Tara après avoir collecté ses informations. Il les envoya à son supérieur mais aussi à un certain professeur qui s’empressa de monter un dossier.

« Comment te sens-tu ?
- Mieux. J’ai encore un peu mal à la tête mais ça va.
- J’aimerais te poser des questions.
- Vous êtes policier ? Demanda-t-elle soudain.
- Oui.
- D’accord. »

Elle voulut se redresser mais échoua. Au bout de la troisième tentative, elle y parvint cependant, démontrant une certaine ténacité, et fixa l’agent d’un œil intéressé :

« Vous voulez savoir quoi ?
- Te souviens-tu de l’accident ?
- Pas trop. Je parlais avec ma sœur. Je me souviens que mon père nous avait dit de nous taire puis il y a eu un flash.
- Quelle sorte de flash ?
- Une lumière blanche très vive. La voiture a percuté quelque chose d’assez gros. Le reste, je m’en souviens plus.
- Il n’y avait rien sur la route ?
- Non. Enfin… je crois. On était seuls.
- Vous preniez souvent cette route ?
- Oui. La route du foyer est la même que pour le bureau de l’assistance sociale. »

L’agent Curt la remercia puis se dirigea vers la sortie. Elle le héla cependant :

« Dites ? Vous êtes sûr que ma sœur va bien ? »

Il n’eut pas le cœur à lui mentir. De toute manière, soit elle finissait amnésiée, soit elle intégrait le protocole et alors, elle saurait la vérité un jour ou l’autre…

« Elle est dans le coma. Nous allons devoir la surveiller. »

Un long silence accompagna cette phrase. Tara accusa le coup, refoulant les larmes qui s’accumulaient. Puis, elle sortit la plus étrange des remarques :

« Mais vous êtes policier, pas médecin !
- L’organisation pour laquelle je travaille devra la surveiller, répondit-il après un temps de surprise. »

Il se rapprocha et s’assit sur le bord du lit. Elle lui demanda en tremblant :

« Vous êtes un espion ?
- Non. L’organisation pour laquelle je travaille a pour but de chercher des choses étranges et de les garder pour qu’elles ne fassent de mal à personne.
- Mais… Ma sœur n’est pas étrange ! S’indigna Tara en hurlant presque. »

Elle avait de la suite dans les idées cette petite. Il lui répondit à contrecœur :

« Elle a été touchée par quelque chose d’étrange. C’est pour ça que c’est très important que tu te souviennes de ce que c’était. Pour qu’on puisse la réveiller.
- Je… je m’en souviens pas. »

Une larme coula, puis une autre. L’agent lui tendit un mouchoir de sa poche. Elle se moucha bruyamment.

Soudain, alerté par les cris de Tara, le docteur débarqua, une seringue en main :

« Bravo Agent ! Il va falloir l’amnésier, maintenant ! Elle aurait pu se souvenir d’autres choses avec le temps, mais c’est fichu.
- M’a… amnésier ? »

Elle s’accrocha à l’agent en regardant avec terreur la seringue.

« Amnésie ? Je… Je vais tout oublier ?
- C’est le but, dit sèchement le docteur qui perdait patience. »

L’agent grimaça quand les ongles de l’adolescente s’enfoncèrent dans les muscles de son bras. Elle se cacha derrière lui et s’exclama, en pleurs :

« Mais je veux pas oublier ! Pas ma sœur ! Je veux pas retourner là-bas ! Je veux venir avec vous ! Laissez-moi tranquille ! »

L’agent fusilla du regard le docteur qui abaissa sa seringue, interloqué :

« Quoi ?
- Vous avez fini de faire joujou avec ça ? Vous avez fini de terroriser une enfant ? Je vais vous apprendre votre métier moi ! »

Il caressa les cheveux de Tara puis se leva, l’obligeant à se détacher. Elle se mit sous la couverture, observant la scène. L’agent, toisant le docteur de sa haute stature, continua à parler, froidement :

« On ne l’amnésiera pas. Pas tout de suite, en tout cas. Voire même jamais. Veuillez aller voir ailleurs si j’y suis et arrêter de m’interrompre lors de mon interrogatoire ! »

Le docteur baissa les yeux, vaincu puis fila comme une flèche hors de la chambre. L’agent se tourna vers Tara qui séchait ses larmes :

« Vous allez tout faire pour la réveiller, hein ?
- Oui. Un jour, tu la retrouveras, je te le promets.
- Si… Si je viens avec vous, je pourrais aller la voir ?
- Quand tu voudras.
- Je veux plus que ces choses affreuses fassent encore du mal aux gens, dit-elle alors avec conviction. »

Son visage était déterminé, ses yeux, rougis, ne pleuraient plus, elle ne tremblait plus. En la regardant, l’agent Curt avait l’impression de voir Kendrick lors de son recrutement. Il avait bon espoir de la voir devenir l’un des meilleurs éléments de la seconde constellation du protocole ÉTOILE3. Peut-être même le meilleur.


Ce fut avec fierté qu’il présenta son dossier au conseil des O5 parmi d’autres. Elle fit partie des neuf sélectionnés. Neuf étoiles prêtes à devenir la crème des agents et docteurs de la Fondation.

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