« Tout a commencé avec une simple brèche de confinement. Même pas une grosse, sur un site connu. Non. C’était à peine trois ou quatre Sûrs et un Euclide s’étaient évanouis dans la nature, depuis un site perdu dans l’Amazonie, après une erreur dans les protocoles de confinement. Aucun blessé. Bien entendu, les hauts gradés s’étaient pressés de tout censurer, de donner des amnésiques puissants aux chargés d’études afin que la boulette soit couverte, bien que celle-ci fut classée dans un premier temps « sans incidence majeure ni risque ». Il fallait que rien ne se sache en attendant la capture des fuyards. Seuls les directeurs de recherche furent épargnés par cette purge mémorielle, afin de conserver un certain nombre d’information cruciale pour la quête des entités manquantes.
Aucun autre ne réchappa à cette nouvelle forme d’Inquisition. Sauf moi.
Dans les premières semaines, on ne constata aucun changement.
Et un beau jour, cela arriva.
Un beau matin, le monde se leva sans publicité.
Les panneaux d’affichage étaient vides. Le stock mondial de prospectus avait flambé pendant la nuit. Les publicitaires inondant internet de pop-ups et autres forme de e-marketing furent victimes de malwares extrêmement puissants.
Plus de placement de produits dans les vidéos Youtube, ou dans les films, les séries. Les marques avaient tout bonnement disparu. Les véhicules avaient perdu leurs logos dans les productions gros budgets, les fast-foods n’avaient plus d’enseignes dans les séries.
Plus rien de tout ça.
Dans un premier temps, le monde s’affola un petit peu. Il y eu la peur. La peur face à cette chose qui avait supprimé tout ce qui se rapportait au marketing, de près ou de loin.
Et puis très vite on se rassura.
« Les publicitaires vont très vite réimprimer des prospectus, des affiches, il n’y a pas de réel problème. Et très bientôt, les coupables seront trouvés. »
Mais rien de tout ça ne se produisit.
Les imprimantes à affiches se mirent à dysfonctionner. Les publicitaires sombrèrent tous dans un syndrome de la page blanche des plus profonds. Les meilleurs informaticiens du monde n’arrivèrent pas à contrer les malwares qui empêchaient à la e-publicité de subsister. Très rapidement, les émissions et stars de téléréalité n’apparurent plus sur les programmes de télévision, à cause de problèmes de transmission inconnus.
Pendant les premiers mois, le monde se surpris à paniquer de nouveau. Ils continuèrent à consommer comme avant, mais très bientôt il n’y eu plus de marketing pour leur dire de quoi ils avaient envie.
Le monde se posa alors de grandes questions.
Les besoins qu’on avait imposé à l’humanité avaient disparu. Les gens commencèrent alors à se tourner vers leurs réels besoins, et uniquement ceux-ci. En quelques mois, le cours de l’immobilier chuta, les palaces et les résidences secondaires n’intéressant plus personne.
Les consommations moyennes chutèrent radicalement, et très rapidement, les lobbys se désintégrèrent.
Avec leur chute, les médias qu’ils contrôlaient devinrent enfin libre, n’ayant plus aucun intérêt à les servir.
Il y eu un effet domino.
Les médias contrôlant les préférences politiques, les gouvernements désertèrent rapidement. Les structures étatiques s’effondrèrent. Avec la mort des lobbys et des gouvernements finançant les guerres, ces processus contre-productifs consommant plus de ressources qu’ils n’étaient censés en sauver furent remis en cause et très rapidement arrêtés.
A la fin de la première année après le jour 0 de l’ère sans publicité, les conflits cessèrent.
Au début de la deuxième année, ce fut tout le système qui fut remis en cause.
Toutes les solutions écologiques, économiques et sociales qui avaient été tues par les lobbys car menaçant leur hégémonie furent mises à jour.
Il y eu enfin une vraie gestion durable et intelligente des ressources, pour tous, et par tous. On renonça au progrès pour le progrès, celui-ci n’ayant jusqu’ici que favorisé l’expansion de firmes internationales, au détriment de la condition humaine.
A la fin de la deuxième année, le monde était en paix, et mangeait à sa faim.
Et pendant ce temps, la Fondation avait à peine compris ce qui avait provoqué tout ça.
L’effondrement de la publicité et des choix qu’elle avait imposé avait rendu aux hommes leurs consciences et leurs choix. Ils étaient enfin libres, libres de l’envie qui leur gangrénait le cœur.
Et de cette liberté était né un nouvel ordre mondial. Bien entendu, tout n’était pas parfait. Il y avait toujours des problèmes, mais ceux-ci étaient dus à des erreurs, pas à des volontés, car tel est l’Homme. Il marche et tombe pour mieux se relever.
Et aujourd’hui, je suis enfin prêt à assumer les responsabilités de mes actes. »
« Bien. Avez-vous autre chose à rajouter, Spécialiste du Confinement Crowhurst ? »
« Non, monsieur. »
« Comment saviez-vous que les entités dont vous avez volontairement rompu le confinement allaient agir de la sorte ? »
« C’est mon métier de comprendre leur comportement, monsieur. »
« Bien. Votre rétrogradation en personnel de Classe D sera effective dès le prochain cycle mensuel. En attendant, vous serez confiné dans vos quartiers. Un dernier mot à dire ? »
« Nous protégeons. C’est notre tâche. Des SCP ou de nous-même. Et c’est ce que j’ai fait. Je n’ai pas de regrets. »
« La séance est donc close. »