Tout Commençait Si Bien...

Malgré les apparences de son commencement, cette histoire n'a rien de joyeux, tout comme le fait de devoir quitter tous ses proches, les morts par électrocution, ou encore les problèmes de confiance dans des organisations secrètes d'ailleurs. Sachez seulement que, si jamais vous cherchez un dossier concernant l'observation des plantes anormales en milieu forestier, les archives biologiques de Niveau 1 se trouvent trois niveaux au-dessus de votre position actuelle et non dans ce que vous tenez entre les mains. Peut-être enquêtez-vous sur les évènements du Site-25 et, dans ce cas, vous allez devoir lire ce dossier jusqu'au bout, ce qui doit sûrement être l'une des activités les plus déprimantes au monde, après l'épluchage intensif d'archives historiques. Enfin, si vous possédez des informations relatives à ces évènements, veuillez contacter le superviseur du Département des Anomalies Temporelles le plus rapidement possible.


Ruben ne s'attendait sûrement pas à être accosté par son meilleur ami à la sortie de la remise des diplômes de sa faculté. Il ne s'attendait pas non plus à devoir précipitamment prendre un train du nom de SCP-1251 à 17 h 43 précises.
C'était normalement toujours la même chose avec les trains, on les attendait et, plus le temps passait et plus on était satisfait lorsque l'on apercevait la petite fumée noire au bout du quai derrière les bâtiments, normalement.

La gare était sombre, toute sombre et était remplie à craquer de personnages au regard vide et froid sous leurs chapeaux sombres assortis à leurs costumes sombres. Cette masse silencieuse se mouvait lentement et effectuait ainsi une sorte de danse macabre : elle se bousculait, se marchait dessus, mais ne lâchait jamais une exclamation, de peur de briser le silence ambiant. Les seuls bruits que l'on pouvait percevoir en tendant l'oreille étaient ceux des pas sur le sol froid et dur de la gare que la fumée grisâtre des cheminées envahissait à l'approche des trains.

Ruben parvint enfin à identifier Joachim qui se tenait aux abords d'un guichet que le flot macabre n'osait approcher. Ledit guichet était dépourvu de toute file d'attente, en lettres métalliques on pouvait lire 'S, C & P Compagnie Ferroviaire' sur sa partie haute.
Un petit homme chauve et trapu se tenait derrière la vitre, il souriait. Joachim, après avoir accueilli Ruben, lui demanda :

"Deux billets pour le 1251, et que ça saute ! Sa voix, résonnant dans toute la gare, eut l'effet d'une détonation, des gens sursautèrent, apeurés, cherchant des yeux la source de ce vacarme.

— Monsieur désire-t-il la première classe ? Demanda le guichetier, un air malicieux dans les yeux.

— Et comment que je la demande, c'est quand même l'accueil des nouveaux, il s'agit de faire bonne impression ! Mettez la note au nom de M. S. J-Shell."

Des regards mauvais commençaient à converger vers les deux voyageurs en partance, des regards qui donnaient à Ruben plus que la détermination nécessaire pour quitter sa ville natale pour s'engouffrer il ne savait où. Ces regards affermissaient son envie de départ, en vitesse si possible.

"Ne tardez pas, départ imminent dans deux minutes. Bon voyage messieurs." Le guichetier tendit les billets à Joachim qui s'empressa de les fourrer dans sa veste. Il saisit ensuite Ruben par la manche pour l'entraîner vers les quais où ils accédèrent au confort de la première classe après avoir monté quelques marches de fer.


Ils prirent tous deux place dans un compartiment libre et attendirent que le train se mette en marche. Vraiment, être recruté par cette organisation, c'était comme être dans l'un de ces petits restaurants de quartier remplis de serveurs acerbes qui refusaient systématiquement de vous servir ce que vous commandiez, tant que vous ne preniez pas le plat du jour.


"Avant toute chose Joachim, je me fiche pour le moment de l'endroit où tu m'emmènes. Cependant, je pose deux conditions à cette -euh, comment dirais-je ? Aventure ?

— Oui.

— Pour les conditions ?

— Non, pour l'aventure." Il sourit.

— Très bien, va pour l'aventure. Je disais donc, je demande au moins deux heures de temps libre par jour ainsi que six heures de sommeil."

Joachim soupira longuement, "Ah… Si ce n'est que ça… Pour être précis tu disposeras de douze heures de quartiers entre deux périodes de travail, ce qui inclut bien évidemment ta période de sommeil. Tu pourras les occuper comme bon te semble tant que tu ne rentreras pas en contradiction avec le règlement intérieur, qu'il faut que tu signes d'ailleurs, on gagnera du temps.

— Je pourrai le lire avant ?

— Bien sûr, au vu du trajet que nous avons à effectuer, tu as tout ton temps. Dit Joachim en sortant un véritable pavé blanc rayé de noir de sa sacoche.

— D'ailleurs, je suis déjà embauché ?

— Pas exactement, il faut encore que tu passes les tests et que tu prêtes serment. Tu sais que j'ai pris pas mal de risques pour te faire entrer.

— Mais à choisir entre me faire disparaître et ça, je ne pense pas que tu aies hésité très longtemps." Lui répondit Ruben d'un ton assuré tout en récupérant le lourd document de papier.


"Joachim, comptes-tu me dire où nous allons exactement ?

— Au diable Vauvert" lui répondit un Joachim tout sourire. Il avait tendance à plaisanter de tout. Vous ne le savez peut-être pas, mais ici "au diable Vauvert" est une expression que l'on utilise pour dire que quelque chose est vraiment très loin, presque inaccessible et dont notre connaissance est plus qu'approximative. On pourrait dire qu'en ce moment même, la personne grâce à laquelle je suis ici est au diable Vauvert, mais là n'est pas la question.

Bien sûr, Joachim plaisantait car il savait pertinemment où le SCP-1251 filait déjà depuis quelques heures, cependant, je me dois de vous mettre en garde une dernière fois. Cet endroit fut la cause de maints malheurs, chagrins, et autres dépressions ou encore roulages-en-boule sous le bureau, chez la première personne ayant été informée de son histoire cauchemardesque. C'est donc avec la plus grande des sincérité que je vous demande de bien vouloir refermer ce dossier et d'aller plutôt occuper votre pause, ou votre nuit, à une activité plus joyeuse comme la préparation d'un thé, ou encore l'observation des formes de vie subatomiques.

Après un voyage dont Ruben ne comptait plus les heures, il put enfin descendre de l'inconfortable banquette faite de bois et de cuir et témoignant d'une certaine ancienneté. Mais il ne faisait pas attention à l'âge des banquettes d'un train qu'il venait de quitter, non. Il était déjà assez préoccupé par le groupe de quatre uniformes armés se déplaçant vers le duo que Joachim et lui formaient. L'uniforme en tête du groupe, imposant et barbu, les accosta :

"Bonjour messieurs ! Sortez les petits papiers, la strasse1 est assez tendue pour les portes ouvertes !

— Laisse, j'ai pas le temps pour ça. Tu nous laisses passer et si le nouveau est pris, ce soir, la tournée générale, c'est pour moi.

— …Mouais, c'est bien parce que c'est toi Jo'. Allez-y, circulez, circulez !

— Mais… m'sieur, le secteur 12… Tenta un des autres uniformes.

— Y'a pas de 'mais m'sieur', à moins que t'aies envie de soulever de la fonte jusqu'à 23 h 00 ! Compris, le bleu ?!" coupa le premier.

— Ou- oui m'sieur !"

Les deux arrivants se dirigèrent vers une grande bâtisse grisâtre, ce bloc de béton était entouré à une dizaine de mètres environ de grillages et de fils barbelés. Quoi de plus normal pour une installation dont on cherchait à interdire l'accès ? Cependant, un détail attira l'attention de Ruben : les uniformes étaient postés en majeure partie devant l'entrée du bâtiment et non devant les grilles. Cherchait-on à interdire l'accès ou à empêcher de sortir ?

Joachim n'était déjà pas d'un grand secours dans sa quête de réponses aux interrogations qu'il avait eu dans le train, cependant il avait été intrigué par ce qui lui arrivait jusqu'à maintenant. Il y a quelques minutes, il se sentait encore comme un enfant à qui on cachait une fête d'anniversaire. Mais dorénavant, il avançait sans avoir la certitude de pouvoir ressortir. C'est donc à contrecœur qu'il franchit les portes de ce qui semblait être une sorte de base d'opérations militaires, ou un pensionnat, au choix.

Le hall, ainsi que l'intérieur du bâtiment, mobilier compris, était tristement rectangulaire. Ruben et Joachim s'approchèrent donc d'un pavé droit derrière lequel une dactylo tapait sur les touches carrées d'une machine à écrire noire. C'était Miss Linaire, la réceptionniste – qui, au passage, n'était pas réellement en train d'écrire quelque chose d'important – dont les cheveux noirs étaient attachés en arrière et ses yeux se déplaçaient de droite à gauche suivant le rythme de sa machine. Elle avait l'air fatiguée mais restait cependant énergique dans ses mouvements.

"Bonjour Miss," lança Joachim "je nous amène une nouvelle recrue. Mais comme il doit encore passer deux ou trois tests, il faudrait que tu lui prêtes un badge d'accès pour…

— Ce sera le même tarif que d'habitude, pas d'exceptions pour les anniversaires, les jours fériés ni les nouveaux. Tu connais ma devise." lui répondit sèchement la dactylo sans même daigner le regarder.

"De toutes façons je suis en train d'écrire un document plus important que tes petites tentatives de gagner du temps sur notre dos. Alors tu vas gentiment aller passer les contrôles d'identités, la fouille et les dépistages complets et ensuite obtenir ton badge auprès de la sécurité interne !

— Bon, dans ce cas… à la prochaine Miss Linaire ! lui répondit Joachim, tout en feignant de se diriger vers la sortie. Il chuchota à Ruben :

À trois, on se retourne et on fonce sur le premier couloir à droite du bureau de la miss, prêt ?

Euh, Jo', je ne sais pas. Peut-être qu'on devrait-

— Trois !


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