Extrait de l'article de Bernard Fall "Nouvelle Technologie et une Stratégie Familière au Viêt-Nam," publié le 28 Décembre 1966. |
Un combat désespéré avait éclaté de l’autre côté de la Place McNamara alors que je m’asseyais pour interviewer le général Roland. Même à cette distance nous pouvions entendre le cliquetis du feu des mitrailleuses s’éveiller avant d’être noyé par les batteries d’armes lourdes. Les obus d’artillerie explosant produisaient un écho à travers le matin brumeux, faisant trembler toutes les fenêtres du centre-ville de Saïgon mais échouant à déconcerter mon hôte à l’uniforme impeccable.
Le général Roland fait partie d’une nouvelle sorte de combattant américain, un vétéran de la Corée nommé pour superviser un des aspects les plus sensibles de l’escalade de l’intervention américaine voulue par Lyndon Johnson. Grand, il se tient avec un air brusque, presque exubérant ; son informalité de surface dissimule un esprit vif et une profonde croyance en l’inévitabilité de la victoire américaine – s’ils peuvent mettre la main sur les bons outils.
Nous nous sommes rencontrés pour discuter des soldats aux "Talents Spéciaux" dont les récents et spectaculaires débuts sont au centre de la nouvelle offensive de l’armée pour apporter une résolution à la guerre d’Indochine, vieille de 19 ans. Les combats actuels, un large raid Viêt-Cong sur les défenses extérieures de la ville, furent un contexte imprévu à cette rencontre mais le général a refusé d’être dissuadé par les percussives interruptions et a saisi une explosion particulièrement importante afin d’appuyer son propos.
"Tout ce que vous entendez là-bas," dit-il, faisant de grands signes vers les distantes explosions, "est à nous. Nos avions trouvent toutes les armes viets qui pénètrent autour de Saigon et les écrasent. Pendant ce temps, notre artillerie lourde a plus de puissance de feu par mile carré que n’importe quelle autre armée dans l’histoire. Nous avons une domination complète en matière d’armes sur le Viet Minh." Il fit une pause, tapotant des doigts sur le bureau. "Ce que nous n’avons pas c’est une façon certifiée de pourchasser les viets dans leurs trous et à travers la jungle. Enfin, jusqu’à maintenant."
La confiance du général n’était pas complètement convaincante. Les administrations précédentes ont fait des annonces similairement virulentes de percées similairement décisives. Il n’y a pas 2 ans, de grandes cuves d’auto-défoliant ultramoderne visant à détruire la dissimulation dans la jungle de l’ennemi avaient été déployées en énormes quantités afin de créer un "pare-feu" autour de la capitale vietnamienne. La bande de désolation résultante, 8 miles de large et presque 40 de long, porte le nom de Place McNamara en hommage équivoque à son créateur.
Une arme miracle encore plus ancienne promettait de mettre fin à la menace des complexes de tunnels du Viêt-Cong. Elle était faite en grande partie d’un ensemble de pieux spécialement construits qui, lorsque activés envoient de massives vagues de vibrations à travers le sol afin de faire s’effondrer toute excavation cachée. Le système s’est trouvé bien plus efficace à fendre les routes en béton sur lesquels dépendent les forces occidentales qu’à faire s’écrouler les profonds tunnels de l’ennemi.
Le général Roland, irrité, balaya les comparaisons aux expériences précédentes. "Tout ce dont vous avez parlé vient de la même période, de la même mentalité. Une mentalité défaillante que l’armée a laissé derrière elle."
"Aujourd’hui nos opérations sont gouvernées par notre mobilité, une mobilité dont l’ennemi manque totalement. 11 ans plus tôt, les français avaient 167 avions pour couvrir les besoins de toute l’Indochine. Aujourd’hui, nous envoyons autant d’avions sur une seule mission." dit-il, poursuivant. "Notre cavalerie aérienne répond aux incursions communistes avant qu’elles ne puissent se replier et les gars des Talents Spéciaux prédisent ces incursions de façon plus fiable que jamais."
Les détails concernant les unités des Talents Spéciaux ou Spectraux sont excessivement difficiles à trouver, mais n’importe quel vétéran de l’Indochine sait qu’en ne mentionnant seulement leurs fonctions dans le renseignement le général minimise grandement l’étendue de leurs activités sur le terrain. Nul doute que les hommes de la 388ème Compagnie Spéciale Indépendante ne reconnaîtraient pas le caractère de leur opération dans cette description limitée.
"Les Talents Spéciaux nous donnent une incroyable précision" Roland continua, "et ce que signifie cette précision pour le peuple du Viêt-Nam est sécurité, purement et simplement. Sécurité face à l’intimidation communiste, sécurité face à l’extorsion communiste…"
Lettre de Bernard Fall à sa femme, 11 Février 1967. |
Ma Dorothy bien-aimée,
C’est une toute nouvelle guerre, ici, un nouveau type de guerre, industriel et implacable. La machine de guerre américaine est devenue méconnaissable.
Dans la jungle, des femmes avec des griffes d’ours chassent les Viêt-Cong dans leurs propres tunnels pendant des heures avant de ressortir à la surface. Des commandos aériens en patrouille de recherche utilisent des armes qui calcifient leurs ennemis en un clin d’œil. Des villages suspectés d’offrir refuge à l’ennemi sont couverts de napalm qui s’amasse en une masse de feu capable de se déplacer et qui attend que les survivants quittent leurs couvertures pour reprendre vie et s’enflammer de nouveau.
Les déclarations de l'administration affirmant que ces "Talents Spéciaux" représentent une progression naturelle des sciences connues sont absolument fausses. Peut-être qu’aucune explication n’est possible pour ces choses.
Notre gouvernement a choisi de combattre les croyances de tout un peuple avec une violence incompréhensible parce qu’ils sont totalement incapables d’offrir la moindre alternative au communisme à part la pauvreté et la corruption. Partout le mépris absolu de la clique de Saigon pour le peuple du Viêt-Nam est clair.
Pendant 12 ans j’ai étudié les conflits du Viêt-Nam et écrit et averti. J’ai peur qu’il n’y ait rien de plus que je puisse faire ici, excepté revenir à la maison et dire au monde ce qu’ils ont fait. Je ne sais pas s’ils vont me le permettre.
Embrasse nos filles de ma part. Tu es tout pour moi. Je serais avec toi bientôt.
BF
Bernard Fall disparut le 21 février 1967, lors d’une patrouille en compagnie de marines dans la région ravagée du Viêt-Nam connue sous le nom de la "Rue sans joie." Le destin de sa dernière lettre est inconnu.