Les dernières choses que le Dr Darryl Loyd a faites, par ordre chronologique
Au sujet des problèmes architecturaux du Site 56
Quelques choses à ne pas oublier :
- La plupart des skips "puzzles physiques" ont été déplacés hors du Site 56. De ce que j'en sais, le restant n'est composé que de Sûrs inférieurs à Jaune.
- De ce que j'en sais, les seuls Keters à 56 sont 1055 (qui serait probablement écrasé sous l'Aile Sûr de toute façon), ce masque flippant (qui ne peut pas bouger tout seul de toute façon), SCP-871-128 (qui est trop au niveau du dessus pour être affecté par un scénario de Plan Incliné de toute façon), et SCP-████, dont les procédures de confinement ont besoin de l'architecture actuelle de toute façon.
- Un scénario de Plan Incliné nécessite [CENSURÉ]. Pour faire ça, il faut soit un qu'ensemble très spécifique d'éléments indépendants arrivent au même moment soit qu'un plieur de réalité malintentionné (et nous n'en avons pas au Site 56) avec des connaissances du fonctionnement interne du Site 56 déchaîne toutes ses capacités au point d'en mourir.
Étant donné ce que SCP-████ fait sans ƟU-2677 et son unité de confinement GGM associée, je n'ai pas de problème à repousser les rénovations jusqu'à ce que les huiles proposent de nouvelles procédures de confinement spéciales. On en finira avec ça une bonne fois pour toutes quand on y sera, Directeur Harper.
Jared ████████, Directeur de Maintenance
Objet # : SCP-2677-ARC |
Niveau 1/S56 |
Classe : Euclide/Archivé |
Classifié |
Procédures de Confinement Spéciales : Aucun individu n'est autorisé à entrer dans SCP-2677-ARC.
Description : SCP-2677-ARC est le tunnel de service situé entre l'Aile de Stockage d'Éléments de Haute Valeur et l'Aile de Confinement Humanoïde du Site 56. Les individus au courant de l'existence de SCP-2677-ARC sont soumis à un danger-info mineur par lequel ils désirent que personne n'entre dans SCP-2677-ARC.
Le Dr Darryl Loyd se réveilla en sursaut avec un halètement de douleur, comme d'habitude, dans une salle baignée de lumières rouges d'urgence et résonnant du beuglement des sirènes où la gravité semblait inclinée d'environ 30 degrés, ce qui n'était pas normal.
Okay. Inspirer, expirer. Ils l'avaient probablement collé dans une brèche de confinement sur la lune ou quelque chose du genre. Difficile de faire pire que la dernière fois, mais il espérait au moins quelques semaines de plus avant qu'un abruti lui écrase la tête comme de la pâte à modeler.
Pour le moment, le Dr Loyd était assis sur une chaise de bureau pas assez rembourrée dans un bureau complètement démoli, en face d'un (étrangement intact) écran d'ordinateur partagé entre de la documentation sur SCP-3428 et une partie perdue de démineur. Quelques babioles de bureau gisaient éclatées sur le sol, bien que la plupart des détritus semblaient avoir trouvé refuge dans le coin de la pièce. La majorité des décorations murales (principalement des photos encadrées de la famille qu'il devait avoir dans cette itération) avaient été délogées des murs par la chose qui avait causé ce bordel, quelle qu'elle soit. Somme toute, il était content de se dire qu'il mourrait probablement avant de devoir ranger tout ça.
Le Dr Loyd chercha son portefeuille dans sa poche avant de le laisser immédiatement lui échapper et tomber dans le coin. C'était pas sa journée.
"Salutations !"
Oh, les voix électroniques inattendues étaient toujours de bon augure. Le Dr Loyd se leva (± 30°) et regarda autour de lui dans la pièce. Avec un peu de chance ce ne serait qu'un robot tueur.
"Oh ! Juste ici, votre ordinateur ! Désolé, c'est mon premier déploiement, tout ça."
Le Dr Loyd regarda à nouveau son moniteur, qui avait été remplacé par une représentation cartoonesque du logo SCP. Toujours un bon présage, bien sûr, particulièrement pendant une brèche. "Oui… est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ?"
"Salut ! Je m'appelle Thêta-Ascélie 1730 !" Voilà un nom particulièrement convaincant. "Je suis une intelligence artificielle conçue par la Fondation dans le but exprès de gérer les effondrements infrastructurels à l'échelle d'un site. Bien évidemment, on dirait que vous avez souffert d'un scénario de Plan Incliné, coupant… attendez, est-ce c'est 738 qui a fait ça ? … Oh, ouille. Désolé pour vous, mon gars !" Soit cette chose était censée être sur son ordinateur soit elle ne l'était pas et le Dr Loyd n'était pas sûr de quelle perspective était la plus inquiétante. "Mais ne vous inquiétez pas ! Je suis là pour vous aider avec tout ça. Maintenant, je sais sûrement ce à quoi vous pensez-"
Oh doux Jésus, qui avait foutu une IA en charge de la sécurité du site ?
"-mais ne vous inquiétez pas, je ne suis pas HAL 9000 ! Non, j'ai été conçu pour adopter une approche centrée sur les individus de brèches de confinement comme… eh bien, c'est un peu un tour de chauffe pour moi ! Maintenant, euh," pour une chose dépourvue de visage et de cœur, les gens du R&D avaient fait des efforts notables pour rendre ce truc irritablement humain. "Okay, je charge quelques scans… vous êtes le Dr Darryl Loyd, c'est bien ça ? Chercheur Senior, actuellement assigné à SCP-1055. Je sais que c'est correct, mais est-ce que je parle à la bonne personne ?"
Ah, maintenant les souvenirs revenaient. "Yep, c'est moi." Il était sur '55 depuis quelques années maintenant, un gosse avec un ours bizarre. Le Dr Loyd n'avait pas l'ensemble juste là, mais il avait l'impression que '55 était quelque chose de… eh bien, malchanceux.
"Très bien alors !"
La dernière chose que vit jamais Darryl Loyd fut un danger-sensitif visiolétal de Classe 4.
Le Dr Darryl Loyd se réveilla en sursaut avec un halètement de douleur, comme d'habitude, dans une salle baignée de lumières rouges d'urgence et résonnant du beuglement des sirènes où la gravité semblait décalée d'environ 30 degrés, ce qui était douloureusement familier.
Cette fois, il garda une prise ferme sur son portefeuille assez longtemps pour en tirer sa carte de la Fondation, se retrouvant face à face avec sa propre image. Elle semblait assez normale. Numéro d'identification F-U03, Y00L1, accréditation de niveau trois, Département des Dangers-info. Il pourrait extrapoler le reste de sa mémoire rapidement recorrigée. Directeur de Recherche sur les dangers-info passifs tels que SCP-1160 et-
"Salutations !"
Le Dr Loyd cria de surprise, lâchant accidentellement sa carte à travers la salle.
"Oh zut ! Je suis teeellement désolé. Vous devriez… vous savez, sûrement aller récupérer ça. Je veux dire, je sais déjà qui vous êtes. Vous avez un visage assez reconnaissable, enfin, je veux dire, sans offense. Mais quand même, ce serait mieux que vous gardiez votre carte d’identification sur vous pendant un scénario de Plan Incliné."
Le Dr Loyd se retourna pour fixer le moniteur de l'ordinateur qui affichait actuellement un logo de la Fondation cartoonesque.
"Vous savez déjà ce que c'est, pas vrai ? Je vais sauter la partie explication, du coup. Alors, euh, est-ce que par hasard vous seriez le Dr Darryl Loyd ? Je veux dire, vous l'êtes, mais je dois vérifier. Au cas où je me serais trompé quelque part, tout ça."
Le Dr Darryl Loyd réfléchit longuement et fort à sa réponse.
"… non."
"… ah."
La dernière chose que vit jamais Darryl Loyd fut un danger-sensitif visiolétal de Classe 5.
Le Dr Loyd se réveilla, à nouveau, dans une pièce inclinée à un angle incorrect.
Le destin voulait probablement que Loyd lâche de nouveau sa carte, mais le destin pouvait aller se faire fister par SCP-2800 pour ce qu'il en avait à foutre. Les souvenirs lui reviendraient de toute façon. Ils revenaient toujours.
Le Dr Darryl Loyd, chercheur de niveau 3 travaillant pour le Département des Dangers-info. Son projet du moment était un essocinétique qui refusait de lâcher son ours en peluche pour une raison ou une autre, mais il connaissait trop bien tout ça pour envisager une mauvaise expertise ; s'il avait bien appris une chose du temps qu'il avait passé à la Fondation, c'était comment faire rentrer une tige ronde dans un trou carré. Dans tous les cas, le Dr Loyd était bon à ce qu'il faisait, avec une réputation de compétence et d'intégrité certaine.
Mais surtout, il était assez putain de sûr que cette réalité venait de le tuer déjà deux fois.
"Salutations !" Il n'était pas sûr de jamais pouvoir s'habituer à cette voix électronique grinçante. Pour l'instant, c'était mieux de l'ignorer.
Juste grâce à la chance de Loyd, la porte de son bureau (qui semblait s'ouvrir vers l'intérieur) se trouvait au sommet de la pente inclinée. Il aurait pu essayer de s'agripper à la moquette du bureau pour arriver là-haut, mais si c'était sa corde de sécurité pour sortir d'une brèche de confinement de cette gravité il aurait aussi bien pu essayer une autre vie.
Le Dr Loyd se retourna vers son ordinateur en soupirant. "Ouais, je comprends. Thêta-Ascélie 1730, quelque chose à propos d'un plan incliné, bla bla bla, est-ce que tu peux juste sauter à la partie où tu me tues ?"
"Bizarre comme requête, mais ok !"
La dernière chose que vit jamais Darryl Loyd fut un danger-sensitif visiolétal de Classe 4.
Vous savez, une personne normale aurait adoré se réveiller soudainement après une mort aussi abrupte et humiliante.
Le Dr Loyd hurla presque de frustration en se retrouvant à nouveau dans le bureau incliné. Non, bien sûr qu'il ne s'attendait pas à ce que ça marche, mais est-ce que la réalité ne pouvait pas lui laisser une petite ouverture de temps à autre ? Nom de dieu, qu'est-ce qu'ils voulaient même qu'il fasse ici ? Quoi que ce soit ? Peu importe. L'existence était sa maîtresse absurde et, qu'elle veuille qu'il reste dans ce bureau ou non, elle le traiterait certainement mieux en dehors.
Loyd commença donc à grimper vers la porte de son bureau.
"Salutations !" Loyd décida d'ignorer 1730 cette fois. "Où est-ce que vous allez ? Vous ne savez pas que c'est dangereux de sortir pendant une brèche ?"
"Qu'est-ce que ça peut bien foutre ?" Les meubles de bureau desquels Loyd s'aidait dans sa montée étaient heureusement rivés au sol. "Si je reste ici, tu vas juste me tuer."
"Mais bien sûr que je vais vous tuer ! La procédure standard dit que je dois tuer les chercheurs assignés à SCP-1055 s'il meurt dans ce site. Vous n'avez même pas lu le manuel ?"
Techniquement il l'avait fait et pas fait à la fois, mais il n'avait pas l'intention d'expliquer sa détresse existentielle à une AI maniaque de contrôle. Il ne tarda de toute façon plus à atteindre la porte, qu'il ouvrit sans trop de difficultés.
La porte s'ouvrit sur un couloir normal, éclairé et incliné de la même manière que son bureau. Il n'y avait personne dans les couloirs, bien sûr, à part le Dr Loyd et une Classe-D avec un-
La dernière chose que sentit jamais Darryl Loyd fut un extincteur lui éclatant le crâne.
Darryl Loyd n'était pas un homme très curieux de nature ; il aurait ajouté qu'il ne l'avait jamais été, mais il n'était pas parfaitement sûr de ce qu'il avait réellement vécu de sa vie. Oh, enfin, il était (normalement) chercheur, et ils étaient assez curieux de tout ce qui touchait la science. Après tout, c'est ce que font les chercheurs : la recherche. Mais quand ça en arrivait aux questions métaphysiques qui empoisonnaient son esprit, comme "est-ce que je suis moi, ou juste un tas de mes cellules ?", "comment quelqu'un peut être moralement bon dans une existence où le seul sens de l'univers est celui qu'on lui donne ?" ou "qui m'a créé et comment je peux demander un remboursement ?", Darryl Loyd préférait ne pas penser trop fort.
Mais bon dieu, qu'il soit pendu si "pourquoi est-ce que je continue à me réveiller dans la même pièce" n'était pas en tête de cette foutue liste.
Dans tous les cas, l'existence ne pourrait pas le garder là pour toujours.
Loyd chercha quelque chose avec lequel il aurait pu se défendre correctement dans son bureau. Il n'avait pas son arme avec lui pour une raison ou une autre, mais il n'en aurait pas besoin s'il faisait ça bien. Non, une agrafeuse était trop encombrante pour matraquer quelqu'un avec. Qu'est-ce qu'il ferait avec un ouvre-lettres de toute façon ? Non, pas une petite lampe de poche non plus. Un porte-scotch lesté ? Et puis merde, il aurait l'avantage de la surprise dans tous les cas.
Loyd ouvrit la porte à la volée et chargea la Classe-D qui attendait dehors, finissant rapidement au sol d'un coup bien préparé d'extincteur.
La dernière chose que vit jamais Darryl Loyd fut une femme à moitié cinglée de 1 m 90 lui martelant le visage.
Vous savez, c'était vraiment dommage que Alice in Spiderland n'ait jamais publié d'album après 2017.
Il n'aurait probablement pas dû écouter de la vieille musique pendant une brèche de confinement, bien sûr, mais que faire d'autre ? Son ordinateur essayait de le tuer, tout comme la Classe-D cachée devant sa porte. Il semblait évident qu'une force primordiale quelconque qui gouvernait cet univers ne voulait pas qu'une combinaison spécifique d'atomes sorte d'un plan incliné d'une douzaine de mètres carrés. Pourquoi alors ne pas écouter les voix suaves de Wayne Szalinski, des Hydrocide Sisters ou d'Astrochasm, compagnons d'armes dans un combat désespéré contre le destin qui se conclut toujours par une fin prématurée ?
Et il n'y avait donc pas grand-chose d'autre à faire qu'attendre. Ils ne pouvaient pas le garder là-dedans, bien sûr. La Classe-D finirait par devoir mourir, la sécurité viendrait le sauver et la brèche se terminerait. Et hé, s'il était vraiment coincé dans une boucle façon jour de la marmotte, peut-être qu'elle se briserait s'il sortait d'ici.
Et sérieusement, un danger sens' visuel ? Il lui suffisait de se détourner de l'écran juste là. ƟU-1730 n'avait pas de corps et il savait qu'il était trop à chier pour émettre un audio-létal, sans quoi il l'aurait déjà fait.
Loyd était à la moitié d'Electric Ladyland quand il entendit deux tirs suivis du bruit d'un corps s'effondrant au sol (?). La porte de son bureau explosa, révélant la silhouette en armure d'un agent de sécurité. Loyd aurait pu être plus enthousiaste si cet enchaînement d'événements n'avait pas pour conclusion logique un homme lourdement équipé pointant un pistolet sur lui.
"Les mains là où je peux-" Les mains du Dr Loyd étaient déjà en l'air quand l'agent s'interrompit de lui-même. "… Dr Loyd ?"
Loyd regarda tour à tour l'agent et le cadavre dont le sang commençait à dégouliner dans son bureau. "… c'est moi, oui."
La dernière chose qu'entendit jamais Darryl Loyd fut la détonation d'un Colt 1911.
"Je sais que vous êtes là."
La force que quelqu'un devait déployer pour rester debout contre la ligne adjacente d'un angle droit incliné n'était pas une interrogation physique à laquelle il se serait jamais attendu à devoir répondre. Dans tous les cas, il était arrivé à court d'idées pour réussir son escape game alors il pouvait aussi bien essayer le Pouvoir de l'Amitié™.
Pendant quelques secondes, il réfléchit au fait qu'il était littéralement et figurativement en train de pousser un mur, jusqu'à ce qu'une voix rauque réponde. "Ouais, on est deux. Qu'est-ce qui vous a permis de deviner, la respiration ?"
"C'est compliqué. Je suppose que vous comptez me tuer dès que je sortirai."
"Non, non, j'attends juste ici avec du lait et des cookies de ma grand-mère. Ouais, non, glissez-moi votre mignonne petite carte et on est bons."
Elle était honnête, au moins. "Et, dites-moi : qu'est-ce que vos comptez faire avec ma carte ? Est-ce que vous pensez pouvoir arracher mes empreintes digitales pour les coller sur les scanners biométriques ? Peut-être que j'ai écrit mes mots de passe dessus aussi, pour m'en rappeler quand j'oublie tout à un coup une fois arrivé à la porte. Ou peut-être que vous êtes une sorte de pro du déguisement, capable de rétrécir de quelques centimètres et de vous faire pousser un pénis à volonté."
"Huit ans trop tard pour ça, malheureusement, mais je peux me débrouiller. Bon dieu, je suis arrivée jusqu'ici."
"Bien sûr." Cette femme était une bonne raison de réinstaurer l'élimination mensuelle à elle seule. "Je ne veux pas plus mourir que vous, et je veux encore moins vous tuer. Est-ce que vous pensez que vous pourriez être adorable et-"
La Classe-D eut un rire aigu, comme une sorcière sur le point de brûler, qui aurait terrifié un homme vivant une existence moins absurde. "Oh, bien sûr, ouais, vous voulez pas me tuer. Putain, tout ce foutu endroit est juste une maison hantée et je me suis pas battue pour ma vie pendant deux putain d'années pour me faire niquer de nulle part. Bordel, j'ai pas sucé des queues de vigiles pour le fun."
C'était… eh bien, il n'avait jamais entendu ça avant. "Vous… est-ce que vous voulez des excuses ? Très bien. Je suis désolé de vous avoir soumise à des horreurs innommables au prix d'une vie en prison pour des crimes que vous méritiez probablement de-"
"Va te faire foutre aussi, trou du cul ! Tu crois que j'ai choisi d'être une criminelle ?! Tu crois que j'aime ça ?! Eh ben non, putain de merde !" La Classe-D frappa la porte de son poing, ou du moins c'est ce que suggéra le son produit. "J'aurais pu être mariée, putain ! Je-"
La physique avait l'habitude de niquer les moments d'émotion, tout comme elle avait l'habitude de briser les portes quand elles sont trop sollicitées. Loyd eut de la chance (?) qu'elle ne lui brise pas le crâne quand il tomba en arrière sur le cul alors que la femme atterrissait sur ses genoux, lui broyant les jambes.
Loyd pouvait mieux la voir à présent et elle était au moins aussi débraillée qu'il s'en souvenait voire pire. Sa peau et sa combinaison étaient couvertes d'égratignures et d'éclats au point que sa plaque d'identification en était à peine visible ; ça n'aidait pas non plus que l'ensemble couvre un corps presque aussi raide et maigre que les cheveux sur sa tête. Loyd n'était pas certain si les cercles autour de ses yeux étaient censés être du maquillage de prison ou si elle était juste aussi à bout que ça, mais ça ne jouait pas en sa faveur dans un cas comme dans l'autre.
D-952 cligna des yeux avant d'exploser en un autre éclat de rire. "Et merde, eh ben ça a un peu niqué l'ambiance, pas vrai ? Tirons-nous juste d'ici maintenant."
"Pourquoi est-ce que vous ne m'avez pas tué ?"
D-952 regarda à nouveau Loyd, ratant presque une foulée de sa démarche précautionneuse dans le couloir penché. "J'étais censée te tuer ? Nan, mec, je voulais juste ta carte. Je prévoyais juste de te cogner un coup avec l'extincteur et puis de la prendre une fois que tu serais HS."
"Ça m'aurait sûrement tué."
Eh bien, voilà où en était donc l'estimé Dr Darryl Loyd, la légende immortelle, chercheur réputé de la Fondation SCP, réduit à escorter une cinglée violente dans les locaux retournés du Site 56. Que penserait le comité de dissertation avant qu'il obtienne son doctorat, en supposant qu'il avait effectivement existé pour ce souvenir ? Comment ses employeurs, les derniers, meilleurs espoirs de l'humanité (erk), suivraient-ils sa chute finale, avant et après qu'ils lui collent une balle dans la tête ? Qui sait. La vie ne prend jamais le chemin qu'on pense.
Dans tous les cas, 952 haussa les épaules. "Hé, peut-être. Mais nan, j'ai jamais tué que genre… trois personnes." 952 se retourna vers Loyd avec un sourire complice mais, si elle essayait de sous-entendre quelque chose, Loyd ne saisit pas. "Et genre, au moins une d'entre elles le méritait."
"Charmant, vraiment." Loyd préférait presque quand 952 essayait de l'assassiner. Ses émotions étaient cohérentes au moins.
D'après ses souvenirs, le couloir était situé juste en dehors de l'aile de stockage des objets anormaux de haute valeur, ce qui signifiait que la sécurité serait un peu plus importante. Dieu savait comment 952 était arrivée là sans se faire descendre, mais ils ne remettraient pas les pieds dans cette aile s'ils arrivaient vraiment à sortir.
Si. Le Dr Loyd n'était pas fan de l'idée d'aider une Classe-D à s'échapper, mais l'option "tirer à vue" était quelque peu entravée par l'observation "D-952 est plus grande et plus forte que moi".
Mais Loyd digressait. Un scanner biométrique à empreintes digitales était placé à chaque extrémité du couloir, une mesure utile tant qu'il n'y avait pas besoin de confiner des changeformes (ils étaient à l'étage du dessous). Un de ces écrans intelligents dernier cri, connectés à une chambre chinoise quelconque (une expression qu'il connaissait visiblement dans cette itération) que le Directeur Harper avait installée dans 56, traitait instantanément votre empreinte de pouce et annonçait à la porte si elle avait ou non la permission de s'ouvrir. Bien sûr, pour avoir une sortie analogue, il fallait passer par le tunnel de service. Loyd ne voulait pas entrer dans le tunnel de service. Personne ne voulait entrer dans le tunnel de service.
L'imbécile impulsive avec laquelle Loyd était coincé poussait déjà sur la porte au moment où il la rejoignit. Peu importe. En baissant les yeux vers l'écran-
La dernière chose que vit jamais Darryl Loyd fut un danger-sensitif visiolétal de Classe 4.
"Salu-"
La clavier de Darryl Loyd fut envoyé valser dans le moniteur de l'ordinateur de Darryl Loyd. Il fut suivi de la chaise de Darryl Loyd, lancée contre les murs du bureau de Darryl Loyd, puis par les fournitures de bureau de Darryl Loyd brisées entre les mains de Darryl Loyd et aboutissant enfin sur le corps de Darryl Loyd se jetant sur le bureau de Darryl Loyd.
La dernière chose que fit jamais Darryl Loyd fut de se rouler en boule et d'attendre la mort, qui arriva sous la forme d'une balle dans la tête.
Loyd était assis contre le mur opposé. Ce n'était pas une façon idéale de passer son absurde éternité, bien entendu, mais il avait passé les dernières quelques dizaines d'itérations contre les trois autres murs et avait besoin de changer un peu avant de devenir complètement fou.
Il s'était toujours demandé quand le sable finirait enfin par filtrer à travers le tamis et le garder dans sa propre éternité personnelle. Il ne pouvait pas mourir pour toujours, il le savait ; au final, l'existence, cette impitoyable bête qui comptait en T alors que les univers comptaient en X, devrait bien pointer le bout de son horrible nez et il cesserait d'exister de façon cohérente. Peut-être que c'était sa fin : une éternité de mort dans un tombeau de lumières rouges et de sirènes.
Il restait toujours la possibilité qu'il imagine tout ça. Que ce soit une sorte de cauchemar tordu et qu'il allait se réveiller sous la forme d'un enfant appelant ses parents. Peut-être qu'il n'était jamais mort et que c'était une sorte de mémétique tordu libéré par un scientifique négligent. Peut-être était-il en enfer, prenant la forme d'une bête humaine écrasée sous le poids d'une vie entière d'abus, le tout canalisé en une seule et atroce expérience. Il ne pensait pas être un monstre qui méritait un tel sort, mais il n'était pas dans la meilleure position pour en juger après tout.
Loyd regarda son téléphone. Une tablette horrible fournie par son employeur, première en technologie et dernière en humanité. Connexion aux bases de données internes, communications Scipnet, même un tout petit lecteur de musique pour quand il voulait un éclat de couleur dans sa prison aussi noire et blanche qu'un dessin animé. Une des rares choses qui le maintenait sain d'esprit d'un cycle à l'autre.
La musique. Si éphémère par nature. Quelques minutes d'un morceau, chacune portant une joie, un désespoir, un chagrin, quelque chose qui valait la putain de peine d'être relevé, qui avait une fin définitive. Ou peut-être que c'était juste son propre goût, mais bon dieu, c'était vrai pour lui ! Un morceau joué quand il devait l'être et qui n'avait pas besoin de se changer à jamais en farce ouroborique.
Cette préférence s'étendait probablement à ses artistes préférés. Des gens en avance sur leur temps, qui ne restaient jamais assez longtemps pour atteindre celui où ils étaient. Qui ne voyaient jamais leur réception mais brûlaient comme un feu de camp et disparaissaient. Jimi Hendrix, Wayne Szalinski, les Hydrocide Sisters, putain, même Syd Barrett si vous voulez le compter.
Peut-être qu'il aimait juste le rock expérimental.
Voyons… il avait passé les quelques dernières itérations à écouter Black Mirror en boucle. Avant ça, c'était une triple dose de Hendrix. Et puis… et merde, ça faisait un moment qu'il n'avait plus écouté Tar Pits and the People Who Drink Them.
Alors que "Cats in Plaid" commençait à s'évanouir, Darryl Loyd ferma les yeux et ne pensa plus à rien.
"… putain, est-ce que c'est Hydrocide ?"
Est-ce qu'elle était toujours là-dehors ? "Oui. Ça l'est."
De toutes les choses qui le gardaient dans ce foutu site, elle. ƟU-1730 était embêtant bien sûr, mais il faisait juste son job. Le garde qui venait toutes les trois heures et demie pour le tuer parlait rarement et le faisait vite. Mais elle. Cette putain de Classe-D qui attendait pour lui éclater la gueule et lui voler une carte qu'elle ne pouvait même pas utiliser. Cette tarée qui réduisait ses options d'une façon qu'il la savait à peu près incapable de comprendre elle-même. Elle.
"Cool. Elles étaient vraiment pas mal, ouais. Je veux dire, merde, je connaissais la bassiste."
… il ne s'attendait pas à ça, évidemment. "… vous quoi ?"
"Oh, merde, ouais, j'étais dans un groupe avec elle. Je veux dire, pas Hydrocide en particulier, mais un truc assez proche. Moins punk, plus math."
Le Dr Darryl Loyd était un homme qui ne pouvait pas arrêter de mourir et renaître, travaillant pour une organisation "scientifique" fermement décidée à tordre la réalité dans dieu sait quel sens qu'elle jugeait plus "normal". Il avait vu des dieux et des démons, des statues mouvantes et des bébés-cloportes, des chandeliers qui tuaient des hommes et des médecins de peste qui les ramenaient. Mais pour une raison ou une autre c'était ça à quoi il avait du mal à croire.
"… intéressant." Mais il aurait menti en disant qu'il n'était pas intéressé de savoir où tout ceci menait.
La boucle temporelle était toujours insupportable, bien sûr. Mais c'était mieux avec de la compagnie.
C'était incroyable ce qu'on pouvait apprendre en tranches de 3 heures avec les bonnes questions et réponses. Loyd était assez sûr de savoir tout ce qu'il avait jamais voulu savoir sur les tentacules, le tambour, la logistique des chambres à coucher pour 4 personnes et niquer la presse depuis l'itération 2. 952 était un cas d'étude entier à elle seule sur comment ne pas vivre sa vie — ou comment la vivre à son plein potentiel, à choix. Que ce qu'elle avait dit ait dû être soit faux soit exagéré n'importait pas vraiment en ce moment ; après tout, de quoi sa propre vie Loyd pouvait-il raisonnablement être certain ?
Et bon dieu, la possibilité de parler enfin de sa vie sans s'empêtrer dans des conflits d'accréditation ! Même si elle ne s'en rappelait pas d'une itération à l'autre, chaque mot formulé était comme un fardeau en moins sur son âme. Il pouvait enfin se plaindre réellement des choses qu'il avait vues, avait été forcé de faire, les choses qui perdaient tout sens alors que ses itérations étaient étouffées et remplacées…
… et toutes les cent-huit minutes, un agent venait pour tirer sur D-952, toujours deux fois, puis sur Loyd, toujours une seule. Et il redevenait un étranger dans le noir, la cheville rigide dans son trou rigide.
La dernière chose que pensa jamais Darryl Loyd ne fut que ça.
À l'itération 5, le Dr Loyd était certain que l'effet de nouveauté s'effacerait avec le temps. C'est ce que faisait toujours la nouveauté.
Ses mouvements auraient aussi bien pu relever de la mémoire musculaire au point où il en était : éteindre le moniteur, grimper jusqu'à la porte, passer les Hydrocide Sisters et parler de tout et n'importe quoi avec une femme qui venait de le rencontrer. Tantôt cracher sur le Directeur Harper ensemble, tantôt discuter des échecs de la musique commerciale, tout ce qui leur passait par la tête. L'existence était ce qu'elle était.
Cette itération commença avec un truc débile, parce que ça pouvait aussi bien. Sûrement quelque chose à propos des nanards slashers, autour de l'industrie de l'horreur et ses clichés. De là, ils parlèrent des espaces liminaux, des horreurs de l'inconnu et des labyrinthes.
Bien entendu, ils finirent par en arriver à parler du tunnel de service. Il ne semblait pas plus important que quoi que ce soit d'autre sur le moment. En tout cas, ça commença assez simplement.
"Ce site ? Un labyrinthe complet. J'espère vraiment que les architectes impliqués ont été virés pour leurs infractions. Tu peux même pas sortir de cette aile sans électricité."
Loyd et 952 se souciaient rarement d'ouvrir la porte entre eux ; il y avait une sorte d'accord tacite come quoi ils s'entretueraient par légitime défense contre la légitime défense de l'autre (Loyd apprenait à penser en boucles et elles avaient rarement beaucoup de sens).
"Vraiment ? Merde, et cette porte analogue à côté de la sortie ? Ça a l'air vraiment pratique quand même, je pourrais p't'être même la faire sauter de ses gonds. Je veux dire, c'est quoi le problème avec ? Les termites ? Putain, mec, faut juste foncer dedans."
S'il n'avait pas déjà pensé à ça. Il y avait deux façons de quitter la boucle fermée de l'aile de stockage et l'une d'elles était bloquée par une IA qui faisait du zèle. L'autre… eh bien, il ne voulait pas entrer dans le tunnel de service. Personne ne le voulait et personne ne lui avait jamais dit pourquoi, même pas dans ses faux souvenirs. Enfin, il savait le quoi : 2677-ARC était à peu près aussi détesté que toutes les horreurs qu'ils gardaient sous le site lui-même. Mais quant au pourquoi, au comment, au si/et…
Pourquoi voulait-elle y entrer ? Qu'est-ce qu'il pouvait bien y avoir pour elle là-bas ? Pour… lui ?
"C'est le tunnel de service. Je te conseille pas d'y entrer."
"… eh ben merde, maintenant j'ai plus envie d'entrer là-dedans d'un coup. Merci mec. Fallait vraiment éviter ce plan, hein."
… attendez un instant.
La dernière chose que dit jamais Darryl Loyd ne fut pas vraiment articulée, étouffée par son propre rire alors qu'il se levait, se retournait vers son moniteur et mourait d'un danger-sensitif visiolétal de Classe 4.
La première chose que fit Darryl Loyd au début des deux cycles suivants fut de fracasser ses haut-parleurs, se boucher les oreilles et planifier.
SCP-2677-ARC. Ce putain de truc. Un danger-info actif confiné dans le labyrinthe qu'était le Site 56, un autre obstacle pour les déplacements des gens qui travaillaient ici. Il avait forcé la Fondation à refaire la quasi-totalité des canalisations et de l'électricité du site. Et par-dessus tout, restait juste là, sans rien faire.
Mais c'était un danger-info, et les dangers-info ont des règles.
Est-ce que Loyd avait beaucoup de matière de travail ? Non. Quelques dossiers sur son ordinateur de travail, peut-être, mais il était actuellement déjà utilisé pour essayer de le tuer. Il avait un peu de paperasse, mais la plupart parlait de 1160 et parfois de 1055. Il aurait pu accéder à l'entrée depuis sa tablette, bien sûr, mais la documentation était éparse à cause de l'archivage.
Mais il pouvait remplir les trous.
Il y avait des règles qu'il connaissait déjà, bien sûr : le tunnel partait des bureaux de l'Aile de Stockage et débouchait dans la zone de confinement de l'Aile des Humanoïdes. La porte n'était pas scellée électriquement et maintenue en place par l'anomalie seule. Et, bien entendu, si vous connaissiez son existence, vous ne vouliez voir ni vous ni qui que ce soit d'autre y entrer.
Les deux premières révélations vinrent de 952, bénis soient son cœur stupide et son vocabulaire vulgaire.
- Il semblait évident que, si vous ne saviez pas que la porte menait à un tunnel de service, vous n'étiez pas affecté par l'anomalie.
- La terminologie était toujours "entrer". Pas "utiliser", "passer par" ni même un synonyme de "entrer", mais bien toujours le mot "entrer".
De là, on pouvait un peu extrapoler. Parce que ce n'était une aversion qu'à entrer, c'était possible de vouloir utiliser le tunnel. Si quelqu'un devait y entrer avant de voir ce qu'il y avait dedans, il serait effectivement immunisé à l'anomalie jusqu'à l'avoir quitté. "Entrer" en tant que mot avait un peu trop de nuances pour que certaines circonstances s'appliquent. Plus important encore : les dangers-info étant entièrement mentaux, les approximations sémantiques et jeux de mots pouvaient agir comme perturbateurs.
Pour la première fois depuis qu'O5-7 lui avait logé une balle dans la tête, le Dr Loyd n'était pas piégé par le destin. C'était le destin qui était piégé par lui… et il n'en avait rien à battre d'à quel point ça sonnait cliché, bon dieu.
Le plan était simple :
- Comme d'habitude, Darryl Loyd se réveillerait dans son bureau. Il éteindrait le foutu moniteur, débrancherait les haut-parleurs et ferait sa routine habituelle avec 952. Il l'avait cernée, maintenant : jouer le mec sympa, la laisser se vider un peu, tout ça.
- Ensuite, il la convaincrait qu'elle avait besoin de son aide pour passer les scanners biométriques. Ça ne marcherait pas, bien sûr, mais ce n'était pas le but. Il avait besoin qu'elle se rapproche suffisamment du tunnel de service pour que ce ne soit plus un problème.
- Loyd lui dirait d'ouvrir la porte du tunnel ; pas "entrer", juste "ouvrir". Même si 952 pourrait techniquement supposer que "ouvrir" voulait dire "entrer", elle ne réaliserait pas que c'était un tunnel de service sur le moment.
- Loyd avait l'effet de surprise pour lui, tout ce dont il avait besoin était de lui donner une petite poussée.
- Il y avait un hic, bien sûr : est-ce qu'elle n'y entrerait techniquement pas ? La réponse était non, pas sémantiquement. Entrer, c'est quelque chose que vous faites ; être poussé dans un tunnel de service, c'est quelque chose qui vous arrive. C'était couper les cheveux en quatre, bien sûr, mais couper les cheveux en quatre dans l'espace de largeur sémantique d'un danger-info.
- Le second hic était plus flagrant dans la pratique : il avait prévu que 952 le tire dans le tunnel (encore une fois, pas "entrer"). Mais il se trouvait qu'une Classe-D à l'humeur variable qui avait envie de vous tuer il n'y pas une heure n'aimait pas être poussée touchée. Vous deviez le faire lentement avec un objet, ou vous finissiez avec un nez cassé et pire. Puis, une fois qu'elle n'est plus énervée, vous deviez simuler un spasme musculaire pour qu'elle vous attire dans le tunnel.
Il lui fallut trois itérations pour le faire correctement mais, quand il y arriva, ça aurait aussi bien pu être Halloween en septembre.
Heureusement, rien ne voulant entrer dans le tunnel, il n'y avait rien
dans le tunnel à part eux. Peeeeeersonne d'autre. Aucune IA sirupeuse pour les sensibuter, aucun "vigile" pour leur faire sauter la boîte crânienne, juste deux rejetés marchant vers un futur incertain.
952 fut la première à parler. "… tu sais, tu as l'air plus plat que j'aurais cru."
"Vraiment ? Et à quoi tu t'attendais, Professeur Frink ?" Les apparences avaient rarement le moindre sens par les temps qui couraient, quand toute une histoire lui avait été fabriquée sur mesure sur une base hebdomadaire. Sortir de la masse n'apportait pas grand-chose non plus quand vous ne faisiez que suivre le courant. Une existence un peu ennuyeuse, bien sûr, mais il existait et c'était déjà ça.
"Un peu plus vif ou genre des cheveux au moins un peu plus marrants. Je veux dire merde, toi et Hydrocide ? Tu ressembles à un PNJ dans un jeu sur les comptables."
"Je dois avoir un sacré mauvaise sens de l'orientation professionnelle pour avoir fini par bosser à la Fondation, alors." Et puis sur quelle distance s'étirait ce tunnel ? Le Site 56 ne pouvait pas être si grand. "Si ça t'a échappé, les "gens normaux" ne travaillent pas ici. Tout le monde a quelques "sympathiques" excentricités enveloppées dans un paquet de problèmes familiaux et de sociopathie acquise."
"Je veux dire, peut-être, ouais." 952 haussa les épaules. "Mais je connais pas beaucoup de non-punks qui écoutent Hydrocide. Enfin, si, mais c'est toutes des lesbiennes de Staten Island."
Cette scène. C'était presque absurde, vraiment. Deux personnes incroyablement imparfaites sinuant dans un tunnel obscur, se débattant pour garder l'équilibre sur leur chemin. Ça aurait fait un bon film d'horreur ; pas un de ces slashers qui se prenaient pour de l'horreur, non, mais de la vraie horreur, le genre qui jouait sur vos propres peurs existantes. Mais non : ils étaient là, parlant d'un groupe qui n'avait jamais sorti qu'un seul album et du genre de gens qui l'écoutaient. Par le passé, Loyd aurait pu décrire des moments comme celui-ci comme brefs et hautement inutiles.
"Et comment tu sais que je ne suis pas un punk sur mon temps libre ?" Il ne l'était pas, mais ce n'était pas ce qu'il cherchait à souligner.
"Je veux dire, évidemment beaucoup de gens le sont pas. Mais genre… eh, peut-être. Je sais pas. J'ai l'impression que t'aimes pas le job que t'as choisi."
"Vraiment ?" Le Dr Loyd réprima un sourire. "Je vais pas te mentir, les allocs gratuites ont leurs avantages. J'ai presque fini de payer pour mes études, aussi. Mais je pense que tu accordes un peu trop d'importance à mon métier."
"Sérieusement, mec ? C'est pour ça que t'as pris le boulot ?" Contre toute logique, D-952 prit son temps pour s'arrêter, regarder à nouveau Loyd et lui décocher un sourire asymétrique. "T'es, putain, genre… mec, ça se voit que t'es intelligent. T'as un "Dr" sur ton badge et toutes ces conneries. Genre… mec, tu pourrais faire tout ce que tu veux juste là, merde. Pourquoi ça ?"
Qui savait pourquoi il l'avait choisi. Peut-être qu'il ne l'avait pas fait. Peut-être que le destin l'avait choisi pour lui. L'idée qu'il vivrait jamais sa propre vie était si difficile à croire après avoir été éclaté dans… combien d'itérations ça faisait qu'il n'avait pas vraiment été une personne maintenant ? Pas juste un psychologue assigné à un oiseau à céréales mais un employé d'une aile différente de la même institution ? Toujours dans le coin pour se faire tuer par un truc horrible, juste pour être rejeté en arrière dans le même puzzle digne de saw.
"… ça m'est tombé dessus tout cuit. Alors j'ai juste… je l'ai juste fait." Qu'est-ce qu'il y avait d'autre à faire, après tout ? "C'est pas si important, ce que je fais. Tout le monde est un rouage dans la machine de quelqu'un, et chaque machine doit bien finir par rouiller. Rien de ce que font les humains ne compte vraiment, tout ça."
952 resta silencieuse quelques secondes avant de glousser. Pas le rire de sorcière d'avant mais plus comme quelqu'un qui se rappelle d'une blague idiote de la veille. "Bien sûr, ouais, rien ne compte. Mais faut bien que tu trouves un sens à tout ça quelque part."
Le duo resta silencieux pendant le reste du trajet dans le tunnel.
Il s'avéra que, si "entrer" dans l'aile des humanoïdes par le tunnel était impossible, "en sortir" ne l'était pas. Bon dieu, Loyd haïssait les dangers-info.
L'aile des humanoïdes était, bien sûr, un immense bordel, comme les ailes de confinement pour humanoïdes le devenaient d'habitude pendant les brèches. Juste derrière la porte et devant eux deux se tenaient deux squelettes fraîchement humides que Loyd ne pouvait que supposer être reliés au bruit de clapotis mouillé. Ce n'était pas comme s'ils avaient juste été lancés là, par contre ; celui ou celle qui avait laissé ça avait bien fait attention à ce qu'ils ne dévalent pas la pente du sol incliné. Ils avaient aussi bien pris soin d'éclater la plupart des lumières d'urgence. Loyd était assez sûr de pouvoir entendre des conversations plus bas dans le couloir (à demi étouffées par le clapotis), mais elles semblaient joviales, légères et animées, trois mots qu'il n'aurait probablement pas utilisés pour décrire une brèche de confinement à l'échelle d'un site. Les choses ne feraient qu'empirer à partir de là.
… non, elles n'empireraient pas, parce qu'il y avait un "là" et que ce n'était pas son foutu bureau pour une fois.
La pente devenait de moins en moins inclinée à mesure que tous deux descendaient dans l'obscurité, certains que-
La dernière chose que sentit jamais Darryl Loyd fut quelque chose de grand le saisissant alors que son crâne s'ouvrait en deux.
Deuxième chance. Lampe de poche d'urgence du bureau.
Ok, ne
pas oublier de se servir de la lampe de poche.
Le Dr Loyd balaya le bas du couloir du faisceau lumineux et regretta presque sa décision.
Il y avait une conversation en cours, bien sûr, mais l'ensemble de ceux qui y prenaient part était affreux. Des trois, il reconnut Iris comme la seule "humaine", jouait avec une tablette de la Fondation qu'elle avait probablement volée. À côté d'elle se tenait un garde de sécurité portant un masque goudronneux, bien que Loyd en arrive à se demander si ce n'était pas l'inverse. Tous deux discutaient alors que la dernière silhouette, la brute orgesque connue sous le nom de Fernand, suçait la peau d'un garde de sécurité mort comme une langouste humaine.
Pire, tous trois se retournèrent soudainement pour faire face à Loyd et 952 au moment exact où le Dr Loyd réalisaient à quel point ils étaient mal.
82 fut le premier à parler, d'une voix assez horrible pour faire se recroqueviller des forêts et à travers des dents assez pointues pour trancher dans du bois de charpente :
"Veronica ! Où t'étais ?!"
Loyd grinça des dents quand 82 s'avança vers 952 (il ne devait vraiment pas mélanger les numéros), l'attrapant pour la serrer contre lui d'un geste ample qui aurait dû lui broyer le dos d'une façon ou d'une autre alors que les secondes s'écoulaient non pas en temps mais en période qu'il restait avant qu'il dévore l'un d'eux. "Oh, ta compagnie me manque !"
Alors que 952 couinait de panique apparente, les compagnons de 82 réagissaient à peine. Iris trouva
même opportun de faire une photo de Loyd, qu'elle transforma en une boule verte duveteuse.
Pourquoi il ne pouvait pas travailler à un endroit normal ?
"Ça faisait des siècles depuis la dernière fois qu'ils t'ont envoyée pour le dîner ! Dis-moi, comment ça va ?! Est-ce que mon entourage royal t'a bien traitée ?!" Loyd retira tout ce qu'il pensait sur la voix de 952. C'était bien pire. "Oh ma parole !" Loyd relâcha son souffle qu'il n'avait même pas remarqué avoir retenu jusque-là quand 82 lâcha enfin 952.
"Tu as apporté des amis !"
La dernière chose que sentit jamais Darryl Loyd fut l'intérieur de la bouche d'un ogre.
Cette fois, 952 tint la lampe de poche pendant que le Dr Loyd restait dans l'ombre.
La dernière chose que sentit jamais Darryl Loyd fut malgré tout la même que la dernière fois.
Loyd ne sortit pas du tunnel pour l'instant, par pour l'instant.
Peut-être que 82 avait faim ? C'était probablement ça. Tout ce qu'il devait faire était de le laisser manger 952 et ce serait bon. Il serait libre comme l'air — à moins que les deux autres aient des plans pour lui, mais ils semblaient bien trop occupés entre eux pour être d'une utilité quelconque.
Alors il attendit. Et attendit. Et attendit. Et enfin, il fut clair que 82 n'avait juste plus faim. En soupirant, Loyd prit la direction de l'intersection de couloirs maintenant presque vide.
La dernière chose que sentit jamais Darryl Loyd fut encore la même que la dernière fois, et ça l'énerva encore plus cette fois-ci.
Ok, 82 était juste un ogre finalement, pas vrai ? Qu'est-ce qui repousse les ogres ?
C'était bien la question du jour, ça. Il se raccrochait déjà à un fil, et voilà qu'il devait maintenant réfléchir à un moyen de décourager une créature de contes de fées de le manger. Il méritait vraiment son doctorat, là. Il travaillait vraiment pour l'amélioration de l'humanité, là.
Les ogres sont simples, sauf qu'ils ne le sont pas. Ils mangeaient les enfants sous les ponts ou un truc du genre, mais parfois ils ne le faisaient pas et étaient juste des gens moches qui sentaient mauvais. Ils vivaient dans des marais, ou des forêts, ou peu importe, mais Loyd n'était pas sûr de pouvoir terraformer quoi que ce soit juste là. Ils étaient rarement tués en combat, bien que ça puisse aussi venir du fait que la plupart des histoires parlaient d'enfants. Il n'avait pas le temps de poser des pièges et n'avait pas une force légendaire digne d'un héros pourfendeur d'ogres. Tout ce qu'il avait, c'était du temps et de l'esprit…
DE L'ESPRIT.
"Oh
ma parole ! Tu as apporté-"
"Si tu veux me manger," ça n'a aucun putain de sens, pensa Loyd alors qu'il levait un doigt en l'air avec une expression dramatique, "tu vas devoir résoudre mes trois énigmes."
Loyd était certain de pouvoir sentir sur lui les regards mystifiés de tous les autres êtres vivants dans ce couloir. Pas qu'il ne s'y était pas attendu, bien sûr, mais ça ne rendait pas quelque chose d'aussi enfantin et inepte plus supportable à faire. Pourquoi est-ce qu'il s'attendait à ce que ça marche, de toute façon ? 82 n'était pas un personnage de dessin animé qui allait arrêter d'essayer de le manger juste parce que-
"Très bien !"
Merde, ok, il s'y attendait pas. Maintenant il fallait juste qu'il trouve une énigme.
"Euh…" … merde.
"Très bien !"
"Qu'est-ce qui a quatre pattes le-" "L'homme !" Merde.
"Si un arbre tombe dans la forêt-" "Oui !" //Merde //!
"¨Qu'est-ce que j'ai dans ma poch-" "Un LCell de la Fondation, version 8S plus !"
MERDE.
Et vous savez quoi ? Merde. "Quel est mon deuxième prénom ?"
Pendant quelques secondes tendues, Loyd s'attendit à ce que 82 sorte "Ezra" de nulle part et à ce qu'il soit à nouveau mort, comme d'habitude. Pas comme s'il pouvait mentir à ce truc de toute façon : il avait essayé les quelques premières fois et, quand 82 n'avait pas compris, la Chose au Masque avait très adéquatement lu dans son esprit et aidé 82. Pas que ça change quelque chose ; Loyd s'attendait complètement à ce que 82 ne suive pas les termes de-
"… est-ce que c'est Orion ?!"
Oh. Loyd n'était pas habitué à ce que les choses aillent en sa faveur. "… non. Non, ça ne l'est pas."
Et bien sûr, ses compagnons devaient tout gâcher. "Ça ? C'est presque de la triche. Ayez un peu de respect pour le jeu, doc." Iris aurait au moins pu lui donner la dignité d'un contact visuel en jouant l'avocate du diable, mais elle était trop occupée à contempler fixement ces sphères de lumière qu'elle avait générées — ou peu importe comment elle les appelait. "Fernand a joué en équipe, tout le temps-"
"Iris, tu vaux mieux que ça ! Pourquoi est-ce que tu essaies de le défendre ?! Il mange des gens !"
Mourir constamment devait l'avoir rendu fou, ça devait être ça. Il était mort une fois, avait été envoyé en enfer, puis était mort en enfer et avait été transporté dans des enfers de pires en pires, ce qui ne pouvait que signifier que son incarnation originale avait bombardé une école pleine d'orphelins. C'était bien le fond du fond, l'éternité dans un monde qui ne faisait aucun sens.
"Mais enfin," pas une bonne expression pour commencer une phrase ! "Il a rien tué d'autre que les matons. Vous savez, doc. ACAB ?"
Iris leva le poing gauche et la vision périphérique de Loyd aurait mieux fait de se tromper parce qu'il aurait juré voir 952 faire la même chose.
"Je… Je suis honnêtement inquiet. Comment tu fais pour ne pas t'inquiéter que ça-" Loyd fit un geste vers 82, qui était trop occupé à sucer la chair d'un maton agent de sécurité pour se soucier de la conversation. "est de nouveau libre, et en train de manger des gens ! Qu'est-ce qui va pas avec toi ?"
"C'est pas sa faute, vous savez ~" Quelque chose qui semblait ne pas être exactement là, mais sans être exactement pas là, glissa sur l'arrière de la tête de Loyd. Bon dieu, il avait entendu Masky faire ça pendant maintenant 14 itérations et il n'était toujours pas habitué. "Elle a encore des recherches à faire, vous ne pensez pas ~"
Loyd était assez sûr d'avoir vu 952 s'engager dans le couloir opposé, ce qui, félicitations, la rendait sans équivoque plus intelligente que lui. "Des recherches ? Quelles- quelles recherches ? Je-" Loyd soupira. Il n'y avait aucune raison d'essayer de raisonner avec cette chose quelle qu'elle fut. "Vous savez quoi ? Allez-y. Si je m'inquiète trop je vais mourir."
Avec un signe rapide de la main qu'aucun des trois ne méritait, le Dr Loyd dévala le couloir comme l'enfant qu'il pouvait avoir été dévalant les escaliers pour aller déjeuner.
Et s'arrêta soudainement alors que quelque chose d'écœurant tressaillait dans son esprit. "Une dernière chose, mon cher ~"
"Dites-moi les initiales de 'Grand-Père Travaille', Dr Loyd~"
… quoi ?
Loyd se retourna, le visage coincé quelque part entre une grimace et une moue confuse. C'était… le truc le plus débile qu'une anomalie lui avait jamais demandé de faire. Genre, même pas au sens de ridicule, parce qu'il se rappelait sans aucun doute d'avoir dû danser une gigue du lama au moins une fois dans une vie antérieure, mais juste… horrible. Il y avait ce truc quoi qu'il puisse être, un masque qui volait le corps des gens et jouait avec les esprits, et le meilleur moyen qu'il trouvait pour le harceler… c'étaient des singeries d'écolier. Est-ce qu'il n'avait pas autre chose de mieux à faire, comme s'enfuir ? Peut-être même voler 82 comme hôte ?
"… nom de dieu, qu'est-ce qui va pas avec-"
La dernière chose que sentit jamais Darryl Loyd fut son esprit déchiré en deux.
"Les initiales de grand-père travaille, Dr Loyd ~" "… non."
La dernière chose que sentit jamais Darryl Loyd fut son esprit déchiré en deux..
"Les initiales de grand-père travaille, Dr Loyd ~" "GR-PE-TR."
La dernière chose que sentit jamais Darryl Loyd fut son esprit déchiré en deux.
"Les initiales de grand-père travaille, Dr Loyd ~"
Et puis merde. Le Dr Loyd ravala sa fierté et formula trois lettres auxquelles il refusait de penser.
Tout ce qu'il put sentir alors que les tentacules invisibles quittaient son esprit avec sa dignité fut le son d'un rire écœurant. Qu'il soit damné s'il ne brûlait pas d'envie de rétablir les déclassements maintenant.
Le Dr Loyd se hâta le long du couloir.
Contre toute attente, l'aile humanoïde était en fait mieux gérée que le reste de 56.
Plus bas le long du couloir, puis vous allez vers les labos de recherche qui hébergeaient les escaliers d'urgence. Contrairement aux ailes précédentes, ils étaient inclinés à un angle relativement correct, aux dépends malgré tout des murs craquelés, des tuyaux éclatés, des joints qui fuyaient et du sol partiellement effondré. Les salles sentaient déjà le mildiou et le gaz et Loyd aurait juré apercevoir de temps à autre une fulgurance de violet qui ne laissait qu'un scintillement et une odeur de mousse. En dehors de ça, la section R&D était globalement vide d'anomalies.
C'était des agents et des écrans qu'il fallait se méfier.
Ils ne leur étaient pas tous hostiles, bien sûr. Certains les laissaient tranquilles si Loyd leur montrait son badge. D'autres tiraient à vue. Certains tiraient même si et seulement si il leur montrait sa carte. Loyd envisagea d'y aller en échouant et réessayant, bien sûr, mais à un certain moment tout se mêlait. Loyd devrait juste être furtif.
Les écrans, en revanche… quoi que ƟU-1730 ait pu être en train de faire au site, c'était efficace et ennuyeux. Un regard dans la mauvaise direction et vous receviez un visiolétal dans la gueule. Contrairement aux gardes, avec lesquels il pouvait raisonnablement improviser, Loyd devait mémoriser l'emplacement de chaque écran.
Bon dieu, et dire qu'il avait trouvé les jeux d'infiltration amusants à un moment donné. Tous ces retours en arrière n'étaient qu'une perte de temps, une monotonie qui n'avait même pas la courtoisie de s'écouler de façon linéaire.
Mais il y avait une lumière possible au bout du tunnel et Loyd continua donc silencieusement.
Ils avaient atteint les escaliers quelques fois. La plupart du temps ils couraient et se faisaient descendre sur le trajet. Parfois c'était juste 952 qui se faisait toucher et le choc était suffisant pour déconcentrer Loyd assez longtemps pour tout foirer. Mais ils avaient un nombre infini de tentatives et Loyd aurait préféré mourir au soleil que vivre dans une cage.
La course parfaite était toujours un peu plus proche, mais avec le progrès venait une peur croissante chez le Dr Loyd. Et si tout foirait ? Et si c'était juste le plus court trajet vers un piège mortel et qu'il gâchait son temps pour rien ?
… il supposa qu'il ferait ce qu'il faisait toujours et continua à nager.
Ça y était. La course parfaite. Ils avaient atteint les escaliers sans jamais être repérés, sans jamais regarder un écran (et
bon dieu c'était dur d'empêcher 952 de regarder les écrans) dans une seule putain de pièce, sans aucune indication qu'ils soient jamais allés nulle part ailleurs que dans ce seul putain d'escalier. Si Loyd n'avait pas eu plus de bon sens, il aurait cru faire une crise cardiaque à la façon dont son cœur battait.
Évidemment, il bondit presque au moment où 952 brisa enfin le silence qu'elle avait gardé pendant tout le trajet à travers l'aile.
"Tu sais," pour quelqu'un d'aussi grand et étrange qu'elle, elle était surprenamment bonne à marcher discrètement en montant la cage d'escalier tordue. "Je m'attendais honnêtement à voir une sorte de nerd ennuyeux en fil de fer sortir de ce bureau. Je connais pas beaucoup de punks qui bosseraient ici. Mais ouais, tu fais assez punk."
Est-ce qu'ils n'avaient pas déjà- c'est vrai, des trucs de boucles temporelles. La façon exacte dont il avait changé restait cependant un mystère pour lui, mais son cœur était trop occupé à tambouriner comme un forcené pour se regarder le nombril. "Ah bon, j'en ai l'air maintenant ?"
"Je… je veux dire, je suis pas plus à fond dans cet endroit que toi. Merde, ça fait deux ans que je suis là et on dirait du Kafka. Tous les gens que je vois ici ? Des yeux morts, tous. Je devrais savoir à quoi ils ressemblent." 952 poussa un soupir audible, pour lequel il l'aurait admonestée s'ils n'étaient pas déjà en train de parler. "T'as l'air de te soucier des choses pour de vrai. Tu es un docteur assez ancien pour avoir un bureau à toi près de… eh bien, l'autre bureau moins normal, alors t'es évidemment plus ancien que moi de ce côté-là." Loyd s'était toujours demandé ce que ce bureau était censé être à part un joli trou à fric Keter. C'était pas comme s'ils avaient fait grand-chose d'autre que le garder dans sa cellule. "Mais, eh bien… tu sais, t'as pas l'air mort. Tu as cette étincelle bizarre que je vois rarement dans ce putain d'endroit."
Ah bon, lui ? C'était une première.
"Et c'est… assez punk, si tu veux mon avis." Loyd ressentit presque quelque chose. Un vestige d'il y a mille vies, peut-êtr- "Non, attends une minute, tu travailles quand même pour des technofascistes, alors… pseudopunk."
Loyd se força à réprimer un vilain rire.
Ils étaient quatre étages en dessous du rez-de-chaussée. Ils devaient juste l'atteindre, arriver dehors d'une façon ou d'une autre, et la voiture de Loyd l'attendrait juste là. Fourrer 952 dans le coffre, réussir à passer le portail en rusant ou en fonçant dedans et il… serait en train de transporter une évadée hors de la Fondation.
Ils le tueraient presque à coup sûr pour ça, même s'ils laissaient couler cette affaire de brèche. Il perdrait probablement la vie, ou pire, son travail. Et par-dessus tout, il n'avait probablement pas besoin de 952 pour sortir du cycle, si même il pouvait en sortir. Le truc qui causait ça quoi que ça puisse être était probablement dans 56, lié à ce qui avait causé le Plan Incliné. Il lui suffisait de sortir de 56, avec ou sans 952.
… il couperait ce pont quand il y serait arrivé.
Le Souterrain 3-1, l'aile Sûr, ne comportait aucun agent en poste devant la cage d'escalier, ce que Loyd trouva étrange. Tant qu'il y pensait, la porte du 4-1 n'était pas gardée non plus. Est-ce que ce serait pas la principale issue anormale ? Ce serait certainement pratique si les autres escaliers étaient gardés, même si Loyd était assez certain qu'il venait d'apercevoir l'ours en peluche inquiétamment réaliste de 1055 traîner quelque chose quelque part et préférait ne pas devoir gérer ça.
Souterrain 2-1, anomalies informatiques, aile technique et stockage des serveurs, pas non plus gardée. Loyd imaginait difficilement qu'un des ordinateurs puisse s'enfuir à moins que l'un d'eux ait soudainement la capacité de se faire pousser des jambes. Loyd n'était pas trop inquiet pour ça.
Sur le trajet du 1-1, trois agents de Force d'Intervention Mobile portant une insigne que Loyd ne reconnut pas déboulèrent dans les escaliers sans leur 31prêter la moindre attention. Quelque chose s'insinuait déjà dans le gouffre qui se creusait dans l'estomac de Loyd qui ne s'y était pas trouvé depuis des siècles : la peur.
Souterrain 1-1, aile de confinement expérimental et laboratoires, toujours pas gardée. Loyd put sentir quelque chose gronder plus bas et accéléra la cadence.
Rez-de-chaussée. Administration. Pas gardé. Même pas verrouillé. Pas de problème pour les hydrauliques mais là c'était de l'analogue et-
Au passage de la cinquième heure de l'odyssée de Loyd, un cri inhumain, comme le râle d'agonie d'une cour féerique, résonna à travers le site alors que la Boîte Noire Sous 56 signalait l'apogée des événements du 26/09/2022.
Loyd courut, courut et courut alors que le Site 56 s'effondrait autour de lui. Des paillettes jaillissaient de fissures dans les murs, de la mousse violette consumait les plantes de bureau éparses et des monstruosités sinueuses affrontaient des agents très loin d'être assez bien payés pour gérer ce genre de merde. Là où les fondations de 56 étaient autrefois restées inébranlables, les machinations de ce qui venait de s'échapper secouèrent les fondations de la Fondation, au sens propre comme au figuré.
1504 partout à nouveau, et cette fois le bombardement nucléaire n'était pas une option valable.
La mémoire musculaire et l'adrénaline pure se faisaient sentir alors que Loyd parcourait la dernière ligne droite jusqu'à une issue de secours, esquivant les meubles et se cognant dans les murs comme un enfant jouant à colin-maillard. Peut-être qu'il aurait pu apprécier de voir 56 s'effondrer littéralement dans une autre vie, mais il préférait un labyrinthe propre qu'éclaté en mille morceaux ; le premier garantissait au moins l'existence d'une sortie.
Les systèmes de sécurité automatiques de 56 s'actionnaient déjà pour sceller le bâtiment, mais leur conception impliquait une structure intacte ; la plupart des portes étaient coincées à un angle incorrect ou ne commençaient à se fermer que maintenant.
Loyd ne savait pas depuis combien de temps il courait au moment où il la vit : une sortie. Une vraie sortie aux yeux de dieu, vers l'extérieur, tournée vers le ciel à un angle de 20 degrés mais une vraie sortie de 56.
Chaque seconde de course semblait une itération entière. Le froid spectre de sa mort conjecturée commençait déjà à embrumer son esprit, occupant six de ses précieux processus de pensée figuratifs mais le tout supplanté par cette putain de porte. La distance s'évanouissait en arrière-plan alors que Loyd poussait jusqu'à ses limites et au-delà.
Loyd jaillit de la porte et le temps et l'espace s'arrêtèrent sur un milieu de journée ensoleillé, à quatre mètres au-dessus de la surface du Nevada rural.
Il ne l'avait jamais remarqué avant, mais le désert était… beau, à cette période de l'année. Bien sûr, un peu chaud aussi, et bien sûr, il ne poussait pas grand-chose alentour, mais ça n'empêchait pas chaque chose d'avoir sa petite beauté simple. Même le reste de 56, l'usine, les logements et les confinements auxiliaires, semblaient jouer de cette magie, comme des monolithes s'élevant des sables du désert. Et bon dieu, peut-être bien que c'était pas très calme en ce moment, mais les légers fredonnements d'un travail bien fait mêlés à l'ambiance du désert étaient toujours une symphonie agréable à entendre après une longue journée de travail.
Pour une fois, Loyd ne se souciait pas de la fausseté de sa vie ici. C'était beau, et c'était ce qui comptait.
Une minute s'écoula avant que Loyd reprenne ses esprits après sa chute de quatre mètres, deux de plus pour qu'il reprenne son souffle et une dernière avant qu'il se "souvienne" où sa voiture était parquée.
L'adrénaline avait commencé à retomber alors que la peur remontait. Il ne pouvait pas foirer ça. Pas après tous les efforts qu'il avait faits. Il sortirait d'ici, aussi putain de loin que possible, puis il mourrait et serait libre du puits anormal ou de la chose qui était responsable de ça quelle qu'elle soit, ou alors ça n'arriverait pas et il referait tout ça en boucle depuis le début mais il ne pouvait pas, bordel, pas après tout ce qu'il avait traversé. Il sortirait juste de là, loin de toute cette merde, et ne reviendrait pas avant que ce soit réparé, vivrait sa vie comme il l'avait toujours voulu jusqu'à maintenant comme une putain de personne normale qui ne mourait pas tout le temps et qui en avait quelque chose à foutre.
Loyd s'attendait à moitié à une bombe sous son siège en montant, une bombe dans son moteur quand il fit vrombir sa voiture et une bombe sous ses pneus quand il recula prudemment. Rien ne se passa. Tout allait bien et tout était tranquille.
… tout était tranquille.
Il avait perdu 952 dedans. Elle était probablement morte, ne ressortirait jamais alors qu'il était enfin libéré de 56. Elle… eh bien, elle l'avait aidé à sortir, au début. Pas ensuite, ni encore après, ou… en revanche, elle était presque morte plusieurs fois alors qu'il la guidait à travers 56. Sauf peut-être pour Fernand, ou peut-être pour ce masque (seulement via la théorie du chaos), mais rien d'autre que ça. Elle ne pouvait plus le ralentir.
La pensée qu'il pouvait mourir à nouveau pour la ramener lui traversa brièvement l'esprit.
… non. Non, il ne ferait pas ça. Il avait traversé dieu sait combien d'itérations maintenant, parvenant à peine à fuir cette horrible boucle temporelle avec sa putain de vie. Il était dehors et il ne retournerait pas dedans. En plus, Loyd l'avait déjà vue mourir des milliers de fois ; pourquoi ça aurait dû être différent cette fois-ci ? Qu'est-ce que ça pouvait faire, si tout ça était faux ?
… bon dieu, c'était sérieux !
La dernière chose que Darryl Loyd entendit jamais furent les notes d'ouverture de Two-Headed Boy (partie 2) alors qu'il fonçait dans le Site 56 avec sa voiture.
Loyd courut à travers tout, encore, et encore, et encore, et encore.
"Carte."
Loyd se figea un instant. De tous les obstacles…
Le Dr Darryl Loyd présenta sa carte à l'agent au point de contrôle. "… mauvaise journée, pas vrai ?"
"Ouais, tu l'as dit le scienteux. Bon dieu, si je-" L'agent fut brièvement interrompu par le cri de la Boîte Noire Sous 56. "Ok, accélérons un peu. Je vais faire un checkup de Humes rapide. Si ce truc est… bon dieu, ils l'ont vraiment fait pas vrai ?"
Le Compteur de Kant cliqueta presque aussi vite que les battements du cœur de Loyd et ralentit presque autant que l'éternité.
"Paramètres normaux, aucune anomalie détectée, maintenant-" L'agent fut une fois de plus coupé par un cri inhumain. "Et puis tu sais quoi, nique la paperasse, allez-y !"
Loyd accéléra.
Une minute s'écoula. Deux minutes s'écoulèrent. Cinq minutes s'écoulèrent. Il n'était pas poursuivi.
"Tu peux sortir maintenant."
D-952, maintenant Veronica Fitzroy, s'extirpa d'un tas de bric-à-brac, de paperasse et d'habits de rechange à l'arrière de la voiture de Darryl Loyd pour aller s'installer sur la place passager. Tous deux restèrent silencieux durant cinq autres minutes alors que le labyrinthe aussi appelé Site 56 disparaissait derrière eux.
"… on l'a fait. On l'a fait pour de vrai, putain."
Loyd opina solennellement, restant silencieux.
"On…" Fitzroy rit ; pas le rire de sorcière de quand ils s'étaient parlé pour la première fois il y a un millier de vies, mais le rire d'une femme qui avait grillé le feu rouge du destin, était rentrée dans la Mort au tournant et avait continué sa route en ne boitillant qu'à peine. Heureuse, satisfaite, vivante. C'était… terriblement contagieux.
"On est libres ! On est libres, putain !" Soudainement, Fitzroy serra Loyd contre elle, lui faisant presque faire une embardée dans le trafic. "'tain, on aurait dû crever mais on est libres et… " Fitzroy n'avait pas un visage fait pour sourire. Et pourtant elle était là, souriant comme si elle venait de tuer le diable et de se glisser hors de l'enfer.
C'était presque… agréable.
Ils ne pourraient pas rouler à l'infini. Pas au sens métaphorique "on ne peut pas toujours courir" parce que tout était possible quand on vivait ce genre d'existence. Plus au sens qu'ils finiraient par arriver à court d'essence et être incapables de retourner aux logements avec 1730 qui voulait sa tête ; Loyd
devrait chercher ailleurs. Un motel pourri dans le piège à touristes le plus proche ferait l'affaire. La combinaison de Fitzroy leur attira quelques regards mais personne ne posa de questions quand ils payèrent en cash.
Fitzroy fut la première à entrer dans la pièce, s'affalant immédiatement dans un de ces matelas tout mous qu'on trouvait dans tous les motels. Loyd l'aurait prise pour une gosse s'il avait pu ignorer son mètre quatre-vingts de taille.
"Merde !" Il pouvait au moins voir ça : rien n'avait calmé sa fougue. Elle devait avoir été nouvelle pour être restée aussi dynamique. "Tu sais à quel point les lits me manquaient ?" Loyd n'était toujours pas habitué à voir Fitzroy sourire. "Bon dieu, deux ans dans une prison et tu pètes les plombs sur des petits trucs. Fffff… hé, le scienteux. Allume la télé."
Eh bien, au moins elle n'essayait pas de le tuer. Loyd s'assit sur un lit plus loin, prenant la télécommande (pourquoi est-ce qu'elle ne pouvait pas le faire elle-même ?) et, pour la première fois depuis des… jours ? semaines ? Loyd se détendit simplement.
Sur la première chaîne sur laquelle ils tombèrent se tenait une sorte de vente aux enchères publiques. Le lot était un pot en terre moche.
"J'arrive pas à croire que cette merde me manque. Les putains de chaînes publiques. Quand j'étais libre, ça me faisait ma journée. Je veux dire, tu la fous en fond et…" La voix de Fitzroy s'éteignit brièvement. "… ouais. Alors, euh. Ouais… tu veux regarder quelque chose ? Vu que… tu m'as sauvée et tout ça."
"C'était rien." La chaîne suivante diffusait Le Jour de la marmotte. Approprié.
"Sérieusement ? Je sais pas combien de scienteux laisseraient tomber leur job pour des Classes-D. Je veux dire, ça ? C'est plutôt punk." Ils revenaient toujours à ça, pas vrai ? "Dommage qu'ils vont te tuer. Je veux dire…" Fitzroy se retourna pour fixer Loyd. "… ils vont te tuer, pas vrai ? Pour tout ça ?"
Ils trouvent toujours un moyen de le tuer, à la fin. "Je m'inquiéterais pas pour ça juste là." Loyd zappa une fois de plus, sur un dessin animé avec des chiens qui parlaient.
Quelques heures passèrent. Aucun agent de FIM n'enfonça la porte pour les descendre, aucune Reine Ascélie n'émergea des fissures dans le mur pour les manger. Ils étaient juste tous deux couchés dans leurs lits respectifs, regardant des programmes télé publics de merde du Nevada. Pour une fois, la vie était calme et profondément insipide. Loyd n'avait pas réalisé à quel point il avait besoin de quelque chose comme ça.
Fitzroy fut la première à parler. "… du coooooup. Je suis libre maintenant."
"En théorie."
"Ouais, enfin, je mate la télé dans un motel pas possédé par des technofascistes."
"T'en es pas sûre."
Fitzroy renifla. "Ouais. Enfin, dans tous les cas… ça va avoir l'air de sortir un peu de nulle part mais y avait des choses qui, euh… me manquaient depuis le temps que j'étais là-dedans. Et je veux pas te presser à quoi que ce soit mais genre… j'ai aucun fric. Alors… ouais."
Loyd retourna la tête vers Fitzroy. Elle avait déjà défait le lit en un fouillis de draps empilés sur un matelas. "Dis juste ce que tu veux dire."
"Ben," Fitzroy se redressa, faisant rapidement craquer sa nuque avant de ramener ses genoux vers sa poitrine. "Je me suis toujours dit que j'allais faire trois choses une fois sortie de prison. Si je sortais de prison. Une petite récompense à la moi du passé pour pas s'être butée quand elle en avait la possibilité." Un gloussement creux s'échappa des lèvres de Fitzroy. "Un, j'allais manger quelque chose de soit très frais soit très gras. J'ai à peine pu vivre de rations de prison aussi longtemps sans mourir de l'intérieur."
Ah, les rations de la Fondation. Loyd se sentait toujours un peu mieux dans les itérations où son site comportait une cafétéria.
"Deux, je vais prendre un bain. Un beau bain chaud, soit avec quelqu'un que j'apprécie vraiment soit toute seule. Bon dieu, je m'étais toujours pas habituée aux douches en sortant." Fitzroy s'interrompit un instant, comme si elle se souvenait de quelque chose, avant de retourner à son monologue. "Les douches froides me plombent. Trois, je… ça te dérange si je suis vulgaire ?"
Après aujourd'hui, et les milliers d'autres aujourd'hui ? "Vas-y."
"Trois, je vais m'astiquer jusqu'à tourner de l'œil. Putain, six ans sans baiser et deux ans sans un seul orgasme. Les compagnons de cellule sont vraiment à chier. Alors… j'ai pas vraiment de thunes pour le premiers et je sais pas si ce trou à rats a un buffet de petit-déjeuner. En gros… est-ce que tu serais intéressé de me rejoindre pour n'importe lequel des trois ?"
"… juste le premier."
Torchlight Tacos, fierté du sud-ouest des États-Unis et assez certainement mauvais pour vous. Mais bon, ils avaient fait leur exercice de la journée et qu'était une évasion sans célébration de la vie hors de taule ?
Fidèle à sa parole, Fitzroy finit par disparaître dans la salle de bains pour ne pas en ressortir du reste de la journée.
Loyd passa le reste de la journée à regarder la télé et mourut d'un arrêt cardiaque dans son sommeil.
La dernière chose que pensa jamais Darryl Loyd fut qu'il avait fait quelque chose de bien.