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Crédits
Titre original : The Flytrap
Auteur : Sophia Light
Traducteur : Fouin
Date de publication originale : 13 mars 2012
Une histoire en treize chapitres. À lire dans l'ordre.
J'ai pris la mallette et je cours, je cours parce que c'est la seule chose à faire. L’ambassade n'est plus qu'à 30 kilomètres en direction de l'est, je peux déjà apercevoir les lumières de la banlieue. Je suis complètement épuisé mais ça n'a aucune importance. Tout ce que j'ai, c'est cette mallette et les pensées qui fusent dans ma tête, et je vais à l'ambassade. Ensuite je ferai appel à la CIA ou peut-être Interpol, je demanderai leur protection, la détention préventive s'il le faut, quoi qu'il en coûte. Je les laisserai me mettre en prison pendant qu'ils vérifieront tout ce que je leur raconterai. Bordel, je sais comment fonctionne l'administration, je vais peut-être passer le reste de ma vie dans une cellule, mais ça me va, comme ça ils auront tout le temps qui leur faut pour comprendre ce qui se trouve dans cette mallette. Et je serai en sécurité : s'il y a bien quelque chose que j'ai appris, c'est que même les tarés avec des marteaux ne peuvent pas traverser un mètre de béton.
Surtout s'ils ne le veulent pas.
Je regarde le trottoir sous mes pieds. La mallette bat les airs comme une feuille au vent et j'accélère un peu plus la cadence.
—
Prendre la mallette et s'enfuir ? Oui je fuis, mais pas par lâcheté, je fais ce que personne n'a encore eu le courage de faire. Ce que personne n'a encore été capable de faire, d'ailleurs — mais ils ne me rattraperont jamais. Tout est planifié depuis des années. Je n'ai pas eu peur, je n'ai pas perdu mes moyens, j'ai étudié et préparé avec minutie ce moment depuis tant d'années, depuis la nuit de ma première promotion.
Putain, j'espère que quand ils feront les rapports, ils vont se planter.
J'étais promu au Niveau 2 d'Accréditation, après trois ans et quelques recherches importantes sur tout et rien à mon actif, je fus également le premier de mon unité à être promu depuis un bon moment. Brenda est devenu folle — on a pas pu partir du site à cause de l'alerte de sécurité, mais elle avait piqué des en-cas et de quoi boire dans la salle de pause, et en peu de temps, toute la résidence s'est pointée. On a fait la fête, il y avait de la musique, assez vite tout le monde avait retrouvé le chemin de leur chambre ou s'était évanoui sur un des canapés, et il ne restait plus que moi et ce vieux con de Niveau 4 qui s'appelait Howey, je le connaissais pas très bien.
"Tu vois, la Fondation, c'est un peu comme une de ces énormes fleurs tropicales à côté desquelles tu peux passer trois-cent-soixante-jours par an sans jamais les voir- mais de temps en temps, tous les trente-six du mois, tu la vois le Jour de la Résurrection, le jour où elle fleurit, et ça prend une plombe — le premier pétale se déploie, et c'est là que tu vois, ta fausse équipe de SWAT et ton escouade, des gamins en tenue militaire payés à faire semblant. Encore une autre, et tu vois tout ce qui a été construit, toutes les ressources, tu te demandes qui peut filer autant de pognon pour des trucs qu'on ne peut pas voir, pour des fantômes. Tu entends des histoires, et c'est bien le seul truc qu'on est foutu d'obtenir, une histoire ou une rumeur à la con, à propos de ce truc à l'intérieur, le truc bizarre qui serait au centre de tout ça. Tu ne le vois qu'une fois tous les dix ans.
"Mais le dernier pétale se déploie lui aussi, et c'est à ce moment-là que tu trouves ce que tu cherches : ça pue comme un macchabée, tu n'as aucune idée de ce que c'est. Mais tu sais à ce moment-là que tout ce que tu as fait jusqu'à présent, c'est pour que cette fleur puisse fleurir. C'est juste pour ça, c'est le truc le plus important de tout ce merdier, et ça pue la merde. Les mouches arrivent, elles aiment l'odeur, elles virevoltent autour et partent, et ensuite la plante-merde se referme une fois de plus, pour quinze ans de plus.
"C'est une vie de merde, hein ? Passer tout ton temps à puer la mort, pendant 20 ans, juste à attendre qu'à un moment donné les mouches arrivent ? Si j'étais ce truc, je détesterais ça. Je voudrais que ça s'arrête. C'est pas un mal en soi, c'est juste con."
Je suis presque certain qu'on ne s'est jamais vraiment parlé, et je n'avais aucune foutre idée de quoi il parlait, et ça m'a fait peur, avec toutes les caméras, les micros, et dieu sait quoi de plus. Alors je l'ai prévenu, et Howey s'est marré.
"Il n'y a pas de caméras."
Mais c'était pas vrai. De toute façon c'est pas comme s'ils vous disaient quoi que ce soit, surtout quand vous êtes nouveau. Mais tu ne peux pas dire que tout ça, tout ce que tu fais, la raison pour laquelle tant de gens meurent, pour laquelle il y a tant de sang et d'horreurs, c'est pour attirer les mouches. Tu le fais pour tous les autres, aussi. Peut être que le Haut Commandement a eu vent de ce discours rebelle, et ne m'ont rien fait parce qu'ils savaient que je n'y croirais pas.
Brenda et moi, on a été promus le même jour, la fois suivante. Elle était spécialisée dans le confinement, et moi je me débrouillais mieux avec mes médicaments et mes composés chimiques. Il y a eu une petite cérémonie, plus officielle. On a grimacé bêtement sur les photos qui sont maintenant sur nos nouveaux passes magnétiques.
Vers la fin, un homme qu'on avait jamais vu a traversé la porte. Il avait un costume en tweed, un manteau brun, un chapeau gris, une cravate avec des motifs d'oiseaux, et une broche en forme de merle noir accrochée à son chapeau. Les trois plus hauts gradés dans la pièce avaient l'air sur les nerfs, tétanisés — mais on ne l'avait pas remarqué à l'époque.
Il est rentré, souriant, il ne s'est pas présenté, et nous a félicité pour nos nouvelles Accréditations de Niveau 3. Il a blagué sur une éventuelle hausse de salaire. Tout le monde a ri. Il s'est approché de moi, a mis son bras autour de mes épaules et a pointé du doigt Brenda d'un air conspirateur. Il m'a dit, "Attention à celle-là" puis il est parti, en ricanant.
On a rigolé aussi, ce qui a détendu l'atmosphère. Les trois Niveaux-4 présents ont soupiré de soulagement et ont pris l'air de quelqu'un qui venait de trouver un billet de 50 euros dans leur poche, comme s'ils avaient échappés à un bulldog, avec de la sueur qui perlait le long de leur dos. Ils devraient être contents, non ? On est promus. Mais en partant, j'en ai entendu un dire un nom à un autre. Juste un nom.
"Cinq."
Et je suis parti en étant satisfait d'être toujours en vie, comme si j'étais redevenu un Niveau-1.
J'étais un peu tendu cette nuit là, mais je pensais à mon nouveau et meilleur bureau de Directeur du Pôle des Sciences des Matériaux auquel j'allais pouvoir m'asseoir. J'allais pouvoir lire toujours plus de données censurées, et… ça me convenait. Ce n'était pas du tout comme quand on est tout en bas. Je pouvais me promener, les gardes n'essayaient pas de m'arrêter. Je pouvais enfin voir les objets sur lesquels je travaillais, et le boulot avait l'air plus excitant — on m'appelait pour un projet en dehors du site, puis un autre.
Puis mon premier salaire est arrivé, j'ai acheté une de ces grosses chaises à massage pour mon bureau, et c'est tout ce dont j'avais vraiment besoin. Deux ans sont passés.
Le Conseil O5 est une de ces légendes qui restent des légendes jusqu'au Deuxième Niveau d'Accréditation — après, c'est juste flippant. Ils contrôlent la Fondation. Qui sont-ils ? On leur donne des matricules, pas des noms. Qui étaient-ils ? Allez putain de savoir.
Mais les secrets me mettent à cran. Voilà ce qu'on a fait.
On nous a donné des échantillons, et des instructions précises. Une formule moléculaire — vous pouvez l'envoyer — le principal composé de cette substance — vous pouvez l'envoyer. La Fondation fait travailler les scientifiques comme dans des ateliers clandestins, même si, dans ce type d'atelier, "employer" est un bien grand mot. On nous assignait des objets, des vrais, et l'opportunité de les étudier de près — en confinement sécurisé — comme pour nous montrer que, oui, la Fondation abrite des miracles.
Dans ces conditions, vous pouvez diviser les humains en deux catégories : ceux qui obéissent aux ordres qu'on leur donne, et ceux qui, comme je crois qu'on les appelle dans les refuges pour jeunes, des "risques de fuite". Évidemment, il y a toujours des gardes à l'entrée des laboratoires, au Niveau 2.
Ce genre de démonstration, ça affecte les risques de fuites ; c'est sûr, c'est pas comme si tout le monde avait besoin de savoir pourquoi cet escargot produit des acides chimiquement impossibles. Mais qui en a quelque chose à faire, franchement ? Pourquoi t'en as quelque chose à faire, hein ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Je ne peux pas vraiment expliquer pourquoi 001 m'a autant fasciné, seulement que c'était le cas. La première fois que j'ai découvert ce qu'était vraiment un Objet, c'était bien avant que les Niveaux Un à Cinq se mêlent à la fête, quand il n'y avait que moi et un scientifique sans grand accomplissement dans un établissement secondaire. Je venais de recevoir le pamphlet rempli de conneries comme :
Pourquoi la Fondation confine t-elle ?
Parce que les alternatives sont bien pires.
Quel est le but de la Fondation ?
Protéger et améliorer l'humanité.
Mais ce n'était pas vraiment ce qui m'intéressait à ce moment là.
"Donc, ça, c'est 876?"
"Un échantillon, oui."
"L'objet ayant la désignation Huit-cent-soixante-seize."
"Oui".
"Donc il y a au moins huit-cent-soixante-quinze choses comme celle-là."
"Incroyable, n'est ce pas?" Le scientifique, un homme allongé avec les cheveux blonds, sourit.
"Quel est le premier ?"
"Je suis incapable de vous le dire."
"Et le deuxième ?"
"Un ordinateur ou quelque chose comme ça ? Gardez un œil sur l’échantillon, je crois qu'il essaye de s'échapper."
Après ça, je me suis fait recruter pour de vrai et j'ai vendu mon âme à la Fondation, j'ai appris à me taire. Mais je n'ai jamais arrêté de me poser des questions.
—
Mais je n'ai jamais arrêté de me poser des questions, même quand ça a failli me tuer.
La directrice de la recherche, ma chef, m'a appelé un jour. Elle m'a fait m'asseoir dans son immense bureau et m'a regardé de bas en haut. "Les enregistrements," commence t-elle, sans fioriture, comme à son habitude, "montrent que vous avez manifesté un grand intérêt pour SCP-001."
Merde, j'avais essayé d'être subtil dans mes recherches. "Qu'est ce qui vous fait dire ça ?"
"Nous savons." sourit-elle d'un air faussement calme, avant de remettre ses cheveux bruns de façon à ce qu'ils recouvrent cette cicatrice sur sa joue, à propos de laquelle mon prédécesseur m'a prévenu de ne surtout pas poser de questions. "Quelque chose à dire pour votre défense ?"
Je n'ai rien dit.
"Vous savez, le Commandement n'est pas vraiment satisfait." Elle non plus. Elle a parcouru quelques documents. "Vous n'êtes pas le premier, vous savez."
"Hmm ?"
"Qui creuse. Comme je vous ai dit, ça leur déplait. Le Commandement. Ils n'aiment pas ceux qui s'introduisent sur leur territoire. En quelques mots, vous êtes transféré."
"Quoi ? Où ?"
"Au Ghana."
"Au Ghana ?"
"Ça ne sera pas permanent." Elle ferme son dossier. "Je suis vraiment désolée de vous perdre. Ils construisent un nouveau site là-bas, et ils veulent des experts — comme c'est pratique. Faites vos bagages."
"Allez vous faire foutre."
"On me l'a jamais faite, celle-là !" ricane t-elle, comme une chienne.
C'était un projet qui nécessitait un peu plus d'organisation, un nouveau site de confinement en Afrique de l'Ouest. Alors j'y suis allé. Il était construit à côté d'une petite voie de chemin de fer et quelques fermes abandonnées — des architectes essayaient de trouver un moyen de les convertir en bâtiments viables, en quartiers et en espaces de confinements, et nous, les autres, étions occupés à solidifier les quelques unités déjà construites.
Quatre rangées de silos en métal étaient en cours de conversion — c'était notre nouveau lieu de travail. Dans le Silo-A, où je travaillais, ça se résumait à de la chimie d'initié, dans une cabane mal aérée, avec des ustensiles de cuisines, des appareils de camping, et tout un tas de types balaises qui ne parlaient pas anglais. En gros, c'était la colonie de vacances. Roulé dans mon hamac douillet la nuit, sous des mètres carrés de moustiquaires, je commençais à considérer demander un transfert permanent.
Puis les sirènes ont résonné dans le Silo-B.
Tout le monde a sauté du lit, s'est dépêché de s'habiller avant de courir vers le grenier à nourriture, devenu abri anti-bombes. Depuis la fenêtre, ce qui apparaissait comme des grands bras de lumières déchiraient le silo que l'on venait juste de quitter. J'ai attrapé ceux qui restaient collés à la fenêtre, tétanisés, et je les ai poussés en avant.
Dehors, l'abri anti-bombes n'était qu'à un sprint de distance, et on était en train de l'accomplir, mais à ce moment là le sol s'est éclairé. Il était couvert de lumières, étincelantes, qui semblaient sortir de nulle part. Un de mes collègues a marché sur une des zones de lumière avant de se transformer en tas de cendres.
Dans les ruines du Silo-B, une personne semblait survivre une personne faite de lumière pure et d'aurore. Elle pointait ses bras vers le ciel d'émerveillement, comme si elle venait de quitter la Caverne de Platon.
J'ai entendu des gens crier derrière moi — au moins quatre d'entre nous étaient morts ; seuls nous trois survivaient, sur une des dernières mottes d'obscurité.
Puis les projecteurs, un par un, se sont activés, comme un lever de soleil — ce qui suffit apparemment à ramener la chose dans sa cage, et à illuminer les ruines du désastre. Tous les bâtiments avaient brûlé, rien ne tenait plus au-dessus de nos têtes. Trente personnes sont mortes.
En à peine un quart d'heure, les hélicoptères faisaient un vacarme au dessus de nos têtes et se sont posés dans les restes carbonisés d'un bâtiment. Nous avancions à reculons, essayant d'éteindre les derniers incendies, sauver ce qui pouvait l'être et mettre en place des communications. Deux gardes ont ouvert la portière de l'hélico, et je suis surpris qu'ils n'aient pas dressé un putain de tapis rouge. O5-3 est sorti de l'appareil.
Autant dire que tout le monde s'est stoppé net.
Tout le monde — même les pauvres niveaux-1 qui ne parlaient pas un mot d'anglais — s'est levé et n'a rien dit. Personne n'osait plus respirer. L'officier théoriquement en charge à ce moment là, un autre niveau-3 avec un passif militaire, ne disait rien. Trois regardait autour de lui.
"Qui est," commence-t-il, "le responsable?"
Je le jure, le vent lui-même a retenu sa respiration. Quelques bâtiments se sont doucement affaissés.
Le militaire s'est avancé, on avait l'impression qu'il s'attendait à être fusillé à n'importe quel moment. Trois a fait quelques pas vers lui.
Ils ont discuté.
Trois a acquiescé, puis a regardé autour de lui ; il nous regardait.
"J'espère que vous allez nettoyer tout ça."
Puis il est remonté dans son hélico et est parti. Bien après qu'il a disparu derrière les nuages, le sort s'est dissipé, et j'ai couru aller voir le militaire pour savoir ce qui s'était dit. Il m'a fallu quelques minutes pour avoir son attention, puis il m'a regardé, avec le regard vide, perdu vers l'infini, terrifié, de ceux qui avaient vu la mort.
“Il a dit de nettoyer.”
Brenda était euphorique de me retrouver — elle me disait qu'elle savait que je n'allais pas rester au Ghana, elle m'a traîné partout, me montrant tous les projets sur lesquels elle avait travaillé pendant mon absence. Son département n'avait pas chômé.
Elle m'a fait regarder à l'intérieur d'une cellule. Dedans, il y avait un homme qui pouvait allumer un feu avec ses mains, arrêté 15 ans plus tôt pour incendie criminel. La salle principale était un hexagone dominé par un dôme en verre surmonté d'une caméra. Des tapis — ignifugés, d'après Brenda — couvraient le sol, avec dessus une chaise, une télévision, un lecteur DVD. On est montés à l'étage — dans la cellule, une échelle menait vers une petite chambre, séparée par une porte grillagée.
"Sérieux ?", je demandais.
"Regarde par toi-même", me répondit-elle.
Il y avait un lit, un miroir, des commodes. Aucune fenêtre directe - on regardait à travers des écrans d'ordinateurs, elle disait que les caméras étaient dissimulées dans les panneaux du plafonds. Il y avait une petite salle de bain au premier, séparée par un paravent.
Brenda s'est tournée vers moi. "Tu comprends ?"
"Pas vraiment."
"D'accord. Laisse-moi élaborer." Elle a tourné l'écran vers moi. "Il peut fermer la porte de sa chambre s'il le veut. On n'entrera pas tant qu'il ne détruit pas les caméras. Nous avons la permission de retarder les expériences de 24 heures maximum s'il ne sort pas de lui-même."
"Tu te fiches de moi."
Elle a soupiré. "Il a fallu se battre avec le Comité tout du long- mais honnêtement, il n'y a aucun risque, il ne tentera jamais rien. Un psychologue a parcouru tout son historique médical, psychologique, son casier judiciaire, il a trouvé un désir profond d'être reconnu comme un adulte. Alors on lui a donné des responsabilités. S'il brûle quelque chose, on ne le remplacera pas avant au moins un mois. Un architecte l'a conçu spécialement — pas de fenêtres dans la chambre, pas de caméras évidentes, tout est maquillé, pour lui donner l'impression d'un peu d'intimité. Il a demandé une télévision, mais on a refusé la plupart de ses demandes. Nous n'avons eu aucun problème.
"L'installation est facilement reproductible à grande échelle. Il n'est que Sûr, mais nous avons des plans très similaires pour des Euclide et même des Keter en attente d'approbation. Ok — je comprends, t'es toujours un peu perdu. Ce n'est pas difficile de concevoir des cellules de prison. Le problème, c'est qu'une fois que tu le fais, tu dois transformer chaque couloir en dehors de la cellule en prison. Chaque installation ou laboratoire qu'il touche doit devenir une prison. Ça finit par coûter un bras. Chaque personne qui entre en contact avec eux doit être un garde. Tôt ou tard, ils arrêtent d'en avoir quelque chose à faire ou essayent de se suicider.
"Avec tout ça, le confinement devient un jeu d'enfant — il suffit d'avoir un type avec un fusil quelque part pour surveiller au cas où, mais la plupart n'essayeront jamais rien. Le plus gros problème avec les anciennes cellules c'est que si tu traitais avec nos spécimens, il y avait toujours un risque qu'ils fassent quelque chose qu'on avait pas prévu et s'évadent. Tu vois où je veux en venir ?"
"En quelque sorte."
"La plupart de nos sujets ne se sont jamais senti aussi en sécurité de toute leur vie. Nous avons conçu les meilleures cellules du monde — les pensionnaires ne veulent pas partir."
Quelque chose clochait avec tout ca. Je n'arrivais juste pas encore à mettre le doigt dessus.
Après, voilà ce qui c'est passé : quelqu'un au conseil à commencé à se prendre d'affection pour moi. Je ne le savais pas, au début, mais je me sentais comme Pip en plein Londres1, conscient qu'une force bienfaitrice me poussait vers l'avant, sans pour autant connaître la nature de cet ange gardien. Hausses de salaires, faveurs, privilèges, pas le genre de choses que l'on accorde à un Niveau 2 — voilà les signes qui montraient que quelqu'un quelque part veillait sur moi.
J'ai fait un exposé à propos d'une baraque quelconque à Sept et son cortège. Elle a posé des questions intelligentes. Tout ceci n'était qu'un test, bien sûr, mais dans quel but ? J'ai même vu Cinq passer à un moment. Nommer de nouveaux O5s était apparemment rare, à la limite du mythique — il y a quelque chose d'immortel chez eux — mais même eux, ils ont besoin d'employés.
Tout ceci leur laissait beaucoup de temps pour réfléchir sur mon cas, me laissant à moi le temps de m'inquiéter de l'identité de mon mystérieux bienfaiteur. Cinq, ajustant sa cravate noire et jaune aux motifs de merles comme s'il s'agissait de sa première préoccupation, ne disait pas grand chose.
"On aimerait en avoir d'avantage, des comme vous, à tous les niveaux." Il me sourit. "Vous avez enchaîné tant de promotions. Pourquoi être si hésitant maintenant?"
"Pour commencer-" J'avais l'air de pouvoir m'exprimer, c'était pas comme s'ils allaient me lancer sous un camion pour ça— "Je ne sais toujours pas ce que vous essayez d'accomplir."
Cinq souriait toujours. Il ne disait rien.
"Je veux dire, je vous ai rencontré vous, Sept, et Trois, d'une certaine façon. C'est comme si vous me prépariez tous pour quelque chose- merde- une sorte de destinée ou quelque chose comme ça, quelque chose dont j'ignore tout."
"En effet."
"Pardon?"
"Et bien, vous n'avez pas totalement tort. Comme vous le savez, nous assumons un rôle important dans le grand cours des choses — nous gérons les opérations, nous nous occupons de ce qu'un ou deux sites seuls ne peuvent pas s'occuper eux-mêmes, nous faisons en sorte que la Fondation soit à sa place, et aille dans la bonne direction. Nous avons besoin des meilleurs pour nos plans." Il souriait encore d'avantage tout en frisant oisivement sa moustache poivre et sel.
"Plans dont vous ne m'avez toujours pas parlé."
"Bien sûr que non. Vous devriez être un des nôtres pour comprendre."
J'étais un peu agacé. "A-t-on fini ?"
"Tout à fait. Nous restons en contact."
—
C'était comme s'il me laissait vraiment y réfléchir, ce qui était à la fois très courtois de sa part et effrayant. Des histoires se racontent — des gens auxquels les gradés s'attachent, qui leur font monter les échelons juste pour jouer avec eux, des gamins que l'on confronte à des choses pour lesquelles ils n'ont jamais été préparés, les suicides, les renégats, les rétrogradations sans les honneurs. Tout le monde pense pouvoir être capable de gérer ça. Oui, j'étais curieux, mais pas à ce point. Peu importe ce dont était capable cette personne — je ne voulais pas le savoir. Je ne voulais pas savoir qui en était capable.
"Tu as raison d'avoir peur," me dit Brenda, au téléphone.
"Mais à quel point ?"
"J'ai entendu dire qu'ils ont retrouvé un employé qui s'avérait être un traître — il rencardait l'Insurrection du Chaos — et ils n'ont rien dit à personne et n'ont pas fait selon le protocole. Ils ont juste envoyé un email aux directeurs, un d'entre eux est venu à la cafétéria et l'a abattu à la vue de tous."
"Mais qu'est ce que je dois faire?"
"Sincèrement… Si tu les ignores, ils continueront de te hanter. Tu devrais peut être t'engager là-dedans… mais promets moi d'être vraiment prudent."
"Bon… d'accord. Si jamais tu entends dire qu'on a retrouvé mon corps dans une benne, ou si je disparais de la surface de la Terre dans quelques jours, dis à mes parents que je les aime."
Je crois que Brenda n'a pas trouvé ça très drôle.
Six mois plus tard, une feuille est apparue sur mon bureau. On pouvait lire, "Comptez-vous accepter?" Il y avait une esquisse d'un vol de cinq merles noirs avec, qui ne laissait pas place au doute.
Quand l'hélicoptère noir a finalement atterri et que je suis enfin monté à bord, ils m'attendaient. On m'a emmené dans un bunker sombre en… Colombie Britannique, de tous les lieux possibles, et ils m'attendaient autour d'une table. Les Treize.
"Je suis content de vous voir," dit Cinq. Il regardait l'officier à coté de lui, une grosse femme noire habillée en vert. "On dirait que votre travail a payé, Sept."
Oh, Sept. J'aurais dû m'en douter.
"Ça a pris le temps qu'il faut, tout de même. Vous avez du caractère." Elle sourit. "Prêt à rejoindre le côté obscur ?"
Je ne disais rien.
"Parle, petit," dit une vieille femme.
"Je vais essayer," j'ai commencé. "Mais vous me faites peur." Un rire compatissant s'était mis à résonner.
"Vous n'avez toujours pas compris ?" Sept demandait. "Vous avez passé tellement de temps à chercher. Il n'y a aucune grande énigme derrière tout ça. Seulement nos affaires privées sans grandes conséquences sur le reste du monde, et seulement nous. Qu'est ce que vous vous imaginez ?"
—
La mallette, la première fois que je l'ai vue, était sur une table dans une pièce fermée. C'était de la peau de crocodile luisante, comme si elle n'avait jamais été ouverte, avec quelques décorations en métal que je pouvais à peine distinguer. Nous regardions à travers une fenêtre.
"Lisez ce qu'il y a dedans, et vous serez au courant de tout." Sept me disait. "Mais ça serait trop facile, alors n'allez pas le faire. C'est comme ça. Par ici se situent vos quartiers pour les prochaines semaines."
J'ai constaté, alors qu'on passait à coté, que la fenêtre à travers laquelle nous avons regardé était en plaques de verres, et que la pièce ressemblait étrangement à une cellule de confinement.
Enfin, comme toutes les pièces ici.
—
Alors, ce bâtiment était le grand Repaire Secret ? C'est ça, le but ultime ? Tout ce que je cherchais était là depuis le début ? Je me demandais qui pouvait bien avoir fondé la Fondation, et ce qu'ils avaient en tête. J'ai même demandé à Sept ce qu'était 001.
"Tu n'es pas très vif, dis-moi ? Reste dans notre petite forteresse un peu plus longtemps, tu finiras par comprendre."
Mais la Fondation — et j'ai fini par le comprendre — n'était pas une forteresse, c'était un attrape-mouche. C'était gigantesque, exotique, invisible, et pourri en son cœur. Tous ces mystères n'étaient que des pétales, des distractions. Une fois qu'on se trouve ici en son cœur, c'est clair comme de l'eau de roche.
Réfléchissez-y — ils n'ont pas l'air de vieillir. Ne ressentent pas la douleur. Ils peuvent marcher à travers le feu ou un champ de bataille, no problemo, ce qui fait aussi d'eux les mecs avec les culs les plus bordés de nouilles de la planète- ce n'est pas ça, la chose la plus dangereuse d'après vous ? Putain, j'aimerais vraiment rencontrer le génie qui a eu l'idée de cette unité de confinement. SCP-001 enfermé loin de tout, et sans aucune possibilité de s'échapper. Brenda ne pourrait même pas l'imaginer.
Sept s'est foutue de moi toute la soirée — elle est peut être la femme la plus puissante du monde, mais elle porte un costume vert pâle ridicule et se fout de moi.
Elle disait que c'était le poste le plus important de la planète, qu'elle comprenait ma réticence mais que j'allais finir par m'y faire — elle prenait mon silence pour de la confusion- que j'allais comprendre leurs plans concernant la Fondation. Elle me disait que c'était toujours en préparation.
Mais cette femme est une menteuse. Voyez-le comme une énigme, c'est plus facile-
Pourquoi la Fondation confine t-elle?
Faire diversion.
Quel est le but de la Fondation?
Contenir le Conseil O5.
C'était l'attrape-mouche le plus élaboré jamais fait.
Mais ce n'était pas juste. La Fondation tenait littéralement des pays en otage. Elle avait une main-d'œuvre qui rivalisait avec celle des plus grandes entreprises. Une démocratie pourrait mieux faire ce travail que nous. Ce n'était pas juste de mettre en danger tous les citoyens du monde sans même leur expliquer la nature de ce danger. Et en ce qui les concerne eux, la haute cour des sorciers — et bien, j'avais tout prévu. J'allais courir si loin dans la lumière avec leurs secrets qu'ils devraient me pourchasser. J'en savais suffisamment pour semer les équipes de couverture et me cacher des snipers, et s'ils venaient me chercher eux-mêmes — peut-être brûleraient-ils au soleil comme des vampires.
Je n'ai pas mis mon plan à exécution cette nuit-là, mais deux semaines plus tard. Je ne suis pas allé dormir. Sept m'avait montré les codes de sécurité, et le premier a ouvert la porte.
Leur petit tour pour faire en sorte que les autres ne fassent pas ce que je fais, c'est la création d'un sentiment de stabilité — quand vous atteignez le niveau trois ou quatre, les salaires décollent, et les gardes disparaissent — tout d'un coup ça y est, vous nous rendez service, nous avons besoin de vous, on vous le doit.
Mais actuellement, la seule chose que ça signifiait pour moi, c'était que cette porte n'était pas fermée.
La valise était lourde et froide dans ma main, elle battait les airs pendant ma course. Je suis déjà exténué, mais je n'ai qu'un objectif, et mes pieds me poussent dans sa direction comme s'ils étaient animés d'une volonté propre.
Les formes des premiers immeubles se dessinent dans l'horizon. Je peux les voir. Oui, je peux les voir.