Jeté Dans l'Arène

...

Sur la table là derrière la vitre, le temps était sur le point de se briser.

Thad sourit prudemment alors que des nombres défilaient devant ses yeux et il vérifia ses calculs encore et encore et encore. Ça devrait marcher—ou plutôt, ça devrait arrêter de marcher—comme il l’avait prédit.

"Mlle Anastasakos ?"

"Oui, Docteur," répondit Athena avec confiance (une affirmation, pas une question) en coiffant ses cheveux en un chignon serré pour les écarter de ses yeux. Elle scanna scrupuleusement le petit terrarium à fourmis sur la table avec ses petites maisons et ses simples éclairages électriques, ses petits microphones et caméras et ses petites voitures roulant sur leurs petites routes, toutes méticuleusement disposées près d’un petit émetteur-récepteur AM/FM/VHF/UHF. "On est branchés. Prête pour le test de contrôle."

Cinq ans depuis que SCP-176 était parti en vrille et avait bloqué plusieurs dizaines de jeunes chercheurs et au moins quatre salauds de paramilitaires dans un cycle de création et de destruction sans fin. Une année entière de ce temps avait été passée à essayer de le résoudre. Quand cela s’était révélé impossible, Xyank avait tenté de le briser pendant encore trois ans. Et finalement, à court d’idées, la dernière année avait été passée à le confiner. La classification Euclide n’était rien de plus qu’une formalité à ce stade. Et il avait beaucoup appris. La Fondation avait beaucoup appris. C’était déjà ça.

Et pour le remercier d’une certaine façon, ils lui avaient donné un autre émetteur de tachyons à disséquer.

"Bien," dit le Dr Xyank, faisant craquer ses jointures. "Je suis sur le point d’activer l’alarme de SCP-281. M. Kitterman, si vous pouviez lancer l’enregistrement à mon top."

"Je suis prêt," dit le chercheur Jr élancé de derrière son panneau.

""Trois. Deux. Un. Top." Il y eut un craquement sourd. Plusieurs fourmis étaient mortes sous la pression temporelle. Toutes les petites voitures électriques sautèrent instantanément à leur nouvel emplacement. Deux ampoules avaient grillé. La vidéo enregistra un excès de 9 minutes, 57 secondes en l’espace de 1 milliseconde. "Bien, maintenant ça le fait," dit Thaddeus en hochant la tête. "M. Kitterman ; parlez-moi des radiations ambiantes," demanda Xyank à travers les reflets de ses verres anciens.

Marcus Kitterman pivota et glissa jusqu’au tas d’instruments et s’arrêta juste au niveau du panneau adéquat, sifflotant et gloussant légèrement pour lui tout en montant les différents résultats en gradients et en projetant ce gradient dans la salle où ils se trouvaient tous. Croisant les doigts et retenant sa respiration, trois scientifiques prièrent pour la fin du temps tel qu’ils le connaissaient. "…Pas même un début de dangerosité. Nous devrions rester ici environ huit ans rien que pour être sûrs d’attraper un cancer." Marcus sourit le pouce levé. "On est bons."

Cela lui était venu un soir comme dans un rêve. SCP-1950 était pareil à SCP-176, mais son champ était trop puissant, et la boucle toujours ouverte. SCP-281, 1979, 119, et 1859 avaient tous pour origine la même anomalie basique, avec différentes dilatations et contraintes. Il y avait un motif dans ces anomalies. Même dans les plus étranges comme 982 et 1309. Le modèle du champ de tachyons pouvait toutes les expliquer, et certaines faisaient même de son hypothèse de "l’horizon des événements" moins du désespoir qu’une explication légitime.

Et il se passa un moment avant qu’un murmure à ses oreilles ne lui rappelle l’Objet no SCP-084.

"Établissement de la transmission… Pour l’enregistrement de l’expérience : nous utiliserons une vidéo de l’émission d’Ed Sullivan à 1,28 GHz, et des retransmissions en direct de FM 89,3, 99,9 et 107,1 MHz, ainsi qu’AM 545, 890 et 1240 KHz," dit Attie, ses doigts dansant sur le clavier devant elle. "Le signal sera diffusé à une puissance de 10 watts, et devrait limiter notre aire d’effet à 2 m de rayon."

"Exceptionnel."

Ils l’appelaient la ‘Tour à Neige’, probablement parce que ‘Foutoir temporospatial’ était déjà pris. Les documents de la maison avaient clairement étiqueté 084 comme une anomalie temporelle à juste titre. Mais que ça soit à cause d’une négligence administrative ou de comportements dirigeants d’une nature différente, la Fondation de 1997 l’avait étiquetée comme une ‘anomalie spatio-temporelle radioactive’. Ce n’était pas incorrect, mais pas l’interprétation la plus descriptive non plus. Un rapide coup d’oeil sur l’effet de clignotement et c’en devenait évident. La distorsion spatiale était, surtout, un résultat de la distorsion temporelle autour de la tour. Et pourquoi est-ce que, parmi toutes les autres anomalies temporelles, seule 084 manifestait ces étranges réflexions et dispersions spatiales ? Parce que la tour pompait une grande quantité de radiations électromagnétiques de presque 100 watts. Tout ça, chaque nanoseconde pouvait être expliquée sans avoir besoin d’utiliser quelque chose d’aussi vulgaire qu’un paradoxe temporel. Les paradoxes n’existent pas à l’état naturel.

Hypothèse : les champs de tachyons peuvent être manipulés par de puissants signaux radio. Procédure : raccorder un émetteur de tachyons connu à un transmetteur. Transmettre à partir de celui-ci sur plusieurs fréquences et voir si on obtient quelque chose de similaire à 084.

Ou du moins c’est ce à quoi ça ressemblait sur le papier. Peut-être que c’était risqué de reproduire ça dans un labo. Oubliez ça, c’était absolument risqué. Mais sans risque, il n’y a pas de gain. Et si Xyank pouvait briser le temps si parfaitement, et le réassembler une fois qu’il avait fini, cela signifierait qu’il avait compris le temps. Cela signifierait qu’il avait compris le voyage dans le temps. Cela signifierait que trouver un système pour prédire les fréquences de voyage de maintenant à n’importe quand n’était qu’une question de quelques expérience (relativement) sûres.

Cela signifierait qu’il pourrait enfin rentrer chez lui.

"Commencez la transmission, si vous le voulez bien."

Plusieurs courbes oscillantes se superposèrent sur l’écran au-dessus, et Marcus Kitterman laissa échapper un sifflement à ce qui lui parut être un amas de lignes chaotique. "Les radiations sont stables, Dieu merci."

"Bien," dit Xyank, écartant quelques cheveux argentés de son visage. "Je vais tenter de rallumer 281. M. Kitterman, voyez pour filmer à mon top."

Marcus ouvrit sa bouche pour émettre une dernière objection, mais se ravisa. Un chercheur Jr. contre un Docteur titulaire. La conversation serait de toutes façons de courte durée. "Prêt."

Quel était l’adage déjà ? Quelque chose à propos de finir ce qu’on a commencé, il y penserait plus tard. "… Top."

Pas d’éclat violent. Rien, en fait. Un silence sinistre alors que tout dans la bulle semblat s’interrompre pendant une seconde, avant de reprendre par intermittence. Et de nouveau…

"Putain de…" murmura Kitterman. Les fourmis s’agitèrent par paquets et foules sur les maisons. Les voitures sautèrent bon gré mal gré de leurs routes. Les lumières clignotèrent. Les fichiers dans la caméra allèrent d’avant en arrière et devinrent inutilisables. "… On l’a fait."

"Pas d’empressement. On n’a pas encore fini." Xyank appuya sur un interrupteur et attrapa un petit joystick.
"Début du test de chute numéro un."

084 produit une anomalie spatiale autour de lui de tel sorte qu’aucun objet ne peut approcher la tour à moins de 200 m ; elle est entourée par un espace infini. Si c’était une représentation exacte à l’échelle devant lui à cet instant, la balle dans le panier directement au-dessus tomberait à l’infini, sans jamais se rapprocher de sa cible à moins de deux mètres.

Ça n’était pas le cas. La balle tomba purement et simplement. Et au même moment les ‘anomalies" qu’ils avaient tous vues s’arrêtèrent toutes en bloc.

"Mlle Anastasakos ?"

"On transmet encore," répondit-elle, sans y croire.

"M. Kitterman !"

"Le niveau de radiation est encore en accord avec un champ actif," dit-il en haussant les épaules. "Mais je ne vois rien qui me conduirait à croire qu’une distorsion est présente. La vidéo est même en train de reprendre."

Merde ! Qu’est-ce qu’il avait pu rater ? Ça n’était pas censé se passer comme ça. "Le modèle disait…" Les modèles sont aussi bons que les maths qu’il y a derrière. Qu’est-ce qui n’allait pas avec les maths alors ? Était-ce parfait ? Avait-il laissé une coquille quelque part ? Décalé une virgule ? Oublié une retenue ? "Restez ici, je reviens tout de suite."

"Euh…" Commença à questionner la Chercheuse Anastasakos.

"Refaites quelques essais. Si je ne suis pas revenu dans exactement vingt minutes, éteignez-le."

"Bien, monsieur."

À travers les double portes de la salle d’observation, au bout d’un couloir où se trouvaient son bureau et son tableau blanc et ses notes.

Et zut, ça paraissait si clair, et pourtant ça n’avait pas marché. Avait-il été trop conservateur avec le motif d’interférence ? Le signal était-il assez puissant ? Des équations emplirent sa vision alors qu’il courut, déduisant à nouveau et s’interrogeant et posant des hypothèses et tentant désespérément de trouver la réponse.

"Bien," Dit Thad1, essuyant de la sueur sur son front. "… Tout le monde m’écoute, parce que-" la porte s’ouvrit et Thaddeus Xyank6 entra, refermant la porte derrière lui avant même de reporter son attention en l’air. Xyank1 s’éclaircit la gorge. Le nouvel arrivant s’arrêta net, contempla une marée de son propre6 visage le regardant, et vacilla sidéré en se rattrapant contre une étagère près de la porte. "… Comme j’allais le dire," Continua Un. "Je n’ai même pas le temps d’expliquer ceci une seule fois.

"En se basant sur ce que nous vivons tous, notre expérience avec 084 a vraisemblablement été
été
été
été un succès." La salle entière tressaillit à l’unisson. Les Thad 1 2 et 3 essuyèrent le sang qui coulait de leurs oreilles et jurèrent et maudirent le jour où ils avaient eu cette idée mal branlée.

"Je pensais que c’était censé être indolore !" hurla-t-il4, appuyant sur ses tempes et tapant du pied.

"Les composants électriques," le coupa sèchement le Docteur2, tapotant sur sa tempe.

"Stop ! Tournez la page," dit Xyank1, les yeux fermés. Une pause de deux secondes pour se calmer et remettre ses lunettes. "Le plus important est qu’il semblerait que nous ayons initié une sorte d’événement de distorsion temporelle. Une boucle infinie ouverte."

"Donc," demanda timidement Thad6, "ça… Ça a vraiment marché ?"

"Oh oui," sourit Thaddeus1 d’un air satisfait, regardant l’horloge au mur avancer et reculer et avancer et reculer alors que la causalité oscillait autour de lui. "Ça a marché."

"Et est-on sûrs de ne pas être dans un événement du multivers ?" dit Six, clignant encore des yeux sous le choc.

Deux se gratta le nez et serra les lèvres. "Votre numéro d’employé ?"

"0927-7182-3740-0918", dirent-ils tous à l’unisson.

"Paradoxe," dit Thad5 en tapant sa tête sur son bureau. "Bordel. De merde."

"Okay, bien." Trois se leva et se versa
se versa
se versa
se versa un verre d’eau qu’il lâcha immédiatement alors qu’un autre spasme bref traversait la salle. Xyank3 tapota le distributeur d’eau avec le plat de sa main lequel lui répondit inconsciemment en bullant. Enviables, ces objets inanimés. Particulièrement à un non-moment comme celui-ci. "Si c’est un paradoxe, il doit y avoir un moyen de le résoudre, n’est-ce pas ? Les paradoxes n’existent pas à l’état naturel."

"Je m’en occupe," dit Moins-1, commençant à dessiner un diagramme sur le tableau. "Imaginons que ceci est la ligne temporelle, comme une rivière, s’écoulant du passé au futur. Ce qu’on a fait c’est prendre une bulle" (ici il dessina un petit ovale à côté de la ligne) "et la répliquer à intervalles réguliers partout dans l’espace environnant."

"Combien de fois ?" demanda Cinq.

"Au moins vingt, probablement plus." répondit Dr Xyank2, les bras croisés en suivant les explications.
Six siffla et releva sa tête du bureau. A quel point s’était-il6 raté ?
"Une de ces bulles a atterri comme par hasard juste ici dans cette pièce. Quelque chose dans la façon dont les autres bulles de 281 interagissent avec celle-ci provoque le fait qu’à intervalles régulierssreilugér sellavretni à’uq tiaf elle fait qu’à intervalles réguliers…" Thaddeus Xyank1 appuya ses bras sur le bureau et baissa la tête, deux gouttes rouges tombant sur la table et remontant à son nez. Cette fois-ci ça n’avait pas été si horrible. "…De temps à autre nous heurtons la ligne temporelle extérieure et un autre moi —ou vous, en fait— passe la porte.

"Est-ce que quelqu’un a essayé de partir ?" 6

Le second convive le plus haggard secoua la tête. "C’est comme ça que je suis arrivé ici." Thaddeus1 et Xyank2 serrèrent les lèvres et hochèrent la tête de concert. "Ça ne marchera pas."

"Mais !" s’exclama Quatre. "Nous devrions pouvoir empêcher ça d’empirer si nous empêchons la prochaine itération d’entrer OUI !" fit-il4 en applaudissant d’excitation. "C’EST BRILLANT ! Il peut même aller l’éteindre, et ça sera fini !"

"Pour qui ?" demanda Trois solennellement.

Et il avait raison. Il y avait deux issues possibles à ce scénario : Vide et Eternité. Il n’y aurait pas "d'échappatoire", du moins pas pour ceux présents. 084 crée un espace et un temps infinis dans ses limites. Même s’ils éteignaient l’appareil, même si l’anomalie se stabilisait d’un point de vue extérieur, et même s’ils pouvaient réellement empêcher Le Chanceux Septième de passer le seuil et de se retrouver dans la petite poche qu’ils avaient créée pour eux, ça ne serait pas fini.

Une boucle infinie.
Une boucle infinie.
Une boucle infinie… Thaddeus laissa un moment de réflexion, s’assurant qu’il avaient tous compris.

"Donc… donc on meurt ici ? C’est tout ?" demanda Six.

"Si on a de la chance." dit Thad2, retirant ses lunettes et se massant l’arête du nez.

La poignée de porte commença alors à cliqueter. Les douze yeux la fixèrent alors que leurs propriétaires se figèrent.

"…Devrait-on répéter quelque chose ?"5

"Nous n’avons pas le temps," répondit Xyank1. "Une fois que le cliquetis commence nous avons entre trente secondes et deux minutes je pense… C’est dur à dire quand tu ne fais que te parler à toi-même constamment."

Tous, sans exception, apprécièrent ricaner. Même les condamnés doivent rire. Mais le moment était mal choisi pour lambiner. Le loquet s’ouvrit et se ferma et s’ouvrit et se ferma.

Moins-Deux, hocha la tête et attrapa le fusil à pompe, juste-au-cas-où, depuis sa place derrière son classeur. "Tout de même. Nous devrions essayer, n’est-ce pas ?" Les autres approuvèrent silencieusement.

"Fais très attention à ce que tu dis," l’avertit le Docteur1 en attrapant un marqueur et commençant à écrire. "Je vais voir si je peux trouver une solution pour nous sortir de ce… merdier."

Il était tellement absorbé que, lorsqu’il posa ses mains sur la porte et l’ouvrit, il prit le bout du canon d’un Remington 870 étrangement familier en plein visage, et ce qui ressemblait affreusement énormément à une balle chargée à l’arrière d’un canon rayé le sortit d’un coup de son brouillard mathématique.

"Euh, c’est une façon de faire," Thad entendit sa propre voix parler. Il était sûr de n’avoir rien dit pourtant.

"Reculez, Dr Xyank. Éloignez-vous de cette porte immédiatement."

Sans quitter le canon des yeux, il s’exécuta. En se décalant, il put apercevoir des visages qui n’étaient pas sans lui rappeler le sien. En un peu plus vieux. En un peu plus usés. Du sang dégoulinait lentement de leurs oreilles et de leurs nez, leurs manches en étaient tachées aux endroits où ils s’étaient essuyés avec. Six d’entre eux. Le tableau avait été effacé, re-rempli, et encore effacé. Alors qu’il la regardait, la silhouette qui se tenait au fond désinscrit une ligne puis la réinscrit, s’arrêtant uniquement pour se presser les tempes et gémir avant de passer à la suivante. Une barbe de trois jours poussa à la version étrangère de lui même juste devant lui, puis elle disparut, un petit filet de sang remonta le long de sa nuque avant de ruisseler à nouveau vers le bas pendant que ses yeux, remplis de douleur et de désespoir, le fixaient.

"Ce que tu es en train de vivre," dit le Thad Xyank qui se trouvait derrière le fusil à pompe pendant que quatre autres lui-même, blessés, le regardaient, "est une sorte d'événement temporel décohérent. Nous ne savons pas encore comment l’arrêter, ni même si c’est possible d’ici. Mais, avec un peu de timing, on peut empêcher d’autres toi de venir ici."

"Je ne—"

"Comprends pas ?" lança une voix sarcastique de derrière l’homme armé. "Sans blague ? Aucun d’entre nous non plus, et Dieu sait depuis combien de temps Toi Premier, là-bas au tableau, est dans cette pièce." Sans se retourner, l’homme au tableau grommela et continua d’écrire. Xyank essaya tant bien que mal de se souvenir de son travail, mais la douleur à l’arrière de sa nuque lui fit réaliser que quelque chose clochait à l’intérieur de sa tête.

"Mais—"

"Tu es le numéro 7. Nous sommes les numéros 1 à 6. Mais tu es aussi le numéro 0. Et cela signifie que tu dois rester dehors pendant qu’on démêle tout ça ici."

"…le modèle ?"

L’une des copies à l’arrière lança ses bras en l’air mais se retint soudainement. "…Erreur décimale. Tu as tout décalé d’un ordre de grandeur. Bravo, tu as mis un terme au temps tel que nous le connaissons dans un rayon de vingt putains de mètres."

L’homme derrière le fusil à pompe hocha la tête, il posa le canon contre le torse de Thad et le repoussa dans le couloir. "Maintenant retournes-y et arrête tout ça avant que ça s’étende sur tout le site !"

"Mais qu’est-ce que— "

La porte du bureau claqua et fut verrouillée. Aucune autre réponse ne vint, même lorsqu’il cogna contre la porte jusqu’à s’en faire craquer les phalanges. Aucun bruit ne troubla le rythme atonal et régulier d’une défaite frustrante contre la porte de son propre mausolée. Cela ne produisit pas non plus d’écho dans le couloir.


"…La vache ça fait un moment qu’il est parti," marmonna Marcus en appuyant sur le bouton pour regarder une autre balle tomber directement au centre de la maquette. Une pile commençait à se former maintenant, les balles s'agglutinaient autour de leur petit transmetteur. "Enfin, combien de temps ça fait ?"

Attie ne leva pas les yeux, elle regardait attentivement l’écran d’en face. Elle était comme ça, d’ailleurs. La Fondation n’engageait jamais d’idiots, mais la Chercheuse Athena Anastasakos était tellement professionelle que ça en faisait mal à Kitterman de l’admettre. Ajoutez à ça une sorte de dévotion fanatique à la résolution de ce genre d'emmerdes et le respect en était forcé de voir qu’elle aurait gagné plusieurs concours si la conversation était une discipline. Marcus ne remarqua rien d’anormal jusqu’au moment où il attrapa son gobelet et arpenta la pièce jusqu’à la fontaine. Il sentit une sorte de… est-ce que c’était bien un hoquet ? Bah, sûrement pas grand chose.

"MARCUS" glapit-elle en se retournant dans un sursaut, son écran d’ordinateur était brouillé. "… Oh putain, tu m’as fait peur ! Comment t’as fait pour atterrir ?"

"Je… J’ai marché. Avec mes pieds." Kitterman leva les yeux au ciel et appuya sur le bouton de la fontaineeniatnof al notuob el rus ayuppa te leic ua xuey sel avel namrettiK ".sdeip sem cevAvec mes pieds." Kitterman leva les yeux au ciel et appuya sur le bouton de la fontaine.

Athena se mordit la langue et observa.

Un lent filet d’eau déborda de son verre, pendant environ un quart de seconde. Il le lâcha de surprise. Deux visages pâlirent. "…Ca fait combien de temps qu’il est parti ?"

"Pas plus de trois minutes."

"Et donc, comment est-ce que j’ai fait pour faire tomber tout ça ?" demanda-t-il en pointant du doigt la pile de petites balles en mousse.

Ils se ruèrent sur leurs panneaux de contrôle, frappèrent les écrans brouillés, nageant dans les voyants indiquant que tout commençait doucement à tourner en purée. "Éteins-le Éteins-le Éteins-le !" hurla Athena, dont les doigts tremblaient si vite qu’ils devenaient flous, juste à temps pour voir Marcus ouvrant l’un des panneaux de contrôle et commençant à débrancher les câbles. Ceux-ci émirent d’abord des éclairs, puis de la fumée avant de finalement se remettre en place d’un seul coup.

"Je devrais, tu penses ? " lui répondit Kitterman sur le même ton. Il courut vers la porte et l’ouvrit d’un coup de pied puis piqua un sprint de 30 mètres dans l’étirement d’un vestibule de deux mètres pour atteindre la porte de la chambre. Sécurisée à l’aide de verrous électroniques, et ceux-ci ne céderaient pas. "PUTAIN !" Le bruit retomba dans le hall stérile pendant qu’il fendait déjà l’air en direction de la chambre d’observation. "Mais bordel, il est allé où ?"

"Probablement au même endroit que nous, si nous n’arrivons pas à éteindre cette saloperie!"

La panique se décompose en plusieurs vagues. D’abord vous n’êtes pas totalement sûr que c’est vraiment arrivé. Tout devient rouge, et un picotement grandissant se fait ressentir depuis votre ventre jusqu’au bout de vos doigts et de vos orteils. Il passe par votre cerveau et refuse de s’en déloger. Les synapses fonctionnent plus vite que ce que vous pensiez, toutes les solutions possibles vous traversent l’esprit, une fois, deux fois, trois fois. Elles sont toutes merdiques. C'était à peu près à ce niveau d’imbécilité déséquilibrée que se situait Kitterman lorsqu’il prit un tabouret pour exploser la vitre avec. Une fissure fendit la fenêtre puis revint sur sa trajectoire pour finalement se refermer. Il réessaya donc entre cinq et trentes fois (quelle importance ?) avant de se rendre compte que le plus raisonnable serait juste de lâcher son tabouret et de hurler contre cette saleté de vitre.

"Ça suffit ! Tu ne nous aides pas !" Cria Attie jetant un coup d’oeil à un écran brouillé, attendant désespérément qu’une distorsion vienne rétablir la normalité de ces systèmes, même si c’était juste pour une minute. Juste assez longtemps pour faire sens de l’état du champ et de ce que faisait le réveil et s’il allait jamais s’arrêter.

Une épaule fut jetée dans la porte et, passant le pas de celle-ci, Xyank s’écroula sur le sol. "On a un problème !"

"Non ! Vraiment ? J’avais pas remarqué !" Beugla Marcus en agrippant maladroitement une multitude de câbles de sous la console et son couteau de poche.

Le Docteur0 essuya le sang sur ses tempes et en répandit sur le sol, qui sécha instantanément.
"Qu’est-ce que vous avez essayé jusqu’à maintenant ?"

"Le panneau de câblage, les commandes, B et E, rafraîchir la transmission—" Répondit Mlle Anastasakos.

"À peu près tout, sauf lui jouer une comédie musicale !" Aboya Kitterman en coupant un câble pour le regarder se ressouder lui-même pour la troisième fois.

Merde. Ça ne sentait pas bon. Vraiment pas bon. Tout déjà rompu, tout déjà en train de se réinitialiser. Mais la causalité était toujours flexible, et le fait qu’il soit revenu dans cette chambre prouvait que ça n’était pas encore la fin. Ils n’étaient pas totalement isolés, et un dernier Ave-Maria n’était absolument pas hors de question. Ce n’était pas comme si ils avaient grand-chose à perdre. "Mlle Anastasakos, quelle est l’heure exacte ?"

"Je ne vois pas comment—"

"Nom de Dieu, Attie, c’est une anomalie temporelle ! Quelle foutue heure est-il ?" Interrogea Thaddeus en sautant sur le disjoncteur qu’il ouvrit d’un coup.

"Il est… il est 0600 ? Ça ne fait— attendez ! 1023… 1747 ?"

"Est-ce que l’un d’entre-vous sait à quelle heure on a commencé la transmission ?"

"0930 ! … Je crois," proposa Marcus, avant de sursauter et de se sucer les doigts qui avaient été touchés par un léger choc électrique.

"Tu crois ?"

Marcus leva les mains et haussa les épaules, semblant à la fois horrifié et désolé. Ils devraient faire avec.

"Ok, c’est complètement hasardeux, mais c’est tout ce qu’on a. Mlle Anastasakos, vous devez me dire quand—"

"MAINTENANT !"

Tout devint noir. Une lumière d’urgence s’alluma. Leur pouls étaient suspendus, et ils allaient attendre. Et attendre… et attendre.


0945 allait et venait. L'anomalie ne se réitéra pas.

Après que deux fouines aient fouiné dans son bureau pendant à peu près un jour et l’aient scanné avec tous les instruments que son accréditation lui permettait de connaître (et quelques autres qu’elle ne lui permettait pas) et n’aient trouvé aucune fluctuation temporelle détectable ; après un épuisant et douloureux interrogatoire de routine pour s’assurer qu’il n’agissait sous l’influence de personne et qu’il restait loyal à la Fondation et à ses objectifs ; après un examen mental qui révéla un petit stress post-traumatique mais aussi un bilan de santé mental sain mais aussi deux semaines de congés payés, le Dr Xyank s’assit dans son bureau en se massant les tempes, regardant la dernière chose qu’il ait écrit sur le tableau.

Des traces de rouge de tous les côtés, allant ça et là, depuis et vers des graphiques et des organigrammes improvisés à en faire rougir la plupart des Chercheurs Juniors. Tout ça tournait à l’extérieur, à l’intérieur, autour et au travers d’une fonction centrale : une gigantesque Boîte Noire.

Certes, l’expérience avait été un ‘succès’ d’une certaine manière. Non, personne n’était mort, ou tout du moins ce n’était pas vérifiable. Oui, Thaddeus avait certifié que certains signaux électromagnétiques de grande longueur d’onde émis en puissance suffisante pouvaient altérer la forme, le débit, le sens et l’endurance d’un champ de tachyon pré-existant. Mais avait-il réellement appris comment créer un flux de tachyon à manipuler ?

Non. La Boîte Noire restait Noire. Et il était trop coûteux de continuer. Des douzaines étaient morts. Six copies de lui-même étaient irrécupérables. Il avait presque transformé l’aile d’expérimentation anormale du Site-17 en un autre SCP dont Dieu seul savait la désignation. 084/281-A, peut-être ? Son nom avait évité de très près la censure sur tous les documents qu’il n’avait jamais touché tandis que la Fondation nierait toute connaissance de ses activités ou qu’elle aurait daigné l’embaucher.

Il était temps d’arrêter.

Mais au moment où il se levait pour attraper l’effaceur, le silence s’empara de lui. Un coup d’oeil vers le haut lui permit de remarquer que la pendule s’était arrêtée. Il se mit alors en alerte, et ne percevait aucun mouvement dehors, dans ce qui aurait dû être une heure de pointe de fin de journée dans un couloir merdique. Lorsqu’il se retourna, il vit une ombre derrière la porte. Juste une seule. Elle se racla la gorge avant de déposer un paquet sous la porte et de partir.

La pendule se remit en marche. Le couloir reprit sa bruyante activité. Sur le sol, une enveloppe en papier kraft. Dedans, une montre.

Sa montre.

Sa propre montre Modèle 442i à remontoir automatique perpétuel parfaitement précise. Elle devait probablement traîner dans un casier pour objets anormaux depuis… eh bien, supposément, il ne pouvait pas dire depuis quand. C’est juste qu’il ne l’avait pas vue depuis qu’il avait été repéré après… Après. Mais qui d’autre était donc au courant ?

Une note était attachée au bracelet, manuscrite, au feutre fin rouge. Il eut le réflexe de la rouler en boule et de la lancer dans la corbeille à papier.

En moins d’une seconde, il était de nouveau dans son fauteuil, presque couché sur la table, les mains jointes, fixant la corbeille.

Cependant, cela le fit réaliser. Un jour, il écrirait ce message. Absolument. C’était la seule façon d’éviter une fracture. Il connaissait déjà l’heure et la date (il était 1946, le 18 Août 1997. Thad le grava dans sa mémoire et le rangea là où il ne l'oublierait pas) et l’endroit où le livrer…

Tout ce qu’il avait à faire maintenant était de s’assurer qu’il saurait quoi transmettre, ainsi la boucle pourrait être bouclée. Ou sinon… Ou sinon, il était sûr de ne pas vouloir savoir sinon quoi.

Heh… c’est drôle quand tu te souviens des choses au dernier moment.


Le péché capital d’Ève n’était PAS de mordre la pomme.
C’était de ne pas mâcher, avaler et finir le reste.
Ne fais pas la même erreur, aide nous tous les deux…

-Tx


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