"Tenter sa chance"

Il était tard quand j'ai rejoint mon bureau, j'avais dû rester toute la journée sous la pluie à prendre des mesures qui finalement s'étaient révélées inutiles car à peine rentrée on m'a appris qu'il s'était produit un glissement de terrain et que les deux tiers des mesures étaient à refaire. En gros, j'étais trempée, fatiguée, affamée et avec des pieds en compote.

Ah ! Quelle journée ! Et comme si ça ne suffisait pas, je découvre maintenant qu'un mail très important avait été envoyé à tout le personnel travaillant à la Fondation. Bien entendu, la personne était tellement pressée qu'elle n'a absolument pas pu me dire de quoi parlait le mail. Ah là la, je vous jure. Pourquoi les gens sont speed comme ça ?

C'est sans courir que je rejoignis mon bureau. Le mail avait beau être important, il n'allait pas s'enfuir. Quoi qu'ici, on voit des choses tout aussi étranges, donc ça ne m’étonnerait pas. En entrant dans la salle j'ai aperçu des cartons dans l'angle de la pièce juste à côté de la pile de papier vierge pour faire des cartes. Aucune idée de qui les avait mis là, mais je sentais que je n'allais pas tarder à le découvrir.

Je me laissais tomber sur la chaise de bureau la tête tombant vers l'arrière, et fis traîner un œil sur la pièce le temps que l'ordinateur s'allume. Des cartes étaient accrochées à tous les murs si bien qu'on ne discernait plus le papier peint en dessous, et quand faute de place, je ne pouvais plus en attacher aux murs, les meubles se transformaient à leur tour en support.
L'ordinateur lui-même était plein de post-it avec diverses notes sur des débriefings ou des mesures à ajouter sur des cartes ou dans des dossiers.
C'était assez marrant quand on y pense, ce bureau était une sorte de Tetris pour les cartes.

Le sourire aux lèvre, je consultais mes mails jusqu'à tomber sur celui dont on m'avait parlé. À ce moment là, mon sourire disparu…
Je lu le mail avec grande attention et, à la fin il me resta seulement en mémoire :

"Le Conseil O5 a donc décidé, après longue délibération, de la fermeture de Site-Aleph et du remerciement de l'intégralité de ses employés."

"Les employés sont priés de débarrasser leurs bureaux et de rendre leurs badges d'accès, avant de se rendre en Centre de Soin pour se voir injecter une dose d'amnésique. Le refus d'amnésique n'est bien évidemment pas négociable étant donné les informations confidentielles connues de chacun d'entre vous."

Je ne savais plus quoi penser. Tout s'embrouillait dans ma tête, ils allaient me donner un amnésique et j'allais tout perdre.
Je déteste les amnésiques. La première fois c'est Claüs qui m'a informée que j'en avais pris, étonné que je vomisse autant et que je tienne à peine debout. Il a bien fallu m'emmener chez le médecin et me dire ce qu'il m'arrivait, car ne pas connaitre la raison de cela faisait monter ma tension de manière dangereuse.

Avec la boule au ventre je repensais à tout ce que m'avait apporté la Fondation : j'ai développé mes connaissances dans certains domaines, c'est là où j'ai rencontré la plupart de mes amis qui sont aujourd'hui comme ma famille. C'est impossible, ils en ont vraiment le droit ?

"Je ne DOIS PAS oublier. Il doit bien exister un moyen de contourner tout ça ?"

Alors, pleine de terreur, je me suis mise à réfléchir à une idée, n'importe laquelle. Une idée qui pourrait me sauver la vie, car c'était bien ma vie qu'ils allaient anéantir.

"Mes cartes, des post-it, internet… Mes cartes, des post-it, internet… "

"Où ne fouilleraient-ils jamais ? À l’intérieur de moi ! "

J'ai alors pris des post-it et une boule en bois de 3 cm de diamètre pour les mettre dedans. Le docteur Holt m'avais offert cette boule peu après mon arrivée, "cadeau de bienvenue". J'étais vraiment heureuse de l'avoir reçue surtout que son effet anormal m'était utile. On peut la remplir de tout un tas de choses avec une limite de 1 kilo. Comment ça marche ? Aucune idée mais c'était génial !
Quoi qu'il en soit, si j'en crois mes cours de physiologie de quand j'étais jeune tout devrait être intact une fois avalé… Du moins je l'espère.

Bon ça, c'est fait. Et maintenant ?

On commence par le message. Tranquille. Rien ne presse.

Mince, je commence à les entendre dans le couloir ! Putain ! J'étais partie en mission ils n'avaient pas le droit de me faire ça aussi vite. Je suis peut-être dans les derniers ? Je dois bloquer la porte.

Mes mains tremblaient. La peur commençait à me gagner. J'avais les larmes aux yeux, mais je ne devais pas craquer sinon la panique allait totalement me submerger et je n'aurais plus les idées claires.

J'ai donc commencé à bouger mon bureau jusqu'à la porte, puis ce fut au tour de mes plus gros livres et de mon armoire. Ils vont forcément essayer de forcer la porte, je risque même d'être tuée. J'étais emplie de terreur.

Mon cœur battait la chamade j'avais du mal à tenir mon crayon, mais je me devais de rester calme. Il fallait que j'arrête de trembler !
J'ai pris deux minutes pour m'assoir et réfléchir. Puis je suis repartie avec le cœur plus calme, mais j'entendais toujours ses battements dans mes oreilles.

La carte était ce qui allait me prendre le plus de temps, sept minutes pour un travail un minimum correct, je ne pouvais pas faire mieux. Je devais noter les installations secondaires de la Fondation en France sur un bout de papier de même pas 8 centimètres… Pendant que des gens m'appelaient, martelaient la porte de coups et proféraient des menaces.
Ils allaient bientôt prendre quelque chose pour défoncer la porte et me tuer ou, au mieux, m'emmener de force. Au choix…

J'ai presque fini… Encore un effort.

Je recommence à trembler. Les larmes coulent seules, je ne dois pas mouiller le post-it, je dois me calmer…

J'ai du mal à bouger.

J'ai les yeux qui se ferment, je sens la fatigue venir. Pourquoi ?

Ils ont mis quelque chose dans l'aération… Vite, je dois l'avaler avant de m'endormir…

Mes yeux se sont fermés, laissant place à l'obscurité et à la peur. La peur de ne pas savoir ce qui m'attendra au réveil.

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