« Une vie de merde. | Survivre en temps de paix.»
Le 1 Décembre 2017, Département du Comité de la morale’Éthique, Site Aleph.
10H18.
Indrik Fulton était là.
Il était là en tant que décoration, comme tous ses collègues présents à cette table. Il faisait partie du glorieux Comité d’Éthique, une part importante de la Fondation, qui la paraissait un peu moins lorsqu’on ne savait pas exactement ce qu’il s’y tramait.
Tous ceux qui ont entendu parler de cette section oubliée de la Fondation vous diront la même chose.
À chaque fois.
Comme un mantra satirique visant à se moquer sans faire preuve de violence. Mais ces quolibets ne faisaient que renforcer ce que pensaient ses membres.
“Combien faut-il de membres du Comité d’Éthique pour changer une ampoule ?”
“Aucun car le Comité d’Éthique ne change rien.”
Les idiots. Il était bien vrai que peu de changements étaient intervenus depuis que le Comité existait. Mais c’est justement parce qu’il était là.
Il y a une grande différence entre ne rien changer, et maintenir la situation intacte.
Mais peu de personnes s’en rendaient compte.
Pour elles, à partir du moment où leur vie était calme, sereine, elles ne se disent pas que c’est le fait de plusieurs personnes se battant pour que rien ne change. Non. Elles se disent seulement que c’est un acquis, que c’est un droit.
Il y avait en réalité peu de différences entre un militaire et un membre du Comité. L’un se battait sur le front au péril de sa vie pour protéger sa patrie, et le Comité se battait à l’intérieur, contre les esprits forts et inhumains qui régissaient cette même patrie. Et dans les deux cas, si l’un des deux échouait à exécuter sa mission, la patrie serait en danger. De même que l’intégrité du monde libre.
Mais ce même monde libre était rempli de choses que le commun des mortels ignorait. De choses que la Fondation maintenait cachées, pour la sécurité de tous et de toutes. Pour maintenir la paix.
Mais cette même paix était devenue trop imposante pour que la Fondation puisse y vivre. Il fallait un minimum de barbarie pour que l’on puisse s'imaginer un idéal. Quand celui-ci est présent dès le départ, personne ne s’en rend compte.
La paix, la paix. Tout le monde la réclamait. Mais peu de personnes connaissaient les conséquences néfastes de la paix. Mais la Fondation le savait. Elle le savait mieux que quiconque. Et elle devait réagir pour ne pas sombrer.
Ironiquement, il était plus difficile d’assurer la sécurité lorsque la paix était appliquée. Et lorsque tout est parfait, l’équilibre doit être restauré. Et concernant la restauration du chaos, c’est les O5 qui s'occupaient du plus gros.
Le Comité d’Éthique n’était plus qu’un pion, une façade que l’on montrait, tandis qu’en arrière-boutique, c’était les O5 qui choisissaient quel produit mettre en avant, et… lequel supprimer.
Le Comité d’Éthique n'en avait de Comité, que le nom. Ils avaient beau protester contre la procédure Omega523, ils n’avaient voix au chapitre. Alors ces réunions du personnel n’étaient qu’une vaste blague pour faire bonne figure.
Mais Indrik Fulton n’avait pas le sourire. Il voulait retrouver sa fille chez eux, il voulait retrouver son mari chez eux, il voulait la paix plus que tout… et il l’avait atteint. Il avait réussi, non sans mal, à atteindre la paix. Mais les O5 ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils voulaient supprimer cette paix, rétablir la guerre, “comme au bon vieux temps”, et tout cela, c’était bien sûr :
“Pour le plus grand bien.”
Mais ils avaient échoué et heureusement pour eux, personne n’était au courant. Car sinon, c’est eux qui auraient fini derrière les barreaux, avec pour toute lueur colorée dans leur vie, des tenues orange comme la lueur émanant de l’ampoule au-dessus de la table de réunion.
Ironique, non ? Le Comité avait établi depuis longtemps le fait que cette ampoule avait été volontairement trafiquée pour se moquer. Et c’était le cas, mais c’est une autre discussion qui n’a pas encore eu lieu.
Bientôt, très bientôt, un O5 entrera dans cette salle pour prendre la feuille statuant de la réunion, il nous regardera un par un, puis l’emportera avec lui. Il la lira officiellement. Officieusement, les réunions étaient toutes différentes et c’était les O5 qui écrivaient ces feuilles. Enfin pas eux directement, ils avaient autre chose à faire. Mais l’idée était là : le Comité est mort quand la paix est survenue.
Le Comité d’Éthique protégeait la Fondation d’elle-même. Mais ce que le Comité n’avait pas prévu, c’était que ce soit ceux qui remplissaient leur paye qui soient ceux qui devraient être rétrogradés.
Rétrograder un O5 pour crime contre l’humanité ? C’est drôle quand on y pense. Tellement stupide de penser que l’on peut affecter des personnes qui n’existent sans doute pas.
Car ce n’était pas un O5 qui rentrerait dans la salle, mais son double officiel. C’est-à-dire ceux qui se représentent en leur nom pour écrire des lettres que leur dictent leurs supérieurs, se déplacer vers les sites à risque, être enterré sous le nom O5, tandis que le cadavre se trouvait quelque part… ailleurs.
À partir du moment où l’on devenait le double d'un O5, son accréditation, sa parole, est celle d’un O5. Mais sa vie aussi. On n’est plus un humain lorsqu’on devient le double, on est un O5. Et un O5 n’appartient pas à l’humanité, il la sert. Et comme pour la Fondation, il agit pour le plus grand bien.
Parce qu’utiliser des enfants pour survivre en temps de paix est la meilleure chose à faire.
Savez-vous pourquoi on l’appelle le Comité d’Éthique et non pas le Comité de la morale ?
La morale se réfère à un ensemble de valeurs et de principes qui permettent de différencier le bien du mal, le juste de l'injuste, l'acceptable de l'inacceptable.
L'éthique, quant à elle, n'est pas un ensemble de valeurs et de principes en particulier, mais il s'agit d'une réflexion argumentée en vue de bien agir. D’agir pour le plus grand bien.
Cela signifie que le Comité d’Éthique ne cherche pas ce qui est le plus juste, le plus “gentil” ; elle cherche ce qui est le plus utile. Et telle la ville d'Hiroshima, on peut détruire des vies pour en sauver d’autres. Du moins, officiellement.
Alors le Comité peut vous tuer si vous êtes un poids, si vous êtes bon mais trop peu efficace. Le bien et le mal ne sont pas des défauts ou des qualités, ce sont des idéologies. Comme la justice en quelque sorte. Condamner un innocent pour satisfaire l’assassin et sauver des vies est beaucoup plus appliqué qu’on ne pourrait le faire croire.
Et croire en une quelconque justice est illusoire. La justice n’existe pas car c’est l’Homme qui l’a inventé. Et le Comité d’Éthique n’existe plus, car ce sont les O5 qui commandent désormais.
Et ils ont décidé d’utiliser des orphelins, encore une fois…
« Pour le plus grand bien. »
Utiliser des enfants qui deviendront un poids pour la société en grandissant. Utiliser des enfants qui n’accompliront rien d’autre que des travaux misérables pour toucher le RSA, pour se plaindre, pour faire grève, pour être des électeurs moyens.
Non, ils deviendront sûrement inutiles, alors mieux vaut les faire servir le gouvernement dès le début. Des Classe-D qui mourront sans que personne ne s’en souvienne. L’idéal. Un stock inépuisable d’orphelins.
Bienvenue dans le monde merveilleux de la paix.
Le bien est une illusion inventée par ceux qui recherchent la sécurité. Et cette sécurité ne peut être appliquée que si l’on condamne ceux qui la menace. Or condamner quelqu'un, est-ce bien ?
Ce nom de Comité d’Éthique a été durement choisi pour montrer les véritables motivations de la Fondation : faire ce qui est juste n’est pas faire ce qui est bien.
Et Indrik Fulton le savait, mais il ne voulait pas le croire.
Et son tampon REFUSÉ lui avait été retiré depuis que les O5 décidaient de ce qui était juste.
En parlant des O5, voilà le double de l'un d'eux qui entrait.
Le 1 Décembre 2017, parodie de justice, Site Aleph.
10H30.
O5-3 était O5-3.
O5-3 ne vivait que pour l’être. Sa mémoire avait été modifiée pour qu’il ne se rappelle même plus de ses propres parents. Il ne savait pas son nom, son âge, ses désirs, ses envies.
Il ne savait qu’une seule chose : il était O5-3.
Enfin, il savait aussi qu’il n’était pas le premier à exécuter cette tâche en temps que double officiel d’un O5, il savait même qu’il était le 127ème et que la personne dont il prenait l’identité était le douzième O5-3 depuis la création de la Fondation. Il était O5-3-12-127. Un matricule à rallonge pour une fonction qui l’est tout autant.
S’occuper d’une bonne centaine de SCPs chaque jour, recevoir des centaines de demandes de promotion, de licenciement, de plaintes, de pot-de-vin pour espérer, comme lui, un jour, diriger le monde.
Mais ce qu’ils ne savaient pas, c’était que bien que O5-3 s’occupait officiellement de ces tâches, officieusement, des centaines de secrétaires, d’agents et de chercheurs, s’occupaient des basses besognes en son nom.
Son job à lui était de se présenter aux points névralgiques pour les soigner, les redynamiser. Ou au contraire les éclater car le remède était inaccessible. Ou alors celui-ci était tout simplement la mort. Et le deuxième cas de figure était beaucoup plus fréquent qu’on ne le pensait en réalité.
Et le Comité d’Éthique était un point névralgique qui avait besoin d’être soigné.
C’est assez ironique que la paix ait conduit la Fondation à se montrer plus inhumaine que jamais. Après tout, la paix est-elle vraiment désirable ?
Certains vous diront que c’était bien mieux avant. Et ils auraient sans doute raison. Surtout après la manifestation à Trafalgar. Une manifestation contre la paix justement. Mais ça, c’est une autre histoire qu’il est inutile de conter maintenant.
O5-3 était venu ici pour une bonne raison : trouver les dissidents de ce groupe, et les éliminer. Car il est trop dangereux de laisser les mœurs dicter nos choix. La Fondation était très mal. Car maintenant, elle devait survivre.
Survivre en temps de paix.
O5-3, ou du moins, c’était le nom qu’on lui donnait car on ne savait pas en général qu’il s’agissait d’un double, regarda l’assemblée composée d’hommes et de femmes n’ayant jamais demandé à être ici, mais qui, malgré tout, respectaient le contrat et tentaient de contenir les ardeurs des personnes allant à l’encontre de l’éthique.
Dans un silence uniquement troublé par la pluie martelant la fenêtre située à la gauche de la table de réunion, et l’ampoule grésillante, au-dessus de celle-ci, O5-3 prit une chaise et s’assit. Il attendit quelques secondes, observant chaque membre gravement, avant de prendre la parole d’une voix grave.
-Je me nomme O5-3. Et vous, vous êtes le Comité d’Éthique. Mon rôle est multiple, le votre est unique. Vous êtes chargés de contrôler si les membres de notre Fondation respectent les droits de l’Homme, la justice ou… la paix. Désormais, c’est notre rôle à nous, les O5. Un rôle qui vient s’ajouter à bien d’autres encore, rôles que vous n’êtes même pas capables d’imaginer, ne serait-ce qu’une seconde. Les temps ont changé et la Fondation aussi.
Marquant une pause pour observer le Comité, il prit le verre devant lui et avala son contenu rapidement, avant de poursuivre.
-Les Classe-D ne sont que de la main d’œuvre nous permettant de contrôler les entités, ce pour quoi nous avons créé la Fondation. On ne peut plus se permettre de sacrifier des individus compétents et pouvant nous servir, nous et le monde, à la place de criminels. J’imagine que vous le concevez.
Il attendit quelques secondes les hochements de têtes compréhensifs. Il reprit car, visiblement, ils ne viendraient pas.
-Jusqu’à preuve du contraire, nos multiples tentatives pour créer des hommes ont échoué. Et nos tentatives pour déstabiliser certains pays aussi. La paix est trop dure à acquérir pour que les dirigeants se mettent à se battre. Le résultat de ces multiples tentatives manquées est simple : le stock de Classe-D est faible, quasi inexistant. Et nos actions pour inciter la population à la criminalité sont surveillées. Nous sommes dos au mur actuellement.
À ces mots, certains membres du Comité s’agitèrent sur leur chaise, en proie à de brusques démangeaisons. Le malaise était palpable. Après tout, c’était eux qui avaient autorisé ces expériences.
-Alors nous avons proposé une solution. Une solution qui réglera bien vite nos problèmes, en plus de servir l’Humanité dans sa globalité. Et cette solution, vous la connaissez tous depuis quelques jours maintenant pour certains, depuis plusieurs mois pour d’autres. Comparez à ce que vous pensez, le conseil où je siège est composé de personnes possédant des oreilles. Mais nous possédons aussi un cerveau, chose bien plus utile qu’un cœur. Nous sommes le conseil qui veille sur vous en même temps que vous veillez sur ce pour quoi la Fondation fut créée. Je vous laisse donc le droit de parole. Mais ne comptez pas sur des concepts pour nous sortir de cette impasse. La procédure Oméga523 sera appliquée si ce Comité d’Éthique ne trouve pas une alternative à notre problème de stocks. Donc je vous écoute Messieurs, et Mesdames,
qu’est-ce qui empêche le Conseil O5 d’utiliser des enfants comme Classe-D ?
Le silence s’abattit brusquement sur la salle de réunion. L’ampoule s’était même brusquement arrêtée de grésiller, prolongeant le silence angoissant. Ils se concertèrent tous du regard, aucun n’osant prendre la parole devant cette pointure de la Fondation. Parler était synonyme de désapprouver ce que le grand conseil avait décrété. Et Dieu seul sait qu’un seul O5 pouvait les contraindre à passer le reste de leur vie dans une cellule. Voire porter une tenue orange.
Il était donc hors de question de parler, c’était trop dangere…
-Si vous me permettez, j’aurai une alternative à proposer.
Les regards convergèrent vers l’origine de ces mots. Le silence se fit plus pressant. Mais ni O5-3, ni le Comité d’Éthique angoissé ne tenta de le rompre.
-À qui est-je l’honn… Oh Fulton, n’est-ce pas ? Demanda O5-3 en regardant son interlocuteur droit dans les yeux. Des yeux verts émeraude qui n’étaient pas remplis de peur, mais de détermination. Voire d’une pointe de dégoût envers sa personne.
-Fulton Monsieur. Indrik Fulton. J’aimerai qu’on revienne sur la procédure Oméga523 si vous le voulez bien.
Alors que son supérieur s’apprêtait à prendre la parole, celui-ci continua dans sa lancée sans prendre le temps d’écouter sa réponse.
-Celle-ci consiste à acheter les enfants d’orphelinats pour les utiliser comme Classe-D. Votre conseil a apporté comme avantage que cela réglerait de une, le problème malthusien, et de deux, que personne ne se soucie de ces enfants. Cela prouve à quel point la situation est grave. Et à quel point la Fondation est tombée bas. À ce stade, nous ne valons pas mieux que les criminels que vous utilisez comme Classe-…
-Merci Monsieur Fulton, mais je vous ai accordé la parole pour nous faire part d’une solution. Me cracher subtilement dessus, ainsi que sur le Haut-Conseil ne jouera pas en votre faveur pour la suite.
-Est-ce une menace ?
L’ampoule recommença à grésiller. Mais cela fut l’unique bruit dans la salle. Bien que celle-ci était chauffée, l’ambiance était glaciale.
-Considérez que le Haut-Conseil est fier de votre action lors de l’opération à grande échelle de…
Sans le laisser terminer sa phrase, Indrik Fulton le regarda à son tour sans tenir compte du coup de coude léger de son collègue lui suggérant d’en arrêter là.
-Malgré tout le respect que je vous dois, l’opération Galifa était nécessaire. Vous vous apprêtiez à provoquer une guerre mondiale et…
-GALIFA ÉTAIT UNE ERREUR !
Tous les membres du Comité d’Éthique, à l’exception d’Indrik Fulton, se ratatinèrent sur leur siège. Ils espérèrent que la tempête allait bientôt passer, et que l’opération Galifa ne serait pas remise sur la tabl…
-Galifa était une manœuvre de paix entre les pays. Et c’est à ce moment, qu’envers et contre tous, la Fondation pensa à ses intérêts.
-Putain d’humanistes. Galifa était une erreur qui se ressent encore aujourd'hui ! Bien que vous soyez l’instigateur de cette opération ridicule, le Haut-Conseil a encore un soupçon de respect envers votre mari Mr Fulton. Alors je…
-Ai-je bien entendu ? C’est une menace ?
-Une simple analyse. La Fondation doit préserver l’humanité des anomalies et autres singularités ne rêvant qu’à vous démembrer et vous faire souffrir. Vous n’imaginez pas la situation actuelle Fulton ! Les grands pays font des discours sur la paix durement acquise, sur les écoles qui vont remplacer les prisons, sur la fin de la faim dans le monde. Mais ils ne s’imaginent pas que la baisse de la criminalité nous oblige à prendre des risques vis-à-vis des entités, et que ces risques peuvent entraîner un XK car le flux de Classe D a été interrompu ! LES NATIONS NE S’IMAGINENT PAS CE QU’ON DOIT FAIRE ICI ! C’EST LA PAIX CHEZ EUX, MAIS LA GUERRE CHEZ NOUS !
-Donc si je résume votre idée, mieux vaut continuer à utiliser des criminels, de voir les guerres éclatées, pour que l’on puisse continuer à assurer le confinement des entités, que de vivre dans un monde de paix où un risque de XK est plus grand ?
-Oui. Mieux vaut ça. Les nations sont tout simplement égoïstes. La paix sur Terre inclut un risque plus grand de fin de l’univers. Alors je préfère la guerre au risque de voir la Terre détruite de nos mains, que de celles des anomalies, Fulton. Et l’opération Galifa est la plus grosse erreur de notre siècle. Et vous êtes un des fondateurs de cette opération.
-L’opération Galifa a lié les grandes nations, a utilisé des SCPs pour faire prendre conscience aux nations de leurs faiblesses et de la nécessité de s’entraider. Un SCP a fait naître l’empathie dans leur cœur, un autre a détruit leurs armes. Un SCP a créé des ressources pour les pays pauvres et un autre a fait prendre conscience aux riches de ce que c’était que d’être dans ces même pays. Les SCPs sont des anomalies ayant perturbé l’équilibre de notre monde. Mais sans elles, la paix ne serait, aujourd'hui, pas établie.
-Et c’est à vous qu’on doit cette mascarade !
-Honnêtement, je me fiche de votre avis O5-3. Oui, j’ai convaincu l’ex O5-06 d’utiliser des SCPs dans ce but. Oui, j’ai monté l’opération de paix mondiale au moyen des SCPs. Oui, j’ai tenté de faire en sorte de stopper ceux essayant de l’entraver. Et oui, maintenant c’est la paix O5-3. Et grâce à mon action et à celle de bien d’autres instances de la Fondation, le monde est en paix. L’Homme a plus connu la guerre que la paix durant l’intégralité de son histoire. Et il est temps que cela change.
-Et vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi les Hommes se font la guerre Monsieur Fulton ? Car c’est ce qu’il sait faire le mieux. Car dès le début de notre apogée, nous nous sommes battu pour survivre. Et regardez-nous aujourd'hui ! La guerre nous a permis de nous endurcir, de devenir plus puissant. La paix nous ramollit. Elle est néfaste pour l’Homme. Et vous aussi Fulton.
-Vous allez m’éliminer O5-3 ? Je ne vous le conseille pas. Si je suis encore dans ce Conseil aujourd'hui, c’est parce que je le veux bien. Les nations m’ont proposé des emplois dans leur gouvernement, des gouvernements auxquels vous obéissez jusqu'à preuve du contraire.
O5-3 le foudroya du regard avant de se lever de sa chaise en silence, sans le quitter des yeux, puis rompit le contact lorsqu'il se dirigea lentement vers la porte du Comité d’Éthique. Alors que sa main était à moins de deux centimètres de la poignée, il se retourna lentement et embrassa la salle du regard.
-Aucun d’entre vous n’ayant proposé une alternative à la procédure Oméga523, celle-ci sera appliquée comme prévu. Bonne journée Messieurs.
-Je ne le pense pas O5-3.
Puis celui-ci claqua la porte, non sans adresser un regard haineux au seul membre du Conseil ayant pris la parole. Et… oui. C’était bien de la satisfaction qu’il lut également dans les yeux noirs ébène de l’O5.
Le 1 Décembre 2017, maison de campagne de la famille Fulton, France.
12H18.
Ayant commencé sa journée à minuit, Indrik Fulton était plus qu’heureux de la terminer enfin. Elle avait dû se réveiller depuis le temps, et elle était assez grande pour ne plus pleurer quand il pousserait la porte d’entrée, lui adressant un sourire éclatant après sa dure journée de travail.
C’était son anniversaire aujourd'hui après tout. Celui de sa petite puce.
Malheureusement, il n’avait pas eu le temps de lui acheter un cadeau. Le boulot était trop horrible pour qu’il y consacre du temps. Et celui-ci commençait à lui manquer d’ailleurs…
Mais il y penserait un autre jour. Aujourd'hui était une journée de calme et de bonheur avec sa fille, leur fille. Elle était leur petit rayon de soleil. Toujours à gambader dans le jardin, à découper des petits bouts de papier pour en faire des bonhommes rigolos, à rire aux éclats et à s’énerver pour un rien. C’était vraiment un bonheur de l’avoir à ses côtés.
Tout en claquant et en verrouillant la porte de sa voiture familiale, il se dirigea lentement vers la porte de leur maison, à lui et à son mari.
La maison était blanche et rouge. Dans le plus pur style campagnard, des plantes grimpantes pouvaient permettre à n’importe qui de se faufiler jusqu’à la fenêtre de leur chambre s’il le voulait. Il se dit qu’il devrait appeler un jardinier pour s’occuper de ça. Encore du boulot…
Tout en soupirant, il sortit ses clés et ouvrit lentement la porte pour découvrir la maison dans l’ombre, sans aucune lumière filtrant dans l’obscurité de l’entrée. Il se dirigea à tâtons vers le salon, puis vers la fenêtre, et écarta les rideaux. Alors il entendit un petit gémissement en provenance du canapé.
-Hmmmmmmmmmmmm….
-Bon anniversaire ma puce !
-Hmgh papa ?
Elle ouvrit les yeux et tourna son regard fatigué vers son père. Elle lui adressa un petit sourire sans pour autant cesser de plisser les yeux devant la lumière pénétrant dans la pièce encombrée.
-Aaahhh. Je t’ai déjà dit de ne pas te coucher aussi tard ! Résultat, tu n’arrives plus à te lever. Ce n’est pas parce que l’école est fermée aujourd'hui qu’il faut roupiller toute la journée !
La petite fille se releva lentement tout en essuyant ses yeux larmoyants, et adressa un léger sourire à son interlocuteur, avant de bailler à s’en décrocher la mâchoire.
-Et la main devant la bouche quand tu bâilles ! Mon Dieu, tu es toute blanche ! Tu vas bien ?
Abandonnant son rôle d’adulte exaspéré, il s’agenouilla devant celle-ci avant de toucher son front du plat de la main. Il la laissa quelque secondes avant de la retirer, visiblement soulagé. Il eut cependant un air perplexe lorsqu'il regarda sa main.
-Hmmmmmmmmmm.
-Mais… c’est de la farine ! Comment tu as fait ton compte toi ?
-…
-Owww, tu as voulu faire de la cuisine ?
-Vi, c'était rigolo avec papa !
-Je suis désolé de ne pas avoir été là hier. Et Adelphe n’a pas nettoyé la cuisine je parie ?
-Il a reçu un appel urgent de son travail et il est parti très vite. Du coup il était minuit et j'étais un peu fatiguée. Donc je me suis couchée et tu m’as réveillé !
-Il a cuisiné avec toi jusqu'à minuit ? Bon Dieu, ton père n’a aucun sens des responsabilités. Aaaah, il ne changera jamais.
-Huhu, tu as de la farine sur le nez papa !
-Ah bon ? Hmm je vais enlever ça de sui…
Avant qu’il ne puisse finir sa phrase, la porte d’entrée explosa dans un grand fracas, laissant entrer une entité semblable à un lion vert aux dents acérées et à la crinière émeraude.
La petite fille hurla et le lion rugit, avant de se propulser vers celle-ci, qu’il rata d’un poil, tandis qu’Indrik souleva sa fille à bout de bras avant de donner un coup de pied dans le torse de la chose.
Tandis que celle-ci s’était visiblement blessée sur le tisonnier prés de la cheminée, les deux proies s’enfuirent vers l'étage de la maison, claquant la porte de la chambre parentale derrière eux.
Le père ferma la porte après avoir finalement trouvé la bonne clé au bout de quelques secondes de tremblements intenses. Sa fille était à moins d’un mètre, le regard vide de toute trace de sommeil, mais les yeux empreints de terreur et d’incompréhension. Tout était allé si vite..
-PAPA ! C’ÉTAIT QUOI ÇA ?
-J’en sais rien ma puce, va t’asseoir sur le lit !
Elle s’exécuta sans cesser de trembler, tandis que son père réfléchissait à toute allure en barricadant la porte autant qu’il le pouvait. Soit en prenant une chaise qu’il cala sous la poignée de la porte. Malgré cette barricade de fortune, la créature était toujours en bas, sûrement en train de renifler les traces, leurs traces, sur le carrelage du salon. Elle arriverait bientôt. Pour eux.
Alors qu’il se demanda comment cette créature avait pu parvenir jusqu’ici, à moins de dix kilomètres d’Aleph, soit en passant outre un confinement ou une extermination en bonne et due forme, il regarda sa fille qui tremblait, alors qu’elle pointa le ciel avec son petit doigt. Les yeux remplis de terreur.
-Papa, c’est quoi ça ?
Indrik Fulton traversa rapidement la courte distance séparant la porte de la fenêtre en bois de sapin, puis regarda à travers le verre propre, le ciel. Un ciel dégagé. Un ciel bleu et sans nuages.
Il faisait un temps magnifique dehors. Les oiseaux chantaient, les fleurs s’épanouissaient. Un jour comme ça, la Fondation se dit qu’elle devait en profiter, que c’était un beau jour pour qu’un missile soit lancé.
-J’ai peur papa ! C'est quoi ça ?
Il attrapa la main de sa petite fille tout en lui adressant un sourire radieux.
-Un cadeau de mes supérieurs ma chérie.
Rassurée par son ton calme et posé, la petite fille serra tendrement les doigts de son père, en regardant le missile s’approcher… inexorablement.
-Je t’aime papa.
Et avant que le missile n’atteigne le toit de la maison à exactement 12h34, Indrik Fulton regarda sa fille pour la dernière fois, une larme coulant de son œil, toujours le sourire aux lèvres. Il appuya ensuite son front contre celui de son enfant, et murmura dans son oreille, doucement, tendrement :
-Moi aussi Galifa.