Un Régal pour les Yeux

J'ai été repéré hier.

Habituellement, je fais plus attention à propos de où et quand je le fais, mais j'étais vraiment affamé. Je n'avais pas eu de véritable repas depuis des semaines et j'avais vraiment envie d'un steak. Des tremblements de faim, comme je n'en avais jamais ressenti auparavant, parcouraient mon corps comme un flot de séismes. J'avais envisagé d'essayer de simplement en manger. D'user mes dents dans la viande coriace et de me brûler la langue sur la chair grésillante, puis de tenter l'acte atroce de forcer cette bouillie fibreuse à descendre au fond de mon œsophage. J'espérais qu'elle y resterait, mais je savais que ce ne serait pas le cas.

Je me mis à découper le steak en cubes de la taille de mon orbite, mais j'étais trop impatient, donc je décidai plutôt de tailler en longues et fines tranches. Mes yeux bavaient d'impatience devant le festin qui m'attendait. Je levai un cube jusqu'à ma bouche, vérifiai les alentours pour être sûr que personne ne regardait, puis plongeai le cube directement dans mon œil gauche. Il s'enfonça derrière mon cristallin et fut intégré dans ma rétine, j'étais au Paradis. Je gémis de manière audible à la saveur d'outre-monde de la vision qui emplissait mon esprit d'une puissante béatitude. Mon bonheur fut cependant soudainement interrompu par les regards de dégoût des autres clients. La honte me fit taire.

Il s'écoula une éternité avant qu'ils n'arrêtent de me fixer et ne reprennent leurs bavardages.

Je saisis ma chance et j'attrapai l'une des longues tranches à mains nues. J'aurais besoin d'autant de dextérité que possible. Je glissai lentement et méthodiquement la viande dans mon œil droit, centimètre après centimètre, alors que la graisse et le gras recouvraient mes cils et coulaient sur ma joue, mais je m'en fichais. Je consommais enfin de la VÉRITABLE nourriture. Quand la tranche fut terminée je me mis à en dévorer une autre, puis une autre, puis encore UNE AUTRE. Avant même de m'en rendre compte mon plat était vide, mais j'avais besoin de PLUS. Je soulevai l'assiette lisse et inclinai la tête en arrière, versant le délicieux liquide chaud dans mes globes oculaires.

Même avec du cartilage et de la graisse ruisselant le long de mon cou et trempant ma chemise autrefois blanche, je n'avais jamais été aussi heureux de ma vie. Pour la première fois, je me suis senti satisfait.

Je m'en fous que tout le monde m'ait vu, ça en valait le coup bordel.

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