AVERTISSEMENT
Le document suivant est issu d’un rapport de la Fondation Royale du Secret du Roy aux Amériques et en Nouvelle-France et fait actuellement l’objet d’une révision. L'organisation du rapport a été mise à jour en date du 01/01/190█ pour correspondre aux standards de la Fondation SCP, des erreurs ou des imprécisions sont néanmoins susceptibles de subsister. Merci de contacter le Département des Archives du Site Aleph pour accéder aux versions antérieures.
Note : Depuis la mise à jour du 21/05/195█, SCP-911-FR a été reclassé EXPLIQUÉ et déclassifié
- Dr Gonzague Telmarino
Une des tanières jadis occupées par SCP-911-FR-EX au XVIIIème siècle.
Objet no : SCP-911-FR
Niveau de Menace : Indéterminé
Classe : Expliqué
Procédures de Confinement Spéciales : [PROCÉDURES DE CONFINEMENT OBSOLÈTES SUPPRIMÉES]
Note de mise à jour du 21/05/195█ : De par sa nature, SCP-911-FR-EX ne nécessite aucune procédure de confinement particulière. Les deux spécimens empaillés et toute la documentation originale du rapport sont stockés au Département des Archives du Site Aleph.
Description : La Singulière Créature numéro 911 désigne une espèce de créature métamorphe capable d’adopter à volonté une apparence anthropomorphe ou de malbeste dévorante selon l’heure du jour ou de la nuit.
La nuit, sa forme est celle d’une malebeste, les créatures adoptent alors l’apparence de bêtes semblables aux grands prédateurs canidés. Leur chef est pourvu de ramures identiques à celles des cervidés et leur constitution rappelle grandement le wolvérène du val du Saint-Laurent, mais en bien plus massif et pourvu de membres plus longs et d’oreilles dressées à la manière des loups. Leur intelligence est purement bestiale et uniquement motivée par la recherche et la consommation d’une nouvelle proie.
Ces malebestes constituent une menace redoutable en ce que leur audace (ou leur folie démoniaque) les pousse à s’attaquer seules ou en groupe à plus forte partie qu’elles. Il n’est pas rare de les voir s’attaquer aux ours grizzlis dont elles sont uniques prédatrices. Les chasseurs indigènes de la région redoutent leur présence, à tel point que par temps brumeux une cinquantaine des plus braves d’entre eux redouterait de s’aventurer dans les bois.
Le jour, elles adoptent une forme anthropomorphe à peu près humanoïde quoique primitive et sans intelligence. Leur peau est pâle, épaisse et pratiquement glabre, mâles et femelles ont le cuir chevelu complètement chauve. L’arcade sourcilière marquée et la mâchoire proéminente donnent à leur faciès l’apparence d’une brute, bien que sous certains angles, leurs traits rappellent les indigènes des Amériques. Leur silhouette est mince et voutée et leurs membres longs, il n’est pas rare de les voir se déplacer accroupies en s’aidant de leurs membres antérieurs.
Les Singulières Créatures numéro 911 vivent en meute. Lors de l’expédition des dragons du troisième régiment d’Ailetas menés par le chevalier de Craivecrisse, il en a été recensées deux cent cinquante-sept instances de tous les âges et tous les sexes. Sans foi ni loi, elles n’ont d’humain que l’instinct unissant la mère à son petit et l’association des mâles pour les parties de chasse. Bien que capables d’exploiter les vertus du feu pour se chauffer ou se nourrir, elles sont incapables d’en allumer un, leurs outils et leurs armes les plus sophistiquées ne valent guère mieux que pierre ou bâton. Communiquer avec ces créatures est impossible tant leur langage est grossier et animal.
À l’instar des autres espèces de créatures lycanthropes, le contact de [DONNÉES SUPPRIMÉES], d’autres métaux plus communs comme le vif-argent ou l’argent simple, ainsi que le feu leur est fort pénible et même fatal dans certains cas.
Avant-propos : Les origines des Singulières Créatures numéro 911 ne sont point connues, mais les indiens Hurons de la tribu des Stanyatoyenhs de Nouvelle France en ont une idée légendaire. Le document suivant provient des carnets de feu Vicomte Béranger de Fresnay, capitaine au troisième régiment de dragons d'Ailetas, trépassé lors de l'investigation relative à leur traque et leur extermination.
C’était au commencement des légendes des Hommes. Impeesa, le Grand-Loup-Qui-Chasse, flairait ses pistes à la recherche d'une proie entre les étoiles et Bonomenzac, le Grand-Orignal-Qui-Paît, broutait avec appétit dans les vaux de nuages au-dessus de nos têtes. Le souffle de Bonomenzac réchauffait la Terre et tous les esprits qui la peuplaient alors en ce temps. Or voici qu'un jour Impeesa flaira Bonomenzac et le prit en chasse, et Bonomenzac s’enfuit, et ils se poursuivirent tout autour de la Terre dans une chasse sans fin, et ce fut la première grande chasse des saisons. Avec Bonomenzac s’en fut la chaleur et il fit froid. Avec les premiers grands froids s’en vint l’hiver et rien ne poussa. Sans les cultures vint la famine.
Or il était deux tribus sur Terre qui se côtoyaient sans se haïr ni s’apprécier. La première était la Tribu des Hommes Sages ; les prévoyants qui voient loin et cultivent la terre. La seconde était la Tribu des Hommes Fous ; les insensés qui ne vivent que l’immédiat et demeurent oisifs lorsque le danger menace.
La première tribu passa le premier hiver sereinement, car elle avait cultivé la terre et avait engrangé abondance de maïs, de fèves et de courges pour subsister de longs mois. La Tribu des Hommes Fous se trouva fort dépourvue et lorsque la bise fut venue, elle n’eut plus rien à manger.
Les Fous s’en furent alors trouver les Sages :
"Frères, nous en vous prions, donnez-nous un peu du grain que vous gardez dans vos huttes car voici venu le froid et nous n’avons rien à manger. Nos anciens meurent, nos femmes et nos enfants dépérissent et c’est un grand chagrin pour nous."
Les sages répondirent aux fous :
"Nous ne vous donnerons pas le grain que nous gardons dans nos huttes, car qui sait combien de temps Impeesa donnera sa chasse à Bonomenzac ? En vérité, peut-être le Grand Orignal ne paîtra pas avant longtemps au-dessus de nos têtes. Si nous vous donnons le grain que nous gardons dans nos huttes, alors peut-être que nos femmes et nos enfants n’en auront-ils plus assez, et lorsque Bonomenzac reviendra dans ses pâturages il ne réchauffera plus que nos os."
Les Fous rentrèrent chez eux pleins d’amertume et de rage. Ils maudirent les Sages, et ils se maudirent eux-mêmes de leur folie et de leur imprévoyance. Lorsqu’ils eurent tout à fait épuisé le grain et le pemmican et que le gibier vint à manquer, alors ils eurent vraiment faim. Les faibles, les vieillards, les femmes et les enfants, ils les tuèrent, les fumèrent et ils se nourrirent de leurs chairs et ce fut une abomination à la face du Grand Esprit qui détourna son regard d’eux.
Les mauvais esprits prirent place dans leur âme et les changèrent en bêtes nocturnes, car leur comportement avait été celui des bêtes fauves et non point des humains. Les mauvais esprits avaient entendu leurs malédictions, aussi les autorisèrent-ils à conserver une apparence humaine au grand jour pour tromper et dévorer l’homme sage. Car de même que les Fous, les mauvais esprits n’aimaient pas les Sages et cherchaient à les perdre.
Addendum 911-a : Rapport d’Investigation
ORDONNANCE D'INVESTIGATION N° 911-1760
Fort Maleville, le dix-sept septembre 1758
Faits : Un chasseur de la tribu huronne des stanyatoyenhs s’est présenté ce matin à mon office apportant enfin des nouvelles de l’abbé Borie Peyrac. Celui-ci serait mort depuis plus d’un mois, ce qui explique, je suppose, le silence de ses rapports.
Selon le chasseur, cela faisait plusieurs jours que l’abbé enquêtait sur la présence d’une malebeste dévorante qui terrorisait les abords du village de la tribu. La malebeste l’aurait surpris un soir, alors qu’il s’était éloigné seul du village pour une raison inconnue. Le décès de l’abbé Peyrac est fort contrariant, car si ses qualités de missionnaire laissaient certes à désirer, ses qualités d’agent de renseignement auprès des indigènes de la région étaient indéniables.
Le chef Corbeau Bleu nous envoie son messager pour nous prier de bien vouloir l’assister dans la chasse de cette malebeste qui décime les siens au nom de la bonne alliance qui unit la nation des hurons et Sa Majesté le Roy de France.
Ordre : J’ai délivré un mandat au chevalier Christophe de Craivecrisse afin qu'il puisse prendre soin de cette affaire. Bien que faisant preuve parfois d’un excès de zèle dans l’exercice de ses fonctions, de Craivecrisse est un homme capable et intrépide dans lequel je place toute ma confiance.
Le chevalier aura pour mission de se joindre aux indigènes de la tribu huronne des stanyatoyenhs pour traquer la malebeste, la tuer et ramener sa dépouille à Fort Maleville où elle sera étudiée et naturalisée par les savants du Fort avant d’être amenée par navire en terre de France ou le Secret en disposera selon le bon plaisir de Sa Majesté.
Moyens : Le chevalier de Craivecrisse aura à sa disposition les ressources suivantes :
- Un détachement d'une vingtaine des dragons du fameux troisième régiment du marquis d’Ailetas, tous armés et montés,
- Un interprète acadien pour converser avec les indigènes,
- Deux camions tirés par des chevaux de traits pour le transport des vivres et matériels,
- Une cage de bonnes dimensions en argent massif traitée par les alchimistes du Secret du Roy pour résister aux essences néfastes de la malebeste,
- Vingt livres de vif-argent pour traiter leurs propres munitions et celles des indigènes afin qu'elles puissent nuire à la malebeste.
Marquis Anselme de Hauterive
Secrétaire Général du Secret du Roy en Nouvelle France et aux Amériques
Avant-propos : Partis de Fort Maleville dans la matinée du vingt-et-un septembre, an de grâce 1758, le chevalier de Craivecrisse et sa compagnie atteignent le village des hurons-stanyatoyenhs dans l’après-midi du premier octobre. Leur chef, Maître Corbeau Bleu, les informe que ses pisteurs et ses trappeurs ont relevé à plus de trente lieues au nord du village les traces non pas d’une, mais de plus de deux centaines de ces créatures se désaltérant sur les rives du lac Louis le Grand.
Après avoir enseigné aux indigènes comment malléer le vif-argent pour en former des balles ou des pointes de flèches, de Craivecrisse prend la direction du nord avec son escorte et une quarantaine de chasseurs stanyatoyenhs, le trois du mois au petit jour.
Le Chevalier de Craivecrisse et le chef de village Corbeau Bleu planifiant la traque des Singulières Créatures numéro 911.
Quatorze Octobre Mille Sept Cent Cinquante-Huit, onzième journée de chasse [14/10/1758-J11]
Maître Loup-qui-ne-dort-jamais s’en est revenu tout à l’heure avec trois de ses chasseurs en ramenant enfin de fameuses nouvelles. Il semblerait que nous ayons trouvé le nid d’hiver de ces malebestes, un réseau de galeries et de cavernes sis un peu plus en aval de la rivière que nous fouillons depuis voilà plus d’une décade. Je m’y suis rendu personnellement avec le Capitaine de Fresnay et deux dragons. Si les tanières sont pour l’heure inhabitées (Maître Petitbois et les trappeurs indigènes pensent que les malebestes ne viendront les occuper qu’avec les premiers grands froids), le spectacle qui nous attendait nous a néanmoins glacé les sangs.
Daims, orignaux, renards, chats sauvages, rongeurs et volailles variées, mais également et plus surprenant ours, loups, wolvérènes et loups-cerviers, c’est toute la création peuplant les forêts de Nouvelle France dont les ossements étaient éparpillés ici. Le plus effroyable fut sans nul doute les squelettes humains aux os encore tout rongés dont nous retrouvâmes un nombre aberrant. Certains portaient encore des lambeaux et haillons de fourrures ou de vêtements.
Nous convînmes d’établir un campement sur l’autre rive de la rivière, en face des tanières, et d’attendre leur venue. La place nous servira d’affût et nous permettra de les tirer à vue tout en restant hors de portée de leurs griffes et de leurs crocs. Si le ciel nous est favorable, la rivière ne sera pas assez gelée pour les laisser traverser.
Il me semble avoir parlé trop vite, j’aperçois déjà des flocons tomber. C’est diablerie d’être témoin d’un tel climat à la mi-octobre…
[PASSAGES NON-PERTINENTS SUPPRIMÉS]
Trente Octobre Mille Sept Cent Cinquante-Huit, vingt-septième journée de chasse [30/10/1785-J27]
Avons passé l’avant-veille de la Toussaint sous les congères. Notre réserve de gibier est bien garnie et nous n’avons guère quitté notre petit fortin aujourd’hui que pour les corvées de bois et pour déblayer la neige qui obstrue nos fossés et menace de grimper aussi haut que nos remparts (devrais-je dire nos barricades ?).
L’ambiance était fort morose, tant chez les indigènes que chez les nôtres. Pour détendre l’atmosphère, Maître Loup-qui-ne-dort-jamais nous a conté ce soir au coin du feu la légende de son peuple à propos des créatures que nous traquons depuis un mois et qu’il nomme "wendigowaks" dans son langage. Maître Petitbois nous l’a retranscrite en français et il me semble bien que le Capitaine de Fresnay l’a notée dans ses carnets.
Le conte plut bien à deux ou trois de nos dragons qui pour remercier les indigènes leur offrirent quelques-unes des dragées d’amande qui leur furent distribuées à notre départ en guise d’encouragement. Les indiens ont beaucoup apprécié cette friandise et se sont mis en tête d’aller importuner ceux des nôtres qui se reposaient dans leurs tentes pour leur réclamer les sucreries, les gratifiant d’un jet de boule de neige lorsqu’ils se voyaient opposer un refus ou un grognement ennuyé.
Ces peaux-rouges, quoique redoutables guerriers, possèdent véritablement des âmes de petits enfants. On ne saurait rester fâchés devant une aussi touchante jovialité. La soirée fut au final fort plaisante et nous permis de nous alléger quelque peu l’esprit.
Trente-et-un Octobre Mille Sept Cent Cinquante-Huit, vingt-huitième journée de chasse et veille de Toussaint [31/10/1758-J28]
Branle-bas général, cette fois nous y sommes !
Face-de-Castor, l’un des pisteurs indigène en patrouille cette nuit, a surgi tout sanglant des bois peu avant le petit jour. Le pauvre bougre avait le bras gauche en charpie et les fourrures de son vêtement étaient en lambeaux. Aucune trace des quatre dragons et des trois autres indiens qui l’accompagnaient cette nuit, le pire est à redouter pour ces malheureux.
Peu avant qu’il n’expire, Loup-qui-ne-dort-jamais a pu soutirer quelques informations à son guerrier. La rivière étant bien gelée cette nuit, ils se seraient imprudemment aventurés de l’autre côté afin de voir s’il n’y aurait pas quelque mouvement du côté des tanières. Las ! Les créatures les ont flairés et pourchassés sur un près d'un quart de lieue. Face de Castor a pu repasser la rivière en aval en laissant un bras dans l’affaire, tandis que ses compagnons se faisaient dévorer tous vifs derrière lui.
Avons tenu conseil de guerre en fin de matinée avec le Capitaine de Fresnay, Maître Petitbois, Maître Loup-qui-ne-dort-jamais et quelques autres des plus fins trappeurs indiens. Il n’est plus temps de repousser l’inéluctable, nous devons faire venir les malebestes à nous afin de les mettre à bas plus aisément. Il nous reste quelques gallons de sang du gibier que nous avons chassé tantôt dans la semaine, ainsi que moult entrailles que nous conservions pour cuisiner des boudins. Nous les répandrons dans nos fossés et le vent se chargera d’en porter le fumet jusqu’aux tanières.
Pour le reste, trente-cinq carabines à silex et à mèche, quantité d’arcs de frêne indigènes et plus de munitions et de traits à pointe de vif-argent que je n’en saurais compter. Nous comptons aussi sur nos réserves de poix et de bois qui nous ferons bonnes armes incendiaires tant qu'elles dureront.
Mais voilà que déjà le soleil se couche et il fera bientôt tout à fait nuit. J'espère que nous parviendrons à tenir ces démons en respect, au moins jusqu'à l'aube.
Premier Novembre Mille Sept Cent Cinquante-Huit, vingt-neuvième et dernière journée de chasse, jour de la Toussaint [01/11/1758-J29]
Avons tenu toute la nuit et déchargé salves sur salves aux créatures empêtrées dans les pieux et les embûches de nos fossés. Lorsque la palissade au sud a cédé sous leur poids, écrasant les malheureux qui s’y tenaient, nous n’avons pas failli pour la plupart et avons continué de tirer en rangs serrés (ou plus éparses pour les indiens) sur les abominations qui nous lorgnaient par la brèche de leurs yeux furibonds.
J’ai bien cru défaillir lorsque l’une d’entre elles emporta la tête de Fresnay dont l’arme avait fait long-feu, Maître Petitbois en a perdu l’esprit. Ses entrailles l'ont lâché soudainement et la dernière fois que je le vis, il enjambait le rempart, misant sans doute sur ses capacités de trappeur pour s’enfuir sain et sauf. Ce soir encore il n’a pas reparu et je ne me fais guère d’illusions sur son sort.
Maître Loup-qui-ne-dort-jamais et les vingt-et-deux de ses braves qui n’ont point été tués ont démontré une nouvelle fois que leur race, bien que sauvage et primitive, était capable d’effectuer des prodiges de valeur face à l’anormal. Nos dragons sont également à louer, préférant se faire tailler en pièces sous les crocs des prédateurs plutôt que de céder un seul pouce de terrain. Sur la quinzaine sous mes ordres au début de cette terrible nuit, seuls six demeurent à présent.
Au final, ces créatures "wendigowaks" ne différaient point des malebestes lycanthropes dont nous avons coutume en Europe. Le contact des flammes et du vif argent leur est tellement insupportable qu’il leur fut toujours fatal au moindre contact. Bénissons-en le Ciel, sans quoi nous eûmes croulé presque immédiatement sous leur nombre.
Je me tiens pour l’heure sur la colline dominant les tanières que nous venons de sceller après en avoir donné l'hallali et massacré la quarantaine d’instances débiles, femelles, infantiles ou cacochymes que nous y avons débuchées. Les dépouilles des plus de deux cents autres tuées aux abords de notre camp ont été immolées, for une dont l’apparence bestiale intriguera probablement nos naturalistes.
Au final, sous leur forme anthropomorphe diurne, ces Singulières Créatures démontrèrent devant nous une faiblesse et une couardise de lièvre. Je dois confesser que c’est avec une certaine jouissance que nous les avons fait passer ad inferno, vengeant ainsi nos compagnons tombés cette nuit.
Les neiges recommencent à tomber et nous ne tarderons pas à demeurer bloqués. Nous nous dirigeons vers le village de Corbeau Bleu pour y passer l’hiver, je regagnerai Fort Maleville lorsque les pistes deviendront plus praticables.
J’ai de quoi m’occuper. Dans ma grande cage de vif-argent forgé, je ramène un couple de créatures et leur portée dont je compte bien tirer des enseignements scientifiques pour l’intérêt du Secret, la grandeur du Roy et le bien du vice-royaume de Nouvelle France.
Addendum 911-b : Enquête "Craivecrisse"
Fort Maleville, le dix-huit décembre 1758
À l'intention de Monseigneur le Gouverneur Général du Secret du Roy
Monseigneur,
J’adresse à votre excellence le rapport concernant les Singulières Créatures numéro 911 rédigé par M. le Chevalier Christophe de Craivecrisse, ainsi que deux spécimens (l’un bestial, l’autre anthropomorphe) naturalisés par ses soins afin qu’ils soient livrés au Fond de Versailles pour l’agrément du Roy et de la Cour.
Je convie cependant votre excellence à prendre en considération mes inquiétudes relatives au dit rapport et à l’honnêteté de M. de Craivecrisse.
En outre, le récit des dragons survivants ayant accompagné M. de Craivecrisse, bien qu’allant dans le sens général de son journal, manque de cohérence et diverge fortement sur certains détails lorsqu’ils sont interrogés séparément. Je n’irais point jusqu’à affirmer que je trouve leur comportement suspect, mais je me permets, sauf votre respect, de le souligner avec insistance.
Je vous prie enfin de bien vouloir consulter le rapport des expérimentations que M. de Craivecrisse pratiqua sur les créatures anthropomorphes qu’il captura et ramena au village des Stanyatoyenhs. J’ose espérer que vous irez dans mon sens en convenant qu’ils laissent parfois transparaître une cruauté excessive envers les sujets. Certes son expédition lui fut coûteuse et éprouvante à bien des égards, mais les idées neuves des nouveaux philosophes humanistes de la Cour ne sauraient tolérer un tel traitement infligé à créature ayant presque figure humaine, fut-elle cannibale et primitive.
Je sais bien que mes inimitiés avec M. de Craivecrisse sont bien connues sur les deux rives de la mer Atlantique, mais je supplie votre excellence de prendre en considération mes inquiétudes et de diligenter une enquête à l’encontre de M. de Craivecrisse pour le bien du Secret et du Royaume. Vous trouverez ci-joint à mon courrier un décret de M. le marquis de Hauterive, Secrétaire Général du Secret du Roy en Nouvelle France et aux Amériques, qui m’autorise à vous adresser cette demande.
Je reste de votre excellence le dévoué serviteur,
Baron Charles de Lesmague
Sous-secrétaire du Secret du Roy à Fort Maleville
Versailles, le douze avril mille sept cent cinquante-neuf
À l'intention de Monsieur le Sous-secrétaire du Secret du Roy à Fort Maleville
Monsieur le baron,
Je dois confesser qu’à sa réception initiale, votre courrier m’échauffa bien fort la bile. Ce n’aurait pas été la première fois que vos jalouseries et médisances seraient venues jeter le trouble en notre service. De plus, le chevalier de Craivecrisse est actuellement très en vue en Cour, Le Roy lui-même commence à le tenir en haute estime et la lecture de son journal dans les petits salons initiés de Versailles fait sensation. Pour être franc, le seul motif qui m’eut fait lancer une enquête sur les uniques fondements de vos soupçons eut été la volonté de laver l’honneur de M. de Craivecrisse et d’obtenir votre discrédit public.
Cependant, les événements devaient démontrer mon tort et votre bon droit.
Ne vous réjouissez pas trop vite, ce n’est pas de vous que vinrent mes soupçons, mais d’une tierce personne. Un gentilhomme féru de naturalisme qui, sans être membre de notre Secret, se trouvait initié aux chambres occultes de la Cour vint en effet me voir lorsqu’il vit exposée dans le Salon de Méduse l’instance bestiale de la Singulière Créature. Selon lui, l’apparence et l’anatomie de la bête, outre la taille et la disposition de ses ramures, n’auraient pas dû lui permettre de se mouvoir correctement et certainement pas avec l’habileté et la rapidité décrite par de Craivecrisse dans son journal.
Il est vrai que les créatures occultes s’embarrassent généralement assez peu de telles considérations morphologiques, cependant un tel aspect n’avait jamais été observé jusqu’àlors sur une espèce du genre lycanthrope. J’ordonnais donc en toute bonne foi et sans aucune arrière-pensée la dissection de l’animal afin de pouvoir étudier les spécificités anatomiques de la malebeste. C’est là que nos savants découvrirent la supercherie.
La malebeste n’en était point une. Il s’agissait en réalité d’un assemblage assez habile d’ossements choisis de wolvérènes et de grands loups gris de Nouvelle France. La peau était celle d’un grand ours grizzly rapiécée, recousue et fort bien assujettie à l’ensemble. Le verdict était sans appel, il s'agissait bien d’un faux. Pour ce qui est du spécimen anthropomorphe, la dissection ne révéla rien de particulier. Nous avions là bien le cadavre d’un petit humanoïde, pâle et nu aux traits et à l’apparence primitive et sauvage.
Je résolu sur le champ de mettre la correspondance de M. de Craivecrisse sous surveillance et de faire fouiller son château de [DONNÉES SUPPRIMÉES] par mes agents. J’allais ordonner à M. le Secrétaire Général du Secret en Nouvelle France, votre ami monsieur le marquis de Hauterive, de faire surveiller étroitement de Craivecrisse et de l’interroger à nouveau, lorsque la maîtresse de ce dernier, madame de █████-███████, qui travaille également pour le Secret du Roy, vint me porter une lettre de son amant. Je vous laisse juge du contenu.
Montréal, le vingt-cinq mars 1759
Azeline ma chère et tendre,
Vous savez bien que je vous aime plus que tout au monde et c’est pourquoi je ne puis me tourner que vers vous pour tenter d’alléger ma conscience et confier mes peines.
J’ai fauté Azeline, j’ai trahi le Secret du Roy une première fois en commettant une infamie en son nom et une seconde en dissimulant ma faute par des mensonges.
En l’occurrence (et pour ma défense), le tort initial ne fut pas mon fait mais celui d’un sauvage, le sinistre chef Corbeau Bleu, huron fourbe et sournois, qui implora l'aide de notre Secret tantôt l'an passé. La malepeste l’emporte, que ne l’avons-nous point ignoré !
Je sais désormais qu’il convoitait les terres de trappe au castor et à la loutre sises plus au nord de son territoire, mais qu’il ne pouvait y avoir accès en raison de la présence en ces lieux d'une autre tribu primitive, moins civilisée que les hurons eux-mêmes et néanmoins redoutable dans l’art de la guerre des bois.
Au moyen d’une fable sordide qu’il conçu dans son esprit rusé, et profitant de l’excuse du trépas de l’abbé Peyrac (aujourd’hui encore je ne sais si c’est de son fait ou s’il s’agit d’un réel accident), il nous utilisa et nous fit massacrer ces pauvres gens jusqu’au dernier. La ferveur, l’astuce et le nombre des sauvages nous surpris cependant et tailla méchamment en pièce mon effectif de dragons, ce qui nous encouragea à ne faire aucun prisonnier, ni femme ni enfant ni vieillard, hormis ceux que nous gardâmes pour les étudier.
Nous agîmes de manière fort cruelle avec ces sujets, et nos méthodes brutales prouvèrent bien que loin d’être des brutes mauvaises et cruelles comme le prétendait le huron, il s’agissait en réalité d’êtres doués de sensibilité comme vous et moi, ma mie. Cependant il était trop tard. Le dernier d'entre ces innocents mourut sous mes propres outils.
La honte et la peur de la disgrâce m’empêchèrent d’avouer la vérité à Hauterive ou à ce fat de Lesmague. Mes dragons survivants allèrent également dans mon sens, car ils se doutaient bien que cette sordide affaire les priverait à coup sûr de leur solde et de leur avancement, sinon de leur vie. Les fameuses idées neuves des philosophes humanistes de la Cour dont tout le monde parle ces derniers temps ne sont point si tendres avec ce genre d'exaction. Je modifiais donc mon journal et conçu moi-même ce pantin d'os et de fourrure qui fit tellement sensation, me dit-on, chez les gens de Cour. Ces mensonges permettraient de dissimuler les torts commis par nous à cause de ceux des Stanyatoyenhs et ainsi de nous préserver mes compagnons et moi de la honte de la disgrâce ou de la potence.
Considérez ceci, ma chère et tendre Azeline, comme ma confession. Je vous prie de ne point divulguer ce secret pour le moment et de le garder dans votre cœur. Je compte rester un mois encore en Nouvelle France après quoi je traverserai la mer Atlantique pour vous étreindre enfin dans les bras comme j’en rêve depuis des lustres.
J’espère que vous trouverez en vous la bonté de pardonner mes mauvaises actions,
Votre amant bien-aimé,

Comme vous pouvez le constater, il s’agit bien là d’une preuve, sinon d’un aveu. Je vous prie donc de faire mettre aux arrêts M. le chevalier Christophe de Craivecrisse et les survivants de son expédition afin de les faire questionner sous la force et la contrainte. Nous conviendrons plus tard du sort de Maître Corbeau Bleu et de son peuple.
Il va sans dire que l'opinion de la Cour se passera fort bien de telles révélations, je vous prie donc de garder ces informations pour vous. Le Secret n'est pas si opulent et n'a pas besoin que le Roy, influencé par de mauvaises langues, ne décide de nous couper les bourses.
Veuillez, monsieur le baron, accepter l'expression de ma considération respectueuse,
X de X, duc de X et prince de X
Gouverneur Général du Secret du Roy
Addendum 911-c : Mise à jour du 21/05/195█
Avant-propos : Le document suivant est un enregistrement audio du département des archives du Site Aleph, issu du dossier de mise à jour des rapports expliqués antérieurs au 31/12/████
Document n° : doc.911.1759/maj.ex.7010
Date : 21/05/195█
Responsable : Dr Gonzague Telmarino
Assistant : Assistant-chercheur Philippe DeBroglie
<Début de l'enregistrement>
AC DeBroglie : Ça tourne !
Dr Telmarino : Bien. Alors pour ce qui est de ce rapport, SCP-911-FR-EX, nous avons là quatre ou cinq feuillets de parchemin et d'un carnet de voyage datés du milieu du XVIIIème siècle. Un beau titre bien paraphé à la plume sur la chemise : "Singulières Créatures numéro 911 : Les Malebestes des Bois Hurons". Il y a plusieurs gravures qui illustrent le tout….
AC DeBroglie : Et pourquoi on le déclasse celui-là ?
Dr Telmarino : Deux objets annexés au rapport. Une taxidermie fantaisiste ressemblant à un grand prédateur pourvu de bois d'orignal et un cadavre humanoïde, authentique celui-là, empaillé lui ausi. La bestiole a besoin d'un petit coup de restauration on dirait bien…
AC DeBroglie : Ne me répondez pas surtout.
Dr Telmarino : Également incluse dans le lot, une enveloppe de cuir scellée aux armes du Secret du Roy et de X de X, duc de X et prince de X. Dans l'enveloppe se trouvent les preuves que l'auteur dudit rapport a rédigé un faux, ce qui nous pousse à déclasser ce rapport aujourd'hui.
AC DeBroglie : Dites, si vous comptez me former pour les archives, vous feriez mieux de me dire-
Dr Telmarino : Note. Pensez à éditer la bande magnéto pour effacer les interventions superflues de l'Assistant-chercheur DeBroglie.
AC DeBroglie : …
Dr Telmarino : Maintenant que j'ai fini, je vais répondre à votre question Philippe. Pour faire simple, il s'agit d'un homme qui s'est fait embobiner par une histoire sans en vérifier le fondement et ça l'a mené à massacrer toute une sous-espèce humaine.
AC DeBroglie : Mazette. Vous voulez dire, comme le gars empaillé là ?
Dr Telmarino : Tout juste. Vous voyez ses traits ? L'arcade sourcilière marquée, le torse trapu, les longs bras musclés et les courtes jambes. Un collègue du département d'anthropologie est venu prendre quelques photos et mesures et sa conclusion est formelle. Nous sommes devant une sous-espèce du genre Homo, très proche physiquement de l'Homo Erectus. Ceux de l'anthropologie l'ont baptisé Homo Christopheus, du prénom de celui qui les a fait disparaître. Caustique non ?
AC DeBroglie : Donc ce chevalier Christophe de Craivecrisse aurait fait disparaître une espèce entière d'hommes préhistoriques ?
Dr Telmarino : Beaucoup mieux, il a fait disparaître les derniers représentants de la dernière sous-espèce humaine qui co-existait encore avec nous, Homo Sapiens Sapiens. Il nous a privé de nos ultimes cousins
AC DeBroglie : Ben dites-moi… Et il lui est arrivé quoi ?
Dr Telmarino : Lui je ne sais pas, mais regardez, il y a une gravure ici. Le Secret du Roy a fait pendre ses six compagnons au milieu du village des indiens qui les ont manipulés. Puis manifestement ils ont brûlé le village indien et massacré ses habitants aussi. Tenez, je suppose que c'est le chef qui est pendu à côté, dans ce coin.
AC DeBroglie : Tout un tas de cadavres pour pas grand chose au final. Il aurait mieux fallu qu'il avoue depuis le début.
Dr Telmarino : Un massacre pour venger un massacre oui. Les mentalités de l'époque n'allaient jamais chercher bien loin dans la finesse. Quand à notre ami, eh bien plutôt que d'avouer gentiment la vérité à ses supérieurs, il a préféré amplifier le mensonge de la bête des hurons avec une histoire de meute de loups garous mangeurs d'hommes, de… de wendigos comme disaient les hurons. Mais les mensonges ça ne tient jamais bien longtemps. En parlant de ça, il n'y a rien qui vous choque ? Tenez, lisez moi cette page
[Bruit de feuillets froissés]
AC DeBroglie : C'est peut-être moi, mais j'ai l'impression que ce Craivecrisse passe assez vite aux aveux dans la lettre à sa maîtresse.
Dr Telmarino : Bien vu Assistant-chercheur DeBroglie, on tirera peut-être quelque chose de vous finalement. Effectivement il déballe tout son sac d'une traite comme ça, alors qu'est-ce que qui lui a pris ? Qu'est-ce que ça signifie ? De Craivecrisse éprouvait-il vraiment tant de remords qu'il lui a fallut tout avouer à sa maîtresse ou faisait-il le bouc émissaire idéal dans une lettre d'aveux factice qui aurait permis au Secret de sauver sa face devant le Roy et les nouvelles idées des Lumières en attribuant à un tiers ses erreurs et ses crimes ? On ne le saura probablement jamais, mais au moins on en tire une bonne morale.
AC DeBroglie : À savoir ?
Dr Telmarino : "Les mensonges sont redoutables. L'unique moyen de les couvrir est de créer d'autres mensonges plus incroyables encore."
AC DeBroglie : J'ai déjà entendu ça quelque part.
Dr Telmarino : Ça serait surprenant, je viens de l'inventer. Bon allez, assez avec ce rapport. Rangez moi tout ça dans ce carton et posez-le par ici. On a encore des caisses et des caisses de vieille paperasse de deux siècles d'âge qui attendent d'être triées.
AC DeBroglie : Ça ne dépendrait que de moi, une bonne vieille allumette et le tout serait réglé dans l'après-midi.
Dr Telmarino : Note. Penser à me choisir un nouvel assistant si l’actuel continue de dire ce genre d'inepties.
<Fin de l'enregistrement>