“Le moment viendra, où les Hommes porteront leur regard dans le lointain. Ils devraient y voir des planètes comme la Terre.”
― Christopher Wren
Objet no : SCP-7999
Classe : Euclide / Intégré
Schémas des espèces de SCP-7999 à partir des notes de l'Agent Basil Sias.
Procédures de Confinement Spéciales : En raison du fait que SCP-7999 a déjà causé un scénario partiel de Levée du Voile, les efforts de la Fondation sont focalisés sur la déclassification du phénomène et de l'intégration des instances de SCP-7999-3 dans la société. Ces intégrations sont sous la responsabilité du Comité d'Intégration du Site-1201. De même, les groupes diplomatiques et de communication de la Fondation doivent maintenir des relations positives entre la société de SCP-7999 et l'humanité.
Les membres du personnel ne sont pas autorisés à s'approcher de SCP-7999-1 sans une autorisation écrite du Conseil O5. Toutes les instances de SCP-7999-3 passant à travers SCP-7999-1 doivent être enregistrées dans un dossier officiel des départs et arrivées.
Description : SCP-7999 désigne les anomalies suivantes :
SCP-7999-1 : Un trou de ver qui s'est manifesté à environ 405 000 km de la Terre le 6 mars 2027. Ce trou de ver relie le système solaire à GN-z11, une galaxie au sein de la Grande Ourse située à environ 32 milliards d'années-lumières de la Terre. Jusqu'à présent, toutes les tentatives de passer à travers le trou de ver ont échoué.
SCP-7999-2 : L'exoplanète GN 667Cc,2 visible de l'autre côté de SCP-7999-1. SCP-7999-2 est à environ 250 000 km du trou de ver comme il est apparu dans son système local.
SCP-7999-2 fait environ la même taille que la planète Mars, avec une force gravitationnelle de 0,364 fois celle de la Terre. SCP-7999-2 préserve une composition atmosphérique comparable à celle de la Terre durant le Carbonifère.3 SCP-7999-2 est majoritairement aquatique, avec près de 85 % de sa surface recouverte d'eau liquide. Des recherches sur les détails de la composition de la surface de la planète sont en cours.
SCP-7999-3 : La civilisation locale intelligente de SCP-7999-2, connue comme "Keradids". Les instances de SCP-7999-3 sont des arthropodes hexapodes relativement similaires aux Mantodea4 avec un crâne agrandi. Leurs membres antérieurs peuvent aussi bien servir de jambes que de bras, avec trois structures digitales à l'extrémité similaires à la main humaine. Les instances de SCP-7999-3 mesurent entre 1 et 1,3 mètre.
SCP-7999-3 sont intelligents, leur civilisation est classée comme de type II sur l'échelle de Kardashev.5 Il est supposé qu'il faudrait plus de 10 000 ans à l'humanité pour atteindre un tel niveau de développement technologique avec sa vitesse de développement actuelle.
Distance actuelle : environ 655 000 km
"Nous n'étions vraiment pas seuls !"
"Sont-ils comme nous ?"
"Non, pas du tout. Étonnement, nous n'avons que peu ou pas de similarités. Mais ça n'a pas d'importance. Cette découverte est l'aboutissement d'une vie… non, plusieurs vies de travail. Et maintenant, nous voyons enfin. Maintenant nous savons que finalement nous n'étions vraiment pas seuls dans cet univers."
"Et donc, que faisons-nous ensuite ? Est-ce qu'on leur envoie un message ? Ou on attend qu'ils parlent en premier ?"
"Tellement de questions. Laisse-moi travailler."
"Attends… c'est-à-dire…"
Addendum 7999.1 : Briefing sur SCP-7999
SCP-7999-1 s'est initialement manifesté à environ 405 000 km de la Terre, entre les orbites de la Terre et de Vénus. En raison de sa proximité de la Terre, SCP-7999-1 a été immédiatement visible à l'œil nu à travers l'hémisphère nord et une partie de l'hémisphère sud. La Fondation a immédiatement essayé de contrôler la propagation d'informations autour de SCP-7999-1 via un contrôle des médias, l'utilisation d'amnésiques aérosols et l'utilisation de mémétiques ciblés pour supprimer la capacité de l'humanité à voir SCP-7999-1 entièrement. Des investigations sur SCP-7999-1 ont suivi.
Dans les 12 heures de la manifestation initiale de SCP-7999-1, une série de 5 messages ont rapidement été diffusés par le biais des chaînes de radios globales. La Fondation a employé Rosetta.siai6 pour traduire les messages. Après 22 jours d'analyse par Rosetta.siai, les messages ont été traduits avec succès. Tous les messages reçus ont été traduits comme suit :
"Bonjour ? Sommes-nous entendus ? Est-ce que ce monde pense ?"
Addendum 7999.2 : 28 mars 2027
Site-120
Nous étions en train de fixer le message sur l'écran de Rosetta pendant à peu près une demi-heure dans un silence complet. Ça devenait une pratique répétitive à ce point, venir dans cette pièce pour voir si Rosetta avait finalement craqué le code. On savait qu'elle en avait la capacité, on savait qu'une telle chose était possible en théorie, mais ni Asheworth ni moi ne nous attendions vraiment à ce qu'elle y arrive. Un message, en français simple, venant d'une civilisation alien.
Asheworth a été le premier à s'exprimer enfin.
Dr Daniel Asheworth : … et c'est tout ce qu'ils ont dit ?
Agent Basil Sias :7 J'ai fait passer tous ces messages par Rosetta plus de fois que je ne peux compter et c'est tout ce que j'ai en retour. Rosetta a un taux de fiabilité de 99 % et la seule raison pour laquelle ce n'est pas parfait est à cause de quelques erreurs faites quand elle a été mise en ligne pour la première fois. J'ai plutôt confiance en cette traduction.
Asheworth : Ça fait beaucoup de caractères pour une déclaration si courte. Qu'est-ce que les O5 ont à dire à propos de ça ?
Sias : Au début ? Ils se sont chiés dessus à l'idée que la planète entière pouvait voir une anomalie juste posée là dans le ciel. Ce qui est bien, c'est que le message a pris quelques heures pour arriver, parce que de ce que j'ai entendu, ils ont passé leur temps à se disputer pour savoir s'il fallait assommer tout le monde sur la planète et déployer un bouclier antimémétique au-dessus de la planète pour continuer de prétendre que ce n'est pas là.
Asheworth : Ouais, mais qu'en est-il maintenant ?
Sias : Et bien c'est ce pourquoi ils se sont tournés vers moi et pourquoi je suis en train de te parler. Nous avons un peu parlé. Et bien, euh, je suppose c'était moins parler que plutôt "les dissuader". Je leur ai rappelé les efforts du Site-120 et ça a semblé convaincre la majorité d'entre eux d'essayer quelque chose de différent. Ils voulaient qu'on leur parle et peut-être même les intégrer dans notre monde.
Asheworth : C'est… surprenamment bienveillant venant d'eux.
Sias : Je te passe les détails de la conversation entière, mais honnêtement ce n'était pas si intéressant. Tu sais autant que moi que les temps changent, Asheworth. Le travail que tu as fait ici au Site-120 est la preuve qu'on peut commencer à prendre des mesures pour lever le voile petit à petit. On a atteint le point où peut-être, juste peut-être, l'humanité peut savoir que l'anormal existe.
Asheworth esquissa un sourire.
Asheworth : Si les O5 l'ont approuvé, alors je suis totalement pour. Allez, rédigeons une réponse.
Après quelques discussions, la Fondation a renvoyé le message suivant :
Bonjour. Parlons.
Addendum 7999.3 : 3 avril 2027
Après une série de messages transmis et reçus par le biais de Rosetta.iaa, la population native de SCP-7999-2 a accepté d'envoyer un représentant pour rencontrer ceux de la Fondation. En raison de l'incapacité de l'humanité à passer à travers SCP-7999-1, les représentants de SCP-7999-2 ont accepté de procéder à la rencontre sur un Site de la Fondation sur Terre. Pour faciliter le processus d'intégration avant de recevoir les représentants, le Comité d'Intégration de la Fondation a commencé à déclasser les découvertes initiales sur SCP-7999 aux gouvernements mondiaux et au grand public.
Le 3 avril 2027, deux représentants de SCP-7999-2 sont arrivés au Site-120 de la Fondation. Chaque instance est venue équipée de combinaisons spéciales qui leur permettent de survivre dans les conditions environnementales terrestres. Avec leur consentement, le personnel de la Fondation a installé Rosetta.iaa dans chaque combinaison pour faciliter la communication. Un enregistrement des interactions entre l'agent Basil Sias de la Fondation et SCP-7999-3 est retranscrit ci-dessous.
Site-120
Pendant plusieurs jours, nous avions envoyé des messages d'un côté à l'autre du trou de ver avec Rosetta comme traductrice. Ils étaient impatients de parler - après avoir reçu notre première réponse ils avaient envoyé "bonjour" en retour sept fois dans un court laps de temps. La conversation était extrêmement basique, si l'on peut dire. Ils voulaient savoir comment nous nous appelions, comment notre monde était, quel type de vie nous étions et nous leur avons demandé les mêmes choses. Cependant, les messages ne permettaient pas d'accomplir grand chose, nous nous sommes donc mis d'accord pour nous rencontrer.
Ils avaient envoyé une délégation, deux membres de leur espèce qu'ils tiennent en haute estime. Nous les avions rencontrés avec une équipe hazmat, pour nous assurer qu'ils étaient correctement décontaminés avant que notre rencontre ne puisse commencer. Ils arrivèrent avec des combinaisons spéciales qui leur permettaient de survivre dans l'atmosphère terrestre et nous avons pris l'occasion d'installer une copie de Rosetta.iaa dans les deux pour faciliter la communication.
J'étais inquiet à l'idée que la rencontre soit tendue, ou qu'on ne saurait pas par où commencer. Cependant, dès que je suis rentré, l'un des deux envoyés me fonça dessus et commença immédiatement à prendre et tirer mon visage. Il malaxait mes joues et frottait ses doigts sur ma barbe, tout ça avec ce sentiment d'émerveillement et de fascination abject.
SCP-7999-3-B : Regarde ! Ils sont doux et malléables, c'est merveilleux ! Et sur leur visage, une matière chitineuse comme nos animaux à fourrure !
Sias : Wow, euh, bonjour ! Ravis de faire votre connaissance aussi—
L'autre le rejoint, tirant mes cheveux. Ils vocalisèrent l'un et l'autre avec des gloussements, des sons de claquements accompagnés par des piétinements de leurs jambes antérieures. Je prononça un discret "sauve-moi" à Asheworth, qui sourit simplement en réponse.
SCP-7999-A : Vraiment fascinant, de penser qu'un animal à fourrure est capable de penser. Et seulement avec quatre membres !
Asheworth : Au nom de la Fondation SCP, j'aimerais vous souhaiter officiellement la bienvenue à vous deux sur la planète Terre. On doit avoir beaucoup de choses à se dire, donc je vous demande de vous joindre à nous et de laisser l'agent Sias tranquille. Pas d'inquiétude, vous pourrez recommencer à tirer son visage dans quelques minutes.
Asheworth m'avait fait un petit sourire mal à l'aise pendant que les deux entités continuaient leurs manipulations répétées et insistantes, maintenant focalisées sur mes bras. Je lui fis un doigt d'honneur.
Asheworth : Avant de faire quoi que soit, comment devons-nous vous appeler, tous les deux ? Actuellement notre documentation vous nomme respectivement SCP-7999-3-A et -B, mais honnêtement c'est excessif.
SCP-7999-3-A : Ils demandent des noms ? Très bien. Je m'appelle Ketadanka8.
SCP-7999-3-B : Je m'appelle Carteckan ! Oh, Ketadanka, regarde ! Le membre est ferme et possède un squelette interne solide !
Ils continuaient de cliqueter l'un avec l'autre pendant qu'Asheworth essayait de garder le contrôle.
Asheworth: Merci à vous deux. Et maintenant, vous êtes ceux qui nous ont envoyé ces messages, c'est exact ?
Ketadanka : C'était moi, pour être plus précis. Bien que Carteckan fasse partie de l'équipe impliquée, j'ai envoyé le message. Nous… Nous sommes emplis de joie que votre espèce ait été capable de répondre.
Rosetta avait des difficultés à traduire la tonalité, même entre des langages humains familiers. Même avec cette limitation, je peux dire que Ketadanka était embarrassé à un certain degré. Il semblait rigide, trop formel. Malgré l'inconfort et la formalité, il était toujours plus que disposé à m'examiner comme une expérience scientifique. Sur le moment, je n'ai pas pu m'empêcher d'imaginer une réunion d'un conseil d'administration remplie de ces types qui parlent affaires en se frottant les mains les uns sur les autres.
Sias : C'est une excellente opportunité pour nous aussi ! Donc, nous devons vous demander quel était le but de ce message.
Carteckan : Le portail s'est ouvert entre nos deux mondes et notre opportunité de parler s'est présentée. Nous avons envoyé notre message à beaucoup de planètes à travers les âges, mais c'était la première à répondre. On a souhaité vous rencontrer. L'espèce ici est la première comme nous que nous ayons jamais vus ! Je regardais ce monde à distance depuis que le portail s'est ouvert et souhaité voir ce que cette planète contient, ce que les gens ici ont créé !
Asheworth : Donc, vous espérez pouvoir faire un échange culturel ?
Ketadanka : Tout ce qui peut nous être montré. Nous voulons apprendre et partager en retour, pendant que nous avons encore le temps.
Sias : Vu comment le trou de ver est placé, on ne peut pas vraiment vous cacher du monde et on ne devrait pas. Je pense que c'est quelque chose dont nos deux mondes peuvent bénéficier.
Asheworth : Nous sommes en train de travailler vers le retrait du Voile petit-à-petit, mais—
Ketadanka : Voile ?
Asheworth : Un terme technique. C'est comment on appelle la séparation entre l'humanité, notre espèce, et les choses que nous ne pouvons pas expliquer avec la science.
Ketadanka : Nous ne sommes pas sûr de comprendre.
Asheworth : Je suis sûr que nos représentants pourront l'expliquer dès que nous aurons commencé. Comme je le disais, cependant, le trou de ver a effectivement déchiré le Voile en une nuit. Bien que nous aurions pu vous cacher au monde, ce n'est un avantage pour aucun d'entre nous. Un échange culturel est probablement le meilleur moyen pour nous de commencer à comprendre et présenter votre société à la nôtre. Je suis totalement pour.
Ketadanka : C'est une nouvelle qui nous emplit de joie. Nous avons déjà choisi Carteckan comme étant celui qui nous représentera, si c'est acceptable ?
Asheworth : C'est parfaitement acceptable ! Nous sommes plus que désireux de faire découvrir les alentours à Carteckan. Basil ?
Sias : Ouaip, je peux faire un point là-dessus.
Je tendis une main à Carteckan. Il a regardé en retour. Bien qu'il n'ait pas les mêmes émotions que nous, je peux dire qu'il était confus. Je pris sa main après un moment et je la serra avec la mienne. Carteckan fit un bond en arrière, me poussant dans la table. Je pris un moment pour reprendre ma respiration avant de rire.
Sias : Voilà, nous pouvons dire que ceci est notre premier échange culturel. C'est une poignée de main.
Je tendis ma main à nouveau.
Sias : On l'utilise pour dire bonjour.
Carteckan tendit à nouveau sa main avec hésitation et je la pris dans la mienne. Carteckan tressaillit lorsque j'avais commencé à la secouer, avant de me rendre le geste avec la même vigueur.
Distance actuelle : environ 550 000 km
"Oui ? Y a-t-il un problème ?"
"Ces coordonnées sont dans un emplacement assez compromettant, non ?"
"Oui, je suis conscient des risques encourus ici. Ceci étant dit, est-ce réellement une opportunité que nous pouvons laisser passer ? Après tout ce temps ?"
"Je… suppose que ce n'est pas le cas."
"Nous avons besoin de comprendre. Ce n'est pas à propos de la curiosité scientifique. C'est le point culminant de plusieurs millions de vies de travail. Quelque chose qui nous permettra de finalement mourir en paix, en sachant que la vie continue là-bas, à l'autre bout de l'Univers. Pour savoir ce qui va y vivre après que nous soyons partis."
"Je veux les connaitre autant que quiconque ici, mais ce plan d'action nécessite-t-il vraiment ce risque ?"
"Évidemment."
Site-120
Carteckan : Quelle est la première chose qu'on va voir ?
Sias : Pour être honnête, c'est vraiment difficile de décider par où commencer. L'humanité n'est pas une espèce uniforme — il y a potentiellement une myriade de cultures et de sociétés à te montrer et chacune sera différente. J'ai l'autorisation de te faire sortir du Site, donc on tient le monde dans un mouchoir de poche.
Carteckan cliqueta en réponse, frottant ses jambes avant l'une sur l'autre. Bras avant ? Je n'avais pas encore vraiment trouvé comment appeler ses membres avant où se trouvaient ses mains. À ce stade, j'avais déjà vu Carteckan marcher en utilisant tous ses six appendices et essayer de trouver un équivalent biologique s'avérait difficile.
Sias : Hmm ? Quelque chose ne va pas ?
Carteckan : La voix qui traduit les mots, je ne comprends pas ce qu'elle dit. Je comprends monde et notre, mais que signifie "un mouchoir de poche" ? Et que signifie cette déclaration ?
Je ricanais.
Sias : Bien, bien. Désolé, j'aurai probablement dû éviter les expressions linguistiques. "On tient le monde dans un mouchoir de poche" veut simplement dire que nous sommes en position de profiter des opportunités que la vie nous offre. Les humains ont beaucoup de petites expressions comme ça.
Carteckan : Oh ! Donc, ce mouchoir de poche signifie une grande opportunité ! Je pourrais dire que la communication entre nos deux mondes est un mouchoir de poche !
Carteckan cliqueta à nouveau, cette fois agitant son corps entier de haut en bas. Je ris.
Sias : Ketadanka s'est interrogé à propos du Voile plus tôt, c'est exact ?
Carteckan : C'est exact. Nous ne comprenons pas ce qu'était en train de décrire Asheworth. La science peut tout expliquer avec suffisamment de temps, n'est-ce pas ? Par exemple, la science peut expliquer pourquoi les humains ont un squelette à l'intérieur de leur corps au lieu de dehors. Il n'y a certainement rien ici qui ne peut être expliqué avec des études ?
Sias : J'ai quelque chose à te montrer en premier, ça pourra aider un peu.
Distance actuelle : Environ 480 000 km
"C'est fait."
"…c'est fait. Ils sont là. C'est… magnifique."
Addendum 7999.4 : 4 avril 2027
Site-120
Carteckan : Donc, qu'est-ce que ce mot "Voile" veut dire ?
Sias : Par ça, on veut dire le Voile du secret. Ce que nous, à la Fondation, cachons au monde.
Carteckan fit à nouveau ce son de cliquetis, frottant ses appendices ensemble.
Sias : …n'avez-vous jamais caché les choses que vous ne pouviez pas comprendre ?
Carteckan : C'est exact. Qu'est-ce qui est caché ?
Sias : Et bien, il y a certaines règles sur la façon dont fonctionne l'Univers, pas vrai ? Certaines vérités absolues qui ne changent jamais. Prends cette pomme, par exemple.
J'attrapai une pomme sur le bureau de quelqu'un pendant qu'on passait devant.
Sias : Ça pourrait être ici ou ça pourrait être sur votre planète… comment l'avez-vous appelée ?
Carteckan : Nid est le nom de notre maison.
Sias : Très bien, ça pourrait être ici ou sur Nid, mais si je fais ça—
Je lâchais la pomme et nous la regardions jusqu'à ce qu'elle touche le sol et roule plus loin.
Sias : Elle va tomber. Elle va tomber plus lentement dans votre monde, bien sûr, mais elle tombera quand même. La gravité est l'une de ces constantes, pas vrai ? Mais si quelque chose brise cette règle, quelque chose qui devrait la suivre ? Et si je lâchais la pomme et qu'elle s'envolait ?
Carteckan : Il nous faudrait l'attraper, pour qu'elle ne puisse pas partir.
Sias : C'est vrai, mais ce n'est pas tout. On interviendrait et on la cacherait. C'est ce à quoi sert le Voile, garder les choses qui brisent les règles du monde loin de la vue du publique.
Carteckan : Pourquoi ?
Sias : J'aimerais avoir une réponse à ça. La mission de la Fondation est Sécuriser, Contenir et Protéger. Il y a de nombreuses choses ici qui sont ici pour une bonne raison, des choses qui pourraient blesser beaucoup de personnes si on les laissait dehors. Il y a aussi beaucoup de choses ici que je… nous aurions aimé ne pas avoir à garder secrètes au départ. C'est en partie pourquoi le Site-120 a travaillé sur le Projet d'Intégration.
Je m'arrêtai dès que nous sommes arrivés à notre destination. C'était une des salles de classe du Site-112, une école pour les jeunes humanoïdes anormaux sur Site. Il y avait environ 23 élèves dans la salle de différentes tailles et formes. Certains pouvaient passer pour des enfants normaux de 13 ans, d'autres étaient à peine reconnaissables comme humains. Chacun écoutait attentivement l'agent de la Fondation qui se trouvait de l'autre côté de la pièce, en train de faire un cours sur l'histoire mondiale.
Sias : C'est ce que je voulais vous montrer. Ceci est une salle de classe et il y a des endroits comme ça partout autour du monde. Ils sont là où nous emmenons nos jeunes et leur apprenons à peu près tout ce qu'ils ont besoin de savoir à propos d'être humain. Celui-ci est différent, cependant. Peux-tu deviner pourquoi ?
Carteckan : Ils sont tout ce que vous appelez anomalies, pas vrai ?
Sias : C'est ça. La plupart de ces enfants n'ont jamais quitté le Site-120. Ceux qui ont été dehors n'étaient que des petits enfants et ne s'en rappellent que brièvement. Ils sont tous là pour des raisons différentes. Celle-là ? Elle est ici car elle peut allumer un feu avec son esprit. Ce garçon là-bas ? Il est ici seulement parce qu'il peut invoquer un monstre avec un livre d'histoires.
Carteckan : Qu'est-ce qu'ils ont tous sur leurs tables ?
Sias : Ce sont des livres. S'il vous plait, dites-moi au moins que vous aviez eu des livres à un moment de votre histoire.
Carteckan : Des livres… oui, je le crois. Beaucoup, beaucoup d'années auparavant, longtemps avant que je sois né. Des choses avec des mots écrits dedans, n'est-ce pas ? Cependant, je ne me rappelais pas qu'ils ressemblaient à ça.
Sias : Et bien, peu importe à quoi ils ressemblent, c'est la même idée basique qu'ici. Ce sont des choses avec des mots dedans pour passer la connaissance de génération en génération.
Nous nous sommes tous les deux assis en silence, regardant la classe. À un moment, l'enseignant sembla demander aux élèves de faire un travail de groupe, chaque élève se levant et déplaçant les tables ensemble. Un élève resta seul dans un coin de la pièce pendant un moment, jusqu'à ce qu'on lui fasse signe de rejoindre un autre groupe d'enfants. Carteckan baissa sa tête, ses ailes vibrèrent.
Sias : Quelque chose ne va pas ?
Carteckan : …non. Je réfléchissais simplement. J'étais sur le point de demander si tous les humains avaient des capacités si merveilleuses, mais le fait que quelques-uns sont gardés ici alors que les autres non répond à la question. Pourquoi sommes-nous venus ici en premier ?
Sias : Ces enfants sont comme vous autres sur Nid. Une partie des premières anomalies qui pourront passer le Voile et rejoindre la société. Ce sont des merveilles, et des merveilles qui pourront finalement voir le reste du monde maintenant que vous êtes tous ici.
Carteckan tapote ses deux jambes de devant en rythme.
Carteckan : Je vois ! Je vois ! Qu'allons-nous voir après ?
Sias : Il y a beaucoup de monde en dehors d'ici, mais commençons avec quelque chose de simple.
Addendum 7999.5 : 5 avril 2027
Barcelone, Espagne
Carteckan : Votre machine volante était exceptionnelle ! Un modèle si étrange, simpliste mais efficace. Comment les gens appellent ça déjà ?
Sias : Un avion.
Carteckan : Oh, le mot ne s'est pas traduit, donc je ne peux pas le prononcer. Je vais simplement l'appeler la machine volante. Dis-moi en plus à son sujet !
Je souris. Carteckan avait été comme ça toute la nuit. Chaque petite chose semblait l'émerveiller, de la machinerie complexe de l'avion en lui-même jusqu'au tissu des sièges. Je me étais honnêtement senti comme si j'étais avec un enfant. C'était difficile de croire que la chose que j'avais devant moi venait d'une civilisation de près de 10 000 ans notre ainée.
Carteckan : Quand est-ce que les gens de ce monde ont créé ces machines ? Ça doit avoir pris très longtemps !
Sias : Et bien, le premier vol réussi était en 1903, il y a un peu plus de 120 ans, cependant, ce n'est qu'en 1914 que le premier vol commercial a eu lieu. Est-ce que ça aide ?
Carteckan : C'est… complexe de comprendre votre vision du temps. Nos mondes n'ont pas les mêmes unités de mesure. De notre point de vue, cette planète est vraiment lente à faire le tour de son étoile. Nid ne l'est pas, Nid orbite rapidement, mais ne tourne pas comme ce monde le fait.
Sias : Et bien, ici on définit un jour comme un cycle de 24 heures. Donc… Prend le vol qu'on vient de faire par exemple. Ce vol a duré 3 heures, à quelques minutes près. Un jour dure 24 heures, donc on pourrait refaire ce vol 8 fois exactement et on aurait un jour complet. Tu suis jusqu'ici ?
Il cliqueta en réponse et remua ses doigts. Je supposai que ça voulait dire oui.
Sias : Un an dure environ 365 jours. Si nous avions ce vol… 2 920 fois, ça ferait une année entière.
Carteckan s'arrêta sur place, secouant la tête d'avant en arrière avec ses bras levés. Après un moment, il laissa tomber ses bras et ouvrit sa bouche.
Carteckan : 120 ans c'est…
Sias : Ouais, c'est une longue période !
Carteckan : Non ! Ce n'est rien du tout ! L'espèce ici a été capable de maîtriser le vol en une période de temps si courte ? Cette période est si courte que Sias doit avoir à peine vieilli depuis !
Sias : Oh, je euh, n'étais pas encore né. J'ai seulement 30 ans.
Carteckan s'arrêta de marcher une fois de plus et agita ses bras dans tous les sens, en cliquetant.
Carteckan : Alors, Sias n'est qu'un adolescent ! Un enfant ! Donc, c'est pour ça que Sias en sait autant sur l'école !
Sias : Carteckan… si on convertit ton âge en années terrestres, quel âge as-tu ?
Carteckan : 1 743 ans. Je sais que je suis très jeune, mais ne me considère pas comme inapte à être le représentant de mon peuple.
Nous avons finalement quitté l'aéroport à ce moment, sur le point de faire ses premiers pas en public pour la première fois. Je protégeais mes yeux du soleil alors que je regardais la ville. Il était encore tôt, donc les rues étaient encore majoritairement vides. Bien que nous n'ayons pas essayé de garder Carteckan secret, il était préférable pour nous de commencer avec un profil plus bas.
Sias : Carteckan, tu vois le groupe de personnes plus loin ?
Carteckan : Oui. Je vois cinq personnes.
Sias : Si tu additionnes les âges de toutes les personnes dans ce groupe, ils n'atteindraient même pas la moitié de ton âge.
Carteckan : Tu mens ! Ils ne sont certainement pas si jeunes. Est-ce une espèce uniquement composée d'enfants et d'adolescents ?
Sias : Tu sais, tu as résolu tous les problèmes de maths et les hypothèses ésotériques que je t'ai données plutôt rapidement, donc je suis surpris que tu n'aies pas remarqué avant. Carteckan, ce sont des adultes. Je suis un adulte. Les Hommes ne vivent pas longtemps après 80 ans, en moyenne.
À ce stade, je commençais à déchiffrer son langage corporel. La réaction de Carteckan vis-à-vis de cette information pourrait être décrite émotionnellement comme de l'"incrédulité viscérale" et physiquement comme "j'ai dit à mon enfant de 3 ans qu'Elmo n'était pas réel". C'était une agitation de presque tous ses membres, chaque appendice se déplaçant dans ce qui, pour un observateur occasionnel, semblerait être des mouvements désordonnés. Ceux qui y prêtaient attention, en revanche, remarqueraient la spécificité de chaque mouvement. Chaque bras et jambes bougeaient très intentionnellement pour transmettre un message à un observateur silencieux. Le peuple de Carteckan est aussi non-verbal qu'il est verbal, communiquant avec un langage qu'aucun traducteur ne pourrait jamais comprendre.
Sias : C'est vrai, au fait. Je ne suis pas là pour te mentir ou te tromper. Vous avez clairement une grande longévité, ce qui n'est pas très étonnant en considérant que vous orbitez autour d'une naine rouge. Les humains, en revanche, ne durent pas longtemps. Nous existons, puis nous disparaissons en un instant.
Carteckan : Ce véhicule en mouvement là. Il y a combien de temps que cette espèce l'a créé ?
Sias : 1886. Il y a 141 ans.
Carteckan : Les lumières alimentées par électricité ?
Sias : 1879. Il y a 148 ans.
Carteckan : L'espèce, depuis quand existe-t-elle ?
Sias : Ooh, c'est une bonne question ! On en est pas vraiment sûr, mais selon nos estimations, environ 200 000 ans.
Carteckan était silencieux une fois de plus, le corps immobile. Quand il bougea finalement, c'était pour regarder la ville et contempler le lever de Soleil. Les yeux de Carteckan suivaient les voitures quand elles passaient, regardaient les gens traverser les rues.
Carteckan : Vous êtes tellement nombreux.
Sias : Et il est tôt. La plupart dorment toujours.
Carteckan : Je dois en voir plus. Montre-m'en plus.
Distance actuelle : Environ 460 000 km
"Depuis combien de temps penses-tu qu'ils existent ?"
"On ne peut pas juste demander ?"
"Oui, mais je veux essayer de spéculer avec quelqu'un d'autre avant. Considère-le comme une question scientifique."
"Je pourrais supposer en me basant sur leur niveau de développement… au moins un million d'années ? Il est difficile d'en être sûr, car nous sommes à des niveaux de développement tellement différents, mais je pense que c'est une estimation sûre avec la base que nous avons."
"Impressionnant."
"Comme je l'ai dit en premier on peut simplement demander. Ils nous parlent déjà depuis un certain temps. Est-ce que je devrais envoyer un message ?"
"En fait, ce n'est pas la question que je voudrais poser. Pouvons-nous leur demander de les rencontrer ? Je veux mieux les connaître, je veux voir quelles merveilles ils ont créées de mes propres yeux."
Barcelone, Espagne
Carteckan : Quelle est cette étrange structure ?
Sias : La "Basílica i Temple Expiatori de la Sagrada Família", ou simplement "La Sagrada Familia". C’est un lieu saint.
Carteckan : Un lieu de culte donc ?
Sias : Elle n’est pas traditionnelle, mais oui. Elle était en construction pendant plus de 100 ans… Mais j’imagine que ça n’est pas vraiment très impressionnant pour vous, n’est-ce pas ?
Carteckan : Pourquoi a-t-elle cette forme ? Elle est très différente des autres bâtiments que j’ai vus jusqu’à présent.
Carteckan traça le contour du bâtiment avec un doigt.
Sias : Oh, eh bien… la seule manière de vraiment expliquer ça reviendrait à expliquer l’histoire de l’architecture ecclésiastique. Disons que c’est pour des raisons artistiques.
Il s’arrêta, écoutant Rosetta traduire mes mots. Un claquement de confusion familier suivit.
Carteckan : Ce mot ne s’est pas traduit.
Sias : Quel mot ? Artistique ?
Carteckan : Oui, ce mot-là. Que signifie-t-il ?
Sias : Eh bien… merde, comment est-ce que j’explique le concept d’art ? Vous n’avez pas d’art sur Nid, ou un truc du genre ?
Carteckan : Je ne sais pas.
Sias : J’imagine que non, en effet. L’art c’est… tu te rappelles de la feuille que tu as fixée hier ? Celle avec la mante-religieuse dessus ?
Carteckan : Oui ! Je m’en rappelle très bien !
Sias : Dirais-tu que cette feuille était belle ?
Carteckan : Belle ? Je suppose que oui, elle l’était.
Sias : L’art, c’est lorsque tu crées quelque chose de beau afin que les autres le voient. Mais l’art, ça peut aussi être créer quelque chose de laid pour que les autres le voient. C’est comme un commentaire sur une chose du monde, ou de la société. Mon dieu, je ne sais pas comment expliquer ça… regarde la cathédrale à nouveau. C’est une œuvre d’art pas seulement parce qu’elle est belle, mais à cause de l’histoire qu’elle représente. C’est le travail de dizaines d’architectes qui ont combiné leur conception en une seule et immense collaboration, et c’est une œuvre qui a survécu à une guerre civile et à la maladie. C’est de l’art à cause de ce que ça représente, je suppose.
Carteckan : Oh.
Ce fut subtil, mais le corps de Carteckan se raidit subrepticement lorsque j’ai mentionné la guerre et les maladies.
Sias : Là, suis-moi. J’ai un meilleur endroit à te montrer, et nous pouvons parler religion pendant que nous marchons.
J’éloignais Carteckan de la cathédrale. Une foule avait de toute façon commencé à se former, et je n’étais pas prêt à répondre à des questions sur les Keradids à un groupe de touristes.
Après avoir marché quelques minutes dans le silence, Carteckan recommença à poser des questions. Nous avons parlé de religion – de la manière dont les humains croient en différentes choses, et qu’il n’y avait pas de croyances universelles sur Dieu ou le divin.
Carteckan : Ne serait-il pas plus simple de croire en la même chose ? Ces différences d’idée fondamentales ne mènent-elles pas à des conflits ?
Je lui dis que malheureusement oui, cela menait à des conflits. Étant donné sa réaction à la dernière mention de la guerre, je n’ai pas plus élaboré que cela. Je lui ai simplement rappelé que l’humanité n’était pas monolithique.
Sias : Tout ce que je t’ai montré pour l’instant ? Ça serait complètement différent à quelques kilomètres d’ici dans le même pays. Plus tu te déplaces autour du globe, plus ça devient différent. Honnêtement, si on me demandait mon avis, c’est la plus grande merveille de l’humanité. À quel point nous sommes tous différents.
Nous arrivâmes alors à notre destination. Un petit mix studio d’art/café dans le quartier Raval. Je nous obtins à tous les deux une toile et une panoplie de peintures, et je nous installais dans la place dehors.
Carteckan : Que dois-je faire ici ?
Sias : C’est simple. Je vais te peindre, et je veux que tu me peignes. … Bon, ce mot doit sans doute ne pas être traduit.
Carteckan : Non, ce mot est compris.
Carteckan saisit un pinceau et le trempa dans la peinture. L’instant d’après, j’avais une rayure bleue sur le bras.
Carteckan : Voilà. J’ai peint Sias. Est-ce que c’est ce qu’il s’appelait "art" ?
Sias : Je suppose que ça pourrait l’être, cela dépend d'à qui tu demandes !
Carteckan : Je sens que plus nous en discutons, moins je comprends l’art.
Sias : Là, laisse-moi te montrer. Reste immobile, je serai rapide.
Carteckan se figea sur place tandis que je commençais à croquer et à peindre sur ma toile. Lorsqu’il fut fini, je lui montrais le produit final.
Carteckan : Oh ! C’est moi !
Sias : Eh oui ! C’est ce que voulais dire auparavant par "te peindre". J’ai recréé ton image sur la toile. Qu’est-ce que ça te fait ressentir ?
Carteckan : Je ressens de la joie. Mes cœurs sont emplis de joie. Cela me fait me sentir… important.
Sias : Bien. Voilà ce qu’est l’art. L’art c’est quelque chose qui fait ressentir quelque chose aux gens, ou qui les fait parler.
Carteckan : Pourrais-je faire de l’art ? Ou seuls quelques humains sont capables ?
Sias : Comme je l’ai dit plus tôt, selon à qui tu as demandé tu as déjà fait de l’art en mettant cette peinture bleue sur moi. Mais pour vraiment répondre – n’importe qui peut être un artiste. Essaie un coup, essaie de me peindre sur ta toile.
Carteckan saisit le pinceau et peignit à nouveau. Je restais assis tandis qu’il peignait furieusement avec une émotion intense sur son visage. Ses bras étaient mal coordonnés, et à de nombreuses reprises on avait plus l’impression que Carteckan donnait des claques à la toile avec un pinceau plutôt qu’il ne la peignait, mais lorsqu’il me montra le produit final il rayonnait de fierté. On pouvait difficilement dire ce que la peinture était censée représenter, ressemblant à une éclaboussure hasardeuse de couleurs qui ferait rougir même le plus abstrait des artistes contemporains, mais Carteckan semblait satisfait.
Carteckan : Est-ce de l’art ? Suis-je un artiste ?
Sias : Bien sûr que tu en es un. C’est une œuvre merveilleuse, Carteckan.
Carteckan retira la toile de son chevalet et me la donna.
Carteckan : Sias devrait garder ceci. Un présent de ma part, pour le remercier pour ce qu’il a fait.
Je pris et la toile, et donnai la mienne à Carteckan en retour.
Sias : Et tu gardes ceci, afin que tu puisses te rappeler de quand tu as commencé ton épopée artistique.
Nous nous levâmes pour partir, mais Carteckan fut immédiatement distrait par un groupe de personnes dans les rues.
Carteckan : Qu’est-ce que cela ?
Sias : Oh, oui ! J’ai oublié qu’il faisaient une démonstration de tango aujourd’hui !
Quelqu’un alluma la musique, et les gens commencèrent à se mettre deux par deux. Nous regardâmes les groupes danser, se mouvant dans l’esplanade avec des plongées et des pas coordonnés.
Carteckan : Ceci me fait ressentir de l’excitation. Est-ce de l’art ?
Sias : C’est de la danse, qui est une forme d’art, oui.
Carteckan : Pouvons-nous aussi essayer ?
Sias : Nous ?
Carteckan : Ces humains forment des groupes de deux.
Sias : Oh, d’accord, d’accord… Bien sûr, je vais danser avec toi, mais je te préviens, ça fait longtemps depuis la dernière fois que j’ai fait ça.
Nous mîmes nos toiles de côté et nous nous avançâmes sur la place. Je plaçais Carteckan en face de moi, positionnant une de ses mains sur ma hanche et tenant l’autre. Je lui fis placer ses pattes antérieures sur mes pieds afin de le guider à travers les pas. Nous commençâmes à bouger, dans une approximation maladroite des autres danseurs.
Carteckan : Sias est chaud, est-ce que quelque chose ne va pas ?
Sias : Non, c’est juste…
Je fis tourner Carteckan et le menais dans une plongée. Il était léger, son corps ne mesurant pas un mètre allait et venait.
Sias : Tu me rappelles ma fille. On dansait comme ça tout le temps quand elle était petite. Elle faisait à peu près ta taille, en fait.
Carteckan : Vous autres humains êtes plutôt grands.
Sias : Eh bien, je suis plus grand que la plupart des gens, si ça te fait te sentir mieux.
Une foule avait commencé à se rassembler pour regarder la démonstration. Malgré nos mouvements mal coordonnés et maladroits, on avait l’impression que tous les regards se portaient sur nous.
Sias : Tu me fais penser à elle de bien des manières, en fait. Elle était toujours tellement curieuse à propos du monde, s’arrêtant pour admirer chaque fleur que nous croisions au parc, demandant toujours pourquoi les choses étaient comme elles étaient. Tellement de questions, et mon mari et moi n’avions jamais l’impression d’avoir toutes les réponses.
Je fis encore tourner Carteckan.
Sias : Même maintenant j’ai toujours l’impression de ne pas avoir les réponses, mais ça n’est pas grave. Ces moments-là sont spéciaux, et je suis ravi d’avoir l’opportunité de les partager avec toi.
Carteckan : Sias semble triste quand il parle de l’enfant. Quelque chose est-il arrivé ?
Je ris.
Sias: Je suppose que je parle comme si elle était morte. Non, elle est juste grande, maintenant. Partie vivre sa propre vie. Je ne suis pas vraiment triste, je suis… simplement nostalgique.
Je fis un grand pas et fis à nouveau plonger Carteckan, avant un ultime giro. Je lâchai ses mains, et je fis une révérence. Après un instant de confusion, il rendit la révérence. Ça n’avait vraiment pas été une démonstration impressionnante, mais la foule qui s’était rassemblée nous applaudît tout de même.
Distance actuelle : Environ 410 000km
"De nouvelles choses à rapporter ?"
"J’essaie de trouver des moyens de tout décrire sans répéter ce que j’ai déjà dit. J’apprends tellement ici. Oui, de bien des façons nous avons beaucoup d’avance sur eux, mais ils ont et font des choses que je n’ai jamais crues possibles. Il y a des concepts que j’ai appris que je ne peux même pas expliquer de manière sensée, des choses que je dois encore moi-même comprendre."
"Ils ne seront pas en retard pour très longtemps. Nous avons vu le rythme avec lequel ils avancent, n’est-ce pas ? Ils seront à notre niveau en l’espace d’un instant."
Nous avons de la chance de nous être rencontrés. Je voudrais juste…"
"Qu’il y ait plus de temps ?"
Addendum 7999.7 7 avril 2027
Nid
Carteckan me surprit dans ma chambre le matin suivant. Il insista pour que nous allions tout de suite dans son monde d’origine. J’étais confus, pour être honnête. "Il y a encore tant à voir ici", je me souviens avoir demandé. Cela ne faisait même pas une semaine, mais "non" ne constituait pas une réponse pour lui. Il parlait avec une certaine urgence qui ne pouvait être ignorée. Nous chargeâmes donc la navette avec Ketadanka, la seule chose qui pouvait passer de l’autre côté, et nous sommes partis.
Honnêtement je m’attendais à plus en traversant le portail. J’ai été bercé par les films classiques de science-fiction après tout, quelque chose en moi s’attendait à un saut plein d’éclats vers l’hyper-espace en étant appuyé sur mon siège, m’accrochant comme si ma vie en dépendait. Ça n’avait rien du tout d’incroyable. C’était en tout point la même chose qu’un voyage sur la Lune. Par cela je veux dire pas de sauts, pas de changement soudain d’accélération. Nous étions simplement… là.
Distance actuelle : Environ 380,000km
"Oui. C’est pour ça que j’ai été contacté, oui ?"
"Cela est correct. Les prévisions actuelles sont inconsistantes quant à ce qu’il adviendra, mais elles décrivent toutes un niveau variable de catastrophe pour nos deux peuples."
"Alors, puis-je faire une requête ?"
"Bien sûr."
"Puis-je nous amener Sias ? Laisser les humains voir notre monde avant qu’il ne soit trop tard pour nous deux ?"
"Sommes-nous sûrs que cela soit la bonne décision ?"
"Oui. Ils devraient nous connaître comme nous les connaissons. Tant qu’il reste du temps."
"Très bien."
Vue de la Terre depuis SCP-7999-2 récupérée sur la caméra fixe de l'Agent Sias.
En un clin d’œil j’étais de l’autre côté de l’univers. C’était un petit système solaire, pas plus que peut-être cinq planètes en orbite autour d’une naine rouge. Je n’ai cependant pas eu beaucoup de temps pour tout assimiler puisque nous sommes arrivés sur Nid en une heure. Bien plus tôt que ce à quoi je m’attendais, mais leur technologie était grandement supérieure à la nôtre. Nous nous sommes posés quelque par sur Nid, et les portes de la soute se sont ouvertes.
C’était tellement familier. Nous avons atterri sur une plage, avec du sable blanc pas différent du nôtre. Au loin je pouvais apercevoir une myriade de plantes arbustives arborant des feuilles rouge foncé et orange qui formaient un dégradé vers le noir en leur centre. Même le ciel au-dessus semblait familier. À l’exception de leur soleil pareil à une pâle et gigantesque orbe dans le ciel, le ciel lui-même n’était pas différent du ciel de la Terre lors d’un coucher de soleil. Je pouvais voir notre portail suspendu haut dans le ciel, avec de l’autre côté un point bleu pâle que j’appelais maison.
Carteckan : S’il-vous-plaît, venez avec nous. Il y a beaucoup à vous montrer et pas beaucoup de temps.
Je fis signe de la tête et le suivis, me dirigeant vers ce que je ne pourrais décrire que comme une forêt ou une jungle. Il était difficile de juger du climat avec ma combinaison.
Carteckan : Voici Nid, notre foyer. Le seul que nous ayons jamais connu.
Sias : Vous n’avez jamais colonisé d’autres mondes ?
Ketadanka : Nous avons essayé à de nombreuses reprises. Nos besoins sont très spécifiques, et la plupart des planètes que nous avons trouvées était inadaptées.
Carteckan : La planète Terre ne devrait pas du tout être capable d’abriter la vie selon nos calculs. Sa rotation n’est pas synchrone, et l’atmosphère est si fine. De même, elle est si éloignée de son étoile qu’elle ne reçoit pas la quantité d’énergie solaire qui est nécessaire à la vie. C’est un miracle que l’humanité existe, et encore plus qu’elle soit avancée.
Sias : Je suppose que c’est le moment où je dis le contraire, hein ? Le fait que selon nos calculs il est impossible que votre planète abrite la vie pour toutes les raisons que vous avez citées pour nous ?
Ils s’arrêtèrent et communiquèrent entre eux par claquements. On avait l’impression qu’il voulait dire quelque chose pour répondre, mais ils restèrent tous deux silencieux tandis que nous nous avancions dans ce qui s’apparentait à une sorte de ville.
Les structures étaient près du sol et arrondies. La plupart étaient envahies par la flore endémique, dans certains cas presque impossibles à distinguer de leurs environs mis à part d’étranges bosses arrondies. Elles étaient toutes bâties pour remplir une fonction, il n’y avait pas d’éléments de décoration ou de motifs sur elles. Pendant que nous marchions je ne pouvais me débarrasser de l’impression que quelque chose n’allait pas. Tout était si… silencieux. Carteckan et Ketadanka mis à part, je ne voyais pas d’autres Keradids. J’avais envie de poser une question, mais le regard grave de Carteckan m’en dit assez.
Je fus finalement amené dans une structure massive, qui ressemblait à une agglomération de plusieurs de celles plus petites sans organisation ou but. Le mur lui-même présentait une porte qui s’ouvrit à notre approche. De là, je fus amené dans une grande pièce remplie de technologies indescriptibles. Certaines étaient vaguement familières— des écrans, des boutons, des cadrans. Aucune n’avait un rôle clair à mes yeux, mais on arrivait toutefois un peu à reconnaître les choses. D’autres étaient complètement inconnues, faites de fils et barres en métal qui semblaient prêts à m’électrocuter ou me sectionner un membre si je m’approchais trop. C’est aussi le moment où nous avons vu d’autres Keradids, un petit groupe composé de pas plus de six individus qui s’agglutinait en gazouillant et en cliquant. Ils m’examinaient avec une curiosité dévorante.
Il n’y avait pas de chaises, donc je pris appui sur l’endroit le plus sûr que je pus trouver. Carteckan parla enfin.
Carteckan : Sias a beaucoup de questions, n'est-ce pas ? Je t’en prie, pose-les.
Sias : Bon dieu, euh… c’était quoi le truc qu’on a traversé dehors ? Quel est cet endroit ? Est-ce que c’est, genre, une petite ville vu qu’il n’y a pas beaucoup des vôtres ici ?
Je m’arrêtais avant de déblatérer plus. Mon cerveau bourdonnait, et ça n’était pas une sensation agréable, pour une fois.
Carteckan : Oui, je m’attendais à ça. Vois-tu, l’humanité est curieuse comme nous, la curiosité est juste dans les choses simples. Nous devrions commencer avec les choses simples. Ceci est la plus grande ville restante sur cette planète, et ce que nous avons vu dehors sont les vestiges de nos foyers et commerces.
Carteckan me regarda, s’attendant à ce que j’intervienne. Je demeurais silencieux.
Carteckan : …Sias n’a pas de questions à propos de cela ?
Sias : Non, en fait je pense que je sais ce qu’il se passe ici. Tu te rappelles quand nous étions à la cathédrale ?
Carteckan : Oui ?
Sias : J’ai dit le mot "guerre". Ce fut subtil, mais tu t’es raidi à ce moment. Ça, avec tout ce que tu viens de dire et ce que je viens de voir, eh bien ça ne demande pas d'être une espèce intelligente pour faire le lien. À la place, je demanderai ceci- combien d’entre vous restent-ils ?
Carteckan : Ils sont tous ici.
Huit. Je comptais, cette fois, et il y avait huit keradids dans cette pièce. Il était difficile de déterminer leur âge, mais en se basant sur ce que Carteckan m’avait dit avant sur son âge, il était raisonnable de supposer que la plupart étaient aussi, voire plus âgé que lui.
Sias : Pas d’autres dans le monde ?
Carteckan : Aucun.
Sias : Ça fait combien de temps ?
Ketadanka : Carteckan est le plus jeune. Cela est arrivé lorsque je venais tout juste d’éclore dans la couveuse.
Sias : Et il n’y a pas eu d’autres enfants depuis ?
Le groupe pépia entre eux, et Carteckan me fit signe de le suivre. Je fus amené dans une section de l’étage qui commença à descendre plus profond dans le sol lorsque nous nous tînmes dessus. Elle nous emmena dans une grande caverne. En regardant autour je pouvais voir le sol recouvert de grands objets, ovoïdes, et marbrés de vert.
Carteckan : Voilà la couveuse. C’est là que les œufs sont entreposés et qu’ils éclosent.
Sias : Il y en a facilement une centaine ici.
Carteckan : Correct. Plus spécifiquement, il y a trois-cents-quarante-cinq œufs ici.
Sias : Oublie ma confusion alors, parce que je ne comprends pas où est le problème ?
Carteckan : Nous non plus. Cela a été une de nos plus grandes sources de frustration et de confusion pendant plus de mille ans. Chaque œuf est viable, et ça ne devrait pas leur prendre plus de deux ans pour éclore. Et pourtant…
Je m’agenouillais avec une lampe-torche et éclairais un des œufs avec. C’était flou, mais à l’intérieur je pouvais voir une silhouette à la forme vaguement Keradid.
Carteckan : Nous avons accepté l’extinction.
Sias : Tu te moques de moi !
Carteckan : Non. Nous l’avons acceptée il y a bien longtemps, quand les aînés ont commencé à mourir. Bien vite des centaines sont devenues des dizaines, et les dizaines sont devenues huit. Quel espoir nous restait-il ?
Sias : Avec toute votre technologie, vous pouvez sûrement—
Carteckan : Sias, je t’en prie. Nous savons. Et je sais que Sias sait aussi. Nous avons tenté tout ce que nous pouvons. Nous n’avons pas peur, nous avons fini par atteindre notre but.
Sias : Quel était ce but ?
Carteckan : Rencontrer un autre comme nous. Un autre capable de penser. Dès le début, nous avons vénéré l’idée que notre planète n’était pas seule. Que malgré l’impossibilité de la vie là-bas, elle existait tout de même et qu’ainsi il devait y en avoir un autre.
Carteckan me ramena dans l’ascenseur et à l’extérieur. Nous pouvions voir les étoiles au-dessus— des constellations étrangères faites d’étoiles dont la lumière n’atteindrait pas la Terre avant des milliers d’années.
Carteckan: Ce fut un beau rêve au début, mais nous ne nous sommes jamais vraiment concentrés dessus. Nous bâtîmes notre société, commençâmes d’abord chez nous. Nous apprîmes sur toutes les créatures qui vivaient ici, de la terre aux océans, puis commençâmes à en apprendre sur celles des planètes proches d’ici.
Sias : Avez-vous donc trouvé d’autres formes de vie ?
Carteckan : Oui, et non. Mont, le monde suivant de notre système, abritait de la vie microbienne et n’alla jamais plus loin. Filtre, le monde gazeux par-delà Mont, possédait les éléments nécessaires à la vie mais il n’en advint rien. Rien comme nous, rien qui ne puisse penser. Nous commençâmes à exploiter l’énergie de notre étoile, et l’utilisâmes pour envoyer des groupes en dehors de notre système.
Sias : C’est le genre de chose que je voudrais que nous fassions, mais il y a encore tellement de problèmes à résoudre chez nous.
Carteckan : Sias dit cela comme si ça n’était pas le cas ici. Nous avions des problèmes chez nous, mais nous nous voilions la face. Des problèmes que j’ai également vu sur Terre. Il y avait quelque chose que Sias a dit avant… l’humanité n’est pas monolithique ? Nous non plus, même si nous n’avions pas la même diversité que celle que la Terre semble avoir.
Carteckan fit un clic, et piétina avec ses pattes postérieures.
Carteckan : Je ne souhaite pas perdre de temps en décrivant l’histoire entière de mon peuple. Le temps est précieux actuellement. Sias a déjà compris ce qu’il s’est passé. Lorsque ce fut passé, ceux d’entre nous qui demeurèrent redoublèrent leurs efforts. La technologie du portail fut créée lorsque nous concentrâmes tous les efforts sur la découverte d’un autre monde en-dehors, et nous commençâmes à observer à travers l’univers.
Carteckan commença à pointer les étoiles tandis qu’il parlait.
Carteckan : Chaque étoile et système solaire furent inspectés. Tous stériles et vides, rien de plus que quelques microbes agonisants. C’est normal, supposais-je, que quelques poussières mourantes en trouvent d’autres.
Sias : Mais vous nous avez trouvés.
Carteckan : En effet. Après deux millions d’années d’existence de notre peuple nous avons enfin trouvé un autre peuple, sur leur petit monde impossible à eux.
Je regardais le ciel, maintenant mes yeux en direction du portail et du point bleu pâle de l’autre côté. Curieusement il ne paraissait pas si lointain, il ressemblait presque à la lune dans notre propre ciel.
Carteckan : Mais le destin est cruel.
Sias : Carteckan, tu n’arrêtes pas de dire qu’il n’y a pas assez de temps. Je ne voulais pas t’embêter avec ça mais quelque chose ne va pas, n’est-ce pas ?
Carteckan : …oui. Tu dois rentrer chez toi, tout de suite.
Distance actuelle : Environ 340,000km
"Carteckan, nous n’avons plus de temps. Encore un peu et Nid sera détruite."
"Est-ce que cela a vraiment de l’importance ? Même repousser la mort maintenant ne signifie pas que nous allons arrêter ce qui approche. Nous mourrons dans tous les cas. Pourquoi ne pouvons-nous pas mourir ici, sachant que nous avons transmis notre connaissance à un autre ?
"Carteckan, une telle chose n’est pas possible. Cela nous fait courir des risques à nous, mais à eux aussi."
"Tout cela est entièrement hypothétique, n’est-ce pas ? De simples modules et simulations qui ne peuvent être prouvés avec certitude. Nous ne savons pas ce qu’il va se passer !"
"Carteckan…"
"Les connaissances obtenues grâce à cet échange sont inestimables. C’est quelque chose que nous n’aurons jamais à nouveau si nous nous rétractons maintenant. Ils ont encore tellement à voir ici, et nous avons encore tellement à voir là-bas."
"Carteckan…"
"Il y a encore tellement de concepts sur lesquels échanger, de choses à apprendre. Nous n’avons pas encore parlé de leurs systèmes de croyance, de leur histoire ! Il y a tant de nations à voir ! Sias a seulement vu cette ville, il y a encore tant de Nid à-"
"CARTECKAN ! Il suffit ! Les simulations ne mentent pas. Si nous ne fermons pas le portail, Nid sera aspirée puis déchirée par la gravité de la Terre, ou pire. Il ne peut pas être laissé ouvert."
"N’est-il pas possible de le refermer et de le rouvrir dans un endroit plus sûr ?"
"C’étaient les dernières coordonnées, Carteckan. La dernière personne sachant comment entrer de nouvelles coordonnées est morte il y a des années. Cela a été établi. Il ne reste plus personne pour savoir comment en entrer davantage."
"Alors cela constitue encore plus de raisons de-"
"Carteckan."
"Je sais. Je ne suis juste pas prêt à dire au revoir."
Addendum 7999.8 7 avril 2027
Nid
Sias me regardait, sa tête légèrement penchée sur le côté. Une expression de confusion, à laquelle je m’étais bien accoutumé au cours des jours précédents.
Sias : Pourquoi rentrer tout de suite ? Est-ce qu’il y a un problème ?
Carteckan: Oui. Je me dois d’être honnête. Nos planètes—
Sias : Se rapprochent lentement entre elles depuis les derniers jours. C’est ce que tu voulais dire, n’est-ce pas ?
Carteckan : Comment a—
Sias : La Fondation n’est ni stupide ni ignare, Carteckan. Nous surveillons la distance entre nos planètes depuis que le portail s’est ouvert. Il était plutôt évident que vous l’aviez ouvert entre nos trajectoires orbitales.
Carteckan : Et ils ne sont pas contrariés ?
Sias : Je ne peux pas dire que les supérieurs hiérarchiques ne sont pas contrariés par ça. Cela dit, nous ne pouvons pas faire grand-chose à propos de cela. Les O5 voulaient que je te menace pour résoudre le problème, mais ce n’est pas comme ça que je procède.
Sias fit ce son rythmique et étrange qu’il émettait souvent lorsqu’il trouvait quelque chose comique.
Sias: Qu’arrive-t-il après ?
Carteckan : J’envoie Sias chez lui, et le portail entre nos mondes est clos.
Sias : Il n’y a pas moyen de le rouvrir ?
Carteckan : Non.
Sias : Bon sang.
Nous restâmes dans le silence en regardant les étoiles au-dessus.
Carteckan : Nous sommes si petits, ne trouves-tu pas ?
Sias : C’est-à-dire ?
Carteckan : Nous avons inspecté chaque étoile que nous pouvions au cours de notre existence pour trouver un autre comme nous. Nombreux sont morts en cherchant, espérant qu’il y avait quelque chose d’autre au-delà. Mourant sans jamais savoir que c’était le cas ! Il y avait quelqu’un d’autre ! Mais même en sachant… nous ne pûmes les connaître que sur une si courte période que ça aurait très bien pu n’avoir aucune importance. Ces moments furent fugaces, et maintenant ils sont passés.
Sias : Tu as raison, nous sommes petits et passer plus de temps ensemble aurait été plus agréable. Vous le savez tous mieux que nous, mais l’univers est vaste, au-delà de notre compréhension. Quand nous mourons, les choses qui nous constituent nous-mêmes reviendront à l’univers. Nous deviendrons la matière dont seront faites les prochaines étoiles, ou même la prochaine civilisation. Nous devenons une partie de cet univers, pas vrai ?
Sias se mit sur ses pieds. Il me tendit une main. Je la pris dans la mienne.
Sias : Ce moment était fugace, mais nous avons été chanceux de l’avoir tout court. Aucun au revoir n’est éternel, alors je ne dirai pas au revoir ici. Au lieu de ça, je dirai… Je te reverrai dans les étoiles.
Carteckan : Je te… reverrai dans les étoiles.
Sias partit, retournant à ses quartiers généraux où Ketadanka l’emmènerait chez lui. Je revins peu après, mais lorsque j’arrivais, ils étaient déjà partis. Un des autres étant restés me donna quelque chose, un cadeau de la part de Sias. À l’intérieur se trouvait un ensemble de pinceaux et de peintures.
Pendant que les autres s’affairaient à fermer le portail, je retournais dans la caverne en dessous avec mon cadeau. J’étalais les pinceaux, et je commençais à peindre. Cela ne serait pas une merveille, rien de semblable à ce que j’avais vu sur leur planète, mais cela serait beau. Je travaillais longtemps sur mes heures de sommeil et le jour suivant, ne m’arrêtant que pour manger. Sias ne le verrait jamais, personne de la Terre ne le verrait, mais cela serait un souvenir de mon temps passé là-bas.
Lorsqu’il fut terminé, je posais mes pinceaux. Le voilà, mon paysage d’étoiles avec un Keradid et un Humain se regardant. Je regardais autour de moi et vis tout l’espace vierge restant sur les murs de la grotte, et commençais à préparer mon prochain chef-d’œuvre. Au loin, j’aurais pu jurer avoir presque entendu le bruit de quelque chose se fissurant.
Distance actuelle : Environ 32 milliards d’années-lumière
"Venez nous trouver. Nous vous attendrons."
