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Crédits
Titre : SCP-573-FR – Le Doigt de l'ange
Auteur : Dr U N Owen
Date de publication : 13 décembre 2022
Image : Générée par DALL-E avec l'instruction "one ivory knitting needle with etchings, black background"
Objet no : SCP-573-FR
Niveau de Menace : Vert ●
Classe : Sûr
Détail de la gravure de SCP-573-FR.
Procédures de confinement spéciales : SCP-573-FR doit rester verrouillé dans le casier de stockage B-573-FR dans l'aile de stockage des objets peu dangereux du Site-Mayim. Aucune autre précaution n'est nécessaire. Toute tentative de réactiver SCP-573-FR est strictement interdite sans une autorisation de niveau 4 et l'approbation du Comité d'Éthique.
Description : SCP-573-FR est une aiguille à tricoter en ivoire d'environ 50 cm de long et d'origine inconnue, gravée d'un motif en carreaux, retrouvée à Sion, en Valais. L'analyse de sa manufacture et de sa composition a permis de faire remonter sa fabrication jusque vers le milieu du XIIIe siècle. L'objet est en parfait état, excepté des traces d'usure autour de l'extrémité épaisse, signe d'une intense utilisation. L'examen de sa surface a néanmoins révélé la présence d'humus caractéristique de la région sédunoise, ainsi que des résidus organiques et des traces de sang humain.
Lorsque SCP-573-FR est enfoncé dans de l'humus, quelle que soit sa composition, il permet la croissance de n'importe quel type de végétal planté dans ce substrat. De plus, il accélère légèrement cette croissance et augmente la quantité de fruits produits. Ce phénomène a fonctionné lors des six premières séries d'expériences, puis a totalement cessé de faire effet. Les chercheurs de la Fondation ne sont jusqu'ici pas parvenus à le reproduire.
SCP-573-FR a été récupéré le 3 juillet 1963 dans les affaires de Mme Marie Abbet, habitante de Sion, lors de l'évaluation de ses biens effectuée peu après son décès. L'objet se trouvait dans un écrin pour archet de violon, enroulé dans des feuilles de papier manuscrites énumérant des transactions entre la propriétaire de SCP-573-FR et des particuliers ou des institutions (voir extrait ci-dessous). L'écrin était scellé par un sceau de plomb portant l'emblème de l'évêché de Sion, enveloppé dans des pages de bible et enfermé dans le socle d'une petite croix domestique.
Cet extrait contient les dernières entrées du livre de comptes.
7 mai 1884 reçu 50 francs de Hyacinthe de Torrenté pour la bénédiction de son champ de pommes de terre.
10 mai 1884 reçu 800 francs de Françoise de Rivaz pour la bénédiction de l'ange.
14 mai 1884 reçu 150 francs de Charles-Albert de Courten pour la bénédiction de ses parcelles de vigne.
15 mai 1884 reçu 50 francs de Marcel Bruttin pour la bénédiction de son champ de pommes de terre.
17 mai 1884 reçu 300 francs de la commune de Sion pour la bénédiction des domaines communaux à l'occasion des rogations.
18 mai 1884 reçu 50 francs de Maurice de Kalbermatten pour la bénédiction de son champ de choux à l'occasion des rogations.
20 mai 1884 reçu 800 francs d'Alphonsine de Kalbermatten pour la bénédiction de l'ange.
La totalité des entrées du livre de comptes ne consistent qu'en deux sortes de transactions : des bénédictions pour la fertilité de champs ou de cultures et une "bénédiction de l'ange" jamais décrite. Les transactions de type "bénédiction de l'ange" ont lieu régulièrement toutes les quatre ou cinq entrées, sauf vers la fin de l'automne, en hiver et au début du printemps où elles représentent la quasi-totalité des transactions (hormis quelques bénédictions sur de rares cultures d'intérieur).
Historique : Les recherches ont permis de découvrir que SCP-573-FR était considéré dans la région comme une relique de Sainte Catherine jusque vers la fin du XIXe siècle avant de tomber dans l'oubli. L'examen des archives de la commune de Sion a permis de découvrir un ancien rite catholique local consistant à planter une relique dans le sol, le terreau ou tout substrat que l'on souhaitait bénir, généralement après une procession dans les cas officiels ou après une longue prière pour les particuliers. Les croyants espéraient alors que le sol, imprégné de la bénédiction divine, permettrait des récoltes plus abondantes.
SCP-573-FR était traditionnellement porté par une femme célibataire considérée comme bénéficiaire de la grâce divine conférée par l'objet. La transmission de l'objet se faisait uniquement par choix de la propriétaire précédente et était accomplie dans le secret. Il est impossible de savoir exactement jusqu'à quand remonte la succession des propriétaires, mais les archives permettent d'en retrouver des mentions jusqu'au XIVe siècle. La dernière propriétaire, Liliane Abbet, une femme ayant vécu à la fin du XIXe siècle, a été condamnée pour hérésie, pour de multiples meurtres d'enfants, et pour celui d'Alphonsine de Kalbermatten, femme d'un officiel de la commune, qui avait 25 ans au moment des faits. L'objet est ensuite passé aux mains de son unique héritier en vie, son neveu, qui l'a confié à Adrien VI Jardinier, évêque de Sion. Peu après, un édit officiel de l'évêché a déclaré l'objet hérétique et blasphématoire et a condamné son utilisation. SCP-573-FR a alors été rendu à son propriétaire, non sans "l'assurance qu'il ne tentera point ni d'en faire usage ni de le retirer de ses protections, qu'il récitera trois fois quotidiennement les prières d'abjuration face à la Sainte Croix et qu'il participera sans fautes à la messe dominicale en la cathédrale de Sion afin de se laver de la souillure du péché". Rien dans les minutes du procès ni dans celles de l'évêché n'indique le mobile du meurtre, ni la raison pour laquelle Liliane Abbet a été accusée d'hérésie, ni pourquoi SCP-573-FR a été si soudainement considéré comme blasphématoire.
Mise à jour du 7 décembre 1987 : Le 3 août 1987, à l'occasion d'un déménagement, un cahier portant simplement l'inscription manuscrite "A de K - 1884" a été retrouvé dans les archives de la famille de Kalbermatten. Il s'agissait du journal intime d'Alphonsine de Kalbermatten. Le journal, oublié au fond d'une malle de documents familiaux, serait passé inaperçu si l'un des membres de la famille ne l'avait pas apporté aux archives de l'État du Valais en raison de son contenu. Là, un agent du Site-Mayim a pu le récupérer et en faire une copie pour ce dossier. Bien que ce document ne contienne rien d'anormal en soi, son contenu a permis de jeter une nouvelle lumière sur les propriétés de SCP-573-FR.
Le 20 mai 1884
C'est la troisième fois de suite que je n'ai pas saigné. Maurice n'en sait rien. Je dois arrêter de me masquer la vérité. Je suis encore enceinte. Je ne comprends pas pourquoi Dieu m'inflige cette épreuve. Il m'a déjà donné huit enfants, et Il a choisi d'en reprendre deux avant même qu'ils n'ouvrent les yeux. Monseigneur l'évêque nous apprend que Ses voies sont impénétrables, mais c'est une telle douleur à chaque fois, et une telle charge ensuite. Nous avons à peine de quoi nourrir les six qui sont encore vivants, je n'ose penser aux sacrifices qu'il faudra faire si un autre arrive. J'ai prié pourtant pour ne pas tomber enceinte, de tout mon cœur, le soir où Maurice est rentré aviné après avoir fait la fête avec les autres députés, et tous les soirs ensuite. J'ai été une bonne épouse, je l'ai supporté sans me plaindre, comme nous l'apprennent les Saintes Écritures. Mais je ne veux pas d'autre enfant. Je sais bien que c'est la volonté de Notre Seigneur que je porte ce bébé, mais cela me terrifie. Ma foi est trop faible pour supporter ce fardeau, Seigneur ! Je crois que je vais devenir folle.
Que Dieu me pardonne, j'ai appris qu'il y avait une faiseuse d'anges en ville. Je vais aller la consulter. Après tout, lui parler ne m'engage à rien. Mais j'ai trop peur. La dernière fois qu'on a appris qu'une femme s'était faite avorter, son mari la jetée à la rue en la traitant de meurtrière, et Monseigneur l'évêque a refusé de la revoir à l'église. De toute façon c'était une païenne, elle n'y allait pas. On ne l'a plus revue. Mais moi, mon Dieu, je crois en Vous. La Bible dit que Votre bonté est infinie, que Vous avez pardonné à Marie-Madeleine, la prostituée. Sûrement, Vous pouvez comprendre ? Si je fais pénitence, est-ce que j'échapperai à l'enfer ?
Ensuite, je promets de me rendre à confesse tous les jours que Vous ferez, si telle est Votre volonté.
Le 22 mai 1884
Je n'arrête pas de pleurer. J'ai si mal. J'ai si honte. Les saignements ne s'arrêtent pas. Les compresses chaudes ne servent à rien. Je ne peux parler à personne, que dirait-on ? Heureusement que Maurice n'est pas là.
Je suis en état de péché mortel, je crois que je vais aller en enfer. Mon Dieu, par pitié, je ne veux pas ! Je ne pouvais pas faire autrement !
J'ai déjà récité au moins quinze prières à la Vierge depuis ce matin, mais rien n'y fait. Monseigneur l'évêque dit toujours que notre foi n'est pas assez forte, mais que puis-je faire de plus ? Je me sens si démunie et faible.
Pour le moment, je peux au moins décharger mon cœur dans ce journal. Allons-y.
Hier matin, je suis descendue chez la faiseuse d'anges. Maurice était au travail, les trois grands à l'école et j'ai laissé les trois petits à ma mère. J'avais eu l'adresse auprès d'une amie qui la tenait d'une amie à elle, en prétextant que je voulais connaître les lieux à éviter. J'avais peur d'avoir mal, de saigner, de condamner mon âme, mais je ne voulais plus changer d'avis.
Il y avait une femme que je ne connaissais pas devant l'entrée. Elle m'a regardé avec un sourire compatissant, comme si elle avait tout de suite compris pourquoi je venais et elle m'a juste dit d'entrer avant d'ouvrir la porte. Je suis montée à l'étage, et alors j'ai été tellement surprise de voir que la faiseuse d'ange était Liliane ! Celle qui portait la relique pour bénir les champs ! Elle a tout de suite vu ma surprise et elle m'a dit "tu sais, la fertilité ça vient pas de nulle part. Il faut perdre quelque chose pour en gagner une autre" et elle a montré l'aiguille à tricoter qui était posée sur une table, à côté d'une cuiller sale. C'était la relique. J'ai à peine eu le temps de comprendre qu'elle m'a demandé l'argent pour la séance. 800 francs. Tout ce que j'avais pu économiser de ce que Maurice m'avait laissé depuis l'année dernière. Ensuite elle m'a dit de me déshabiller et de m'allonger sur la table, et elle a posé un baquet d'eau chaude à côté.
J'étais horrifiée, mais je ne pouvais plus reculer. J'étais comme abasourdie. Elle m'a dit "allez, on n'a pas toute la journée", alors j'ai enlevé mes robes et mes dessous, et je me suis allongée sur la table. Elle m'a dit "Bon, ça va faire très mal, mais ça dure pas très longtemps. Tu vas saigner. Tu cries pas. Si tu cries, tu sors. Il y a des voisins qui peuvent t'entendre, et après j'aurai des problèmes." Ensuite elle m'a donné une tape sur la cuisse pour que j'écarte les jambes. Je tremblais de froid, de honte, de peur. Elle a posé ses doigts gras sur mon intimité pour l'ouvrir. Je pleurais doucement, mais je crois qu'elle ne s'en est pas aperçu. Quand elle a inséré la cuiller, je n'ai pas pu retenir un petit cri. "Tais-toi", elle m'a dit. Ensuite elle a fait glisser l'aiguille le long de la cuiller. Quand la pointe s'est plantée dans mes chairs, j'ai hurlé. Elle m'a giflé si fort que j'en suis restée sonnée. "Tais-toi j'ai dit. Ou tu sors". Alors, quand l'aiguille s'est encore plantée deux ou trois fois, j'ai mis ma main sur ma bouche et j'ai mordu ma lèvre pour ne pas faire de bruit. Enfin, elle a touché quelque chose au fond de mon ventre. La douleur était insoutenable, je crois que j'ai sursauté. Mais j'ai tenu bon. J'ai pleuré en silence quand elle a fait encore plusieurs vas-et-viens. J'ai senti quelque chose de chaud s'écouler. Ensuite elle s'est redressée et elle s'est essuyé les mains avec un torchon. Elle a dit "J'ai fini. Tu vas saigner encore un moment, et tu vas avoir très mal au ventre. C'est normal. C'est ton corps qui chasse le bébé. Si tu saignes trop, si tu as de la fièvre, va à l'hospice. Ils sont obligés de te soigner, c'est dans leur serment. Ils le feront pas de bon cœur, mais ils le feront. Au moins tu auras la vie sauve, à défaut de ton honneur. Prends une infusion de sauge tous les matins et tous les soirs jusqu'à qu'il sorte. Ça va t'aider. Adieu, bonne chance. Dis-toi que ton sacrifice va aider à produire plus de nourriture pour les enfants des autres."
Quand je me suis relevée péniblement, elle essuyait l'aiguille avec le torchon. Il m'a semblé qu'elle luisait légèrement. Je suis sortie, mortifiée, et je suis rentrée en titubant jusque chez moi. J'ai cru m'évanouir plusieurs fois, et j'ai dû m'appuyer sur un mur pour me soutenir. J'espère que personne ne m'a vue.
Je n'ai pas arrêté de saigner depuis, et la douleur ne s'est pas calmée. Je me sens faible. Je n'ose pas aller à l'hospice, j'ai trop peur.
Mon Dieu, pardonnez-moi, je ne veux pas aller en enfer !
D'après les archives, Alphonsine de Kalbermatten est décédée le lendemain matin d'une hémorragie. Il n'y a pas eu de messe de sépulture et elle a été enterrée à l'écart. Maurice de Kalbermatten, son mari, a payé une somme importante afin que les rapports officiels ne contiennent pas les détails de l'affaire.
Liliane Abbet a été condamnée à la prison à vie, peine qu'elle a purgé à Sion même, où elle s'est suicidée un an plus tard.