Objet no : SCP-539-FR
Niveau de Menace : Bleu ●
Classe : Sûr
Procédures de Confinement Spéciales : Les différentes instances de SCP-539-FR doivent être gardées en quatre sites distincts1 et surveillées en permanence par caméra en vertu du protocole "Tous à Rome"2. Conformément au processus détaillé dans celui-ci, toute convergence des entités vers la même direction doit être signalée, la position triangulée et analysée. Les recherches sur SCP-539-FR sont pour l’instant suspendues au profit de l’application du protocole. Une instance SCP-539-FR peut cependant être retirée du protocole de façon épisodique au profit de nouveaux travaux, avec l’autorisation du directeur de site hôte et de l’administrateur du protocole.3
Le Saint Émile et sa disparation doivent être considérés comme "sujets sensibles" et doivent faire l'objet d'une surveillance accrue de la part du département de surveillance. Toute nouvelle information à ce sujet doit être notifiée à la hiérarchie et enregistrée pour étude interne. SCP-539-FR-1 doit être placé sur la liste des anomalies disparues aux mains d'agents hostiles et toute récupération d'artefacts isléens doit être remontée à un membre de l'équipe de recherche de SCP-539-FR pour vérification.
Description : SCP-539-FR désigne un lot de trente-et-une boussoles construites en 1915 par le BAAO4 pour le compte du gouvernement français pendant la Première Guerre Mondiale. Neuf d’entre elles ont été détruites ou perdues pendant les conflits et huit ont été dérobées à l'État français en 1923. Les quatorze instances restantes ont toutes été remises à la Fondation en 1925 par le gouvernement français, en conformité avec la signature du protocole de Genève relatif au désarmement anormal des nations signé la même année.
SCP-539-FR est à la fois très bien documenté et très mal compris par la Fondation. Désignées comme "boussoles à possibilités" par l'État français, les différentes instances de SCP-539-FR semblent capables de pointer non pas un pôle magnétique mais une "direction d'intérêt", ou "direction à fort potentiel". La définition claire de ce "potentiel" est encore sujette à débat mais il ne semble pas foncièrement corrélé aux intérêts directs de son utilisateur ; les anomalies semblent simplement pointer une direction d'intérêt quelconque, en général vers une situation future aux conséquences incertaines mais importantes. Leur fonctionnement repose sur les travaux des docteurs Thevenot et Moreigneaux, s’appuyant sur la théorie des oiseaux fugaces5 ; cependant, cette théorie ne peut pas être prouvée ou même étudiée aujourd’hui, suite à la disparition des deux seuls éléments permettant son étude lors de la disparition du Saint-Émile le 14/05/1923.
Le premier des deux éléments disparus, la pierre dite "de Tan Afella", est une pierre anormale aux propriétés temporelles supposées. Celle-ci est majoritairement composée de collombrine désigné SCP-539-FR-1, un métal anormal dont la pierre représentait la seule source connue. Les aiguilles des instances de SCP-539-FR sont composées d'un alliage de fer et de ce matériau, mais il n'y est pas présent en suffisamment grande quantité pour permettre son étude réelle. Les quelques éléments connus à son sujet le sont donc de par les études du BAAO à son sujet avant la perte de la pierre de Tan Afella et n'ont pas pu être vérifiés par la Fondation. Il est supposé que la présence de SCP-539-FR-1 modifie l'écoulement du temps local. Selon les études initiales de M. Hector Thevenot6 pour le BAAO, il semblerait que SCP-539-FR-1 "allonge la durée du présent" de manière locale, le rendant "sur-consistant". Des études (théoriques) menées par l'équipe de recherche tendent plutôt à montrer qu'il s'agirait d'une vibration temporelle locale de la matière : l'existence de SCP-539-FR-1 s'étendrait alors de manière cyclique, à autre fréquence, dans l'instant passé et futur proche. Cependant, faute de suffisamment de SCP-539-FR-1 disponible, cette hypothèse n'a jamais pu être confrontée.
Le second élément disparu lors de l'incident du Saint-Émile est l’unique prototype de "praxinoscope réaliste", désigné SCP-539-FR-2. Il s'agit d'une machine thaumaturgique créée par M. Hector Thevenot exploitant les propriétés de SCP-539-FR-1. Les plans de fabrication de l'appareil ont disparu avec lui, mais il est de toute manière inexploitable sans la pierre de Tan Afella. Son objectif était d'ouvrir l'homme à un nouveau pan sensitif, modifiant sa perception du temps en passant par un vecteur visuel.
Quelques tests ont été réalisés par la Fondation sur les différentes instances de SCP-539-FR possédées, sans avancées majeures comparé aux travaux déjà réalisés par le BAAO. L'ensemble des études menées par cette organisation sont disponibles en archives numérisées ; pour plus de visibilité, un résumé de celles-ci sont disponibles en addendum de ce document.
Faute d'éléments d'études suffisants sur SCP-539-FR-1 et le travail théorique montrant ses limites sur l'étude de cette anomalie, les recherches sur SCP-539-FR sont pour l'instant interrompues.
Addendum 1 : résumé des études du BAAO sur la pierre de Tan Afella et création de SCP-539-FR par l'état français
Le 28/11/1899, Monsieur André-Alcide Collombert, en mission pour le BAAO, a fait état de la découverte d’un matériau inconnu lors de son expédition dans le massif du Hoggar. Baptisé "collombrine", celui-ci a été identifié dans une unique pierre (nommée pierre de Tan Afella) de 102,341 kg et ramenée au QG d’Alger. L’origine de celle-ci est inconnue7 et constitue la seule réserve connue de ce nouveau matériau.
Le 03/03/1900, poussé par l’étude de légendes locales, M. Hector Thevenot, chargé de pré-étude de la collombrine pour le compte du BAAO, lui prédit des qualités temporelles probables et remplit une demande de fonds acceptée par M. Achille Lefèvre, directeur des recherches. La commission collombrine-1900 est créée.
Le 06/01/1901, M. Thevenot, commissaire général de la commission nouvellement créée, a présenté ses découvertes à la direction lors du grand séminaire d’Alger. Suite à l’observation d’une variation gaussienne de l’écoulement du temps autour de la pierre, celui-ci fut en capacité de vérifier cette observation lors de la pré-étude8. Poussé par sa découverte, celui-ci pense pouvoir exploiter les effets de la pierre pour ouvrir "les arcanes du temps"9 à l’être humain, en utilisant les propriétés temporelles de la collombrine. M. Thevenot présenta alors les plans d’une machine capable de stabiliser l’effet de la pierre pour la rendre exploitable. Son objectif est de "bloquer" son effet à cadence fixe, de façon à pouvoir discrétiser la variation temporelle et la rendre appréhendable par l'œil humain. Des fonds supplémentaires furent alloués pour la création du prototype.
Le 23/09/1904, M. Thevenot présenta pour la première fois sa machine, qu’il nomme "praxinoscope réaliste". L’élaboration de celle-ci s'est révélée plus coûteuse et plus longue que prévue, suite à divers problèmes techniques. Selon lui, le praxinoscope réaliste permet à l’homme de rajouter une dimension à sa vue, lui permettant de voir l’instant d’avant comme celui d’après. Celui-ci a alors invité la commission d’étude à essayer eux-mêmes l’expérience.
Celle-ci s’est révélée complexe : s’il est en effet possible de "voir" les instants proches, ceux-ci ne sont pas représentés naturellement pour l’homme.
"N’imaginez pas un film qui défile, une suite de scènes connues ; l’information est bien retranscrite, mais sous une forme abstraite, indescriptible pour qui ne l’a pas expérimenté. On a alors l’impression de découvrir un sens supplémentaire et les mots me manquent pour décrire ce que l’on peut expérimenter, tant l’expérience est nouvelle à l’homme. On a le sentiment d’avoir été aveugle toute une vie et d’ouvrir les yeux pour la première fois, imaginez que je doive expliquer la couleur à qui n’a jamais vu ! Imaginez vous au sommet d’un pic rocheux, capable de voir dans toutes les directions à la fois : vers l’extérieur comme à l'intérieur de votre propre œil. Plus vous vous éloignez, plus vous regardez le futur, plus vous approchez de votre centre, plus vous vous approchez de votre passé.
Vous ne pouvez voir une table ou une fleur, quel que soit son instant, ou plutôt vous ne pouvez plus : celles-ci sont alors supplantées par leurs possibilités, passées et futures. C’est ainsi que l’on lit cette information : toutes sont liées d'une étrange façon, florissant parfois en bouquet, s'étalant parfois comme l'eau qui ruisselle, explosant par endroit, se perdant dans l'horizon.
Le passé est étonnement facile à lire, relié comme par des fils à notre présent. N’imaginez cependant pas pouvoir "voir" ceux-ci, cela n’aurait aucun sens, nous ne parlons pas de vue. Mais ils sont lisibles, c’est comme si l’on observait les possibilités qui ont mené à notre réalité. Le passage semble parfois obstrué par des opportunités perdues, mais il n’en reste pas moins identifiable et je conseille à tous de commencer leur lecture par là. Le futur est quant à lui brouillon, flou. Parfois, des axes principaux s’en dégagent pour l’observateur attentif, mais Dieu sait à quoi chaque segment peut mener. On a l’impression d’une énorme pelote de laine se déroulant à l’infini à l’horizon et ce pour chaque chose.
La scène est d’une beauté incroyable, image parfaite d’un chaos dans lequel nous évoluons sans le savoir"
Hector Thevenot.
Les études sur la collombrine sont prolongées.
Le 07/02/1905, M. Thevenot a fait état de "taches, formes ou vecteurs" se déplaçant entre "l’instant d’avant et celui d’après." À la suite de longues observations, celui-ci a identifié un comportement variable, erratique, presque animal. Suite à cette observation, l’équipe de recherche a entamé une collaboration avec le département d'éthologie du BAAO, qui s'est vu confier une mission d’observation à l’aide du praxinoscope réaliste afin d'affirmer ou d'infirmer la thèse.
Le 10/06/1905, après quelques mois d’observations, l’appartenance de ces artefacts mobiles au monde du vivant a été statuée comme "hautement probable" par le service d’éthologie du BAAO.
Pour l'éthologue Aimé Moreigneaux, le comportement de ces taches rappelle celui de certaines espèces d’hirondelles ou de chauves-souris :
"Les plus gros artefacts semblent nicher en colonies dans le passé, sur les embranchements les plus conséquents. Parfois, selon un cycle incompris, on voit ces artefacts se rapprocher de notre temporalité, y pénétrer l’espace d’un instant, pour finalement s’envoler vers le futur. Dans les instants à venir, on trouve des artefacts plus petits, qui y logent de façon permanente, s'installant généralement sur les possibilités les plus marquantes. Les grands artefacts venus du passé semblent alors les traquer, les pourchasser et les "englober", dans un ballet temporel qui ressemble fort à une chasse aérienne.
Une fois quelques-unes de ces petites choses attrapées, les artefacts du passé retournent dans l’instant précédent, parfois de manière synchronisée ou éparse, avant qu’un nouveau cycle commence. Parfois, certains artefacts ne partent pas en "chasse" et parcourent le passé pour changer d’embranchement, en trouver un plus proche de notre nouvelle temporalité. Enfin, certaines taches, généralement plus grosses, restent seules, comme endormies, pour s'éloigner un peu plus du groupe, avant de disparaître de notre champ d’horizon."
Ces artefacts ont par la suite été désignés par M. Moreigneaux comme "Oiseaux fugaces", même s’il est impossible de savoir si il s'agit ici d'une unique ou d'une somme de plusieurs espèces. Il est à noter que tous les tests menés partout dans le monde ont confirmé ou relevé la présence de ces artefacts, supposant une présence mondiale de l’espèce. En certains lieux, les envolées sont tellement nombreuses que leur passage à l’instant présent suffit à faire trembler la pierre et l’ensemble du praxinoscope.
Le 01/07/1908, en l'absence d’avancées significatives, l’anomalie est jugée suffisamment comprise par le BAAO et les recherches interrompues au profit d’autres objets. La commission collombrine-1900 est dissoute.
Le 09/11/1914, le colonel André De Barlot prend la direction du site d’Alger, en vertu de la directive datée du même jour concernant la réquisition de la structure par l’armée pour ajouter à l’effort de guerre. Les études sur la pierre de Tan Afella sont reprises et une nouvelle commission créée, la commission collombrine-1914. Les recherches sont orientées à des fins militaires sous la nouvelle direction du lieutenant Gaston Brot.
Le 02/03/1915 est présenté pour la première fois le résultat de ces nouvelles recherches. Le praxinoscope réaliste a été jugé trop encombrant pour une utilisation directe. De plus, toute "lecture" du futur ou du passé s'est avérée absurde en vertu du caractère de l’information transmise. Le lieutenant Brot a cependant décidé de poursuivre les recherches, en s’appuyant sur le mouvement généré par les oiseaux fugaces à leur passage dans notre temporalité. Selon l’équipe de recherche, le passage d’oiseaux fugaces à notre instant suffit à influencer physiquement la collombrine, ce qui ouvre un champ de possibilités pratiques.
Suivant ses ordres, une partie de la pierre de Tan Afella a été prélevée puis fondue pour la fabrication d’un alliage fer - collombrine, qui fut ensuite utilisé pour la fabrication d’aiguilles de boussoles.
Selon le Lieutenant Brot et l’équipe de recherche, les oiseaux fugaces se déplacent en priorité vers les "branches" les plus importantes des "instants d’après", car plus riches en petits artefacts. Ainsi, le "mouvement" le plus fort et donc le plus impactant sur la collombrine, serait celui menant à l’alternative la plus marquante, la plus riche. L’invention, nommée "boussole à possibilités", est censée guider les soldats sur le champ de bataille, au travers des obus et du feu ennemis.
Plusieurs tests ont été réalisés, avec des résultats mitigés. Si les boussoles indiquent bien une possibilité "supérieure", il s’est révélé difficile de savoir à l’avantage de qui. La survie du soldat est généralement prioritaire, mais pas absolue.
Le 17/05/1915, les boussoles sont déployées pour la première fois lors de la campagne des Dardanelles. La demi-section du sergent Thernier est envoyée au combat avec l'ordre de suivre à la lettre les directives dictées par les boussoles. Sur les vingt-neuf hommes équipés, seuls trois s’élancèrent au front lors de l'assaut, le reste des boussoles indiquant le sens inverse du champ de bataille. Le soldat Jacob Monteau fut immédiatement blessé au pied et retomba dans la tranchée française où il fut transporté à l’infirmerie. Le second homme à s'élancer, le soldat Vincent Fernat, courut se réfugier dans un trou d'obus quelques mètres plus loin et avançant de couvert en couvert, réussit à atteindre la position turque vivant (prise lors de l'assaut, reprise dans l’heure par l'ennemi). Le troisième, le 1ère classe Auguste Lejeune, fut porté disparu après l’assaut.
Le résultat, plutôt que jugé comme un échec par le haut commandement, fut perçu comme une simple preuve d’immaturité du projet. La confiance portée dans les recherches du lieutenant Brot fut maintenue et un nouveau protocole d’utilisation fut mis à l’étude.
Addendum 2 : Protocole "Coq en pâte" et section Vanstabel
Le 06/06/1915, le lieutenant Brot proposa à l’état major français le protocole "Coq en pâte". L’objectif était de forcer le futur avec le plus de possibilité à l'avantage des soldats alliés. La section "Vanstabel", chargée de l’utilisation des boussoles, fut créée à la suite de ces études. Chaque soldat incorporé devait présenter des états de services irréprochables, une loyauté sans faille et des revenus de base modeste. La section était composée de 60 hommes et était organisée autour de duos de soldats : le premier maniait la boussole, le second assistait le premier depuis l'arrière.
Le protocole "Coq en pâte" consistait à, pour forcer le destin favorable, proposer une forte prime au retour de chaque assaut, accompagné d’un bonus supplémentaire en cas de succès. Malheureusement, cela augmentait également la richesse de chaque soldat après chaque assaut, entrainant une augmentation perpétuelle des primes pour conserver une attractivité au champ des possibles. Après quelques assauts, les soldats recrutés étaient remerciés et remplacés. Pour cacher le roulement d’homme, l’unité devait toujours apparaître masquée, de façon à faciliter le travail du service de propagande.
La section Vanstabel a été déployée pour la première fois lors de la campagne des Dardanelles en juillet 1915, où elle montra de bons résultats initiaux malgré un échec général des troupes alliées. Elle a ensuite été déployée sur divers fronts jusqu'à la fin de la guerre, essentiellement sur le front allemand. Au fil de l’année 1916, la section Vanstabel s’est révélée de plus en plus coûteuse, pour des résultats déclinants, malgré un taux de survie largement supérieur à la moyenne. La propagande continua cependant d’user de la section comme d'une machine à héros, en dépit de ses résultats mitigés. Par l'effet couplé de la réaction de l’intelligence allemande et surexploitation médiatique française, il s’est révélé de plus en plus difficile de forcer la direction des boussoles vers des résultats satisfaisants. Le 15/04/1917, l’utilisation de SCP-539-FR est officiellement arrêtée par le haut commandement pour permettre le financement de projets plus prometteurs. La section Vanstabel sera maintenue en activité jusqu'à la fin de la guerre sans SCP-539-FR, conservant cependant l'usage du roulement d’hommes pour continuer l'œuvre de propagande, déjà trop engagée pour abandonner la section et déjà habituée à des résultats non satisfaisants.
Addendum 3 : Témoignage de l’agent Jacques Laumont, vétéran des régiments occultes et de la section Vanstabel, embauché par la Fondation en 1934
Quand nous sommes arrivés dans la section, on nous a donné à tous un uniforme, une boussole et un binôme, pour moi le soldat Pierre Bernard, un homme tout à fait charmant, avec qui j’ai d’ailleurs gardé bon contact. Dans un binôme, il y avait deux postes à tenir, un "arpenteur" et un "comptable". Nous, on avait été pris pour remplacer les arpenteurs, qui eux étaient passés comptables, s’ils n'étaient pas morts. C’était ça le cycle, arpenteur, puis comptable. Ensuite, c’était au cas par cas, si on était bon, on continuait dans la section, sinon, on était muté ailleurs.
L’arpenteur, c’était celui qui devait monter au front avec la boussole. En vérité, nous n’étions pas mieux fournis qu’un autre. Le comptable, son rôle à lui, c’était de rester derrière, avec des jumelles et de surveiller son arpenteur avec un calepin. Parfois, j’aurais préféré que ce soit avec un fusil, mais bon, on ne choisit pas. On nous avait prévenu que la boussole avait des "ratés" et leur but, c’était de nous les éviter. Chaque comptable avait une enveloppe allouée pour son arpenteur à ne pas dépasser et à chaque fois qu’il sentait son poilu en difficulté, il devait écrire une somme dans son carnet, qui serait versé en prime à l’arpenteur s’il revenait. Cela devait suffire à "corriger les absences", mais ça n’a pas empêché bon nombre d’y rester quand même. Je sais que le lieutenant avait parfois des "rallonges" disponibles à distribuer, pour les grands assauts, mais c’était assez rare. Le second rôle du comptable, c’était de monter à l’assaut pour aller récupérer la boussole si l’arpenteur tombait alors au moins, on savait que le camarade était assidu dans sa tâche.
Le plus dur, c’était le premier assaut. On s’était entraînés avant bien entendu, mais ça n’avait rien à voir. À l'entraînement, les boussoles ne marchaient pas, on suivait simplement les ordres de l'instructeur qui beuglait. Avec la folie de l’assaut en plus, c’était un cauchemar. On courait comme des dératés, en suivant la boussole comme on pouvait, on changeait de direction sans savoir pourquoi, parfois on courait droit sur les mitrailleuses, parfois on restait dans un trou sans raison… Le pire, c’est qu’en général, je dis bien en général, ça marchait. Mon bon, à côté de ça j’ai déjà vu des camarades foncer droit sur des tirs de crapouillauds, c’était pas beau à voir, non.
Ce qu’on redoutait le plus, c’était d’être vendu avant l’assaut. On savait que la section avait sa petite réputation chez ceux d’en face et s’ils apprenaient la charge, ils pouvaient promettre la médaille et les honneurs à qui ramènerait nos casques. Tout de suite, les boussoles marchaient beaucoup moins bien. Je crois que c’est pour ça que l’état major a fini par les abandonner. Trop de succès chez les allemands ! Après il ne devait pas y avoir que ça. Sur les derniers assauts, c’était un carnage dès que l’un des arpenteurs tombait, des assauts entiers pour récupérer une boussole. Je crois qu’il y avait la peur que les boches la prennent avant nous. C'était la paranoïa dans le camps vers la fin, plusieurs personnes avaient été prises à poser des questions "un peu gênantes", les gradés avaient peur de l'intelligence allemande. Au final, même après l’avoir tenue entre mes mains, je ne saurai pas dire si ce fut une bonne chose. Probablement pour moi en tout cas, puisque je suis là !
Addendum 4 : Rapport sur la disparition du Saint-Émile
Le 14/05/1923 à 18h30, le Saint-Émile, navire de transport militarisé français, a quitté le port d'Alger pour rejoindre le port de Marseille, avec à son bord la majorité des éléments anormaux développés par le BAAO lors de la Première Guerre Mondiale. À 22h13, le Saint-Émile a envoyé un bref signal de détresse, avant de couper toute communication. Le navire cuirassé Provence a été dépêché en urgence pour lui porter secours. Le Saint-Émile ne fut retrouvé que le lendemain matin. Le bâtiment avait subi de lourdes avaries avant l'arrivée du Provence, et l'équipage a été retrouvé entièrement massacré. L'ensemble de la cargaison occulte du navire était introuvable. Il fut également identifié à son bord un corps n'appartenant pas à l'équipage du navire, plus tard identifié par les services français comme celui de Auguste Lejeune, soldat porté disparu en 1915 lors du 1er test de SCP-539-FR. Celui-ci semble avoir été abattu par les assaillants d'une balle dans le dos. Le document suivant fut retrouvé dans sa poche de veste :
Mon très estimé monsieur Lejeune,
Comme vous l'aviez espéré, les informations que vous nous avez fait parvenir ont suscité grand intérêt ; elles représentent une aubaine indéniable pour le royaume, que nous n'espérons pas laisser passer. Si la cargaison est à la hauteur de ce que vous annoncez, je vous assure que la nationalité isléenne ne saura vous être refusée, en dépit de votre nature. Je veillerai d'ailleurs personnellement à ce qu'on vous décore pour vos services une fois votre nouveau statut de sujet accordé. Je ne puis que vous féliciter pour votre travail accompli depuis notre rencontre, et loue votre miracle de poche de vous avoir mené jusqu'à nous. Il vous restera cependant une dernière tâche à accomplir : débrouillez-vous pour monter à bord du navire avant son départ, vous serrez alors récupéré par nos services lors de l'opération.
Veillez agréer, une fois de plus, de mes plus sincères remerciements ainsi que de ceux du royaume.
X.
Plusieurs effets personnels (clefs, ticket de cinéma) furent également récupéré, permettant de poursuivre l'enquête. Le 21/05/1923, son logement est identifié à Alger par les enquêteurs français. Une impressionnante quantité de documents confidentiels sur l'activité du BAAO y est découverte, ainsi qu'une liste de contacts au sein de l'institution, parmi lesquels plusieurs héros de la division Vanstabel. Auguste Lejeune semble avoir entrenu des relations plus ou moins poussées avec plusieurs d'entre eux, en se faisant passer pour un militaire de réserve grâce à son instance de SCP-539-FR. L'affaire dite "du Saint-Émile" ébranla en profondeur l'organisation du BAAO, et s'est conclue par une importante vague d'arrestations pour trahison au sein de la structure, ainsi que par la démission du colonel André De Barlot, pourtant en grâce avant ces révélations. La plupart des personnalités arrêtées furent jugées et envoyées au bagne ; les fortunes de plusieurs anciens arpenteurs furent également saisies en guise de sanction.
La fouille de son appartement permit également d'identifier plusieurs croquis, accompagnés de dates ou d'informations. La première esquisse d'importance représente un appareil volant non identifié, daté du 04/06/1915, accompagné de la mention "première rencontre". On retrouve ensuite plusieurs dessins d'appareils inconnus, souvent accompagnés de portraits d'hommes en uniformes, suggérant des contacts réguliers avec le royaume anormal d'Univers'Île depuis cette date jusqu'à sa mort. Le dernier dessin, daté du 13/05/1923, semble être un autoportrait souriant, accompagné de la note "Adieu, demain je monte au ciel."
Le 28/04/1924, sont signés en réaction les accords de Bordeaux entre l'État Français et la Fondation, visant à une collaboration étroite pour la surveillance des activités du royaume d'Univers'Île, débouchant au premier protocole de surveillance "Autour".
La cargaison du Saint-Émile ne fut jamais retrouvée.
Addendum 5 : Croquis d'Auguste Lejeune
Les croquis laissés par Auguste Lejeune ont pendant longtemps été utilisés par les services Français comme l'une des rares informations fiables sur le royaume, bien qu'il s'agisse finalement d'un témoignage indirect. Des copies de ceux-ci ont été transmises à la Fondation suite aux accords de Bordeaux.
Première représentation connue du royaume occulte d'Univers'Île dans les bases de données de l'État Français. Cette représentation, bien qu'en réalité fantaisiste, a fortement influencé les théories du début et milieu de siècle sur la nature du royaume, avant correction de celles-ci.
Représentation d'un aéronef isléen. Ce type d'aéroglisseur est typique du royaume, bien qu'aucune trace du modèle représenté n'ait pu être trouvée. Il s'agit probablement d'un prototype du début de siècle, abandonné pour des itérations plus récentes. De par l'impossibilité d'avoir accès à l'un de ceux-ci, il est impossible de déterminer leur fonctionnement exact, ni même si la technologie anormale employée est la même que dans les aéronefs isléens actuels.
Représentation d'un soldat isléen. Cette illustration (ainsi que plusieurs autres) ont permis au pouvoir français de relativiser le pouvoir militaire du royaume en début de siècle : présence d'équipement archaïque en dépit d'aéronefs anormaux. L'incident du Saint-Émile démontre une force de frappe et une organisation efficace, mais il est théorisé à la suite de l'analyse des renseignements français qu'Univers'Île ne possèderait pas de troupes au sol réellement efficaces comparé aux armées modernes de l'époque, malgré une aviation sans doute impressionnante.
L'homme représenté sur ce croquis, longtemps désigné comme "le soldat à la broche", a finalement pu être identifié en 19██ comme ████████████████████, agent des services secrets du Roy à la reconquête et a été classé comme personnalité d'intérêt hostile par la Fondation jusqu'à sa mort en 19██ lors de l'incident de ██████████████. Il est également l'auteur présumé de la lettre trouvée dans la veste d'Auguste Lejeune.