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Crédits
Titre original : SCP-450-FR : La Fin de l'Aventure
Auteur : Torrential
Date de publication originale : 30 mars 2020
Image : Homme assoupi dans un salon de rasage - domaine public
Objet no : SCP-450-FR
Niveau de Menace : Bleu ●
Classe : Keter
Procédures de Confinement Spéciales : SCP-450-FR ne peut être confiné en raison de sa nature. La manifestation de ses effets ne portant aucun préjudice à la population, la Fondation ne considère pas sa neutralisation comme prioritaire, ni même pertinente.
Description : SCP-450-FR désigne un état de conscience éphémère affectant certains êtres humains dont l'âge est compris entre 30 et ███ ans, sans égard pour leur sexe, ethnie ou croyances, pourvu que leur condition médicale atteste qu'ils sont au seuil de la mort. SCP-450-FR est actuellement connu de la population et plus particulièrement du monde médical en tant que "lucidité terminale", bien que l'étendue de ses propriétés soit encore méconnue en raison du peu d'intérêt que son étude suscite actuellement. SCP-450-FR semble avoir assumé de nombreuses appellations au travers de l'Histoire, notamment au sein des cultures aborigène, égyptienne et olmèque, parmi lesquelles : "Œil de l'Au-Delà", "Déchirure du voile", "Réminiscence du Temps du Rêve" et "Déploiement des Ailes intérieures". La Fondation, ayant observé SCP-450-FR à plusieurs occasions alors qu'elle en ignorait encore le caractère anormal, le surnommait autrefois "syndrome de la mort blanche".

Antoine Jasmin, lors de sa récupération dans un salon de rasage de Paris en 1959, aussi connu de la Fondation comme l'un des plus célèbres exemples de SCP-450-FR.
SCP-450-FR consiste en la résurgence soudaine d'une partie des souvenirs du sujet et ce, pendant une période de quelques minutes à plusieurs jours. Au cours de cet évènement, l'individu développe des hallucinations visuelles, auditives, olfactives et tactiles avec lesquelles il tente d'interagir autant que sa condition le lui permet. Sa faculté à percevoir son environnement et à répondre aux sollicitations demeure intacte, bien qu'il est susceptible de les ignorer ponctuellement en raison de la fascination qu'exerce SCP-450-FR sur lui. Cet état de conscience surnaturel facilite toutefois généralement la communication avec le sujet en raison du désir puissant de témoigner qui le saisit alors.
Tout individu sous l'influence de SCP-450-FR évoque des évènements de son existence qui lui inspirent des états d'humeurs durables et variés, notamment de l'euphorie, de la mélancolie, de l'apathie ou de la nostalgie. S'il arrive au sujet d'exprimer le souhait de vivre une fois encore des évènements heureux ou de vivre différemment des évènements qui l'ont meurtri, cela reste exceptionnel, et les hallucinations créées par SCP-450-FR ne semble l'exaucer en aucune façon. Au contraire, le sujet fait preuve de fatalisme envers sa propre existence, acceptant chacun de ses succès et de ses échecs sans jamais les grandir, les diminuer, les réfuter ou mentir.
SCP-450-FR fut observé lors de tâches quotidiennes au sein des installations de la Fondation ou lors de missions accomplies par le personnel. S'il subsiste des doutes quant à la validité de certaines de ses manifestations, les plus pertinentes et les mieux renseignées sont consignées dans le présent rapport.
Avant-propos : L'agent Florent COMTE, envoyé en mission dans les Alpes avec son équipe le 02/06/2016 pour enquêter sur SCP-██-FR, est rapatrié dans un hôpital de proximité en raison de migraines et vertiges persistants dont il se plaint depuis plusieurs jours. En l'absence de caméra, ses actions sont rapportées de mémoire par ses collègues.
Interrogateurs : Agents Sixtine RIVIÈRE et Raphaël LEON
Interrogé : Agent Florent COMTE
[Début de l'enregistrement]
Agent Leon : Voilà, j'ai lancé le micro. La procédure, tu sais. Bon, je le mets… euh. Là, voilà. Comme ça, il t'embêtera pas.
Agent Rivière : Hé, Raph' ? "Rayon de soleil de nos vieux jours" en sept lettres. J'ai essayé "chatons" et "massage", et ça marche pas. T'as pas une idée ?
Agent Leon : J'en sais rien. Je m'en cogne. Y'a Florent qui souffre le martyre, au fait, hein. Mais bon, je dis ça, je dis rien. Vas-y. Continue tes mots croisés. Après tout, on est en vacances, non ?
Agent Rivière : Mais il va très bien, Flo' ! Oh là là ! Toujours à en faire des caisses. (bruit de froissement de pages et de tissus) Pas vrai que tu vas bien, mon grand ? Moi, je sais ce que t'as. Même que je l'ai déjà eu. C'est le mal des montagnes. Eh ouais ! Raréfaction de l'oxygène en altitude, tout ça… Très dangereux si on le sous-estime. C'est pour ça qu'on t'a évacué. Maux de tête, vertiges, nausées, typique du mal des montagnes, ça. Tu vas voir, ça va passer. Je te parie une fondue que tu seras retapé d'ici ce soir.
Agent Comte : "Enfants".
Agent Rivière : Quoi ?
Agent Comte : "Rayons de soleil de nos vieux jours"."Enfants".
Agent Rivière : Ah ! Tu veux dire… Attends, je reprends mon bouquin. Merde, j'ai perdu la page. Soixante-deux ou soixante-quatre, je crois. Raté. Soixante-six. Ça y est ! Alors… "enfants". Et… t'as raison. Ça marche ! Bordel. Sept heures de marche dans les pattes à 4000 mètres d'altitude et à moitié K.O. dans un hélico, et t'arrives encore à faire des mots croisés. Putain, t'es vraiment une bête, Flo'. On essaie celui d'après ?
Agent Leon : Hé, ho. Tu pourrais… je sais pas, lui foutre la paix ? Florent est malade. Il a besoin de se reposer.
Agent Comte : Hé. T'en fais pas, Raph'. Ça va.
Agent Rivière : Ah ? Je te prends à témoin, Raph'. Ok, Flo' est peut-être pas dans son meilleur jour, mais il a envie de faire des mots croisés avec moi.
Agent Leon : Ouais, ouais. C'est ça. (traduit de l'italien) Excusez-moi, dans combien de temps arrivons-nous à l'hôpital ?
Pilote : (traduit de l'italien) On est à San Biagio dans vingt minutes. Voire un peu moins. Vous avez de la chance qu'on ait un ciel aussi dégagé.
Agent Leon : Pourquoi ? Le temps n'est pas aussi clément d'habitude ?
Pilote : Ben, je vais être honnête avec vous. S'il aurait fallu évacuer votre ami hier ou avant-hier… Franchement, il aurait été mal barré. Entre la brume, les averses et les rafales qui tourmentent les cimes depuis deux semaines… Vraiment. Vous avez de la chance. Ça faisait un bail qu'on avait pas de si belles éclaircies.
Agent Rivière : "Compagnon de nos nuit blanches" en quatre lettres. "Livre" ? Non, ça va pas. "Chat" ? Non plus. "Mari" ? Si seulement. (soupir marqué) Bon. Je sèche. Un avis, Flo' ?
Agent Leon : Moi, je sais. Un café. Bien noir.
Agent Rivière : Suspense… Et oui, en plein dans le mille ! Tu vois, toi aussi t'aimes les mots croisés, Raph'. Allez, le prochain. Tous ensemble, cette fois ! "Élysée de coton". Pas facile, celui-là.
Agent Leon : Eh, Flo' ? Il y a un problème ? Tu as du mal à… à… ? Putain. Mais… Six', le masque. Vite. VITE ! Merci.
Agent Rivière : Merde. Il était en train de s'étouffer ? J'ai pas vu. Désolée.
Agent Leon : Mais, mais… Tu peux me rappeler pourquoi t'es là, en fait ? J'ai cru que t'étais venue pour t'occuper de lui. Il nous claque entre les mains, et toi, tu fais des mots croisés à côté. Sérieux. Allez, c'est bon. Message reçu. La prochaine, tu restes avec les autres.
Agent Rivière : Quoi ? Je suis venue parce qu'il a besoin de réconfort, monsieur rabat-joie. Si je l'avais laissé partir seul avec toi, tu l'aurais achevé. Moi, je veux juste lui changer les idées. Et une douleur à moitié oubliée, c'est une douleur à moitié soignée. Je veux bien admettre que je suis pas forcément… Oh ! Je crois qu'il veut qu'on lui enlève le masque. T'en fais pas, mon grand, j'ai compris… Voi-là. Alors, ça va mieux ?
Agent Comte : Ça va, merci. Raph'. T'en prends pas à elle. C'est moi le boulet, dans cette histoire. J'avais une migraine odieuse, j'ai pensé que ça partirait avec le temps et j'ai préféré vous le cacher, sauf que voilà. Non seulement, c'est pas parti, mais c'est… c'est encore pire qu'avant. J'ai tout foutu en l'air.
Agent Leon : Eh, Florent…
Agent Comte : Alors si tu veux me virer de la liste pour les prochaines missions, vas-y. Je l'aurai pas volé.
Agent Leon : Ah ouais ? Je vais te montrer. Dix secondes, j'allume mon tel'. (bref silence) Regarde. Toi aussi, Laura. Regardez. Luc m'a envoyé une photo. Je viens de la recevoir à l'instant. Ils l'ont capturé. Tu vois ? Ils l'ont eu. La mission est un succès. T'as rien gâché, mon gars. Rien du tout.
Agent Comte : Encore heureux. Ne pas déclarer un état de santé contraire à un départ en mission est passible de… d'une suspension, je crois. D'une sanction, en tout cas.
Agent Leon : Putain, tu fais ch… En fait, non. T'as raison. Faut sévir. Méchant. Méchant Florent. Tu t'es porté volontaire pour venir avec nous en mission et servir ta nation alors que t'agonisais en silence. Méchant Florent. Méchant. Voilà. Je t'ai passé le savon d'usage. Quand on te demandera pourquoi t'es parti, tu pourras répondre : "Ouais, mais j'aurais pas dû, mon chef m'a déchiré". C'est ce que tu voulais, non ?
Agent Rivière : (rires) Vous faites vraiment la paire, tous les deux. Allez pas me dire que c'est moi le clown dans l'équipe après ça.
Agent Comte : Hé. T'en fais pas. Entre clowns, on se comprend. Allez, je vais essayer de me reposer. Je me sens un peu… faible.
[L'agent Comte cesse de communiquer et s'endort. Lorsqu'il se réveille, quelques minutes plus tard, il est décrit comme scrutant son environnement avec étonnement. Il porte un intérêt particulier aux agents Rivière et Leon, assis en face de lui.]
Agent Comte : P'pa ? M'man ? Oh. Je vous avais pas entendu rentrer.
Agent Rivière : Quoi ? Oui, c'est no… attends. Quoi ?
Agent Comte : Je faisais un rêve vraiment bizarre. J'étais dans un hélicoptère, avec des gens. On revenait d'une promenade, en montagne, je crois. Mais j'étais… Non, c'est rien, P'pa. Je pleure pas. Je t'assure. C'est mon crâne. Je sens un truc.
Agent Leon : Putain, c'est quoi ce bordel ? Eh, Florent ? Ça va ? Écoute, je pense que c'est… je pense que tu as besoin de dormir. On va te donner un calmant et te remettre le masque. D'accord ?
Agent Rivière : Non, attends.
Agent Comte : M'man ? Je me sens pas bien. Pas bien du tout. Je vois toujours flou, depuis hier. Et j'ai encore mal à la tête. Ça part vraiment pas. Vous pouvez rester, toi et P'pa, juste un petit peu ? Les invités sont partis ? Je suis désolé pour la scène que je vous ai faite. Je savais qu'il aurait mieux valu qu'on fête mon anniversaire, juste tous les trois. J'ai pas besoin… bes… besoin d'autres personnes que vous.
Agent Rivière : Décroche ta ceinture.
Agent Leon : Tu veux faire quoi ? Il faut lui…
Agent Comte : P'pa ? M'man ? Je peux vous demander quelque chose ?
Agent Leon : On est pas…
Agent Rivière : Tout ce que tu veux, mon grand.
Agent Comte : Est-ce que je peux… Je sais que j'ai passé l'âge, mais… je peux… vous embrasser ? Je pense que j'en aurai plus trop l'occasion plus tard, alors…
Agent Rivière : Bien sûr, Florent. Avec plaisir.
[L'agent Rivière détache la sangle supérieure de la civière de l'agent Comte pour le serrer dans ses bras. Elle fait signe à l'agent Leon de l'imiter. Il hésite, puis s'exécute. Tous les trois s'étreignent pendant un bref instant. Une dizaine de secondes selon l'agent Rivière, une trentaine selon l'agent Leon.]
Agent Comte : L'ambulance est là ? Je… je suis (inintelligible).
Agent Leon : Tu es désolé de… quoi ?
Agent Comte : Désolé… d'être encore un enfant.
[L'agent Comte s'apaise ensuite et se recouche dans la civière. L'agent Leon lui administre un sédatif léger et lui appose le masque à oxygène sur le visage tandis que l'agent Rivière rattache la sangle. Ils retournent s'asseoir dans leur siège respectif. Un silence d'une trentaine de secondes environ.]
Agent Rivière : Bordel, mais qu'est-ce qui s'est passé ? Putain, Raphaël. T'as vu son regard ? T'as vu ses yeux ? Il déconnait pas. C'était pour de vrai. Il nous voyait vraiment comme ses parents. Comme ses vrais parents. Tu crois que c'est à cause de… de ça ? (bref silence) Merci d'avoir joué le jeu.
Agent Leon : Sixtine. Je crois que je connais la réponse, mais je veux en être sûr. Tu sais que ce qu'il a dans le crâne, ce n'est pas un mal des mont… Ne t'en fais pas. Il nous entend pas. Je lui ai donné un somnifère. Regarde. Tout va bien. Il dort, maintenant. Il dort. Alors réponds-moi, s'il te plaît. Tu as compris, pas vrai ? Compris que ce qu'il a dans le crâne…
Agent Rivière : Mais évidemment que je sais ce que c'est ! Cette saloperie m'a volé la moitié de ma famille ! Mais tu voulais que je fasse quoi, Raphaël ? Je pouvais pas, moi. J'allais quand même pas lui dire que… Je voulais qu'il pense à tout, mais pas à ça. Je voulais pas qu'il comprenne ce qui lui arrive. Je voulais pas…
Agent Leon : C'est bon, c'est bon, j'ai compris. (éternuement) Pardon pour tout à l'heure, j'étais vraiment sur les nerfs. T'avais raison. On a même pas besoin de choper cette saleté pour qu'elle nous flingue. Moi, elle m'avait déjà flingué le moral.
Agent Rivière : T'es gentil, Raphaël. Mais je suis pas non plus connue pour être un parangon de maturité. Je suis un peu comme lui, en fait. Une gamine coincée dans un corps d'adulte.
Agent Leon : Hé. Tu sais, quand j'ai embarqué Florent dans l'hélico, tout à l'heure… il m'a expliqué qu'il savait ce qui lui donnait des vertiges et des migraines. Il me l'a dit comme ça, sans paniquer, très calmement, comme s'il me donnait l'heure.
Agent Rivière : Alors il a compris. Putain, merde. Fait chier.
Agent Leon : Eh, tu le connais. Il voulait que je garde le silence, que je sois le seul dans la confidence. "Pour pas leur flinguer le moral à ces cons", qu'il m'a dit.
Agent Rivière : Ouais. Bah, bravo. Il peut être fier de lui, il a réussi. Putain. Je suis tombée dans le panneau. Et moi qui croyais… Je le déteste.
Agent Leon : Et tu sais ce qu'il a ajouté ? "Parce que je crois qu'il y en a même une qui s'est amouraché de moi". Ha ! Ha ! Ah non, tu vas pas t'y mettre toi aussi. On en a vu d'autres. Allez, allez. Haut les cœurs, Six'. On est arrivés ! Tu vas voir, il va s'en sortir.
Agent Rivière : Putain, Flo'. T'as intérêt à survivre. Sale con.
[Fin de l'enregistrement]
Conclusion : L'agent Florent Comte décéda trois jours plus tard des suites d'une tumeur cérébrale maligne. Son corps fut retourné à ses parents, alors en voyage en Espagne lors de l'incident.
Avant-propos : Le 14/05/2018 au Site-███, un membre du personnel de classe D, élevé au rang d'assistant de recherches provisoire pour sa conduite exemplaire, est convoqué dans le bureau du docteur █'█████ pour se voir délivrer son accréditation de niveau 2 et être officiellement reclassé en tant que membre du personnel de classe C. Le docteur █'█████ s'absente pour aller chercher des biscuits apéritifs, laissant D-42801 seul dans son bureau. À ██ h et ██ min, conformément au protocole mensuel d'entraînement à l'évacuation, une alerte fut donnée et le docteur █'█████ abandonne les installations avec le personnel autorisé. D-42801, ignorant le caractère factice de l'alerte, quitte le bureau du █'█████ pour tenter de sortir du bâtiment, mais s'égare dans l'aile Est du site, réservée au confinement. Un passage précipité à travers les portes blindées lors de leur fermeture automatique lui broya la jambe droite, qui fut sectionnée au niveau du tibia. D-42801 s'évanouit à quelques mètres de la porte. La chercheuse Laura VAN DOREN, retenue par une obligation dans une pièce voisine, le rencontre sur son passage.
Interrogateurs : Docteur Laura VAN DOREN
Interrogé : D-42801
[Début de l'enregistrement]
[Le Dr Van Doren entre dans le champ de vision de la caméra et approche D-42801.]
Dr Van Doren : Monsieur ? Monsieur, vous allez bien ? Qu'est-ce que vous avez à la… La porte. Mon Dieu ! Monsieur ? Monsieur, vous m'entendez ? Monsieur ?
[Le Dr VAN DOREN s'agenouille auprès de D-42801. Elle ôte sa blouse et la noue autour du membre sectionné. D-42801 souffre déjà de lourdes pertes de sang.]
Dr Van Doren : Et évidemment, l'infirmerie est bloquée, maintenant. Ah, putain. Il a choisi le bon moment. Monsieur ?
[D-42801 semble revenir à lui. Il s'agite faiblement. Le Dr VAN DOREN s'absente une courte période et revient avec une bouteille d'eau. Elle l'approche de la bouche de D-42801.]
Dr Van Doren : Monsieur, vous m'entendez ? Tenez. Buvez. Vous avez perdu énormément de sang. Il faut boire. C'est bon, vous pouvez avaler ?
[D-42801 boit le contenu de la bouteille avec difficulté. Il semble brièvement suffoquer.]
D-42801 : (inintelligible) Putain. Putain. Putain. Putain. Putain.
Dr Van Doren : Je sais que vous souffrez. Mais je peux rien faire de plus pour vous. On est enfermés. Les collègues ne reviendront que dans 15 ou 20 minutes, quand l'exercice sera terminé. Et les ondes passent pas les murs. Mesures de sécurité, vous comprenez… Non ! Non, ne regardez pas. Vous allez encore vous évanouir.
D-42801 : Restez. S'il vous plaît, restez. Pitié. Me laissez pas. (pleurs et murmures inaudibles). Pas seul. Veux pas rester seul.
Dr Van Doren : Oui, vous en faites pas. Je reste.
[Le Dr Van Doren s'assit en tailleur et pose la bouteille vide à côté d'elle.]
Dr Van Doren : Bon. Qu'est-ce que vous faisiez là, en fait ? Tous les Delta sont confinés normalement, pendant les alertes. Vous êtes un fugitif, ou quoi ?
[Le Dr Van Doren se penche sur D-42801.]
Dr Van Doren : Qu'est-ce que c'est que ce binz ? Vous avez une plaquette ? "Assistant chercheur". Vous, vous… Ah ouais, j'ai compris. Vous l'avez piquée pendant un test, c'est ça ?
D-42801 : Non. Elle est à moi.
Dr Van Doren : Vous vous foutez de moi ? Les Classes-D sont jamais assistants de recherches. Que les Classes-C. Et encore.
D-42801 : Aujourd'hui. C'était aujourd'hui.
Dr Van Doren : Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a, aujourd'hui ?
D-42801 : Que j'allais devenir Classe-C.
[Ni le Dr Van Doren ni D-42801 ne semblent communiquer pendant une trentaine de secondes.]
D-42801 : S'il vous plaît, s'il vous plaît, s'il vous plaît…
Dr Van Doren : Quoi ?
D-42801 : Vous pouvez parler ?
Dr Van Doren : "Parler" ?
D-42801 : Oui. Tout ce que vous voulez. Parlez. S'il vous plaît, parlez. Veux pas entendre… (inintelligible) plus entendre le silence.
Dr Van Doren : "Parler", "parler", vous en avez de bonnes, vous. On "parle" pas comme ça. "Parler". Ben… J'en sais rien, moi. Je m'appelle… Non, j'ai pas le droit de… Oh, et puis merde. Je m'appelle Laura. Le nom de famille, on s'en fout. (bref silence) J'ai une formation d'ingénieure en sécurité informatique et je suis aussi diplômée en horticulture, même si ça me sert plus trop par les temps qui courent. Voilà. Vous savez tout.
D-42801 : "Horticulture". Les… les fleurs, c'est ça ?
Dr Van Doren : C'est ça. Les fleurs.
D-42801 : J'ai toujours… toujours aimé… les fleurs. Je suis allergique, mais j'ai toujours rê… rêv… (violent accès de toux) rêvé qu'on m'en offre. Un… un… vous savez.
[D-42801 fait un geste vague de la main.]
Dr Van Doren : Un bouquet ?
D-42801 : Oui. Un bouquet.
Dr Van Doren : Ah ? Personne n'a jamais pensé à vous en offrir pour… je sais pas. Votre mariage, la Saint-Valentin ? Vous êtes… vous étiez mariés quand, euh… avant ? Vous aviez une petite amie ? Ou je sais pas, quelqu'un, dans votre vie ?
D-42801 : J'avais mon père. Et mon… mon… non, je peux pas. Ma jambe. Ma jambe. Je vais pas tenir. S'il vous plaît. Je vais m'évanouir. Je vais… je vais…
Dr Van Doren : Votre père et qui ?
[D-42801 pousse subitement un long cri de douleur et se convulse violemment. S'ensuit des gémissements et des pleurs.]
Dr Van Doren : Non ! Ne… (bref silence) Eh, merde.
[Le Dr Van Doren se lève et s'absente environ une minute, puis revient auprès de D-42801.]
Dr Van Doren : Ouvrez la bouche. Je vais y déposer ce quartier de pomme. Essayez de ne pas l'avaler. J'ai plus de tissu pour vous faire un bâillon, et c'est vraiment pas le moment de vous trancher la langue.
[Le Dr Van Doren se penche sur D-42801 et glisse le quartier de pomme dans sa bouche.]
Dr Van Doren : C'est bon ? Vous pouvez respirer ? Oui ? Bon. Essayez de vous concentrer sur votre histoire. Rien d'autre. Juste votre histoire. Vous me parliez de votre famille. Racontez-moi. Vous aviez votre père et qui d'autre ?
D-42801 : Mon père, et… mon frère.
Dr Van Doren : Votre père et votre frère. Vous vous entendiez bien avec eux ?
[Il est incertain si D-42801 rit ou s'étouffe une nouvelle fois à cet instant.]
D-42801 : Ça veut dire quoi, ça ? "S'en… s'entendre bien".
Dr Van Doren : Ben, c'est simple. Vous les aimez ? Ils comptent, pour vous… ? Ou "comptaient", je ne sais pas…
D-42801 : Oui, beaucoup ! Ils travaillaient énormément, tous les deux. Mon père était ripeur. Mon frère enchaînait les petits boulots. Je les aime beaucoup. Il me nourrissaient, ils me logeaient… Ils ont donné leur vie, pour moi. Tout sacrifié.
Dr Van Doren : Mais tout ça, c'est… enfin… Quel souvenir vous gardez d'eux ? Votre meill…
D-42801 : Le froid.
Dr Van Doren : "Le froid" ?
D-42801 : Le froid. Dans la chambre…
Dr Van Doren : Quelle "chambre" ? Celle que…
D-42801 : Là où je dormais quand j'étais gosse. Ma vieille chambre. Je dormais sur le carrelage. On allumait pas le chauffage, pour faire des économies. J'avais pas de fenêtre, ni de volets. L'hiver… l'hi… l'hiv…
[D-42801 émet un nouveau cri suivi de gémissements inintelligibles.]
Dr Van Doren : Monsieur, il faut tenir bon. Je peux pas bander votre blessure plus que ça. Et ça continue de couler, en plus. Putain. J'ai même pas de comprimés, j'ai… je peux rien faire de plus pour vous.
D-42801 : J'avais… j'avais tellement froid.
Dr Van Doren : Et pourquoi vous n'aviez pas de couverture, pour commencer ?
D-42801 : Parce que j'étais… j'étais un démon. Mon père, mon frère, ils me le répétaient chaque fois, chaque jour. À 10 ans, j'ai commencé à faire des cauchemars. Beaucoup. Ils revenaient toujours. Toujours les mêmes. Que des cauchemars. J'osais plus dormir. J'avais peur. Peur de m'endormir. Peur de… de… Quand j'avais 12 ans, je suis devenu nyc… nycta… phobe. Je sais plus le mot. Le noir. Je supportais pas. La nuit, je faisais que pleurer. Je pleurais, je me débattais, je criais. Mon père et mon frère en pouvaient plus. Les voisins venaient frapper à la porte pour leur dire de me faire taire. Ils se faisaient insulter, à cause de moi. Tous les jours. On vandalisait notre porte, on nous menaçait d'ex… d'expro.. expropriation. Alors ils m'ont d'abord enlevé le drap… puis le matelas. Ils voulaient juste que je grandisse. Mais j'y arrivais pas. J'y arrivais pas.
Dr Van Doren : Eh, misère.
D-42801 : Mais je continuais à pleurer, à crier. Comme un bébé. Ils comprenaient pas. De toute façon, ils auraient jamais pu. C'était dans ma tête. Tout était dans ma tête.
Dr Van Doren : Personne ne vous a écouté ? Vous en avez parlé ? À l'école…
D-42801 : L'école. Je m'en rappelle encore. Là-bas, il faisait chaud, il y avait plein de lumière. Je pouvais dormir. Je faisais que dormir. Il y avait même une dame qui me laissait me reposer pendant son cours. Madame… madame… Gabrielle. Gabrielle. Comme l'ange.
Dr Van Doren : Vous deviez l'aimer beaucoup ?
D-42801 : Oui ! Oui. L'école, c'était tout, pour moi. Grâce à elle. Elle s'est opposée à mon renvoi, je crois. Mais elle était… la seule. Quand je dormais en classe, je parlais pendant mon sommeil, et je me réveillais en pleurant. Les autres riaient, mais les profs étaient à bout. Un jour, quelqu'un a lancé une bouteille dans ma fenêtre. Elle a cassé la vitre. C'était en décembre, en ████. Mon père m'a promis de la réparer si j'arrêtais… d'être infernal. Il fermait toujours ma porte à clé, parce que sinon j'allais toujours dans leur chambre. La nuit, le froid… était… horrible. Je me suis roulé en boule dans un coin. Je n'avais même pas… (accès de toux violent) même pas la force de trembler. Le carrelage a gelé. Le matin, j'avais des cristaux de glace sur les pieds. Je n'ai pas pleuré. Et… et… Mon père a pas réparé la fenêtre. Pour que ça continue.
Dr Van Doren : Ça a dû… vous avez dû… tellement… Mais c'est derrière vous tout ça, maintenant. Pas vrai ?
D-42801 : Oui, c'est… fini, maintenant. Vous savez que j'ai pleuré, quand je suis arrivé ici ? Dans ma cellule, j'avais enfin un lit et une couverture. Une couverture… On m'avait volé la mienne, quand j'étais au pensionnat. Je l'ai jamais retrouvée. Et vous… Je sais pas qui vous êtes, mais vous m'avez tout rendu. La lumière, la chaleur… tout. Merci.
Dr Van Doren : Vous vous sentez mieux ?
D-42801 : Un peu. J'en ai pas l'air ?
Dr Van Doren : Pas trop. Vous êtes tout… tout pâlot.
[Aucun échange audible pendant une vingtaine de secondes. D-42801 semble observer intensément le plafond.]
D-42801 : Il y a quelqu'un.
Dr Van Doren : Quoi ? Où ça ?
D-42801 : Mais, juste là. Au-dessus.
[Le Dr Van Doren relève la tête et scrute à son tour le plafond.]
Dr Van Doren : Il n'y a rien du tout.
D-42801 : Si. Il y a quelqu'un (inaudible) approche.
Dr Van Doren : Non, vous vous trompez. Vraiment, je regrette. Il n'y a personne. C'est votre imagination.
[Ni l'un ni l'autre ne communique pendant environ vingt secondes.]
D-42801 : Bonjour.
Dr Van Doren : Euh,"bonjour" ? Mais nous nous sommes déjà…
D-42801 : Vous ne pouvez pas parler ?
Dr Van Doren : Mais vous parlez à qui ?
D-42801 : Vous ne pouvez pas me dire votre nom ?
Dr Van Doren : Hé. Vous m'écoutez ? Qu'est-ce que vous voyez, au juste ?
D-42801 : Il y a quelqu'un, juste là, en face de moi. Oh. Il se tourne. Il vous regarde.
Dr Van Doren : Il me regarde ?
D-42801 : Oui. Il vous dévisage. Si seulement vous pouviez voir ses yeux. Ils sont… tout drôles. Deux petites lunes luisantes.
Dr Van Doren : Écoutez, je pense que vous êtes victime d'un délire. Ce doit être à cause de votre blessure. Vous êtes très faible. Fermez les yeux, ça va se dissiper.
D-42801 : Non. Non. Je veux pas. Je veux pas fermer les yeux. Je veux… Tu n'as pas de nom ? Tu m'observes. Tu veux me dire quelque chose ?
Dr Van Doren : Bon. Il ressemble à quoi, votre ami invisible ?
D-42801 : Il est comme nous ! Mais plus… plus… lumineux. Il y a un soleil qui bri… qu… qui brille… en lui. Son cœur ? Je peux le voir… le voir… à travers lui.
Dr Van Doren : C'est ça. Il a deux ailes, aussi ? C'est peut-être un ange. Qui sait.
D-42801 : Non. Pas d'ailes.
[Aucune communication verbale et gestuelle de la part du Dr Van Doren et de D-42801 pendant une minute environ. D-42801 scrute avec obstination le plafond du couloir. Il semble dans un état de fascination absolu.]
D-42801 : C'est quoi ? C'est toi qui l'as écrite ? C'est pour moi ? Non, je peux pas accepter. Tu sais, je n'ai pas le droit d'en recevoir… C'est comme ça. Je n'ai pas le droit. (exclamation de surprise et pleurs étouffés) Il… il… Vous avez raison, vous avez raison !
Dr Van Doren : Quoi ? Qui ?
D-42801 : Des ailes ! Il a des ailes ! Deux immenses voiles de fleurs… Ça sent si bon. Ce parfum… Je n'ai jamais rien senti d'aussi parfait. D'aussi pur. Tu permets ? Veux juste toucher…
[D-42801 élève son bras et semble palper quelque chose de la main au-dessus de lui.]
D-42801 : J'en étais sûr. Ce… ce n'est pas un rêve.
Dr Van Doren : Vous pouvez le toucher ?
D-42801 : Oui. Je peux. Il… (rires étouffés) Ses ailes. Il m'enveloppe avec… avec ses… ses ailes.
Dr Van Doren : Pourquoi ? Vous avez froid ?
D-42801 : Plus maint… plus maintenant.
[Le Dr Van Doren examine sa montre.]
Dr Van Doren : Eh bien, j'ai une bonne nouvelle pour vous. L'alerte est terminée dans deux minutes. On va pouvoir s'occuper de vous. Vous voulez me parler encore un peu de votre copain, là, en attendant ?
[D-42801 n'émet aucune réponse.]
Dr Van Doren : Vous m'entendez ?
[Aucune réponse.]
Dr Van Doren : Monsieur ?
[Fin de l'enregistrement]
Conclusion : D-42801 est décédé pendant l'enregistrement des suites de l'hémorragie. Une fouille de sa combinaison a révélé qu'une lettre scellée datée du ██/██/19██, écrite à l'attention du directeur de l'école █████ ██ ████████ y était dissimulée. Elle consiste en le plaidoyer d'un enseignant en faveur d'un élève, ███████ ██████, menacé d'exclusion. La lettre était accompagnée d'un chrysanthème. Le personnel de classe D étant régulièrement fouillé et n'étant pas en mesure de recevoir du courrier, il est incompris de quelle façon D-42801 s'est procuré la lettre et la fleur.
Avant-propos : La cassette de l'enregistrement audiovisuel suivant, portant l'étiquette "Fugue Ante-mortem #3", a été récupérée par la Fondation le 18/06/20██ lors de la capture du Site-Tav, ancienne installation de l'Ordre de la Lumière. L'extrait montre un homme âgé et couché dans le lit d'une pièce autrefois localisée dans l'aile Nord du site. Une table de nuit se trouve à côté de lui. Une lampe de chevet, un journal roulé et une boîte entrouverte y sont posés. L'extrait fait suite à six heures d'une totale absence de communication de sa part, jusqu'à ce que l'homme, surnommé "PdI-9856", tienne une succession de propos cohérents dans son sommeil. Aucun autre individu ne semble présent dans la chambre lors du déroulement des faits.
Note : En raison de l'élocution inégale de PdI-9856, la retranscription de certains passages a été omise ou reconstituée, tout en se voulant aussi fidèle que possible à l'énoncé originel.
[Début de l'enregistrement]
06 h 03 min 10 s - PdI-9856 : Az… Az… Azra.
06 h 03 min 14 s - PdI-9856 : Qui… qui est là ? Toi ? C'est bien toi ? Mon vieil ami ?
06 h 03 min 18 s - PdI-9856 : S'il te plaît, parle. Ne laisse pas (inintelligible) faible vieillard… briser le silence.
06 h 03 min 26 s - PdI-9856 : S'il te plaît. Ne t'enfuis pas. Pas encore. Pas cette fois. Mon pauvre ami. Pense à moi. Sois fort. Et souviens-toi.
06 h 03 min 32 s - PdI-9856 : Quel âge ? J'avais dix ans. Douze ans. Treize… Il y a longtemps. Trop longtemps.
06 h 03 min 41 s - PdI-9856 : L'enfant qui jouait sur une balançoire rouillée. Tout était ordinaire. Insignifiant, peut-être. Nous sommes rencontrés. Toi aussi, tu étais perdu. Tu cherchais un chemin et nos chemins se sont rencontrés. J'avais un peu peur. Il faisait pas encore nuit. J'ai quand même marché vers ton ombre. Dans l'herbe de la pluie.
06 h 03 min 58 s - PdI-9856 : Petit garçon (inintelligible) d'un si grand monstre. Humanité le1 hait ? Pas grave. Je serai humain, pour toi. Non. Plus humain. Plus humain.
06 h 04 min 07 s - PdI-9856 : Partout les voix t'appelaient. Te suppliaient ? Tous les cris d'un monde en pleurs. Mon pauvre ami. Les voix intérieures. Tu les oubliais, pour moi. J'oubliais de pleurer, pour toi.
06 h 04 min 22 s - PdI-9856 : J'ai jamais grandi. À cause de toi. La solitude nous grandit. J'étais jamais seul avec toi. Plus jamais seul. Nous étions deux. Enfants ? Peut-être. Oui, deux enfants sous le ciel. Jeunes et immortels.
06 h 04 min 45 s - PdI-9856 : Le chat venu chez moi. Tu te souviens ? "Arthus". Il était perdu. Dis-moi pourquoi il est revenu. Fourrure poisseuse. Il marchait, ses pattes brisées. Ronronnait si fort. Je sais qu'il est mort, dehors. Qui l'a ramené ? Je sais que c'est toi. Devait mourir loin de moi. Tu me l'as apporté. Pour qu'il s'endorme contre moi.
06 h 05 min 04 s - PdI-9856 : Tous mes frères. Toutes mes sœurs. Tu n'étais pas pressé. Quand c'était l'heure, tu étais là. Tu veillais sur eux. Assis sur le banc à côté, assoupi dans les draps, tu attendais sur le capot noir. Attendais que je vienne, que je les serre dans mes bras qui tremblaient. Puis tu te levais, et tu t'en allais avec eux. L'un après l'autre. Tu m'oubliais toujours. Tous des élus. Sauf moi. Le dernier. Tu voulais jamais. Jamais voulu de moi.
06 h 05 min 23 s - PdI-9856 : Tu avais peur ? Peur de… de…
06 h 05 min 34 s - PdI-9856 : Aurélie. Lors du soir2… La seule à me comprendre (inintelligible) Oui, le feu, pas la boîte noire. Creuser, ça va. Préfère la partie des fleurs3. Pour la famille, dur. Pour elle, très dur.
06 h 05 min 46 s - PdI-9856 : Enterrée à quarante-cinq ans4. Elle comptait. Je pense toujours à elle. Elle était quelqu'un de bien. "Quelqu'un de bien" ? Comme tout le monde. Elle ressemblait… elle… Je… Non. Non. Non. Pourquoi, je me souviens pas ? J'ai peur, Azra. "Quelqu'un de bien" devient toujours "quelque chose de bien". Plus que "quelque chose". Et finalement "rien".
06 h 06 min 30 s - PdI-9856 : "Aurélie" ?
06 h 06 min 57 s - PdI-9856 : Non. Confonds. Je l'ai rencontrée…
06 h 07 min 04 s - PdI-9856 : Un livre ? Mais sous la couverture quelqu'un dormait…
06 h 07 min 08 s - PdI-9856 : Non. Le chasseur meurt jamais à la fin de l'histoire5. Non. Non. Gaël… il avait raison. Nos deux mondes devraient jamais se croiser. J'aurais jamais dû descendre de la balançoire rouillée. Jamais dû traverser la pelouse mouillée. Jamais dû pénétrer l'ombre d'acier. Non. Je ne t'en veux pas. Tu étais seul. Personne ne savait. Un seul cri étouffe mille larmes. J'étais le seul à t'entendre. Seul à comprendre. Oui. Tu les emmenais doucement pour me garder (inintelligible) toujours un peu plus longtemps. Je sais. Plus de vie sans souvenirs, d'accord ?
06 h 07 min 19 s - PdI-9856 : Plus d'éternité, mon triste ami. Plus maintenant. Plus jamais. Plus jam…
06 h 07 min 26 s - PdI-9856 : Écoute-moi.
06 h 07 min 41 s - PdI-9856 : S'il te plaît.
06 h 07 min 53 s - PdI-9856 : Je n'avais qu'un vœu.
06 h 08 min 05 s - PdI-9856 : Azra, s'il te plaît…
06 h 08 min 12 s - PdI-9856 : Libère-moi.
[PdI-9856 n'émet plus aucun signe de vie à partir de cet instant. À 6 heures, 18 minutes et 32 secondes, un claquement de porte est audible. Un enfant - PdI-9705 - pénètre le champ de la caméra et approche PdI-9856. L'enfant se penche sur le vieil homme et passe brièvement sa main, enveloppée de bandelettes pour une raison inconnue, sur son visage. Il se relève et semble s'adresser à quelqu'un à côté de lui, bien que l'enregistrement vidéo ne montre personne.]
06 h 18 min 44 s - PdI-9705 : Tout va bien. Il est parti. Enfin.
[PdI-9705 se tourne légèrement de profil.]
06 h 18 min 50 s - PdI-9705 : Tu sais, tu ne peux pas retenir les gens comme ça. Tu n'as pas le droit. Que dirait notre père, s'il te voyait faire ?
[Il lève un peu la tête, et paraît étonné.]
06 h 18 min 54 s - PdI-9705 : Mais… tu…
[PdI-9705 se dresse sur la pointe des pieds, et semble approcher son visage d'un être invisible.]
06 h 18 min 58 s - PdI-9705 : Tu pleures ?
[PdI-9705 pousse un cri de surprise et tombe soudainement à terre comme s'il avait été renversé. Il se relève et regarde fixement dans une direction dont un rai de lumière indique l'emplacement d'une fenêtre. PdI-9705 se retourne ensuite vers PdI-9856 et s'agenouille une minute environ à côté du lit en joignant les mains. Il se relève et sort du champ de la caméra. La pièce s'obscurcit, laissant supposer qu'il tire les rideaux de la chambre. PdI-9705 revient et allume la lampe de chevet. Il saisit l'article de presse situé sur la table de nuit, et semble l'examiner un court instant. Il le prend avec lui, éteint la lampe et s'éloigne. Un claquement de porte est le dernier son audible de l'enregistrement.]
[Fin de l'enregistrement]
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