Ça fait deux jours entiers.
Vous avez grimpé Dieu sait combien d'étages de ce bâtiment, évité Dieu sait combien de portiques de sécurité et de faisceaux laser, et vous êtes passé sous le nez de Dieu sait combien d'agents de sécurité. Vous avez bravé les Quatre Saisons de Vivaldi, esquivé les canons de l'Ouverture 1812 de Tchaïkovski, navigué sur le Danube bleu de Strauss, traversé l’Antre du Roi de la Montagne de Grieg, ignoré les Gouttes de Pluie de Chopin et franchi l’Anneau de feu de Wagner. Vous avez bravé les tempêtes de Beethoven et arpenté les harmonies de Bach. Et maintenant, vous êtes ici. Au dernier étage du ministère de la musique. Vivant, pour une raison mystérieuse. Un peu trempé, ceci dit.
Vous observez ce qui vous entoure. Devant vous se trouve un long couloir, meublé de façon minimaliste. Au bout de ce couloir, il y a une unique porte. Ça doit être celle-là. Cette porte est cachée derrière d'épais niveaux de sécurité et de périlleuses barrières musicales. Impossible qu'il n'y ait rien d’important derrière cette porte. Des documents confidentiels top-secrets. Les réponses à toutes vos questions. C'est pour ça que vous vous êtes trainé jusqu'ici.
Des réponses, bon sang. Je veux juste savoir pourquoi tout a fini comme ça.
Vous essorez sur une plante en pot l'eau de mer et de pluie qui imprègne vos vêtements et vous vous dirigez vers la porte.
Vous tournez la poignée du capteur d'empreintes digitales. La porte n'est pas fermée. C'est peut-être parce que la dernière personne à être partie a oublié de la verrouiller. Peut-être aussi parce que les mesures de sécurité en amont rendent inutile l'installation de serrures sur les portes de cet étage. Peut-être aussi parce que vous êtes tout simplement trop insignifiant pour mériter une quelconque forme d’opposition.
La porte s'ouvre sur une petite pièce remplie de boîtes de Mozartkugeln, de livres de partitions de Mozart, de figurines de Mozart, d'affiches de Mozart, de souvenirs de Mozart, de biographies de Mozart, de peluches de Mozart, de sextoys de Mozart (??), de poupées gonflables de Mozart (????), d’absolument tout et n’importe quoi en rapport avec Mozart. Cet endroit ressemble à la planque d'un fanatique, la concentration de Mozart au mètre carré étant oppressante au point d'être ridicule.
Le gigantesque poster de Mozart accroché sur le mur d'en face n'arrange rien.
Pfffft. "Big Brozart vous regarde". Mon Dieu, à quel point ce gamin va devenir edgy ? C'est le truc le plus stupide et le plus ringard que vous ayez vu de toute votre vie. A quoi est-ce qu’il pensait en écrivant ça ? Le slogan est tout simplement trop stupide pour être intimidant. Est-ce que Mozart aime s'imaginer être regardé par Mozart pendant qu'il s'envoie en l'air avec Mozart ?
Ok, évitons peut-être de penser à ça…
Vous remarquez une forme rectangulaire qui émerge à peine de la mer d'objets en rapport avec Mozart. À y regarder de plus près, c'est un petit ordinateur portable posé sur une table. L'ordinateur est ouvert et allumé. La pellicule de poussière sur l'écran suggère que la dernière personne qui l'a utilisé a oublié de l'éteindre il y a longtemps.
Vous vous asseyez sur une pile de boîtes de Mozartkugeln et consultez l'ordinateur portable. Il y a une quinzaine d'onglets internet d’ouverts, et on dirait qu'ils parlent tous de Mozart. Pas vraiment une surprise. Ce gamin a vraiment un problème. Vous songez à lui conseiller un thérapeute. Même si vous savez que c’est impossible parce que vous ne serez pas pris au sérieux, de toute façon.
Un onglet se détache des autres, cependant, et attire votre attention. Ce n'est pas un truc sur Mozart, et il y a l'acronyme "SCP" dessus.
Vous vous souvenez avoir entendu parler de la Fondation SCP sur le gramophone. Récemment, ils ont diffusé quelque chose au sujet de la signature d'un traité d'alliance avec la Fondation SCP ou quelque chose comme ça. Cette Fondation SCP est apparemment une sorte de puissante organisation extérieure qui gère les relations entre le monde humain et le monde surnaturel, et fait des recherches sur des phénomènes inhabituels. L‘émission n'avait pas dit grand-chose d'autre à ce sujet, si ce n'est que l'alliance avec cette organisation ne devrait pas être une source d'inquiétude.
Vous vous demandez en quoi consiste cette alliance, et si la Fondation SCP peut faire quelque chose pour vous aider. Pour aider tous ceux qui sont opprimés à cause de Mozart. Aider tous les compositeurs et musiciens du passé, du présent et du futur.
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SCP-4009
Objet no : SCP-4009
Classe : Sûr
Procédures de Confinement Spéciales : Le système de castes instauré par la population de SCP-4009-A doit être perpétuellement maintenu. Le Protocole d'Alliance Fondation-Mozart doit être constamment appliqué pour assurer l'ordre social à l’intérieur des limites de SCP-4009. Les détails du Protocole d'Alliance Fondation-Mozart sont accessibles au personnel de Niveau 3/4009 et plus. SCP-4009 est par ailleurs auto-confiné et ne nécessite que des procédures de confinement minimales.
Description : SCP-4009 est une cité-état totalitaire extra-dimensionnelle couvrant une superficie d'environ 900 km², située dans la région austro-allemande. SCP-4009 est architecturalement similaire à la ville de Prague, et composé de bâtiments de styles variés allant de la Renaissance à l'époque victorienne. SCP-4009 est en temps normal inaccessible aux êtres humains à moins qu’une ouverture interdimensionnelle y soit créée.
SCP-4009 est peuplé d'entités humanoïdes collectivement désignées SCP-4009-A. Les instances de SCP-4009-A ressemblent physiquement à Homo sapiens, mais sont composées à 60% d'ondes longitudinales anormales, n'ont pas besoin de se nourrir physiquement, et ne vieillissent pas biologiquement. Une caractéristique distinctive de SCP-4009-A est que chaque instance individuelle correspond à un compositeur ou un musicien classique célèbre et/ou actuellement décédé (par exemple Wolfgang Amadeus Mozart, Franz Schubert, ou Richard Wagner). La conception ou l’apparition des instances de SCP-4009-A est un processus encore mal compris au moment de la rédaction de ce document, bien que l'on pense que les instances se manifestent spontanément au moment du décès de leurs homologues humains.
Vous songez à tous les compositeurs célèbres que vous avez vu apparaitre. Bach, Haydn, Liszt, tous ces gars-là. Vous vous souvenez qu'ils disaient qu'ils avaient l'impression d'être rentrés chez eux, au pays béni où naît la musique, ou quelque chose de ce genre. Vous vous souvenez les avoir accueillis dans ce paradis des musiciens. Soudain, vous prenez pleinement conscience de l'âge que vous avez.
Vous interrompez votre lecture. Vous vous attardez un moment sur cette prise de conscience. Des souvenirs commencent à affluer dans votre tête.
Des souvenirs d'une époque plus heureuse où le paradis n'était pas submergé par Mozart. Une époque plus heureuse où le paradis était un bien meilleur endroit.
Vos souvenirs du passé se sont émoussés avec le temps, mais ils sont restés présents, et ce malgré toute la propagande qui vous a été injectée dans les oreilles au cours des dernières décennies. Vous fermez les yeux et repensez au passé.
Pendant un instant, vous vous sentez en paix. Ce pays était libre et démocratique. Les compositeurs et les musiciens avaient des droits égaux, une liberté d’expression égale, et les types qui arrivaient à entrer dans le canon musical principal - c'est-à-dire ceux qui étaient aux commandes - mettaient toujours à jour leurs styles et leurs ambitions pour s'adapter au mieux au climat artistique du moment. Il y avait souvent des débats passionnés sur certains styles musicaux, mais aucun d'entre eux n'allait jamais assez loin pour endommager le canon musical tel qu'il était. La vie était belle et juste, et au bout du compte, tout le monde était un musicien classique, et cette passion mutuelle pour la musique et l'art permettait à tous de rester soudés.
Les choses sont différentes aujourd’hui. Vous n'avez aucune idée de la façon dont ça s'est produit et vous êtes toujours perplexe. Maintenant, pratiquement tout est du Mozart. Vous ne savez même pas quand cela s'est produit. Vous estimez que ça a commencé après la Grande Guerre, mais ça pourrait avoir commencé il y a deux ans, ou même cinq, dix, vingt, cinquante ans. Partout, vous entendez le nom de "Mozart". À quel point il était un prodige. Cet homme avait déjà écrit son premier concerto à l'âge de quatre ans, sa première symphonie à sept ans et un opéra complet à douze ans. À quel point il était prolifique et avait écrit beaucoup de trucs. Au cours de sa courte vie de trente-cinq ans, Mozart a écrit six cent vingt-six pièces connues, et chacune est objectivement un chef-d'œuvre. À quel point l'écoute de sa musique rend les gens plus intelligents, ou quelque chose comme ça. À quel point il avait une sorte de génie divin qu'aucun autre compositeur n'a jamais eu. À quel point il était le plus grand compositeur de toute l'histoire de la musique classique. Et tant et plus, encore et encore, sans fin. Mozart dans tous les programmes musicaux. Mozart jouant sur chaque radio et haut-parleur. Mozart dans des films, des pièces de théâtre, de l'art, de la littérature. Mozart, Mozart et encore Mozart. Impossible d’échapper à Mozart.
Big Brozart vous regarde.
Peut-être que ce slogan est approprié, après tout.
Curieux d'en savoir plus, vous continuez à lire le document.
La plupart des instances de SCP-4009-A sont capables d'émettre volontairement des ondes longitudinales altérant la réalité dont l'intensité est directement proportionnelle à la popularité de chaque compositeur ou musicien. Les effets de l'altération de la réalité peuvent varier en fonction des préférences personnelles et de la créativité de chaque instance.
La population SCP-4009-A maintient un système de castes dans lequel les individus sont divisés en différents groupes sociaux en fonction de la popularité relative dans le monde réel de leur compositeur ou musicien respectif. Par exemple, les instances de SCP-4009-A les plus haut placées correspondent aux compositeurs les plus appréciés des critiques, et le remaniement des positions de statut social des instances a lieu deux fois par an. Le mode de vie des instances est déterminé par leur statut : les instances les plus haut placées ont un accès libre à des repas et à de l'alcool de haute qualité et sont très impliquées dans les projets liés à l'infrastructure, au gouvernement et à l'art, tandis que les instances de rang inférieur n'ont accès qu'à des ressources de qualité médiocre et ont tendance à occuper des emplois subalternes comme l’entretien ou le ménage.
Vous vous souvenez de l'époque où vous étiez un compositeur célèbre. Un compositeur très célèbre, même. Vous étiez Johann Pachelbel, un intrépide organiste, un brillant compositeur, et une figure exemplaire dans tous les domaines. Le grand Jean-Sébastien Bach disait même qu'il n'aurait pu arriver à rien s'il n'avait pas connu et étudié votre œuvre. Vous n'étiez peut-être pas une star, mais vous étiez reconnu et respecté. Traité avec un minimum de décence et d’humanité, comme tout artiste devrait l'être.
Aujourd’hui, vous êtes Johann Pachelbel, un parfait inconnu, un détail insignifiant perdu dans un océan d'esprits brillants et éblouissants. Un médiocre du fond de la classe, dont la seule contribution digne d'intérêt à l'histoire de la musique occidentale dans son ensemble est un petit morceau mal fichu surjoué connu sous le nom de Canon en Ré Majeur. Actuellement, en dehors du fait que vous êtes le "mec du Canon en Ré", vos seules caractéristiques notables sont que vous êtes agent d’entretien et que vous semblez parfois être invisible. Même le remaniement des positions sociales n'a pas changé votre statut. Vous avez toujours été coincé au plus bas niveau de la caste. Au moins, la pensée que vous ne pourrez jamais descendre plus bas que vous ne l'êtes déjà est plutôt rassurante.
Vous réfléchissez à ce système de castes dans lequel vous et votre peuple avez été relégués de force. Il correspond à la façon dont le canon musical a changé il y a longtemps. Ce qui était un canon musical fluide s’est à présent transformé en un canon qui a constamment trois personnes spécifiques au sommet : Beethoven, Bach, et ce type qu’on appelle Mozart. Vous arrivez à comprendre pourquoi Beethoven et Bach sont considérés comme très importants pour définir la musique classique. La vision nouvelle et inhabituelle de Beethoven sur la composition musicale a révolutionné la musique classique et l'a faite passer du statut d'artisanat à celui d'art. La méthode d'accord, les exercices au clavier et la maîtrise technique de Bach lui ont valu une grande estime, surtout après qu'un compositeur appelé Mendelssohn ait beaucoup fait pour promouvoir les œuvres de Bach dans le monde entier.
Mais Mozart ? Qu'a-t-il fait de si important pour mériter une position aussi haut placée ? Et pourquoi est-il si haut placé, déjà, d’ailleurs ?
Votre suspect principal est Mendelssohn. Vous avez entendu des trucs à son sujet. D'après ce que vous savez, il a fait beaucoup pour mettre en avant l'importance d'étudier et de préserver l'histoire de la musique, et il a jeté les bases du canon musical. Mozart a dit beaucoup de bien de lui à cause de ça - il a même dit que votre peuple n'existait aujourd’hui que grâce au travail de Mendelssohn.
Mais le truc, c’est que vous n'avez jamais vu Mendelssohn, et que vous ne l'avez jamais entendu parler dans les émissions du gramophone. Vous ne savez même pas s'il existe vraiment. Pour ce que vous en savez, il pourrait très bien être un compositeur fictif que Mozart a créé juste pour servir sa propagande. Après tout, ça collerait. Les émissions parlent de Mendelssohn comme d'un prodige légendaire d'une précocité comparable à celle de Mozart, qui aurait écrit des chefs-d'œuvre à l'adolescence et serait mort tragiquement jeune comme Mozart. Le Mozart du XIXe siècle. Ça ne ressemblerait pas du tout à un personnage self-insert du Mozart, hein ?
Vous pensez à la propagande de Mozart, et à quel point elle est ridicule. Par pure coïncidence, le paragraphe suivant du document mentionne la technologie que Mozart utilise pour diffuser sa propagande à tous les compositeurs de la ville. Vous lisez la suite.
Des instances haut placées de la population de SCP-4009-A ont conçu des outils dont la technologie est anormale, largement utilisés à l’intérieur de SCP-4009. Parmi les exemples de technologies produites par SCP-4009-A, citons les stabilisateurs de Hume atmosphériques, les bibliothèques d'espace mémoire et des instruments de musique pouvant être pliés sous forme de tablettes de la taille d'une pièce de monnaie pour faciliter leur transport. Une utilisation répandue de la technologie anormale développée à l'intérieur de SCP-4009 est l'installation d'un appareil de type radio connu sous le nom de "gramophone", intégré directement à l'oreille interne. Cet appareil est capable de capter des transmissions d'ondes longitudinales anormales, et de transmettre les pensées d'un individu par télépathie à de nombreuses autres personnes équipées du même dispositif. L'appareil diffuse généralement de la musique classique et un journal d'information. La diffusion est effectuée par la transmission massive des pensées d'une instance connectée à un Dispositif de Réception des Sons Cérébraux (DRSC). Des recherches portant sur la technologie anormale issue de SCP-4009 ont été approuvées et sont actuellement en cours dans le but d'améliorer la technologie de la Fondation et les outils de confinement.
Le gramophone. Vous ne savez pas à quoi il ressemble, ni exactement quand il est arrivé dans vos oreilles, mais vous avez une idée assez précise de ce qu'il fait. Le document a raison de dire que, la plupart du temps, le gramophone ne diffuse que de la musique classique et les informations. Mais il diffuse aussi ce que les gens pensent et disent au sujet de tout ça. C'est ça le pire. La plupart des compositeurs ont des retours assez positifs, mais dans votre cas, il n'y a presque jamais eu que des attaques personnelles et des insultes déguisées en compliments. Sans intérêt. Ennemi juré des violoncellistes. N'a qu'un seul tube à son actif. Vous pouvez pratiquement réciter toutes les critiques de mémoire, c'est dire la fréquence à laquelle vous les entendez. A ce stade, vous êtes plus ou moins insensible aux insultes, mais vous ne pouvez pas vous empêcher de ressentir un léger pincement au cœur lorsque vous les entendez. Au moins, vous pouvez baisser le volume.
D'habitude, c'est la voix de ténor étouffée d'un compositeur nommé Schubert que l'on entend dans ces émissions. Schubert est un compositeur à l'allure gentille, qui porte des lunettes rondes, idolâtre Mozart et adore chanter. Schubert, vous en avez l'impression, est aussi un peu bizarre. L'impression immédiate qu'il donne est celle de quelqu'un d'énergique et adorable, mais quelque chose dans sa façon de parler le fait paraître artificiel et robotique. C'est comme si tout son texte était écrit à l'avance.
Vous vous attardez un moment au sujet de Schubert. Cet homme est comme un ordinateur. C'est comme s'il n'avait aucune autonomie et qu'il n'était qu'une machine exécutant automatiquement son programme 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ne prenant pratiquement aucune pause et ne montrant aucun signe de mécontentement. C'est effrayant de voir que Schubert ne semble jamais faiblir, être fatigué ou malheureux. En plus, c'est supposé être ses pensées que vous entendez, pas vrai ? Pourquoi ses pensées sont-elles si rigides et artificielles ? Quelle quantité exacte d'informations extérieures lui passe par la tête ? Est-il capable de penser tout seul, en fait ?
"Schubert est neurologiquement amélioré grâce à une souche de Treponema pallidum cultivée en laboratoire, ce qui le rend capable de traiter et de transmettre jusqu'à dix mille pensées à la fois ! Schubert est le présentateur, le secrétaire et le DJ le plus fiable du monde, et il est toujours au courant des dernières nouvelles ! Venez vous connecter avec Schubert sur votre gramophone dès aujourd'hui !"
Quand on parle du loup. Une des phrases pré-rédigées de Schubert vient de retentir à l'instant dans le gramophone. Vous vous dites que c'est une coïncidence, mais ça vous fout quand même les jetons.
Ça aurait pu être pire, vous pensez. Au moins, c'est pas aussi dérangeant que la Cacophonie de Cinq Minutes. La Cacophonie de Cinq Minutes est un truc qui vous fait un peu grimacer quand vous y pensez, mais tout le monde est obligé de l'écouter à plein volume quand elle est diffusée. Il s'agit de cinq longues minutes d'avertissements tonitruants au sujet de la "dissidence", et sur le fait que par le passé, certaines personnes ont commis de graves crimes contre Mozart. D'habitude, ces "crimes" étaient plutôt des tentatives de sabotage dues à la jalousie et à la haine, et la preuve était généralement une forme de critique que le coupable avait émise au sujet de Mozart ou de l'administration. Les coupables étaient toujours déshonorés publiquement et dénoncés avec un tel vitriol que ça vous tordait les entrailles comme le son d'un cor français. Vous savez bien que la Cacophonie ne vous concerne jamais personnellement, mais quand elle est diffusée, la terreur et la honte vous prennent quand même à la gorge.
Le criminel le plus souvent humilié pendant la Cacophonie est un compositeur nommé Salieri. Il parait qu'il est le premier et le plus infâme des conspirateurs envieux qui cherchent à détrôner Mozart une bonne fois pour toutes. Salieri est toujours décrit comme un homme cruel, manipulateur, dénué d'empathie et narcissique, qui n'a jamais eu de véritable passion pour la musique et ne recherchait que l'attention. Vous étiez heureux quand Salieri a été attrapé et envoyé en prison. Il avait vraiment l'air d'un sale type et vous n'aviez clairement pas envie de croiser quelqu'un comme lui dans la rue.
Cependant, une partie de vous ne croyait pas vraiment tout ce qui était dit pendant la Cacophonie de Cinq Minutes. Vous vous rappelez vaguement avoir rencontré Salieri, il y a très longtemps. Pour autant que vous vous en souveniez, c'était un type correct et il n'avait rien fait de suspect. Même si les gens peuvent changer avec le temps, vous ne pouvez vous empêcher de penser qu'il a été injustement diabolisé à des fins de propagande, et qu'il n'a rien fait pour mériter son traitement actuel. Après tout, vous ne l'avez jamais entendu confesser aucuns de ses supposés crimes ou donner sa version des faits - c'est uniquement ce que les autorités ont dit de lui qui a été diffusé au public. Vous êtes prêt à envisager la possibilité qu'il ait été accusé à tort. Ou même exprès.
Votre réflexion vous amène à vous demander à quel point les changements dans la société ont changé les gens. Il semble vraiment que tous les compositeurs soient devenus comme Salieri et Schubert - manipulés, exploités et dépouillés de toute autonomie. Ces esprits si talentueux musicalement étaient autrefois indépendants et libres - aujourd'hui, ils se soumettent docilement aux caprices d'un seul homme. Ils étaient audacieux et avaient confiance en eux - maintenant ils agissent comme s'ils n'étaient rien, comparés à cet homme. Vous grimacez. C'est ridicule. C'est horrible. Pourtant, personne n'a jamais rien fait à ce sujet. C'est parce que tout le monde a été forcé de développer un complexe d'infériorité, vous en êtes certain. Vous avez l'impression que personne n'ose faire quoi que ce soit parce que Mozart est trop puissant et trop doué pour eux. Vous sentez votre sang bouillir.
Reste calme, Johann. Tu ne dois pas te mettre en colère, ou tu vas finir par dire ou faire quelque chose que tu vas regretter. Et si tu fais une seule erreur, c'en est fini de toi. Tu dois rester incognito.
Vous prenez une grande inspiration pour calmer votre rage. Il y a un long espace vide sous le dernier paragraphe. Vous allez devoir faire défiler la page un moment.
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NOTE : Ce fichier est une version abrégée de la documentation officielle de SCP-4009, destinée à une distribution de masse. L'accès au document complet, ainsi qu'au Protocole de l'Alliance Fondation-Mozart, est réservé au personnel de Niveau 3/4009 et plus. Toute autre demande concernant SCP-4009 doit être soumise par email au directeur des recherches, le Dr Frances Seward.
C'est tout ? C'est tout ce qu'il y a dans ce fichier? Une copie abrégée que vous allez probablement recevoir par courrier d'ici peu ? Vous vous sentez dupé. Ça n'est pas juste. Mais là encore, vous ne pouvez pas vous attendre à ce que les gros bonnets vous traitent équitablement puisque vous ne valez pas plus qu'un grain de poussière à leurs yeux. Vous parcourez la page affichée à l'écran. L'adresse email du Dr Frances Seward, sans doute un membre du personnel de la Fondation ayant un certain degré d'autorité, est indiquée en petits caractères en bas de la page. Vous devez contacter cette personne. Ces gens n'ont pas la moindre idée de ce dans quoi ils se sont fourrés. Vous songez à leur envoyer un message leur suppliant d'arrêter cette folie totalitaire et de sauver tout le monde. Vous n'avez pas le choix. Il faut leur dire que le Mozart avec lequel ils ont signé un accord est en réalité un horrible dictateur sans pitié. Leur dire que Mozart oblige les gens à vivre dans des conditions atroces. Leur dire que Mozart force tout le monde à croire qu'ils ne pourront jamais être -
"Quelle merveilleuse journée, aujourd'hui ! Le ciel est bleu, tous les systèmes fonctionnent, et la musique est magnifique ! Comment vous sentez-vous ? Même si vous vous sentez un peu déprimé, tout va bien, parce que les choses vont sûrement s'améliorer, et vous serez plus heureux !"
Le fil de vos pensées est interrompu par Schubert et sa voix enjouée habituelle. Ça fait au moins cinq fois qu'il dit exactement la même chose aujourd'hui. Et quand est-ce qu'il va se taire ? S'il fermait sa bouche, il ne risquerait pas d'interrompre le fil de la pensée de qui que ce soit.
Vous vous forcez à l'ignorer. Toute distraction susceptible de vous ralentir risque de causer votre perte.
"Ah, désolé d'être parti sur une tangente – et maintenant, l'ouverture de Don Giovanni de Mozart. Saviez-vous que le compositeur a repoussé l'écriture de ce morceau jusqu'à la nuit précédant la grande première de cet opéra ? En dépit de cela, il s'agit d'un chef-d'œuvre immortel, et c'est la preuve qu'il est possible de bâcler ses projets à la dernière minute et d'en faire tout de même quelque chose d'incroyable si l'on travaille dur et que l'on fait bon usage de ses dons naturels !"
"Ooh, non… je ne peux pas jouer ça tout de suite. Quelque chose brouille mes signaux ! Euhhh… c'est euh, attendez un instant, laissez-moi trouver ce que c'est… oh ! J'entends une mélodie récurrente de huit notes ! Et c'est en ré majeur. Mmhm, ça ressemble beaucoup au Canon de Pachelbel, non ? Euh, attendez, non, ce n'est pas ça ! Je crois que je capte le signal d'une station de radio humaine ! Je m'excuse pour cette erreur. Schubert va devoir être plus prudent la prochaine fois ! En attendant, rendez-vous dans environ une demi-heure pour vous reconnecter avec Schubert ! Ciao !"
Vous vous figez. Quelque chose ne va pas. Puis vous réalisez ce qui se passe.
Il vous a trouvé.
Courez.
Vous voulez courir, mais le bruit des bottes derrière la porte vous empêche de bouger.
Vous êtes piégé maintenant. Nulle part où s'enfuir. Ils sont venus vous chercher.
La porte s'ouvre brusquement. Wolfgang Amadeus Mozart entre, habillé en uniforme des pieds à la tête, sa cape volant au vent, tout le portrait craché de l'affiche. Il tient une épée comme s'il s'apprêtait à démembrer quelqu'un. Et il vous fixe. Droit dans les yeux.
Vous feriez mieux d'accepter votre destin, dans ce cas. Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux.
Mozart laisse tomber son épée par terre et éclate de rire.
"Oh merde, j'arrive pas à y croire ! Regardez qui est tombé droit dans mon piège ! Tu aurais dû voir ta tête. Oh mon Dieu, c'était incroyable… j'arrive toujours pas à me remettre de la façon dont les sextoys Mozart t'ont fait réagir. Eh bien mon gars, il faut remercier mon pote Richard Wagner pour ça. C'était son idée. Richard, espèce de génie du mal… ah ouais ! Et c'est lui qui a fait ce poster aussi ! Il a fait ce joli truc pour moi, alors autant le créditer pour ça, pas vrai ?"
Il continue à rire. C'est pas du tout rassurant.
"Merde… c'est vraiment dommage que je doive te traîner aux oubliettes parce que tu étais un invité spécial super drôle dans l'émission d'aujourd'hui. Probablement le meilleur de tous les temps, en fait. Sérieusement ! T'étais hilarant à s'en crever le bide…"
"Hé Richard ? Tu peux, genre, faire ton truc, là ? Je rigole trop pour me bouger le cul et le faire."
Richard ? Wagner est aussi avec lui ?
Avant que vous puissiez penser à quoi que ce soit d'autre, vous entendez le bruit de tous les instruments d'un orchestre jouant simultanément. Et puis vous n'entendez plus rien.
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Ça fait quoi, deux, trois, quatre jours ?
Vous n'en avez plus la moindre idée. Vous êtes de retour dans votre appartement, mais à part ça, vous n'êtes plus sûr de rien. Tout ça ressemble à un mauvais rêve. Des bruits discordants de sifflements et de grincements résonnent en écho dans vos oreilles. Les fissures sur le mur se tordent et dansent. Vous avancez à tâtons, et vous pouvez à peine sentir le sol sous vos pieds. Vous avez l'impression que votre corps est nulle part et partout à la fois. Épuisé, perdu, complètement désorienté.
Vous ne savez pas comment vous avez réussi à vous traîner jusqu'au canapé. Vous essayez de vous allonger et de dormir un peu, mais une douleur lancinante vous déchire la colonne vertébrale de bas en haut. Vous essayez d'attraper le canapé pour éviter de tomber, mais la douleur explose dans les muscles de vos bras. Vos poignets vous font mal. Vos doigts vous font mal. Les oreilles. La tête. Tout vous fait mal. Oh mon Dieu, faites que ça s'arrête.
La douleur s'estompe légèrement. Vous vous détendez un peu même si votre colonne vertébrale vous brûle et que vos yeux et vos oreilles vous donnent l'impression d'être pleins de colle.
Vous avez de la chance que Mozart vous ait laissé retourner chez vous et à votre travail. Les autres dissidents finissent généralement en prison pour toujours, traînés d'un endroit à l'autre et tabassés pour l'éternité. Après tout, c'est ce qu'ils méritent, non ? Ils le méritent parce qu'ils sont des conspirateurs jaloux et envieux qui cherchent à faire tomber Mozart. Parce qu'ils refusent de s'améliorer et changer. Vous savez que vous êtes meilleur qu'eux parce que vous avez la décence de vous auto-critiquer. Une fois que vos sens ne seront plus complètement déréglés et que votre corps ne vous fera plus mal, vous sortirez de chez vous et vous prouverez que vous êtes un homme neuf. Vous le jurez.
Un vague souvenir de Salieri apparaît dans votre esprit. Vous le chassez. Cet homme est doué pour faire semblant d'être digne de pitié. Il cherche juste à attirer la sympathie parce qu'il est jaloux du talent de Mozart et qu'il ne se donne pas la peine de travailler assez dur pour accomplir quoi que ce soit d'intéressant. Vous ne pouvez pas croire que vous avez envisagé qu'il y avait une chance que Salieri puisse être innocent.
Les souvenirs commencent à revenir dans votre tête, bribe après bribe. Quel idiot j'ai été, pensez-vous. Vous ne pouvez pas croire que vous avez douté de l'administration. Vous ne pouvez pas croire que vous avez douté de Mozart. Vous ne pouvez pas croire que vous avez douté de quoi que ce soit.
Bien sûr que Mozart doit se débarrasser de ses ennemis. Il a enduré tant de difficultés et de souffrances dans sa vie et il a été battu depuis qu'il était un tout jeune musicien. La vie n'a pas été tendre avec lui, pas du tout. Il mérite donc d'être aimé. Et comme il a du talent, il mérite d'être félicité pour cela. Il a travaillé très dur pour son succès. Bien sûr que Mozart mérite l'estime de tout le monde. Et il n'opprime absolument personne, il a accompli plus de choses que tout le monde, et donc il mérite tout cet honneur plus que quiconque d'autre en ce monde.