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Crédits
Titre original : SCP-4005 – The Holy and Heavenly City of Fabled China
Auteur : Tufto pour le concours 4000
Traducteur : Fourmi1(MNIW)
Date de publication originale : 2 juillet 2018
Image : Peut être trouvée ici, sous une licence CC. L'image a été modifiée numériquement par l'auteur.
SCP-4005, peu avant son confinement. Photographie découverte en possession d'un habitant du Caire, Ziyad Abdullah, disparu sans laisser de trace dans les années 70.
Objet no : SCP-4005
Classe : Sûr Apollyon
Procédures de Confinement Spéciales 01/07/28 : Le confinement de SCP-4005 n'est plus possible.
Description : SCP-4005 désigne une lampe de mosquée en verre et indestructible, récupérée au Caire, en Égypte. Sur le fondement des témoignages de nombreux écrivains au cours des siècles, il est supposé que la lampe a été créée à Marrakech au XIVe siècle, voyageant à travers l'Afrique et l'Asie durant plusieurs siècles avant d'être amenée au Caire dans les années 50.
Lorsqu'un individu observe SCP-4005 durant plusieurs secondes alors qu'elle est allumée, il verra des images de scènes urbaines dans les flammes. Ces images représentent un danger-sensitif important, changeant le spectateur en une instance de SCP-4005-1.
Les instances de SCP-4005-1 se caractérisent par une forte volonté de partir en pèlerinage vers la ville aperçue dans les flammes de SCP-4005. Cela implique la traversée d'une longue distance à pied, généralement jusqu'à un autre continent, et le passage d'un portail spécifique ; le plus souvent une porte, l'entrée d'une caverne ou une fenêtre. Le lieu vers lequel ils voyagent est presque toujours d'une importance personnelle ou spirituelle aux instances de SCP-4005-1. Lors du passage de ces portails, les instances de SCP-4005-1 disparaîtront.
Lorsqu'ils sont interrogés par le personnel de la Fondation, les instances de SCP-4005-1 pensent invariablement qu'ils seront emmenés à la ville aperçue dans SCP-4005 à la fin de leur pèlerinage. Ils prétendent que toutes les scènes urbaines proviennent de la même, unique ville, supposée se situer en Chine ou englobant l'entièreté de la Chine. Ces scènes sont très variées et, bien qu'il soit supposé qu'aucune ne corresponde à un lieu connu, elles se présentent souvent très similaires à des villes du monde réel. L'influence de cette ville dans le récit des instances de SCP-4005-1 et la possibilité de son existence fondée sur les caractéristiques communes repérées dans ces récits a mené à sa désignation temporaire comme SCP-4005-2.
SCP-4005 a été découvert en 1975, lorsqu'il fut retiré d'un espace de stockage d'une mosquée du Caire et allumée au cours d'une assemblée pleine, résultant en la conversion de plusieurs centaines de croyants en instances de SCP-4005-1. Le mouvement de masse en conséquence fut repéré par la Fondation qui confina SCP-4005 et mit en détention plusieurs centaines d'instances de SCP-4005-1 à la suite d'une enquête approfondie.
Addendum 1 09/09/2027 : Ce qui suit est un journal écrit par un certain Omar ibn Rashid, un auteur de nouvelles Égyptien actif dans les années 50. Ibn Rashid disparut en 1958, approximativement 3 ans après que ce journal soit rédigé. Le journal entier était composé d'une série de codes denses et complexes et n'a pas encore été entièrement traduit. Les pages suivantes contiennent la traduction de ce qui a été décodé jusque-là.
Le passé est un mensonge. C'est tout simplement une série de récits complexes, racontés par des gens désespérés de donner une logique à l'insensé, cachant tous quelque erreur aberrante au cœur du chaos.
Je pourrais vous faire le récit de mon propre passé, mais cela serait le même genre de mensonge. Un garçon, élevé proche de la pauvreté mais pas tout à fait dedans, se situant dans une cacophonie d'orthodoxies en compétition. Un enfant primitif d'un peuple devenant encore complet. Un garçon pieux dans la soumission à Dieu. Un futur sujet du nationalisme, rejetant les chaînes du passé. Un pion dans l'éternelle machine du capital.
L'homme que je suis devenu était également déchiré entre ces mouvements, ces moments, ces disputes et, comme beaucoup de jeunes, j'étais attiré par tout. Le panarabisme de Nasser m'intriguait, mais lorsque j'ai vu son sourire commercial tandis que le Caire se changeait en bidonville, je devins désillusionné. La piétée de la Fraternité semblait être un antidote, mais je me suis vite rendu compte que ce n'était qu'un hybride tordu du moderne et du prémoderne. Les communistes et les nationalistes jouaient juste avec leurs briques d'illumination dans différentes combinaisons, des pyramides de vieilles pierres ou de labeur aliéné. Je me sentais perdu.
Je ne trouvais la moindre logique que dans les zaouïas des Soufis. Les gens là-bas, par moment, étaient tout autant dogmatiques, tout autant étroit d'esprit que les autres. Mais lorsqu'ils pensaient, méditaient, se projetaient dans l'union avec Dieu, je pouvais voir quelque lueur de quelque chose de plus grand. Je n'ai pas, en ce temps, réalisé ce que c'était.
Et alors j'ai voyagé. Mes livres et poèmes n'ont jamais été populaires. Dans une hétérodoxie d'orthodoxies, personne ne s'intéressait à quelqu'un n'offrant la moindre solution, seulement plus de questions. Mais ils me donnaient quelque petite compensation, une maigre somme, assez pour me nourrir et m'habiller. Et pour satisfaire ma curiosité sur l'histoire de lieux éloignés et d'étranges énigmes. Et c'est ainsi que je découvris la lampe d'Aladdin.
Le soir tombait, et les nuages se coloraient de noir contre le ciel bleu. Dehors, dans le désert, le sable se mouvait et changeait, tourbillonnant en motifs étranges dans le crépuscule. Je traversais l'union Soviétique, à Samarcande, faisant quelques recherches pour mon prochain livre. Ce devait être une nouvelle historique, située dans le Régistan de Timur. Ce devait être mon chef-d'œuvre.
Mais, cloîtré dans un haut appartement du Caire, je manquais d'inspiration. Mon existence confortable de la classe moyenne ne m'avait en rien entraîné à raconter une histoire sur les khans et les sultans, les empires et les guerres. Alors je me suis résolu à voyager, et donc j'ai voyagé. Staline était décédé, Khrouchtchev libéralisait des réformes, et j'avais à peine assez de monnaie. Ce n'était pas comme si j'avais quoi que ce soit d'autre à faire que de fumer et débattre avec les Soufis.
Samarcande était juste ce dont j'avais besoin. Les mots apparaissaient tous à leur place. Je me sentais inspiré, heureux, libre. La ville se faisait détruire par la monotonie des Soviétiques mais j'étais persuadé, persuadé, qu'au sein de ces ruelles, de ces zigzags complexe et de cette utopie se décomposant déjà, il y avait quelque indice du passé. J'écrivais et j'écrivais mais une chose me tenaillait : la conclusion.
Timur se tient, mourant, sur la route de Kachgar. Son désir de posséder le monde est écrasé. Son esprit, soudain si clair et si faible, est incapable de percevoir ce qui lui arrive. Mais où est-ce que son histoire se termine ? D'une part, je lui donne l'oubli ; un rappel subtil de sa fragilité physique, humaine. Mais ce n'était pas satisfaisant ; cela réduisait l'invisible à une simple matière faite d'atomes, enlevant toute son histoire et ses concepts et l'interaction de différentes idées. Alors je lui donnai le jugement, devant Dieu et la cour des anges. Mais ça rendait l'histoire trop simple, définissant sa destruction selon quelque axe archaïque du bien et du mal. Je les ai fixés durant des jours, sans savoir lequel choisir. J'avais besoin d'une réponse.
Et je l'ai trouvée dans une cave. J'habitais chez un vieil ami à moi, un antiquaire Kirghize d'Osh, qui voulait me montrer sa dernière acquisition. C'était un type étrange. À une époque où l'histoire de leur pays leur est retransmise par leurs maîtres russes, il luttait pour préserver le moindre indice d'un ordre différent, créant sa propre collection au travers de pièces éparses d'une autre conception de la vie. Il me montra des merveilles : des manuscrits par Kashgari et Khayyam, des miniatures Ilkhanides, des ferronneries de motifs Ouzbeks et Timourides complexes.
Il remonta pour le souper mais je restai en bas, examinant tout. Et alors, je vis la lampe. C'était une petite chose poussiéreuse, sans prétention. J'ai failli ne pas lui donner d'intérêt mais j'ai été pris d'une étrange pensée romantique. Je voulais voir cet objet ancien de nouveau allumé. Pour le transformer d'un simple objet d'art, dont la valeur ne repose que sur la forme et la signification, en un authentique outil vivant de son but. Je trouvai l'huile de mon hôte, je l'en remplis et j'allumais la lampe. Je l'observais.
Et je vis des choses.
Je vis des tours de lumière soyeuse, transperçant les nuages et brillant tels des joyaux. Je vis des bazars de dômes couverts, en gris et bleus plus beaux et profonds que quoi que ce soit en Perse. Je vis les formes d'allées de grès changeante, de pagodes rouges flottant dans la brise. Je vis des mosquées bleues situées en conjonction éternelles avec des parcs sablonneux et d'anciennes cités. Je vis une ville, des générations et des générations d'une ville, un catalogue de l'histoire.
Je compris enfin. C'était la chine, la véritable Chine. Celle construite à partir de matière crue n'était qu'un mirage, une ombre. Cette ville était l'empire au bout de la route, au-delà des Portes de Fer de Karachahr et des marches du Bengale. Je savais que je devais voir, toucher, tenir la chose. J'ai rempli mon sac à dos, dit au revoir à mon hôte médusé, volé la lampe et je me suis mis en route à pied. Plein sud.
Car l'entrée d'al-Sin n'est pas à l'Est, comme les anciens sages voudraient vous le faire croire, mais au sud. Je su instinctivement que, dans un hall d'entrée de Marrakech, il y a une arche marquant la frontière des terres Ouïghours. Je sais que c'est vrai. C'est pourquoi je suis perché, une froide nuit, dans une Kasbah du désert, écrivant ces mots tandis que le vent fouette ma robe.
Lorsque l'on voit un miracle, il est rare qu'on le perçoive en tant que tel. On pourrait être surpris par quelque flash, un scintillement, quelque mouvement étrange. Nous penserons à un tour, inventerons un récit et l'intégrerons dans notre conception des événements. Notre passé est une histoire de mensonges de ce genre ; les miracles des hommes expliqués par le recours à Dieu, et les miracles de Dieu expliqués au travers des peurs des hommes. Notre passé est fait de nombreux passés, inventions tourbillonnantes pour nous aider à dormir, s'affrontant sans cesse les uns les autres. Une cacophonie de fausses utopies. Mais derrière toutes celles-ci, distant et trouble, il y a un véritable passé. Et ce passé fut construit dans une lampe de verre.
Addendum 2 07/01/28 : Ce qui suit est un interrogatoire mené par le Chef de Projet Martha Hardcastle avec une instance de SCP-4005-1, ci-après dénommée SCP-4005-1A.
Date : 06/01/28
Interrogateur : Dr Martha Hardcastle, Chef de Projet sur SCP-4005
Interrogé : SCP-4005-1A, anciennement Dr Fatima Mahmoud, chercheur de Niveau 3 au Site-867.
Lieu : Site-867, Complexe de Confinement 8B.
<Début de l'Enregistrement>
Dr Hardcastle : Bonjour, SCP-4005-1A.
SCP-4005-1A : J'aurais dû me douter que tu jouerais la froideur aussi vite, Martha.
Dr Hardcastle : Est-ce que vos quartiers sont à votre convenance ?
SCP-4005-1A : Ils le sont, merci. Pas aussi agréables que les salles du personnel, mais ça fera l'affaire à la rigueur.
Dr Hardcastle : Quels étaient les mobiles de vos actions du 17 ?
SCP-4005-1A : …Je suis désolée, Martha. Mais je devais savoir.
Dr Hardcastle : Savoir ? Savoir quoi ?
SCP-4005-1A : J'ai toujours pensé que les vérifications d'antécédants de la Fondation devenaient bien plus laxistes.
Dr Hardcastle : Qu- oh. Oh. Mahmoud.
SCP-4005-1A : Aisha Mahmoud et Rashid Mahmoud. Tous deux ont disparu le même jour en 1975, ainsi que l'assemblée entière de la mosquée. J'étais à la maison, malade, avec ma tante. Ça a dû être difficile de trouver de la documentation sur mes jeunes années, et Mahmoud est un surnom commun. C'était bien plus agité dans le pauvre bidonville du Caire.
Dr Hardcastle : Alors, quoi ? Tu voulais savoir à quoi ça ressemblait ?
SCP-4005-1A : Pas au début. J'ai passé des années à les chercher, à tous les endroits possibles. J'ai rapidement développé un intérêt pour l'inexpliqué, pour les disparitions mystérieuses, et j'étais douée pour ça, alors… quand la Fondation m'a offert un travail, j'ai sauté sur l'occasion. Ça m'a pris quelques années pour trouver mes parents dans la base de données.
Dr Hardcastle : Je… écoute, pour ce que ça vaut, je suis désolée, Fatima. Ils étaient déjà malades quand-
SCP-4005-1A : Ça va. C'était il y a longtemps, maintenant. Bref, j'ai obtenu un transfert ici. Il n'y avait pas vraiment un dessein, je voulais juste- juste savoir ce qui était arrivé. Ce qui était vraiment arrivé. Je sais que la Fondation fait des trucs dans ce genre- je veux dire, j'ai fait des trucs dans ce genre. J'avais… besoin de boucler ça, j'imagine.
Dr Hardcastle : Bon. Bref. Ça n'explique toujours pas ce que tu as fait la nuit dernière.
SCP-4005-1A : Je ne me sentais pas bien, pour être honnête. Depuis quelques temps, je veux dire. Tu sais pour l'accident d'il y a quelques mois, avec le train et… bon, je pensais beaucoup à eux, aussi. Mes parents, je veux dire. J'ai lu les fichiers, sur leurs interrogatoires. Leur désespoir de sortir, de voyager. Je ne te reproche rien, mais je voulais juste- je voulais savoir ce que c'était, savoir ce qu'ils avaient dû traverser.
Dr Hardcastle : Si- nous avons des psychologue ici. J'aurais pu te présenter-
SCP-4005-1A : Les gens ne sont pas toujours logiques, Martha.
Dr Hardcastle : C'est vrai. C'est vrai, je sais. Bon… Qu'as-tu vu là-dedans ?
SCP-4005-1A : Je l'ai allumé, j'ai observé et… je l'ai vue. La ville. Ça me l'a montrée dans son entièreté, ou plutôt l'entièreté de ce qu'il est possible de voir. C'est tellement de choses à la fois, tout fonctionnant dans un mouvement éternel d'un tout harmonieux. Tous ceux qui ont vu sa lanterne, ses immeubles, ses villes. Leurs paradis.
J'ai vu des rues de maisons de villes de Londres, plus belles et vastes, en boulevards droits et tordus mélangés tous ensemble. J'ai vu des prismes poussiéreux comme des maisons turcs, leur état passé et présent fusionnés tous ensemble. J'ai vu des villes coloniales rêvées par les anciens Américains, fumant par-dessus les maisons de bois et des carrosses bosselés traversant les rues. J'ai vu des blocs de béton surgissant des profondeurs. Je ne sais pas comment te le décrire, Martha. C'était- c'était pure création. Les souvenirs, les histoires de milliers de gens assemblés pêle-mêle.
Dr Hardcastle : tu as vu son entièreté ? À quoi ça ressemble de l'extérieur ?
SCP-4005-1A : Tu ne peux pas vraiment le voir comme ça. C'est… c'est tellement de choses à la fois. Une ville interne, une ville externe. Une ville construite autour d'une place centrale, comme les anciennes colonies ; mais toutes les places centrales marquant des centres différents. Des églises, des temples, des mosquées. Des canaux, des ponts tirés d'un gratte-ciel à un autre. Des avenues de décadence, tombant l'une dans l'autre en une cascade telle Kowloon. C'est un endroit où les souvenirs des milliers de gens ayant regardé ses lumières zigzags au travers de l'éternité.
Dr Hardcastle : Tu as toujours été mielleuse dans ta prose.
SCP-4005-1A : Ça nécessite une prose mielleuse. C'est plus fort que moi.
Dr Hardcastle : Cet endroit n'existe pas. C'est un fantasme. Ce n'est pas logique.
SCP-4005-1A : C'est logique. Ça produit sa propre logique, Martha. Ils m'ont regardée, du haut d'une porte de fer. Ils ont inséré l'image dans ma tête- inséré la ville dans ma tête. Les citoyens. Les ex-humains, désormais des créatures se faisant et se défaisant sans cesse.
Dr Hardcastle : Nous avons déjà entendu ça avant. Beaucoup de gens déclarent avoir quelque lien vivant avec cet endroit, qu'ils le portent avec eux dans les images qu'ils ont vues. Que la ville maintenait une présence dans leur tête. Je n'ai jamais cru que c'était significatif, par contre…
SCP-4005-1A : Je sais, Martha, j'ai étudié les mêmes personnes que toi mais- je ne comprends que maintenant. Quand tu franchis le pas, tu… changes. Tu perds des parties de toi-même, ou elles sont transformées en quelque chose d'autre. Les citoyens de cet endroit, ils sont- ils vivent comme dans un rêve constant, et ils ont partagé ce rêve avec nous. Un unique rêve partagé, unifié, un fil se tortillant dans nos têtes- ahh, je ne peux pas le décrire. Je suis désolée, Martha, je sais que tu en veux plus.
Dr Hardcastle : Des rêves, oui, un rêve partagé, nous n'avions pas pensé à… mais tout ça n'est pas logique. Que des mensonges ! Il n'y a pas de ville, Fatima. De ça je suis absolument certaine.
SCP-4005-1A : Je… je sais que ça semble peu plausible, mais-
Dr Hardcastle : Si c'est un rêve, c'est un rêve de l'inatteignable. Peut-être que c'est la farce. Tu ne comprends pas, Fatima ? Tu marches à travers la porte vers l'utopie et tu disparais. C'est juste la ville de More, ou-topos, non-place. Ça ne peut pas exister. Ça n'a pas pu. La nature humaine, l'expiration du corps, les milliers de catastrophes naturelles et toutes ces sornettes… tant de choses l'en empêchent.
SCP-4005-1A : J'ai choisi d'en croire autrement.
Dr Hardcastle : Et malheureusement, je ne peux pas t'en empêcher. Je suis désolée, Fatima. Je le suis vraiment.
SCP-4005-1A : Tout va bien.
Dr Hardcastle : Juste une dernière chose. Pourquoi n'as-tu pas essayé de t'échapper ? Nos autres instances ont passé la majeure partie de leur confinement désespérés de sortir, de terminer votre pèlerinage, là. Pourquoi n'es-tu pas partie ?
SCP-4005-1A : Oh, mais je l'ai déjà fait, Martha. Un pèlerinage n'a pas à être un voyage à pied. Le mien est radicalement différent.
Dr Hardcastle : …Tu ne vas rien me dire d'autre ?
SCP-4005-1A : Tu le découvriras bien assez tôt, Martha. Je suis désolée d'avoir causé tous ces ennuis. Je le suis vraiment.
<Fin de l'Enregistrement>
Addendum 3 23/01/28 : Ce qui suit est une sélection du rapport de test impliquant des membres du personnel de Classe D exposés à SCP-4005.
Sujet |
lieu d'origine |
Date |
Observations de SCP-4005 |
Lieu de disparition |
D‑2188 |
Né et élevé à Caracas, au Venezuela |
09/12/76 |
Le sujet observa une série d'habitations côtières blanchies devant un océan verdâtre. Le sujet vit "une belle femme jouant du violon pour un employé de la poste". |
Une caverne sur la côte du Venezuela, près de Caracas. |
D‑3733 |
Né à Londres, au Royaume-Uni ; élevé à Yellowknife, au Canada |
08/02/79 |
Le sujet déclara voir un "Londres souterrain, mais pas tout à fait correct". |
Entrée de SCP-1678 |
D‑3930 |
Né et élevé à Worcester, au Royaume-Uni |
12/11/86 |
Le sujet déclara voir un grand nombre d'employés d'usine, émergeants d'une "usine à poire". Le sujet prétendit que cela représentait la parfaite façon de vivre, une forme idéalisée du capitalisme de l'ère Victorienne. |
La cave d'une maison de ville de Londres. |
D‑2513 |
Né et élevé à Shangaï, en Chine |
07/02/92 |
Déclara voir la ville entière ; ne développa pas et passa le reste de son temps avant d'atteindre SCP-4005-2 à prétendre qu'il était le "frère de Jésus". |
Un portail à Nanjing, en Chine. |
D‑3380 |
Né à Chiraz, en Iran ; élevé à Los Angeles, aux États-Unis |
17/01/97 |
Déclara voir un grand palais, comportant de nombreux dômes bleus sur son toit ; la structure, cependant, rappelait l'architecture des bâtiments de Pruitt-Igoe à St Louis. |
L'entrée du palais de Ālī Qāpū à Ispahan, en Iran. |
D‑3043 |
Né et élevé à Buenos Aires, en Argentine |
11/04/05 |
Déclara voir une grande bibliothèque s'étendant à l'infini, dont "chaque livre est meilleur que le précédent". |
L'entrée de la Bibliothèque Nationale Publique d'Argentine. |
D‑2508 |
Né et élevé à Marrakech, au Maroc |
28/06/14 |
Déclara voir un vieil homme assis sur un tapis dans une sorte de cour. |
Une porte au Maroc. Les agents escortant le sujet découvrirent que le nom "Omar ibn Rashid" a été inscrit sur une façade de la mosquée. |
D‑2072 |
Né et élevé à Podgorica, au Montenegro |
15/12/25 |
Le sujet ne déclara aucune vision. À la place, le sujet s'arracha les yeux en répétant la phrase "ça n'a pas à se passer ! Je suis libre ! Je suis libre !" |
Une grande porte faite de silicone dans une usine de Podgorica. |
D‑2747 |
Né à Kachgar, en Chine ; élevé au Caire, en Égypte |
11/07/27 |
Le sujet déclara voir un grand nombre d'hommes, de femmes et d'enfants "se tenant sur un mur de fer" et "fixant le Dr Hardcastle". Le sujet ne développa pas comment il savait ce que ces sujets fixaient. Le Dr Hardcastle déclara ressentir un profond inconfort au cours de l'expérience. |
La Porte de Fer, un col montagneux à Xinjiang, en Chine, et un bout de l'un des itinéraires traditionnels de la "Route de la Soie". |
Addendum 4 31/05/28 : Le 30/05/28, plusieurs membres du Site-867 se changèrent spontanément en instances de SCP-4005-1. L'effet sembla atteindre spontanément des membres du Site-867 au hasard ; après quelques heures, environ 20 % du personnel du Site-867 avait été converti en instances de SCP-4005-1.
Ce qui suit est un interrogatoire mené par le Chef de Projet Martha Hardcastle avec SCP-4005-1A concernant les modifications du fonctionnement de SCP-4005.
Date : 30/01/28
Interrogateur : Dr Martha Hardcastle, Chef de Projet sur SCP-4005
Interrogé : SCP-4005-1A, anciennement Dr Fatima Mahmoud, chercheur de Niveau 3 au Site-867.
Lieu : Site-867, Complexe de Confinement 8B.
<Début de l'Enregistrement>
Dr Hardcastle : Bon, Fatima, Qu'est-ce qui se passe.
SCP-4005-1A : Hey, Martha.
Dr Hardcastle : Ne me- ferme-la et dis-moi juste ce qui se passe. Je ne sais pas en qui je peux avoir confiance désormais mais tu as été mon amie pendant très, très longtemps. Je veux que-
SCP-4005-1A : Je… je suis vraiment désolée. Je sais que ça doit être dur. Mais, tu verras, tout est pour le mieux.
Dr Hardcastle : Bon Dieu- bordel !!
Le Dr Hardcastle s'assoit et respire profondément pendant quelques secondes.
Dr Hardcastle : Le Site est en confinement. La moitié du personnel a été balancé dans des cellules de confinement pour avoir essayé de s'enfuir. Ils ne cessent de hurler vouloir partir en pèlerinage. Et plusieurs autres ont réussi à nous échapper, fuyant dans les bois. Comment j'arrête ça, Fatima ?
SCP-4005-1A : Je- Je n'ai pas- Ce n'est pas ma décision, Martha.
Dr Hardcastle : Alors de qui vient-elle ? Mon boulot est de confiner. C'est ce à quoi j'excelle. Alors dis-moi ce que je dois mettre dans une putain de boîte, Fatima. Je t'en prie.
SCP-4005-1A : Tu ne peux pas. Ça a commencé. Je suis désolée, Martha, mais c'est déjà terminé.
Dr Hardcastle : Qu'est-ce qui est terminé ??
SCP-4005-1A : Le grand pèlerinage. Tout autour du monde, une personne après l'autre, sachant comment en finir. Venant à la ville. Venant au juste royaume.
Dr Hardcastle : Les gens meurent quand même dans la ville. Tu me l'as dit toi-même.
SCP-4005-1A : Mais pas leur création. Leur création dure là-bas pour une éternité. Tombant en ruine et puis sortant de terre de nouveau, juste pour voir ce à quoi ça ressemblerait avec d'autres couleurs. C'est un cadeau. Là-bas, nous pouvons être heureux, libres, capables d'essayer nos besoins et désirs à d'autres choses parce que la ville nous a soutenus. Nous n'avons plus à être effrayés. C'est un cadeau.
Dr Hardcastle : Tu ne cesses de le dire, Fatima, chaque fois que je viens ici, mais il y a un millier d'endroits qui proposent la même chose. Alagadda, la Frontière Tangentielle, le Roi des Murmures et son Armée de Cauchemars. Tout ce que je vois c'est des enfants se regardant dans un miroir et se jetant dans les rochers, espérant qu'il y ait de l'eau en bas. Plongeant dans l'oubli. Dans la putain de mâchoire de la murène. Au moins votre mort est plus douce, je veux bien l'admettre.
SCP-4005-1A : N'en parle pas comme ça.
Il y a une pause de quelques secondes.
Dr Hardcastle : Oh, juste- donne-moi quelque chose, Fatima, quelque chose.
SCP-4005-1A : Je ne peux pas. Je suis désolée. Même si je le voulais, et ce n'est pas le cas, il n'y a rien que je puisse faire. La ville a été construite par des gens, juste des gens, et maintenant ça les appelle à elle. Il est temps, temps que le monde change, temps que toute la structure soit mise de côté. Imagine ne pas avoir à te soucier, tous les jours, de qui tu es. De ce que tu es. Imagine être dans un endroit où tout devient logique. Où nous n'avons pas à gâcher nos vies à lutter.
Dr Hardcastle : Lutter est ce qui nous permet de créer.
SCP-4005-1A : Crois-tu ? Les génies torturés sont-ils si intelligents parce qu'ils sont torturés, ou sont-ils des génies malgré la torture ? Personne ne se demande jamais ça, n'est-ce pas ? Aucun d'entre vous ne s'est jamais demandé si peut-être, juste peut-être, les génies souffrent à cause des gens, et que nous en verrions bien plus si les gens comme nous ne les enfermions pas dans des cages, si nous ne faisions pas en sorte que les gens ne puissent exprimer la beauté qu'à travers la souffrance. Nous pouvons réaliser le juste royaume, Martha.
Dr Hardcastle : Rien de tel n'existe.
SCP-4005-1A : Ça existe. Ça existe bien. Nous reprenons ce monde, Martha. Nous créons de la justice. Nous donnons aux gens ce qu'ils méritent : une vraie chance. Un monde qui soit vraiment en leurs mains pour être remodelé, et qui ne leur sera pas arraché. L'humanité n'est pas terrible, mais il y a énormément de mauvais dedans. Nous allons retirer le besoin du vice. Nous les empêcheront de vouloir le mal. Nous le ferons avec bonté.
Dr Hardcastle : Tu ressembles à une sorte d'étudiante activiste. Tu ne te rends pas compte que tous ces rêves sont voués à l'échec ? Je suis ton aînée, Fatima. J'ai vu le monde bruler et frémir et trembler. Tous mes rêves sont poussière et les tiens le seront aussi. Ou toi.
SCP-4005-1A : Tu es tellement blasée. Juste parce que tu as échoué ne veux pas dire que j'échouerais. Nous construisons un monde où les gens peuvent être des gens. Où nous pouvons tous être libres, tous créer, tous libérés du poids écrasant de leurs chaînes !
Dr Hardcastle : Oh, mais écoute-toi ! J'ai vu des milliers de personnes comme toi. Debout sur des barricades, hurlant ce que vous voulez. Si c'est vraiment nous qui faisons ce monde, ce sera juste aussi mauvais que tout ce qui l'a précédé. Ça va exploser, ses créations éparpillées ! Je ne peux pas te croire. Comment sais-tu que cette lampe te montre bien une ville, hein ? Comment sais-tu que c'est- que ce n'est pas juste un ancien dieu, t'attirant avec promesses et mensonges pour te consumer, t'emprisonner, te réduire en esclave ?
SCP-4005-1A : Je ne le sais pas. Mais j'ai assez confiance pour essayer. À quoi bon, Martha ? À quoi bon cette corvée sans fin, cette normalité que la Fondation est si désespérée à protéger ? Pourquoi ne pas essayer de changer le monde ? Pourquoi ne pas avoir un peu de chaos ? Parce que vous êtes si effrayés de devenir un nouveau Manna que vous ne pouvez pas concevoir une meilleure existence. La Fondation avait tout. Nous allons le prendre et leur rendre le cadeau d'une meilleure vie. Tu veux savoir ce qui se passe ? Je vais te le dire. Al-Sin est redevenu un mythe. Par la forme des ombres, par les mots prononcés, par n'importe quelle forme de reconnaissance, ça se répandra comme un virus. Il existe un monde meilleur là-dehors, Martha ! Dans le royaume au bout de la route. Dans la justice à la fin de tout îlot.
Dr Hardcastle : …Cet interrogatoire est terminé. Attachez-la.
<Fin de l'Enregistrement>
Addendum 5 02/06/28 : Ce qui suit est un autre ensemble de texte décodé du journal de Omar ibn Rashid.
Le présent est un mensonge. C'est une suite de moments auxquels nous tentons de donner du contexte, mais le contexte est effacé et réécrit tout autour, ne laissant plus que la confusion de la masse.
Je n'avais jamais bien réfléchi aux pèlerinages avant maintenant. La religion de mon pays en a toujours eu un, un vaste, le Hajj annuel ; elle a conduit à ce que des sanctuaires aux soufis et autres saints aient été éparpillés sur ses terres où les gens s'attroupent. Ceux-ci sont moins nombreux chaque année, mais ils portent encore du pouvoir. Mais moi, bourgeois et moderne comme je suis, n'y ai jamais bien réfléchi. Il semblent une poursuite frivole pour ceux déterminés à exhiber leur piétée d'une manière sociale et conventionnelle.
Je connais mieux désormais. La douleur, la faim, la fièvre d'un pèlerinage n'est pas dans l'intention de la vanité d'un ascétisme flagellant aveugle. Ils existent en tant que partie du voyage, un voyage qui vous change. Ça vous rend meilleur. J'ai traversé le monde, mettant un pied devant l'autre. C'était dur, parfois, mais ça devint lentement routine, puis agréable. Il y avait quelque chose de réel là-dedans, quelque chose de si humain. J'ai mendié et vendu et troqué sur le chemin de Perse, de Syrie, vers l'Afrique, et jusqu'à ma ville natale.
C'est là que j'ai laissé la lampe. Je l'ai, dans des moments de désespoir, remplie d'huile et allumée, pour contempler le désir de mon cœur. Je vis les rues et maisons, les palais. Je vis des rois qui n'existaient pas comme des gens mais des accessoires. Et je vis un vieil homme tel un jeune enfant tandis qu'il se baladait dans les rues sans fin de Chine.
Imaginez que l'on soit au XIVe siècle, en année chrétienne ; le VIIIe pour nous. N'y pensez pas comme un voyage dans le temps, ou une pensée sur le passé ; pensez-y comme un présent qui fut autrefois, et pourrait être de nouveau. Pour les gens de cette époque précédente, notre récent passé est leur futur. Ils ont une conception du temps radicalement différente, aussi, dans laquelle les événements de nos passés se sont déroulés différemment, et peuvent prendre des interprétations radicalement différentes. C'est le présent ; juste le présent dans un autre contexte. Les autres époques ne meurent pas vraiment, elles sont simplement enfermées où nous ne pouvons plus jamais les voir.
Il y a un émir, vivant dans une citadelle. La citadelle est à Marrakech. Autrefois, cette ville était le siège des Almoravides et des Almohades, mais ils nous ont quittés il y a longtemps à présent. Elle est cerclée par des murs d'ocre, ce qui donna son surnom à la ville : la Ville Rouge. C'est magnifique sous le soleil d'été, mais sa beauté est celle du passé. Bien entendu, nous savons que la ville atteindrait des hauteurs élevées sous les Saadiens, mais cet émir ne le sait pas. Pour lui, il règne simplement sur une vieille ville se décomposant, tandis que le siège mérinide de Fès est couvert de gloire.
La nuit, il a de mauvais rêves. Alors qu'il est assis dans sa citadelle, il lance et tourne. Il aime sa ville. Il aime ses murs, ses médersa, sa citadelle. Il aime ses places vertes, ses maisons de cour, ses artisanats aux couleurs vives. Les murs par-dessus les murs par-dessus les murs, s'enroulant d'une manière incompréhensible pour certains mais étant parfaitement logique pour ses habitants, leurs quartiers mahalle et rues familiales alignées dans un ordre de la plus grande sécurité.
Sa ville est mourante. Il pleure, comme les cauchemars viennent de sa chute, d'armées de Berbères, de Maliens ou de Francs assaillant tout le Maghreb et ne s'arrêtant même pas pour piller. Il veut une réponse, une solution. Il souhaite pour sa ville de durer éternellement.
Un jour, un voyageur arrive. Il est venu du royaume d'al-Sin, lointain même pour les frontières les plus éloignées du dar al-Islam. La Chine, il le sait, est là d'où toutes les belles choses proviennent. Lors d'une campagne, il lui a été montré une magnifique miniature parmi les œuvres de Rashid al-Din, le vizir mongol décédé dans l'enfance. Elles avaient des figures telles la lune et des couleurs tressées les unes dans les autres. Il avait vu leur artisanat, trainant sous la Pax Mongolica et dans les bazars du Maroc.
Le voyageur lui raconte des histoires similaires. Il lui parle de Kubla Khan, des milliers de nations en soumission pour lui, du palais de Khanbaliq et du marché tentaculaire de Khanfu. Des pagodes rouges étincelant dans la lumière. Un royaume sans commencement et apparemment sans fin.
L'émir était captivé. Il la désirait. Il la désirait en totalité. Marrakech peut tomber, mais il pourrait percevoir une ville comme aucune autre, où rien ne cesse jamais, où lait et miel jaillissent des montagnes. Il ne pouvait voir aucun moyen de changer Marrakech, mais la simple connaissance de l'existence de ce lieu mythique était suffisante. Il ne pouvait pas voyager à l'est de lui-même, étant un vieil homme avec de si nombreux devoirs, mais il était tout de même désespéré de voir les villes.
À Marrakech, il y avait un alchimiste. Son nom était connu de l'émir, mais il était constamment sombre, brouillé. Cet homme avait peu de scrupules et peu d'humour. L'émir vint à lui, caché, déguisé, et demanda à ce qu'il lui fasse quelque chose. Une chose qui lui permettrait de voir, pendant un court instant, la totalité d'al-Sin.
L'alchimiste acquiesça et se mit au travail. Il prit du verre, du métal, les lia l'un à l'autre. Il injecta en dedans d'étranges symboles et mécanismes. Il le fit beau. Il plaça de l'huile dedans. Il le donna à l'émir. L'émir l'alluma et observa dans les flammes et, alors qu'il le fixait, captivé, l'alchimiste se retira, n'osant pas regarder sa création.
Car l'alchimiste avait menti. Il n'avait aucune idée de comment voir au-delà des océans et des montagnes. Alors il fit autre chose. Il créa un monde et laissa l'émir y placer sa propre vision. Ce que l'émir vit n'était pas al-Sin, mais le contenu de son esprit emmené dans cette ville. C'était créé par lui. C'était une part de lui, et il en était une part.
Mais ce n'était pas assez pour l'émir. Il était captivé, fou. Il vit l'utopie. Sous la chape des ténèbres, il quitta sa citadelle, ne portant qu'une robe, un peu de nourriture et un peu d'eau. Il ne fut plus jamais revu.
Dans la lanterne, dans la ville, un millier de présents différents existent. Les particularités de chaque moment, capturés dans ce grand accident, ce miroir d'un esprit d'émir. Nous, ses humbles successeurs, n'avons jamais réussi à façonner la ville- elle fut faite pour lui. Mais nous avons suivi dans ses pas. Nous avons suivi nos routes jusqu'à la Chine- car tout voyage par la Chine, pour le peuple du Maroc, était nécessairement difficile, nécessairement un pèlerinage. Et une fois dedans, nous avons altéré et modifié et façonné la ville au-delà ce qui aurait été imaginable pour l'alchimiste, pour l'émir. Sa divine al-Sin, son Marrakech tordu, est réel. Il est parfait. Il est possible. Tout ce qu'il nécessite est la foi, et l'effort de nos pieds tordus.
Addendum 6 20/06/2028 : Ce qui suit est un rapport des tentatives de confinement de SCP-4005.
Date début tentative |
Pourcentage de la population converti en SCP-4005-1 |
Description de la tentative |
Résultats |
04/06/2028 |
0.00004 |
Confinement total et mise en quarantaine du Site-867. |
Tentative échouée. Instances de SCP-4005-1 signalées parmi la population de villages proches, qui se dispersèrent rapidement vers d'autres villes et villages alentours. |
07/06/2028 |
0.3 |
Déplacement de toutes les instances connues de SCP-4005-1 vers des Sites reculés du nord du Canada ; tentative de poursuite des instances restantes en présumant qu'elles sont toutes dans les parages du Site-867. |
Tentative échouée ; génération aléatoire et mondiale d'instances de SCP-4005-1. |
09/06/2028 |
2.5 |
Tentative à grande échelle, usage d'une large quantité de moyens technologiques et anormaux pour poursuivre et tuer les instances de SCP-4005-1 tout en menant des recherches sur des méthodes d'immunité. |
Toutes les tentatives de poursuite et d'immunité ont échoué. |
11/06/2028 |
12.5 |
Arrêt immédiat de tous les moyens de transport du monde. Contrôles à grande échelle, couvre-feu et surveillance renforcée de la population. Élimination immédiate de toute instance de SCP-4005-1 suspectée. Activation des protocoles Fin de la Mascarade. |
Tentative initialement réussie, mais les instances de SCP-4005-1 commencèrent rapidement à employer des portails alternatifs pour entrer dans SCP-4005-2. |
14/06/2028 |
20.6 |
Déplacement immédiat de toute la population connue loin des instances possibles de SCP-4005-1. |
Tentative échouée ; conversion en instance de SCP-4005-1 devenue aléatoire et capable de se produire même parmi les populations isolées. |
15/06/2028 |
38.5 |
Utilisation de SCP-2000. |
Requête refusée par le Conseil O5. |
16/06/2028 |
57.9 |
Sacrifice rituel à [DONNÉES SUPPRIMÉES]. |
Requête refusée par le Conseil O5. |
18/06/2028 |
89.6 |
SCP-3799. |
Requête refusée par le Conseil O5, qui demanda également la reclassification immédiate de SCP-4005 en Thaumiel et l'embarquement du Dr Hardcastle et du personnel restant du Site-867 dans un pèlerinage. Décision annulée par le Dr Hardcastle. |
19/06/2028 |
99.9 |
Destruction du dernier humain non infecté par le suicide |
Tentative interrompue par SCP-4005-1A. Rapport d'interrogatoire concernant ces événements disponible dans un addendum ci-dessous. |
SCP-4005 a été reclassifié Apollyon.
Addendum 7 29/06/2028 : Ce qui suit est le rapport d'un interrogatoire non prévu entre SCP-4005-1A et le Dr Hardcastle.
Date : 29/01/28
Interrogateur : Dr Martha Hardcastle, Chef de Projet sur SCP-4005
Interrogée : SCP-4005-1A, anciennement Dr Fatima Mahmoud, chercheur de Niveau 3 au Site-867.
Lieu : Site-867, quartiers du directeur du Site.
<Début de l'Enregistrement>
SCP-4005-1A : Bonjour, Martha.
Dr Hardcastle : Qu'est-ce que tu veux ? Crache le morceau.
SCP-4005-1A : Voir si tu vas bien. Je suis ton amie.
Dr Hardcastle : Tu as de nouveaux amis maintenant. Tu t'enfuis pas avec eux ?
SCP-4005-1A : Ils sont mes frères et sœurs en pèlerinage. Ils ne sont pas mes amis. Et, de toute façon, je n'en ai pas encore fini ici.
Dr Hardcastle : Il ne reste plus personne. Ils sont tous partis. Tous. Mon mari riait et souriait alors qu'il me quittait avec les enfants. "Nous te verrons bientôt", qu'il a dit. Mais c'est faux. Je n'y irai jamais. Jamais.
SCP-4005-1A : Pourquoi pas ?
Dr Hardcastle : Parce qu'il n'existe pas d'utopie ! Il n'existe pas de perfection, pas de changement, juste une lutte sans fin ! Comment est-ce que ça fonctionnerait déjà, de toute façon ? Une ville qui est la ville parfaite de chacun ? Quid de ceux qui détestent la ville ?
SCP-4005-1A : Ils créent des espaces verts en son centre, si vastes qu'ils ne voient jamais le reste.
Dr Hardcastle : Comment ça pourrait être une ville, alors, hein ? Ça pourrait décrire tout un pays.
SCP-4005-1A : Car chaque parc est entouré par les bâtiments, construits de telle façon qu'ils ne peuvent être vus que de ceux qui le devraient.
Dr Hardcastle : Et qui décide qui le devrait ?
SCP-4005-1A : La ville décide. Tout ce qui touche chaque personne. Tout ce qu'ils veulent.
Dr Hardcastle : Ce n'est pas une vraie utopie. Une vraie utopie-
SCP-4005-1A : Une véritable utopie, Martha, est un endroit où les gens peuvent coexister et tous être heureux. Ce n'est pas le paradis. C'est quelque chose de réel.
Dr Hardcastle : Je fais confiance au monde réel, merci.
SCP-4005-1A : Qui définit ce qui est réel, et ce qui est mensonge ? La distinction est seulement dans ta tête Martha. Tu es remarquable. Les seules personnes capables de résistance étaient celles qui comprenaient l'anormal, qui comprenaient ce qui leur arrivait, mais ils ont tous vu la lumière finalement. Mais toi, Martha, tu persévères malgré tout. Tu ne peux juste voir aucune beauté dans ce qui se passe. Tu ne peux même pas accepter l'idée que le monde pourrait être meilleur.
Dr Hardcastle : Le monde ne devient en rien meilleur. Vous ne faites que vous enfuir. Lâches ! Vous êtes tous des lâches.
SCP-4005-1A : Ce que tu ne comprends pas c'est que ce n'est pas un danger-sensitif, Martha. C'est le libre arbitre. Nous avons vu quelque chose de beau et nous l'avons désiré. Nous y allons en pèlerinage. Les pèlerinages ne sont pas toujours sûrs, particulièrement depuis qu'il n'y a plus beaucoup de nourriture qui traîne. Nous traversons les terres sur nos pieds seuls, jusqu'à ce que nous trouvions l'endroit où nous devions aller. Tout autour du monde, les nations marchant ensemble.
Dr Hardcastle : À part toi.
SCP-4005-1A : Tu es mon pèlerinage, Martha.
Dr Hardcastle : Qu- Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ?
SCP-4005-1A : Que mon pèlerinage est de te convaincre de partir.
SCP-4005-1A ouvre la porte.
SCP-4005-1A : La voilà. Ma Porte de Fer, mon col vers Kachgar. Mais ça ne s'ouvrira que si tu viens avec moi.
Dr Hardcastle : Je n'irai pas avec toi.
SCP-4005-1A : La ville, Martha, se divise en district, chacun façonné par une personne-
Dr Hardcastle : Je n'écoute pas, je n'écoute pas, je n'écoute pas !
SCP-4005-1A : -et chaque district converge vers un point central. Ne fais pas attention à l'impossibilité ; la physique n'est qu'une convention de cet univers. La forme de la ville- la façon dont elle est perçue- c'est ce qui la définit. Le même endroit peut sembler totalement différent selon l'image de l'espace et l'absence de ce dernier que nous formons. Et en son centre repose la réponse.
Il y a une pause de quelques secondes.
Dr Hardcastle : La… réponse ?
SCP-4005-1A : Un émir de Marrakech. C'est tout ce qu'il y a et je ne le nie pas. Au centre de la route, au bout de toutes les rues, le cœur de la ville est une simple cour marocaine cerclée de 4 murs. Et dedans, il y a un émir, qui sourit.
Dr Hardcastle : …Pourquoi sourit-il ?
SCP-4005-1A : Car il sait qu'il y a du bon en ce monde, Martha. Car il sait qu'il y a une réponse. Que l'humanité peut améliorer son propre sort. Que cette ville ne mourra jamais, car sa ville est un Marrakech dans les étoiles, une fable d'al-Sin. Il est heureux car il y croit.
Il y a une autre longue pause.
Dr Hardcastle : Toute ma vie, je n'ai jamais cru en rien. Ni en Dieu, ni en l'homme, ni en la création, ni… et tout ce que j'ai fait c'est enfermer des choses dans des boites pour conjurer la mort un jour de plus. Et je n'ai jamais osé rêver que nous pourrions changer ça. Je n'ai jamais osé espérer.
SCP-4005-1A : C'est notre sort d'être lié à une roue tournant pour l'éternité. Viens avec moi, Martha. Viens et brise les chaînes. Viens et soit libre.
<Fin de l'Enregistrement>
Addendum 8 02/07/2028 : Ce qui suit est un troisième ensemble de texte décodé du journal d'Omar ibn Rashid. Les membres de l'équipe de traduction de décodage de SCP-4005 insistèrent, peu après être devenus des instances de SCP-4005-1, que le Dr Hardcastle les conservent dans la base de données de la Fondation. Le Dr Hardcastle approuva leur requête peu après avoir accepté le fait qu'elle était devenue une instance de SCP-4005-1.
Le futur est un mensonge. C'est un espoir désespéré projeté par des hommes désespérés dans le brouillard de ce qu'ils ne peuvent voir, uniquement pour que tout cela s'effondre dans l'inévitabilité de l'oubli.
Quand je pense à mon pays, je vois de nombreux futurs. Je vois la complétion de nombreuses tyrannies, de Nasser ou de la Confrérie ou des libéraux ou des fascistes ou des marxistes ou de quoi que ce soit se soulèverait. Chacun de ceux-ci sait ce qu'est le passé, un système de nations, foi ou classe sans fin. Chacun de ceux-ci sait ce qu'est le présent, une série de problèmes à résoudre. Et chacun de ceux-ci sait ce qu'est le futur, une série de dystopies d'utopies tournant en spirale dans un vide noir.
Et derrière tout cela, le Caire grandit, tel un monstre enflé n'ayant aucun contrôle ou énergie. Une masse de gens, émergeants d'anciennes communautés et appâtées par les lumières vives de la ville. Le Caire semble être un système, une chose unique et singulière mais qui est logique et fournit des réponses, mais c'est un mensonge. Toute ville est chaos, dépendant de son environnement. Elle est définie comme n'étant pas le pays, de même que le pays est défini comme n'étant pas la ville, mais ils saignent l'un sur l'autre. Rues, parcs, marchés perçus d'une manière, selon un angle, sont vus complétement différemment par un autre. La vue du dessus, du dessous, dans la rue et depuis la lointaine plaine, altèrent le système. Le rend plus étrange.
Et l'histoire est simplement pareille. Les événements ne sont que les briques. La cacophonie infernale des motivations, des compréhensions, des paradigmes dans lesquels nous glissons, pour définir des trajectoires de temps, tourbillonner et altérer et changer. Un cri sans fin d'orthodoxies toutes liées entre elles. Toutes choses intégrées dans un système qui, en intégrant tout, se remet lui-même en cause. Passé, présent, futur ; tous des mensonges, idéologie en ruine imposée à un passé malgré lui. Tout est mensonge. Tout est nul.
Mais profondément au sein de nos cœurs enfouis, profondément dans nos convictions internes, nous partageons tous le désir de quelque chose de meilleur. Quelque chose de plus complet. Ma vie entière a été définie par de fausses vérités, assez pour faire se morfondre un homme que rien ne bougera jamais. Mais peut-être y a-t-il une histoire qui ne soit pas un mensonge. Une histoire définie non pas par les désirs du présent mais par une compréhension de la lutte du pauvre, les fables du croyant, les milliers de récits irréfutables s'affrontant l'un l'autre pour créer un tout glorieux et beau.
Et si l'infinité de bloc de béton du Caire était transformée ? Les arabesques et murganas balayant devant leurs fenêtres et murs, se tordant l'un contre l'autre dans un motif d'infini. Le peuple en dedans élevé de la misère pour devenir des princes, pour devenir des héros, pour devenir des sauveurs. À la place du chaos fluctuant sans cesse, un monde gouverné par le récit, un but, un mouvement, chacun pagayant d'une beauté de sa propre conception.
Je les comprend, maintenant. Je comprends les idéaux qui battent dans le cœur des hommes. Il y a une ville, sur une colline, derrière une porte, sous une cave. C'est une ville née d'un long et fatiguant pèlerinage ; et lorsque ce pèlerinage est terminé, cela devient un labyrinthe de rues sombres, l'une s'ouvrant dans l'autre, un labyrinthe d'histoires différentes se frottant toutes les unes aux autres. Istanbul saigne sur Beijing qui saigne sur Tenochtitlan, chacune plus vaste et plus terrible que leur équivalent terrestre.
Tu marches à travers le chaos. Tu marches à travers les familles, tandis qu'elles cuisinent un repas sur d'antiques braseros et structures prismatiques de lumière, réfractant et réfractant jusqu'à s'annuler eux-mêmes. Les nombreux districts tous concentrés, sans cesse, sur un point singulier, car tous ceux-ci sont des variations de ce point singulier. Tu écartes le brouillard, les blocs de tours profilés dans la poussière, les palais musulmans balayés par le sable, les kraals tordus des Zoulous et les mosquées tissés de boue de Tombouctou, les yeux des citoyens africains et des rêveurs européen.
Au centre de la toile, à l'emplacement parfait de temps cosmique, au croisement de la ville, se tient un palais. Il n'apparaît pas très grand. Il n'apparaît en rien spécial ; juste une maison rouge à Marrakech. Et en dedans il y a une cour. Et en dedans se trouve un émir au faciès grisonnant, qui sourit, sourit simplement, assis sur le sol et souriant au soleil baignant la ville qui ne mourra jamais. Et il sourit car il sait que l'utopie est possible, s'il n'y a qu'une étape, petit à petit, dans leur propre création.