Matricule : SCP-314-FR-C-1931-42
Date : ██/██/1931
Sujet : D-491, 37 ans.
Localisation spatio-temporelle supposée : Hôpital militaire San Camillo, Monte Rondini, Italie, 1917
Avant-propos : Le test s'est déroulé normalement.
Le Christ des Dolomites
Les deux hommes vinrent te chercher dans ta cellule vers le lever du soleil.
Ils t'accompagnèrent à travers l'asile jusqu'à une pièce au sous-sol.
La salle était assez grande et faiblement éclairée. Le mobilier était réduit à quelques chaises éparses, un lavabo et une dizaine de douches non séparées les unes des autres.
Ils t'enlevèrent tes vêtements sans ménagement avant qu'un troisième homme n'entre. C'était un quinquagénaire bedonnant et dégarni.
- Ainsi donc c'est toi le Christ des Dolomites ?
- Tu le dis.
- Ah, on est spirituel à ce que je vois.
Il alla se laver les mains au lavabo.
- Je sais que c'est un peu superflu mais que voulez-vous, la force de l'habitude, dit-il avec un sourire.
Après s'être consciencieusement séché les mains, il prit un dossier que lui tendait un des cerbères.
- Bien, voyons ça.
Il chaussa une paire de lorgnons.
- Vincenzo Falconi, vingt-quatre ans, un mètre soixante-douze pour soixante-trois kilogrammes, nationalité… américaine, tiens donc.
- Oui monsieur, répondis-tu, j'ai émigré avec mes parents quand j'avais six mois.
- Intéressant. Et donc tu es revenu au pays avant de t'engager par patriotisme ?
- Oui monsieur.
- Bien. Je vois dans ton dossier que tu as été déployé sur le front des Dolomites et que tu as été abattu par les mitrailleuses autrichiennes dès ta première sortie. Les brancardiers ont cru que tu étais mort et t'ont amené à la morgue. C'est là-bas que tu as retrouvé tes esprits et que tu as fait la peur de sa vie à un des crémateurs, c'est bien ça ?
- Oui monsieur.
- Au final il s'avère que tu ne souffres que de blessures légères. Un miracle diront certains. Entre cette absence de traumatismes graves et cette soit disant résurrection, il n'en fallut pas plus à ces paysans pour te surnommer "le Christ des Dolomites". Pittoresque, ne trouves-tu pas ?
Tu ne répondis pas.
- Tout semble alors en ordre pour que tu retournes au front. Cependant, quand on te l'annonce tu commences à présenter des tremblements et à avoir des paroles incohérentes. De plus, tu persistes à soi-disant pouvoir soigner les gens en les touchant, "les libérer de la guerre" comme tu dis.
Nouveau silence.
- Oh mais je manque à tous mes devoirs, je ne me suis même pas présenté. Je suis le Dr Annibale D'Appiolo, médecin aliéniste à l'institut militaire San Camillo de Monte Rondini. Et toi, qu'est-ce que tu es ?
- Vous l'avez déjà dit, je suis Vincenzo Falconi, vingt-quatre ans et je…
- Non, non, non, pas qui tu es, ce que tu es.
- Je ne comprends pas la question docteur.
- Eh bien je vais te le dire. De deux choses l'une, soit tu es vraiment fou, auquel cas nous allons nous occuper de vous refaire une santé, soit tu es un simulateur. Et sachant que nous sommes dans un institut militaire, je te garantis que cela se soldera par un transfert vers une part du front que je qualifierai de… mouvementé.
- NON ! JAMAIS JE NE RETOURNERAI AU FRONT !
- Eh bien, ne voulais-tu pas sauver l'Italie en t'engageant dans notre armée ?
- Mais je veux toujours sauver l'Italie.
- Ah oui ? Et comment ?
- En prêchant la paix.
- Ah oui ? Quel couard tu fais ! Mes deux fils combattent pour notre nation sur les rives de l'Isonzo et je suis fier d'eux, comme un vrai italien.
- Vous feriez mieux de commencer par être un vrai père, docteur.
Son visage vira au cramoisi et sa bouche se tordit d'un bref rictus de rage avant de revenir à un sourire onctueux.
- Très bien, comme tu voudras. Bref, assez bavardé, il fait surement trop chaud ici pour vous les américains. Giovanni, rafraichissez-le.
L'infirmier tourna un robinet et une chape de glace s'abattit sur tes épaules.
L'eau froide aspirait tes pensées.
Tu n'arrivais plus à réfléchir.
Le Dr D'Appiolo demanda :
- Es-tu le Christ ?
Tu savais qu'il ne fallait pas répondre.
- ES TU LE CHRIST ?
Giovanni te donna un coup de poing dans le ventre.
- REPONDS VERMINE !
Tu t'écroule sur le sol et ta tête heurte violement le mur de la douche.
Tu ne vois plus rien.
Des voix distantes dansent dans ta tête.
- Merde, il est dans les vapes.
- Espèce d'imbécile, je vous ai dit qu'on ne frappe pas les patients sous la douche ! Un peu de conscience professionnelle bon Dieu !
- Qu'est-ce qu'on fait de lui maintenant ?
- Ramenez le dans sa cellule et voyez s’il se réveille. Si ça n'arrive pas, vous connaissez la marche à suivre. Dans le cas contraire, les électrochocs commencent demain. Quand vous aurez terminé, allez chercher le patient suivaaaaaaaaaaaaaaaa…
La voix s'affaiblit avant de se taire.
Pour toujours.
Et maintenant on est mort.