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Crédits
Auteur: Dr Zeno
Titre original : SCP-100-IT - [Carnem Levare]Traducteurs : Dr Zeno, Ichne-Bebop, DrReinhar
Lien (IT) : SCP-100-IT
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Objet no : SCP-100-IT
Classe : Keter
Procédures de Confinement Spéciales : En l'état des connaissances actuelles, le confinement de SCP-100-IT est jugé impossible. Malgré les caractéristiques de l'anomalie aidant à cacher sa nature au public, elles lui permettent également d'échapper à toute tentative d'interférence et de capture de la part de la Fondation. La mise en place d'une stratégie de confinement est toujours en cours. Par conséquent, les opérations doivent être limitées à de la surveillance et au déploiement de scénarios de couverture.
La SIR-I ("Aureæ Notitiæ") est actuellement assignée à la surveillance du locus-100 lors des périodes d'activité de SCP-100-IT. Afin de faciliter les opérations, la zone a été découpée en six secteurs. Les agents de terrain sous couverture se coordonnent avec un poste de commande assigné à chaque secteur. Dès que SCP-100-IT est repéré, le poste de commande doit en être informé et tous les agents à proximité doivent se rendre sur place afin de tenter de confiner SCP-100-IT. L'opération prend fin une fois la confirmation que SCP-100-IT a atteint son objectif. Autrement, tout déploiement doit se poursuivre jusqu'à la fin de la période d'activité.
Compte tenu de l'impact médiatique des évènements liés à SCP-100-IT, la prévention de toute fuite d'information ou d'enquête civile est la priorité absolue. Toute trace de crime doit être effacée (l'usage d'amnésiques est autorisé en dernier recours) par les agents de surveillance ou les membres de la SIR-II infiltrés parmi les forces de police locales ; ces derniers sont chargés d'informer les proches de la victime, en fournissant un scénario de couverture plausible.
Description : SCP-100-IT est la désignation collective d'un groupe de quatre entités humanoïdes (SCP-100-IT-A, B, C et D) dont la présence a été rapporté exclusivement au sein du locus-100, la dénomination provisoire du centre historique de Venise (environ 7,9 km2, sans compter les canaux) durant les onze jours canoniques du Carnaval1.
Les entités humanoïdes ne montrent aucun trait physique anormal et peuvent être aperçues déambulant (seules ou en groupe) dans les rues de la ville, bien qu'il n'ait jamais été possible d'identifier l'endroit d'où elles proviennent. De plus, il y a eu des nombreux cas d'observations successives de mêmes entités à des endroits très distants les uns des autres, suggérant des capacités de déplacement anormales. Chaque entité joue un rôle issu de la tradition du carnaval : leurs déguisements - incluant masque, gants et coiffe – ne montrent aucune peau nue et ont pour point commun la prévalence de la couleur noire.
- SCP-100-IT-A est un homme grand et élancé, jouant le rôle du domino2, facilement reconnaissable à son bâton de marche avec un bouton d'or, représentant le lion ailé de Saint-Marc. SCP-100-IT-A fait preuve d'une attitude fière et formelle, s'inclinant fréquemment et exagérément devant les personnes qu'il croise.
- SCP-100-IT-B est un individu (supposé être un homme) jouant le rôle du gnaga3 et porte, en plus du masque, une perruque bouclée et une robe large décorée de motifs floraux rouge foncé. SCP-100-IT-B fait preuve d'une attitude espiègle et irrévérencieuse, aimant surprendre les passants par derrière avec des miaulements extrêmement réalistes.
- SCP-100-IT-C est habillé comme une noble vénitienne et porte un masque blanc décoré avec des tourbillons dorés, une longue robe noire et un chapeau à large bord, orné de plumes et de pierres précieuses de tailles et de couleurs variées. SCP-100-IT-C est la seule entité à éviter les interactions, se contentant d'observer les gens de loin.
- SCP-100-IT-D est un homme de petite taille, habillé comme un bouffon vénitien traditionnel (mattaccino), comme suggéré par son masque au nez crochu, les collants (noirs et blancs) et le bonnet à grelots. SCP-100-IT-D est joyeux et extraverti, recourant à la danse et aux acrobaties pour attirer l'attention sur lui, et tentant souvent d'impliquer d'autres personnes dans ses performances.
Au premier stade, qui semble durer un nombre imprévisible de jours, les entités se limitent simplement aux comportements susmentionnés. Toutefois, un événement distinctif se produit par la suite, se répétant chaque année selon un schéma récurrent : SCP-100-IT s'approche d'un individu, puis l'encercle, le maîtrise et le traîne de force hors de vue. Le choix d'une cible est supposé être aléatoire. Après cet événement, toute trace de SCP-100-IT (qui ne se manifestera pas avant le carnaval suivant) et de la victime sera perdue (ce qui arrive à cette dernière après l'enlèvement reste à déterminer, car on n'a jamais trouvé de corps ni d'autres indices significatifs). Veuillez-vous référer à l'addenda ci-joint pour plus d'informations.
SCP-100-IT semble posséder des capacités modérées d'altération de l'esprit et de génération d'anomalies statistiques qui rendraient son confinement impossible. Comme le confirment des interrogatoires ultérieurs, aucun témoin ne semble remarquer l'enlèvement en cours contrairement à ceux ayant connaissance de la nature anormale du SCP-100-IT. En outre, les circonstances des rencontres semblent varier suffisamment pour faire échouer toute tentative d'approche des entités, comme le fait de se manifester à une distance qui leur permet de disparaître avant d'être atteintes ou la présence récurrente d'obstacles (véhicules, personnes, etc.) qui bloquent le chemin ou la vue des agents. Cela suggère que SCP-100-IT est conscient d'être ciblé et peut provoquer des anomalies statistiques à proximité pour éviter d'être capturé.
La collecte d'informations sur les activités de SCP-100-IT avant le XIXe siècle a été difficile en raison du lien strict que l'anomalie semble avoir avec la période du carnaval. L'ancien carnaval vénitien avait une durée canonique de six semaines pendant lesquelles beaucoup profitaient des festivités pour accomplir des actes illégaux dans l'anonymat le plus complet. La longue période d'activité et le nombre élevé de délits non résolus empêcheraient donc l'émergence de schémas d'attaques récurrents.
Avec la chute de la République de Venise en 1797 par les troupes napoléoniennes (suivie de la cession à l'Autriche par le traité de Campo-Formio), les jours fériés ont été interdits par la loi, de peur qu'ils n'encouragent des soulèvements populaires. La période active du carnaval étant passé de deux à six semaines (afin de coïncider avec le carnaval catholique), les enlèvements ont commencé à être remarqués et documentés. Voici un court extrait, traduit de l'allemand, d'une lettre envoyée à l'empereur autrichien François Ier de Habsbourg en 1804 :
[…] À première vue, Venise semble soumise à l'aigle impérial. Les Vénitiens, privés de leurs traditions séculaires, réagissent avec hostilité à l'égard de nos administrateurs. Un exemple remarquable est celui des disparitions mystérieuses qui se produisent chaque année pendant le carnaval. Les rumeurs parlent d'individus qui, violant nos lois, parcourent les rues déguisés et il n'est pas exclu que ces faits soient liés aux activités de groupes indépendantistes clandestins. Nous conseillons donc de poursuivre la ligne de conduite adoptée jusqu'à présent en cachant toute trace de ces événements, afin d'éviter qu'ils n'inspirent des actes de nature révolutionnaire. […]
Après l'annexion de la Lombardie-Vénétie au nouveau Royaume d'Italie en 1861, les hommes de la RIDAI, soupçonnant la façon dont les disparitions se produisaient, furent les premiers à réaliser leur nature anormale, et furent donc les premiers témoins oculaires des enlèvements. Le personnel du site Serenissima fut chargé d'étudier l'anomalie (qui reçut la dénomination Nero-194[IDENTIFIANTS INCORRECTS] N. B. Merci d'adresser votre demande au directeur adjoint du site Plutone Bellini pour accéder aux archives de la RIDAI.), de dissimuler les traces de SCP-100-IT et d'essayer de le capturer jusqu'à la dissolution de l'institut en 1946.
Quand la Fondation a pris le relais de la RIDAI dans la mission de confinement de l'entité dénommée SCP-100-IT, elle a dû faire évoluer certaines méthodes inefficaces de ses prédécesseurs.
Des rumeurs non étouffées par l'institut ont donné naissance à un mythe local, le "Spetro Imascarà", un fantôme lié à la période du Carnaval. La SIR-I a alors entamé un processus de couverture, en discréditant ce mythe et en reléguant le "fantôme" au rang de simple légende urbaine.
Lorsqu'à la fin des années 70, la ville de Venise a décidé de restaurer le Carnaval, c'est la Fondation, par l'intermédiaire d'agents infiltrés, qui a poussé à la réalisation du projet, pour mieux dissimuler l'anomalie aux yeux du public. La SIR-I a assisté à toutes les éditions du Carnaval depuis 1979, bien que toutes les tentatives de confinement se soient invariablement soldées par des échecs.
Préambule : Les évènements suivants ont eu lieu à la fin des opérations de surveillance du SCP-100-IT en 2019. L'heure et le lieu de départ sont le 2 mars (8e jour du Carnaval) à 17h43, devant l'église de San Nicolò dei Mendicoli (secteur 100/DO).
Le rapport est constitué des enregistrements transmis en temps réel de la caméra pectorale cachée dans la veste de l'agent Marco Battaglia (se faisant passer pour un touriste masqué), en contact radio avec le poste de commandement du secteur par l'intermédiaire de l'agent Eugenia Manchi.
<Début de retranscription>
Agt. Manchi : À tous les agents du secteur DO est, dirigez-vous vers le secteur SP à partir du Pont de l'Académie ; l'humanoïde D a été repéré près du Palazzo Cavalli.
Agt. Battaglia : Eugenia, ici l'agent Battaglia. C'est le calme plat par ici. Si il y a besoin de renforts, je peux me rendre sur place. Arrivée prévue d'ici 10 minutes.
Agt. Manchi : Il ne vaut mieux pas, j'ai déjà envoyé deux agents de votre secteur ailleurs ; on a besoin de vous ici pour maintenir la surveillance.
Agt. Battaglia : Nos amis semblent très actifs aujourd'hui.
Agt. Manchi : N'est-ce pas ? J'ai remarqué aussi. Ils continuent d'apparaître et de disparaître à un rythme infernal. Si ils continuent comme ça, on va devoir appeler du renfort. Quelques unités de la SRI-II seraient très utiles.
Agt. Battaglia : Ils ont déjà perdu le contact avec l'humanoïde D, c'est ça ?
Agt. Manchi : Oui, mais comment pouvez-vous…
Agt. Battaglia : Parce que ce salopard est juste devant moi.
SCP-100-IT-D peut être vu sur la rive opposée du canal, en train de faire des acrobaties devant un groupe de touristes qui l'acclament.
Agt. Manchi : Mise à jour, 100-IT-D est réapparu au Rio delle Terese. Que les agents à proximité se dirigent immédiatement sur place.
L'Agent Battaglia enlève son masque, le range dans sa veste et se dirige vers le pont entre les deux rives, mais est ralenti par un groupe de passants qui lui bloquent la vue pendant quelques secondes. Une fois dégagé, il n'y a plus aucune trace de SCP-100-IT-D et les touristes se sont déjà dispersés.
Agt. Battaglia : Evidemment. Pas de précipitation Eugenia, il nous a encore échappé.
On entend une voix d'homme qui crie et appelle à l'aide. L'agent se retourne brusquement. Au bout de la rue, on aperçoit un instant les quatre entités entraînant un homme, juste avant de tourner au coin de la rue.
Agt. Manchi : Evènement X en cours ! À tous les secteurs, dirigez-vous d'urgence vers San Nicolò ! L'agent Battaglia a besoin de renfort !
L'agent se lance à la poursuite des entités. Au coin de la rue, il scrute les environs pendant quelques secondes avant d'être attiré par un nouvel appel à l'aide. A l'intérieur du canal, les humanoïdes A et D conduisent un canot en bois vers la lagune ; sur le même canot, les humanoïdes B et C maîtrisent l'homme qui crie. Un gondolier, inconscient de la situation, leur sourit et leur fait un signe de la main.
Agt. Manchi : Marco, nos hommes arrivent, mais les plus proches sont à huit minutes d'ici. Il semble que toutes les routes dans votre direction soient bouchées. Il faudra aussi un certain temps pour trouver un véhicule adapté. C'est la première fois que la 100-IT quitte la terre ferme.
Agt. Battaglia : [Hésite brièvement devant une gondole amarrée au bord du canal, puis entreprend de détacher l'aussière] Bon sang, à Venise, fais comme les Vénitiens…
Agt. Manchi : Nous avons au moins quatre plieurs de réalités capables de neutraliser un homme adulte. Êtes-vous sûr que c'est une bonne idée ?
Agt. Battaglia : Je suis armé et vous avez mes coordonnées, n'est-ce pas ? Où que j'aille, vous pourrez me retrouver facilement. Pour l'instant, la priorité est de ne pas perdre 100-IT de vue.
Agt. Manchi : Je ne peux pas dire le contraire. Maintenez une distance de sécurité jusqu'à ce que vous voyiez les renforts. N'engagez pas le combat, compris ?
Agt. Battaglia : Compris. [Rame dans la direction de SCP-100-IT]
Agt. Manchi : Bonne chance agent.
SCP-100-IT quitte le canal et entre dans la lagune, suivi par l'agent Battaglia. L'humanoïde B semble s'adresser à l'humanoïde A lorsque leur bateau accélère. Après quelques minutes, la distance entre l'agent et les entités a considérablement augmenté. Les cris de l'homme deviennent de plus en plus faibles.
Agt. Battaglia : Merde, je les perds ! Dites-moi que quelqu'un arrive avec un hors-bord ; un hélicoptère ne serait pas de refus non plus.
Agt. Manchi : Nous avons vos coordonnées, une équipe se dirige vers les docks du secteur SC.
Agt. Battaglia : Vous feriez mieux de leur dire de se dépêcher, le soleil est couché depuis longtemps, on y voit de moins en moins - et maintenant, ce foutu brouillard. Je vais perdre le contact visuel dans quelques minutes.
Agt. Manchi : Vous pensez que c'est de la faute de 100-IT ?
Agt. Battaglia : Le brouillard est courant à cette période de l'année, on en a déjà eu ces derniers jours. On ne peut pas vraiment l'exclure.
Le brouillard s'épaissit et, peu à peu, SCP-100-IT n'est plus visible.
Agt. Manchi : Continuez malgré tout, nous ne pouvons rien laisser au hasard, ils sont peut-être encore quelque part dans les parages.
Agt. Battaglia : Compris, mais il vaut mieux ne pas trop espérer. Il suffit qu’ils nous échappent une seconde et c'est comme s'ils n'avaient jamais existé, vous savez. Peut-être que cette fois-ci, ils voulaient juste jouer au chat et à la souris - [S'arrête] Oh …
Au milieu du brouillard, des lumières peuvent être aperçues, puis la forme d'un bâtiment. En regardant avec attention, le bâtiment s'avère être une maison en briques de deux étages située au centre d'une petite île, dont les lumières proviennent des fenêtres ; amarré à une jetée en bois se trouve le canot utilisé par le SCP-100-IT.
Agt. Battaglia : Je vois une maison au milieu de nulle part.
Agt. Manchi : Rien d'anormal, ces petites îles présentent peu d'intérêt pour l'administration, elles sont donc souvent achetées par des particuliers.
L'agent atteint le quai, descend de la gondole et attache l'aussière.
Agt. Manchi : Le renfort arrivera dans quelques minutes. Les ordres sont de se tenir prêt et d'attendre. Même si 100-IT est là, vous ne pouvez pas leur faire face seul.
Agt. Battaglia : Ce type n'a peut-être que quelques minutes… [Se dirige vers la maison]
Agt. Manchi : Marco…
Agt. Battaglia : Eugenia, je participe à ces opérations depuis que j'ai rejoint l'escouade. Chaque année, je vois ces saloperies entraîner des civils innocents et s'enfuir sous notre nez. Je ne vais pas rater cette occasion. Et si c’est à propos du capitaine, ne vous inquiétez pas. C'est ma décision, vous pouvez me mettre toute la responsabilité sur le dos.
Agt. Manchi : Si ça tourne mal, le capitaine sera le dernier de vos soucis.
L'agent s'approche prudemment d'une fenêtre et jette un coup d'œil à l'intérieur pendant quelques instants.
Agt. Battaglia : [Chuchote] Bon, on dirait une quelconque soirée privée. À en juger par la décoration, les hôtes doivent avoir beaucoup de fric à dépenser… Rideaux de soie, argenterie… Je cherche une entrée, vous avez ma position.
Agt. Manchi : Marco, vous savez que je ne peux pas vous laisser faire, s'il vous plaît… [L'agent Battaglia remet le masque et coupe son oreillette, rompant le contact radio. La caméra continue de transmettre des images]
Après une brève inspection, l'agent force la serrure d'une fenêtre avec son canif, puis s'engage dans un couloir vide. Au bout du couloir, il trouve une antichambre, puis une arche menant à la salle où se déroulent les festivités. Un homme est en train de jouer sur un orgue à tuyaux et aucune des personnes présentes, une trentaine d'hommes et de femmes masqués, ne semble remarquer le nouveau venu, qui se mêle à la foule. Pendant que l'agent traverse la pièce, le micro de la caméra pectorale enregistre des bribes de conversation, toutes en vénitien. Après avoir fini son inspection, l'agent se retire en faisant semblant de regarder par une fenêtre, puis réactive l'oreillette.
Agt. Manchi : [D'un ton agité] T'as perdu la tête ?!
Agt. Battaglia : [Chuchote] Non, Eugenia, laisse-moi parler. Cette maison… il y a quelque chose de bizarre. Il n'y a aucun appareil électronique, les meubles semblent venir tout droit d'un musée, ils utilisent des bougies pour s'éclairer, et je n'ai pas entendu une seule personne parlant italien. Ça tourne pas rond ici, ce ne sont pas justes des riches excentriques. Les renforts devraient déjà être là, n'est-ce pas ?
Agt. Manchi : Marco, écoute-moi… les renforts sont arrivés à tes coordonnées il y a quatre minutes. Le tracker n'a jamais cessé de fonctionner, ta caméra est toujours été active, mais… il n'y a aucune maison, aucune d'île ; il n'y a pas de brouillard non plus, juste le canal.
Agt. Battaglia : Comment est-ce possible ?
Agt. Manchi : Sors de là immédiatement, peut-être qu’en retournant au bateau et en revenant sur tes pas…
La musique s'arrête soudainement et tous les invités se tournent vers l'une des entrées de la salle, comme s'ils attendaient quelqu'un. Un homme habillé en domino, avec une cape rouge, marche vers le centre de la pièce, immédiatement suivi par SCP-100-IT. L'humanoïde B pousse un chariot sur lequel l'homme kidnappé est allongé, nu, bâillonné et attaché avec des cordes, le visage tordu par la peur.
Agt. Battaglia : Marco, sors de là ! Tout de suite !
L'agent Battaglia tente de se frayer un chemin jusqu'à la seule sortie non bloquée, qui se trouve derrière SCP-100-IT, de sorte que la caméra pectorale continue d'enregistrer la scène. D'un signe du domino, les invités enlèvent leurs masques. Tous les visages apparaissent marqués, couverts de bubons et de zones nécrotiques sombres. Les humanoïdes les plus proches se jettent sur le chariot et enfoncent leurs doigts dans la chair de l'homme, provoquant des lacérations sur son corps et son visage ; le bâillon est enlevé, et l'homme hurle d'agonie avant de s'évanouir sous le choc, tandis que les entités portent à leur bouche des lambeaux de peau et de muscle. Deux d'entre elles saisissent un bras et tirent jusqu'à ce qu'il se disloque, puis y enfoncent leurs dents. Des morceaux de viande passent de main en main, afin que tous puissent se nourrir.
Agt. Battaglia : [EXPLICITE] !
L'agent court vers la sortie, mais deux humanoïdes lui barrent la route. Il sort son arme de poing de sa veste, mais avant de pouvoir tirer, il est plaqué par derrière, désarmé et traîné au sol. On peut voir de multiples instances converger vers l'agent couché sur le dos, qui ne peut que crier et donner des coups de pied, avant d'être encerclé et maîtrisé. SCP-100-IT-C, démasqué, se penche sur l'agent Battaglia. Son teint est pâle, ses yeux verts et injectés de sang, le nez manquant, tandis que sa joue gauche est entièrement nécrosée, laissant apparaître les dents et l'intérieur de la bouche. SCP-100-IT-C pose une main sur la poitrine de l'agent, secouant la caméra pectorale. Puis, avec une force surhumaine, il resserre soudainement sa prise et plante ses ongles dans sa poitrine, déchirant les vêtements et la chair en dessous. L'agent Battaglia hurle de douleur et, alors que le sang commence à couler de ses blessures, les humanoïdes se jettent sur son corps. Dans la lutte, la caméra est endommagée et le contact vidéo est interrompu.
<Fin de retranscription>
Conclusion :
À l'arrivée des renforts, aucune trace de l'île indiquée dans les enregistrements n'a été trouvée, bien que les coordonnées correspondent sans aucun doute à la dernière position détectée de l'agent Battaglia. L'hypothèse la plus probable, selon les experts du Site Deus, est une distorsion spatiale, avec deux versions du même lieu coexistant sur deux plans de la réalité distincts.
La victime a été identifiée comme étant G██████ S█████████ (36 ans, marié, résidant à T██████, présent à Venise pour le carnaval). La SIR a mis en œuvre les procédures de couverture habituelles. L'agent Battaglia est porté disparu.
Note du Captaine Sara Giovanni (SIR-I) : Nous ne savons pas exactement pourquoi, par un retournement de situation sans précédent, l'agent Battaglia a pu suivre SCP-100-IT jusqu'au lieu de l'incident. Les entités n'ont jamais eu de problèmes pour effacer leurs traces donc je suis certaine que ce qui s'est passé était prémédité. Ces monstres nous ont donné un avertissement, nous faisant savoir ce qui arrive à leurs victimes et que nous ne sommes pas en sécurité non plus. Ou peut-être ont-ils décidé, pour la première fois depuis des années, de changer les règles, juste pour leur plaisir malsain. Aucune de ces perspectives n'est rassurante.
Note du Dr Niceto Livi (Coordinateur du CCB4) : Je rends mon avis d'expert à la demande du capitaine Giovanni. J'ai étudié les images qui m'ont été envoyées et, bien que nous ayons besoin d'un examen microbiologique pour confirmer, je pense pouvoir tirer des conclusions avec mon seul œil de médecin. L'infection qui semble toucher ces humanoïdes est quelque chose que nous n'avons pas connu en Europe depuis longtemps (à l'exception de la brèche de confinement de 052-IT en 1991). Je recommande une antibiothérapie prophylactique et une vaccination contre la Yersinia pestis pour les agents affectés à SCP-100-IT. On n'est jamais trop prudent.
Le lendemain de l'incident, de nouvelles investigations ont permis de découvrir à l'endroit en question, une masse à une profondeur d'environ 4 mètres semblable à une petite île submergée. Les gravats à la surface suggèrent que l'île abritait un bâtiment, et sous celui-ci les instruments ont détecté un environnement creux non occupé par l'eau, dont l'accès était situé dans une grotte sous-marine.
L'endroit a été baptisé locus-100/1 et une opération conjointe des SSM-II ("Legio Atlantidis") et SSM-VII ("Subterranea Materia") a été préparée. Vous trouverez ci-dessous un bref compte-rendu des événements de la mission.
Chefs de mission : Cpt. Elia Contadi de la SSM-VIII, Cpt. Basilio Aramini de la SSM-II.
Agents déployés : Giorgio Corradi, Eleonora Mazza et Giovanni Scilla de la SSM-VIII/γ.
Agents en soutien : Nino Flaviani, Aurelia Mancini et Matteo Rivoletti de la SSM-II/α.
Equipement spécial : 6 équipements de plongée sous-marine Vincenzi.
Objectif de mission : Exploration du locus-100/1.
La SSM-II/α assiste la SSM-VIII/γ dans la première phase de l'opération. Les six agents en équipement de plongée atteignent l'entrée de la grotte et, après quelques minutes, émergent dans un espace sec, où ils débouchent dans un tunnel étroit creusé dans la roche, vers l'intérieur du système souterrain. La SSM-VIII/γ retire son matériel de plongée pour équiper le matériel d'exploration spéléologique (transporté dans des sacs étanches). En tant qu'équipe de soutien, la SSM-II/α a reçu l'ordre de tenir sa position pour assurer une évacuation rapide en cas d'incident.
Après environ sept minutes, la SSM-VIII/γ arrive au bout du tunnel : sur la droite, ils trouvent un escalier ascendant taillé dans la pierre (qui devait autrefois mener à l'intérieur du bâtiment) et sur la gauche se trouve un autre tunnel ; après quelques marches, leur chemin est bloqué par un éboulement causé par l'effondrement des fondations de l'édifice. Le chemin à travers le deuxième tunnel est court mais exigu, à cause de la paroi pavée de petits blocs de forme irrégulière. Le long des murs, il y a plusieurs symboles sculptés, de plus en plus récurrents au fur et à mesure que l'on avance vers le centre de l'île. Un examen plus approfondi révèle que les blocs sont des vertèbres humaines.
Au bout du tunnel, les agents débouchent dans une grande grotte au plafond en forme de dôme, avec plusieurs ouvertures donnant sur des salles plus petites ; la grotte présente les mêmes symboles que précédemment, gravés sur toutes les parois, et contient un grand nombre d'ossements humains. Beaucoup de ces os font partie de l'architecture de la grotte, avec des crânes et des rotules incrustés dans la roche comme des carreaux de mosaïque ; certains sont assemblés pour former des structures plus complexes, comme des arches et de petits autels, et d'autres sont éparpillés sur le sol. Au centre de la grotte, il y a un puits d'environ six mètres de diamètre, rempli presque à ras bord de squelettes humains.
La médecine légale a permis d’identifier, grâce à des techniques de reconstitution faciale en 3D, une partie des (quasiment quatre cents) restes humains trouvés dans le locus-100/1 : les traits correspondent à ceux des victimes connues de SCP-100-IT (y compris l'agent Battaglia) et tous les squelettes présentent des signes de lésions traumatiques multiples, suggérant une mort violente. Les restes de l'agent ont été remis à sa famille pour les obsèques. La datation au carbone a permis d'établir que tous les décès se situaient autour du XVIIe siècle.
Ces données ne concordent pas avec les dates des enlèvements, réparties sur plusieurs siècles, d'autant que les crimes les plus récents devaient logiquement produire des restes mieux conservés. La distorsion précédemment supposée ne serait pas seulement spatiale mais également temporelle ; les meurtres auraient lieu dans une version de l'île à une date et un lieu extérieurs à notre réalité, mais toujours liés à elle dans une certaine mesure, permettant de renvoyer les cadavres au locus-100/1.
Dans l'une des chambres annexes du locus-100/1, une pile de vêtements a été trouvée ainsi que d'autres objets de la vie quotidienne datant de différentes époques, probablement retirés des corps des victimes après les enlèvements. Parmi eux se trouvait un sac en cuir contenant un seul document, qui contient des informations importantes sur l'origine de SCP-100-IT. L'auteur est un membre anonyme du Sérénissime Collège des Entités et Merveilles de la Commune (SCEMC), ainsi que l'une des premières victimes probables de l'anomalie.
Pour faciliter la lecture, le texte suivant a été traduit et adapté du vénitien du XVIIe siècle à l'italien par le Dr. Domenico Iriarte, chercheur chargé de la documentation relative au SCEMC au Site Plutone.
C'est d'une main tremblante et le cœur rempli de sentiments d'anticipation horribles que je grave mon témoignage dans cette encre. Je serai bientôt mort, mais la vertu d'un homme se mesure à la foi et l'engagement qu'il met dans le but pour lequel Dieu l'a placé sur cette Terre. Je suis un chroniqueur et, en tant que tel, je mourrai au service de la vérité. Si ces pages peuvent aider, un jour, à mettre fin aux horreurs impunies qui ensanglantent les rues de la Sérénissime, alors il est de mon devoir sacré de leur dédier mes derniers instants.
Je n'avais pas plus de vingt ans lorsque avec une plume et un encrier pour compagnons j'ai commencé à voyager avec les maùcarioli du Collège5. Tel un jeune Marco Polo, je me devais de consigner toutes les merveilles rencontrées au cours de nos pérégrinations, dont nous prenions possession afin d'accroître le prestige de la République, car les archives de Poveglia allaient bientôt s'enrichir de mes écrits. Rien ne m'échappait, des artefacts antiques déterrés sur les côtes égéennes, héritage de la sagesse millénaire hellénique, aux bizarreries bien plus exotiques qui nous attendaient au-delà du Bosphore, produits de la magie noire dont les mahométans gardent jalousement les secrets.
C'est au cours de l'été de l'Annus Domini 1625 que notre galère jeta l'ancre sur les quais de Constantinople, comme elle l'a fait à maintes reprises. Le sultan ne dédaignait pas, en effet, de commercer avec ceux qu'il considère comme des infidèles, du moins en période de paix. Tant que nous nous présentions sous l'apparence de simples marchands, nous étions assurés de pouvoir entrer en toute sécurité dans son domaine. Le bazar de la capitale ottomane est une source inépuisable de bonnes affaires pour les chasseurs de bizarreries. Loin des perchoirs habituels, dans des ruelles sombres où flotte une odeur d'encens, il est possible d'acheter des marchandises bien plus précieuses que des épices et des tissus, et c'est dans l'un de ces recoins que nous sommes entrés en possession d'une carte mystérieuse. Si j'avais su que les chemins qu'elle indiquait nous conduisaient à la ruine, je l'aurais jetée dans les flammes de l'enfer sans hésiter.
La carte comportait au verso un texte en grec, signé par un ecclésiastique ayant vécu à Kòrama6 il y a plusieurs siècles, bien avant que les sultans n'usurpent le siège du Basileus. Il parlait d'une colonie cachée dans les montagnes de Cappadoce, non loin de la ville de Nysse, habitée par des païens adeptes d'un démon aussi vieux que la Création elle-même, qui les avait liés à lui-même par le don de talents d'un autre monde. Ces sorciers, écrivait-on, possédaient le secret d'une existence beaucoup plus longue que la normale, épargnée par la maladie, et étaient capables de conjurer, par des rituels sanglants, des serviteurs rouges et difformes qui leur obéissaient comme des marionnettes.
Après discussion, nous décidâmes que cela valait la peine d'enquêter, même si nous ne savions pas si ce peuple vivait encore, ne serait-ce que pour mettre la main sur quelques précieux artefacts produits par cette étonnante magie. Pour l'expédition, le chef de notre compagnie, Sir Morosini, choisit cinq d'entre nous, dont moi, chargés de rapporter en détail ce que nous allions trouver. Comme nous avions besoin d'un guide indigène et que nous préférions de loin la compagnie d'un chrétien à celle d'un Turc, nous payâmes un Arménien pour nous accompagner car son peuple avait toujours été en bons termes avec la République.
Nous confiâmes la tête de l'expédition au Seigneur Lorenzo Falier, dont la courtoisie et l'élégance masquaient un caractère rusé et intrigant. Nous savions qu'il aspirait au poste de conseiller et qu'il nourrissait de la rancœur à l'égard de candidats plus méritants, y compris Morosini, raison pour laquelle ce dernier saisissait toutes les occasions pour le tenir à l'écart. Il y avait aussi Marino et Sebastiano, que leurs âmes reposent en paix, deux des maùcarioli les plus respectables que le Collège n’ait jamais comptés dans ses rangs, avec qui j’avais un lien d'amitié vieux de plusieurs années. Notre quintette était complété par Fosco Bernardi, marchand hors pair mais un homme très misérable, que beaucoup pensaient capable de vendre son âme même si cela ne lui avait rapporté qu'un maigre gain. Avec le recul, ce choix de mots me fait rire amèrement.
Nous atteignîmes notre destination après deux semaines et un jour d'escalade sur des falaises rocheuses escarpées. Ce que nous trouvâmes nous emplit d'une stupéfaction, d'un émerveillement mêlé de dégoût et de déception. Le village était bien réel, tout comme ses habitants, mais notre espoir de tomber sur une oasis de magie orientale s'était avéré être un mirage. Il s'agissait à peine d'un hameau, composé de maisons taillées dans la pierre comme il en existe d'autres dans la province, avec de la paille et de la laine brute à la place des marbres et des soieries fines auxquels nous nous attendions. Une horrible puanteur rappelant la viande avariée régnait dans l'air à côté de laquelle l'odeur des marais de la lagune ressemblait à une brise printanière. Les indigènes étaient une bande de vieux hommes et femmes à moitié nus, accompagnés d'un petit troupeau de moutons décharnés. Les plaies sur leur peau olivâtre et ridée laissaient deviner les épidémies passées qui n'avaient apparemment pas pu mettre un terme à ces existences misérables. À en juger par ce que nous avions sous les yeux, la longévité dont on les disait dotés ressemblait plus à une malédiction qu'à une bénédiction.
Nous fûmes accueillis par un vieil homme inquiétant, d'un âge indéfinissable, qui se présenta à nous en tant que prêtre du village. L'homme parlait une langue étrange, mais lorsqu'il se rendit compte que nous ne le comprenions pas, il continua dans ce que nous avons reconnu comme un dialecte grec, mélangé à plusieurs mots inconnus. La plupart d'entre nous connaissaient le grec, soit par l'étude, soit par nécessité, et nous réussîmes à communiquer sans trop de difficultés. Lorsque nous nous présentâmes comme de simples voyageurs, le vieil homme ne remit pas en question notre histoire et, étrangement, ne sembla pas désireux d'en savoir plus sur ceux qui étaient - sans aucun doute - les premiers étrangers qu'il avait vus depuis si longtemps que seul le Ciel sait combien. Une visite du village confirma qu'il n'y avait aucune trace d'un quelconque prodige et que le seul signe d'activité religieuse était un petit autel sacrificiel, couvert d'os de moutons brûlés. Finalement, nous décidâmes de partir le lendemain.
Le prêtre nous invita à passer la nuit chez lui, à partager le dîner et à l'écouter raconter les histoires de son peuple. À vrai dire, nous ressentions un certain malaise en présence de cet homme qui, bien qu'apparemment réfléchi, avait un regard si sinistre et des traits si grotesques qu'ils lui ôtaient toute humanité. Poussés par la nécessité et la curiosité, nous acceptâmes cependant avec plaisir.
Le repas était plutôt maigre mais les histoires du vieil homme étaient au moins divertissantes. Elles parlaient d'un ancien prophète, d'un roi sorcier né esclave qui, dans un passé lointain, avait libéré son peuple de la tyrannie d'une race démoniaque. Elles parlaient de guerres menées contre des géants en armure, dont l'esprit était vide et le cœur ne battait pas. Elles parlaient d'une ville, leur patrie, dont il ne restait que de la poussière. C'était leur passé, mais leur présent les dispersait aux quatre coins de la Terre, obligés de célébrer leurs rites en secret, craignant que les géants ne reviennent et ne les exterminent. Le prophète avait été clair et, des salles où il conférait avec leur dieu au nom imprononçable, avait sorti une promesse, que je vais tenter de traduire. "Tant que le sang coulera dans les veines comme du vin, tant que des troupeaux d'hommes s'engraisseront sur les pâturages de la Terre, tant que la chaleur de la chair sera capable de briser les chaînes froides de la raison, alors Son peuple ne souffrira pas de la faim." Ce n'est que maintenant que les échos de ces paroles ont atteint des rivages plus civilisés que je comprends le sens de cette prophétie impie.
Le vieil homme poursuivit en décrivant les préceptes de cette foi barbare. Il nous dit que leur dieu encourageait ses adeptes à s'adonner à tous les plaisirs terrestres et que même les pulsions les plus basses méritaient d'être satisfaites. Seuls ceux qui n'avaient aucun remords étaient jugés dignes de participer à leurs rites car ils faisaient bon usage des dons divins et les exploitaient pour assouvir leurs appétits et soumettre les faibles et ceux qui ne le méritaient pas. Nous étions tous horrifiés par ces enseignements sataniques, à l'exception de Bernardi, qui semblait très intéressé.
Cette nuit-là, après avoir enfin trouvé le sommeil, mes cauchemars étaient remplis d'horribles visions. D'épouvantables chimères à la chair rouge vif, des paysages infernaux où le rythme des tambours accompagnait des scènes de perdition et de violence inouïes, des crânes aux lambeaux de peau encore attachés qui plantaient leurs dents dans les corps d'âmes sans défense. Et, au milieu de ce pandémonium, le vieux prêtre, un rictus diabolique déformant son visage, récitant d'anciennes litanies gutturales.
Je me sentais très soulagé le lendemain lorsque nous quittâmes ce village oublié de Dieu. Je fus surpris de constater que Bernardi, le seul qui ne semblait pas du tout troublé par cet endroit, était aussi le plus impatient de partir, à tel point qu'il était déjà debout alors que le reste d'entre nous venait à peine de se réveiller. Ces faits, maintenant que je sais ce que je sais, prennent une toute autre signification mais à ce moment-là, je n'avais même pas remarqué que son sac était plus lourd qu'à notre arrivée.
Même si cette expérience m'avait troublé, le village n'était certainement pas l'une des choses les plus bizarres que j'aie jamais vues. Je l'ai donc rapidement oubliée. Après cela, je passais deux autres années au service du Collège avant de décider que j'en avais fini avec la vie d'aventurier. En tant que patricien et homme de lettres, chaudement recommandé par les dirigeants de l'Académie Popilienne, il ne me fut pas difficile de trouver un emploi calme et bien rémunéré dans les bureaux du Palais des Doges. Cependant, il m'arrivait souvent de retrouver Sebastiano et Marino à leur retour de voyage, et nous passions alors des nuits entières à échanger toutes les nouvelles du monde entier. Ils me divertissaient avec des histoires sur les artefacts étonnants qu'ils récupéraient de port en port, tandis que je les tenais au courant des intrigues fascinantes de la ville que seuls les naïfs appelaient avec sérieux la Très Sérénissime.
Il y avait un sujet en particulier qui était sur toutes les lèvres et ce sujet n'était autre que Fosco Bernardi. Le marchand avait quitté le Collège peu de temps après notre expédition en Cappadoce, annonçant qu'il préférait s'engager dans d'autres types de commerce, s'occupant de marchandises plus conventionnelles, ce qui s'était avéré beaucoup plus rentable pour lui. Il avait investi dans de nombreux secteurs, du textile à la verrerie, de l'industrie du bâtiment à celle de la construction navale. Depuis lors, son ascension avait été constante et incontestée. Tel le roi Midas, tout ce qu'il touchait se transformait en or, sous forme de ducats qui s'accumulaient dans ses poches. Le mystère restait entier sur la manière dont il parvenait toujours à trouver la meilleure affaire, que ce soit par hasard ou par un esprit inné resté en sommeil pendant des années.
Son prestige grandissait en même temps que ses revenus. Il était presque comique de voir des patriciens et des notables qui, dans le passé ne l'auraient pas regardé d'un œil, mendier des miettes à sa table. Cependant, personne ne pouvait battre Lorenzo Falier concernant la servilité. Le marchand et le noble semblaient avoir développé un lien très étroit et on les voyait souvent ensemble, discutant d'on ne sait quels sujets obscurs. La chance avait également aidé Falier, mais dans des circonstances plus désagréables. La moitié du Conseil du Collège avait péri lorsque Morosini, nouvellement nommé, avait contracté une terrible maladie, infectant tous les autres. Cette maladie, différente de toutes les affections connues, se manifestait par une série de gangrènes qui pulsaient comme si elles avaient une vie propre et finissaient en peu de temps par recouvrir tout le corps du patient. Faute de mieux, Falier réalisa donc son rêve de devenir conseiller municipal.
Bernardi décida de se construire une résidence digne de son rang, qu'il érigea sur la Centenaria7, une petite île au large de la Giudecca, qu'il remplit de mobilier coûteux et de produits de luxe en tous genres. Il accueillit également sa sœur aînée, une femme réputée pour sa beauté déjà dans son troisième veuvage. D'étranges rumeurs circulaient sur la mort de ses maris, rien de vérifiable, mais suffisamment pour décourager les prétendants les plus assidus, qui fuyaient ses yeux verts et froids comme des émeraudes. Avec sa sœur vint son neveu, le fils de son premier mari, un jeune homme aussi idiot que pervers. Tout le monde se souvient de la fois où, déguisé en femme, il s'était introduit dans un couvent avec l'intention malsaine de s'en prendre aux jeunes nonnes.
Bien qu'essayant de passer pour un gentilhomme, Bernardi restait un homme grossier, esclave de ses instincts, et ni le velours ni l'argent ne parvenaient à dissimuler sa grossièreté. L'homme se voyait comme un monarque et, preuve supplémentaire de sa misère, il engagea comme bouffon un acrobate ivrogne qui le suivait comme un chien et agaçait tout le monde par ses pitreries. Il n'y avait aucun excès auquel le marchand ne voulut se livrer et qui lui était hors d'atteinte financièrement. Il passait ses nuits dans les tavernes, les bordels et les tripots, en compagnie d'une foule de ses pairs sordides, à tel point qu'on se demandait comment il pouvait garder l’esprit assez clair pour tirer profit de ses activités.
Puis arriva 1630, l'une des années les plus tristes de l'histoire de la République. Lorsque nous accueillîmes les ambassadeurs du duc Gonzague, que nous soutenions dans ses prétentions au trône de Mantoue, en plus des nouvelles sur le cours de la guerre, ils apportèrent avec eux des nouvelles beaucoup plus désagréables. La peste fît ses premières victimes au cours de l'été, mais en novembre, les morts se comptaient déjà par milliers. Les commissaires nommés par le Doge travaillaient d'arrache-pied pour réduire la contagion. Le Vieux Lazaret fût bientôt rempli de malades et même de nombreux bien portants furent placés en isolement par prudence. Des tonnes de cadavres, parfois même jetés par les fenêtres, continuaient de s'entasser dans les rues ou flottaient misérablement dans les canaux. Dans ces conditions, personne ne s'étonna que le carnaval soit annulé et que les seuls masques disponibles soient ceux à long bec des médecins.
Pourtant, des rumeurs inquiétantes commencèrent à se répandre. Des rumeurs d'individus masqués qui erraient dans les rues la nuit, toujours décrits en train de traîner les corps. Pour éviter la panique, notre gouvernement fît croire qu'il s'agissait de porteurs de cadavres désignés. Mais une commission, dont je faisais partie, fût secrètement mise en place car ces individus qui se promenaient en volant des cadavres étaient non seulement un signe de sinistres desseins, mais aussi un risque pour la santé publique. Pour aider à l'enquête, un groupe de quelques agents de confiance fût formé et je recommandai Marino et Sebastiano, dont la compétence et la discrétion me semblaient incontestables, puisque même les expéditions pour le compte du Collège avaient été suspendues.
C'est Sebastiano qui surprit un soir un mattaccino transportant le corps sans vie d'une jeune fille dans une ruelle, dans un but que je n'ose imaginer. En le démasquant, nous découvrîmes qu'il était le bouffon de Bernardi. Même après une heure de torture, le simplet continuait à rire comme un fou ; il disait que le mardi gras était arrivé et qu'il fallait se remplir l'estomac avant le carême, mais qu'il y avait de la viande en abondance pour ceux qui étaient prêts à chercher dans la boue des porcheries.
Nous sommes allés au Centenaria pour interroger Bernardi. Les chants et les cris laissaient penser que l'épidémie n'avait pas empêché le marchand de s'adonner à ses réjouissances. Mais lorsque nous entrâmes, le spectacle qui s'offrait à nous dépassait nos pires attentes. Un buffet somptueux avait été dressé, mais ce n'est pas sur des chapons ou des côtelettes de mouton que les convives se jetaient comme des bêtes affamées, tachant leur menton et leurs vêtements de jus rouge.
Des bras, des tibias et des entrailles avaient été déposés sur des assiettes en porcelaine fine, ainsi que d'autres parties du corps inavouables, tandis que la moitié d'une poitrine humaine rôtissait lugubrement, empalée sur une broche. Les invités se composaient de la cour de parasites, de proxénètes et de prostituées dont Bernardi s'était entouré, déguisés comme il se doit à cette époque de l'année. Assis à côté de l'hôte, enveloppé dans un manteau rouge, il y avait le perfide Falier, le visage enfoui dans un tas d'intestins, et sa sœur apathique, occupée à dévorer une tête qu'elle tenait sur ses genoux avec une tendresse presque maternelle. Au sol, le maléfique neveu, vêtu d'une robe à fleurs, mordait sauvagement ce qui semblait être le sein d'une femme. Un détail rendait le tout encore plus épouvantable. Les viandes et les convives étaient couverts de bubons.
Les pendaisons eurent eu lieu en secret, notamment parce que des membres du patriciat étaient impliqués. Le manoir fut incendié et démoli. On annonça au public qu'un accident domestique avait provoqué un incendie et tué tous les occupants. Bernardi, aidé par on ne sait quelle force démoniaque, passa près de deux heures à se tordre, le visage empourpré, avant d'expirer, alors que son cou avait déjà été brisé par le nœud coulant. Sa gorge était encore capable de vomir des blasphèmes et des insultes, invoquant les forces de l'enfer pour anéantir ses bourreaux. Yaldabaoth, Ion, Klavigar, Ikunaan, Adytum, autant de noms que je connaissais pour les avoir déjà entendus dans le passé de la bouche du vieux prêtre. Fosco Bernardi quitta son existence mortelle avec une malédiction et, une fois de plus, je fus atteint par les échos de mots familiers. Tant que des troupeaux d'hommes s'engraisseront sur les pâturages de la Terre, alors Son peuple ne souffrira pas de la faim.
En novembre 1631, la peste avait été complètement éradiquée, mais je n'étais pas d'humeur à participer aux festivités. Les horreurs auxquelles j'avais assisté m’avaient pris une partie de mon âme, que je savais désormais souillée et destinée à l'enfer pour le simple fait d'avoir été le témoin impuissant d'une telle cruauté. Je me consolais à peine en sachant que Bernardi et sa pléthore de cannibales inhumains, pervers et trois fois maudits ne souilleraient plus Venise de leur présence. Mais hélas, il est des sorcelleries capables de laisser sur ce monde des blessures si profondes qu'elles en manifestent les effets même lorsqu'en apparence il n'en reste plus aucune trace.
Carnaval 1631, Marino revenait d'une taverne. Depuis cette nuit infâme, il tentait de chasser ces affreux souvenirs en les noyant dans le vin et l'homme à l'esprit vif que j'avais connu avait laissé place à un fantôme chancelant. Jamais il ne rentra chez lui. Le dernier à l'avoir vu déclara qu'il était parti, ivre, avec une femme masquée et vêtue de noir. Carnaval 1632, c'est au milieu de la nuit que Sebastiano frappa à ma porte comme un fou. L'homme le plus intrépide que j'aie jamais connu m'avoua qu'après les événements de la Centenaria la simple vue d'un masque le remplissait de terreur. Il me disait qu'il perdait la tête, qu'il voyait des ombres aux visages cachés le traquer et le fixer depuis les fenêtres, qu'il s'était effondré en larmes après avoir entendu un miaulement devant sa porte. Ce fût la dernière fois que je le vis.
Certains mystères ne méritent que l'oubli. Mais nous, avides de connaissances, ne le savions pas quand il y a sept ans nous nous sommes lancés sur les traces du village. Le prêtre avait vu en Bernardi l'émissaire parfait pour empoisonner à nouveau le monde avec les graines d'un mal ancien et, durant ma nuit hantée par les cauchemars, il avait partagé avec lui des secrets inavouables. L'âme du marchand avait été cédée au Diable, troquée contre l'or et la richesse, le transformant en une bête affamée de la chair de ses semblables. De même, en échange d'une mince part de chance ou de pouvoir, d'autres consciences furent également trompées.
Je sais qu'il ne me reste plus beaucoup de temps à vivre et que bientôt je retrouverai mes amis. Je suis maintenant sûr que la malédiction lancée par Bernardi sur la potence était plus qu'une menace creuse et que le pacte satanique qui fut conclu dans ces montagnes ne s'est pas terminé avec sa mort. J'accepte mon destin, je remettrai bientôt ces pages au Collège dans l'espoir qu'un jour la malédiction sera brisée mais je dois me dépêcher. Des ombres silencieuses aux visages blancs et immobiles suivent mes pas même quand je me crois seul et, quand tout est calme, je peux entendre de la musique, des chants et des cris portés par les eaux de la lagune. Que le Seigneur ait pitié de mon âme, c'est bientôt le Carnaval.
À la lumière de ces révélations, la Section de recherche et de développement ésotérique et thaumaturgique a été chargée de mener des études approfondies sur les anomalies liées aux cultes sarkiques, en espérant que cela permettra de mettre en place une procédure de confinement définitive dans un avenir prochain. En attendant de nouvelles évolutions, SCP-100-IT doit être considéré comme non confiné.
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