Retournement de situation

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Une salle à manger, un jeudi soir.

"Hé !

— Ouais ?

— Et si la Fondation est menacée par une bombe atomique ?

— Y'a personne qui lance des bombes comme ça…

— Oui, mais et si c'était le cas ? Tu crois pas qu'on devrait leur créer une espèce de protection ?

— Non, on ne retiendra pas ton idée de pointeur laser à impulsion thermoélectrique.

— Mais heu… C'est pourtant une super idée !

— Oui mais non. En plus EDF vient de nous prévenir, on consomme 8 fois plus que nos voisins, ils commencent à trouver ça suspect.

— Et alors ?! C'est pas comme si on n'avait pas déjà créé une batterie infinie !

— Ouais mais… Là, c'était un coup de chance. Et puis elle a explosé.

— Moui… N'empêche, un jour on en reparlera de mon idée !

— Sûr sûr… En attendant, t'as pas tort. Il leur faudrait un truc qui pourrait les protéger de… Disons quelque chose de plus petit… Un tremblement de terre. Ouais, un tremblement de terre. Tu te rends compte si toutes leurs cellules s'effondrent ?

— T'as raison, c'est déjà plus facile. Mais on fait comment ?

— Ça, on en discutera avec les autres demain. P'têtre que Gégé aura une idée ?


Le Dr Pontaichet était heureux.
Alors qu'il pensait être condamné à ranger et étiqueter des artéfacts anormaux sans importance, voilà qu'il avait brusquement été propulsé au titre honorable de chercheur junior. Il ignorait totalement l'utilité de son nouveau statut, mais il était content de ne plus avoir à regarder des visages mornes lui apporter des babioles inutiles qui cependant défiaient les lois de la physique.

Sa nouvelle accréditation en poche, le sourire aux lèvres, les poches remplies de ses premières missives en provenance de l'administration, il se dirigea gaiement vers le bureau de son tuteur, ou en l'occurrence sa tutrice, afin qu'elle l'initie aux secrets de son nouveau métier.

Arrivé devant la porte, il inspira un grand coup, vérifia une énième fois s'il était bien coiffé, afficha son plus beau sourire et entra.

La pièce faisait vide, même pour un bureau de scientifique. Une table, un vieil ordinateur, deux chaises, une plante défraîchie dans un coin et une horloge accrochée au mur dont le tic-tac provoquait un étrange stress. Cette vision refroidit légèrement son ardeur, mais il se rassura : sa tutrice était sûrement très sérieuse.

D'ailleurs, la personne qui était censée le prendre en charge, le guider vers les plus hautes sphères de la Fondation, le conseiller, le rassurer dans ses échecs et l'accompagner dans ses victoires, eh bien cette personne ne l'avait pas vu entrer.

Elle continuait à écrire, le nez penché sur son dossier. On entendait uniquement son stylo à bille qui crissait sur la feuille. Pas une réaction, pas un geste de bienvenue, pas une parole. Rien. Nada. Le Dr Pontaichet se sentit presque insulté par cette absence de réaction. Mais une petite voix lui susurra dans un coin de sa tête :

"Allons allons… Elle ne sait sûrement pas s'y prendre avec les nouveaux venus… Comme toi tu n'y connais rien à ton travail… Il suffit de briser la glace, et vous mettrez en place une espèce d'échange : toi, tu la décoinces un peu, et elle, elle te donne les conseils nécessaires à ta progression… Rien de bien compliqué…"

Ces quelques paroles lui remontèrent le moral à bloc. Il faisait toujours confiance à son optimisme. Il engagea la conversation :

"Bonjour !"

Il reçut en pleine face un mouvement de l'air se déplaçant d'une zone de hautes pressions vers une zone de basses pressions, qu'on appelle communément "vent". Il ne recula pas.

"Je suis le docteur Pontaichet ! Votre nouvel assistant !"

L'intéressée leva avec lenteur la tête. On l'aurait presque entendue grincer. Puis elle la rabaissa pour se remettre à travailler, non sans lâcher d'une voix plus aigre que du vinaigre non dilué :

"Bonjour."

Considérant que cette brève parole cachait l'enthousiasme profond qu'avait sa nouvelle tutrice sur sa présence, il continua de plus belle :

"Sachez, avant de commencer, que je suis vraiment très content d'avoir été accepté comme assistant d'une docteur aussi renommée à travers la Fondation !

— …

— Donc, je vais tout de suite commencer à vous aider dans votre noble tâche !

— …

— J'ai déjà des messages écrits en provenance d'autres départements, vu qu'il semble que vous ne consultiez pas très souvent vos mails, ils s'arrachent votre talent !

— Hmm hmm…"

Face à ce premier contact, qu'il considérait comme concluant, il sortit de sa blouse une liasse de lettres, notes et autres papiers.

"Alors nous avons un message de la part de l'équipe en charge de SCP-097-FR. Il semblerait qu'ils aient découvert quelque chose à propos de la "zone noire".

— …

— Ensuite… Ah, on vous demande votre avis quant à une nouvelle série de tests sur SCP-076-FR.

— …

— Eeeet… Un artéfact bizarre découvert. C'est étrange qu'on demande votre aide pour un si petit truc !

— …

— Attendez… Oh, je vois ! C'est parce que vous connaissez le sujet ! "L'Amicale des Amateurs de l'Anormal"."

Le stylo se brisa net. Le Dr Merkeslet releva lentement la tête et fixa son nouvel assistant.

"Qu'est-ce que vous avez dit ?"

Devant cette profusion de paroles, le Dr Pontaichet continua sur cette voie, sûr que ce sujet devait passionner sa tutrice pour qu'elle y trouve un quelconque intérêt :

"L'Amicale des Amateurs de l'Anormal, vous connaissez ?"

Elle serra sa main si fort que les débris de son stylo s'éparpillèrent, et en profita pour lancer un regard digne d'un contribuable auquel on annoncerait qu'il n'a pas payé ses factures. Le jeune chercheur hésita :

"J'ai fait une bêtise ?"

Le Dr Merkeslet se leva subitement et s'approcha dangereusement de son nouvel assistant.

"OÙ ÇA ?

— Que… Je… Quoi ?

— Le truc qu'ils ont découvert, ils l'ont mis où ?

— En rapport avec "l'Amicale des Amateurs de l'Anormal" ?

— ÉVIDEMMENT !

— Alors c'est… Hey, mais je me rappelle ! Vous étiez venue me voir une fois, alors que j'étais encore seulement au guichet de l'entrepôt n°5 ! Du coup on se connaît !

— Ce n'est pas le moment. Menez-moi à cet artéfact !

— Très bien, très bien."


Elle avait mis seulement trois minutes pour arriver à l'entrepôt n°5. Ce qui était, pour un site de la taille d'Aleph, quelque chose d'assez remarquable, vu qu'il fallait, afin de gagner le maximum de temps, prendre une navette qui était toujours bondée, traverser des couloirs infinis, prendre des ascenseurs peu rapides, passer près du terrain d'entraînement et surtout, ne pas se perdre.

Et elle était venue à pied.

Enfin pas vraiment. Elle avait intercepté un type qui passait dans le couloirs et lui avait pris son segway.

Quant au Dr Pontaichet, il était resté immobile quelques secondes, avant que son cerveau réalise que sa tutrice était partie. Il se mit donc à trottiner calmement.


"Bonjour.

— Heu… Oui, que puis-je faire pour vous ?

— Je suis le Dr Merkeslet.

— Aaah ! Je vous attendais. Troisième porte à votre droite, deuxième couloir et ce sera sur la gauche."

Le Dr Merkeslet aimait ce genre de personne. Efficace, rapide, directe. Pas de fioritures, ni de ralentissement. Pas comme celui qui l'avait accueillie la première fois. D'ailleurs, où était-il passé ? Elle ne tenait surtout pas à le croiser.

Après quelques détours, elle arriva enfin devant l'artéfact si mystérieux. Avec un sourire, elle présenta son autorisation, prit l'engin et fit demi-tour.


Le Dr Pontaichet arriva quelques minutes plus tard. Essoufflé, il s'adossa le long d'un mur afin de ne pas tomber. Après plusieurs grandes inspirations, il décida enfin à s'avancer jusqu'au guichet.

"Hey ! Arthur ! Tu es revenu ? T'as déjà été renvoyé ?

— Très drôle Damien. Tu es content d'avoir pris mon poste ?

— Et comment ! Tant que je n'ai pas à me fracasser le dos toute la journée pour déplacer des trucs inutiles, n'importe quel poste me convient. Surtout le tien, ton siège est très confortable !

— Dis, t'aurais pas vu ma tutrice ? Le Dr Merkeslet. Elle a dû passer par là.

— T'arrives trop tard ! Elle est déjà repartie.

— Mince ! Et tu saurais où elle est allée ?

— Aucune idée. Mais elle portait le truc bizarre que les gars ont trouvé."

Le Dr Pontaichet remercia son collègue, et ressortit du bâtiment. Sa tutrice avait sûrement dû aller étudier l'artéfact en question. Il soupira : encore tout le site à traverser…


Le Dr Merkeslet jubilait.

Enfin. Après des semaines et des semaines de frustration, elle avait enfin une nouvelle piste sur le groupe d'aficionados de l'anormal. Si elle avait de la chance, elle pourrait accumuler plus d'informations sur ce ramassis d'idiots, qui avaient osé lui faire perdre son temps en lui envoyant un engin totalement inutile, défectueux et qui avait été fabriqué à partir de matériaux trouvés par terre. Lui faire perdre son temps, à elle ! Une des plus grandes spécialistes de la Fondation sur le sujet ! Des inconscients. Ils allaient le regretter…

Elle lut la lettre qui accompagnait l'artéfact. Pas de dangers mémétiques, ni de structures grammaticales alambiquées, et encore moins de subtilité.

Bonjour !

Nous sommes l'Amicale des Amateurs de l'Anormal.

L'autre jour, on se demandait comment protéger efficacement vos cellules d'un tremblement de terre. Pour pas qu'elles se brisent, et que tout ce que vous avez capturé s'échappe.
Donc, avec notre fine équipe, nous avons réfléchi et en fait, ben c'est tout con.
Qu'est-ce qu'un tremblement de terre ? C'est le sol qui bouge. Donc il y a de l'énergie libérée. Donc pour pas que la terre bouge, il faut capturer cette énergie.

C'est là qu'on rentre dans la partie technique. Ce que vous voyez n'est pas qu'un simple pieu. C'est une espèce de passage transespaciel directement relié à du néant. Ouais, du néant, genre le vide, mais avec encore moins de trucs. Donc, lorsque le terre commence à trembler, il y a un pendule très précis à l'intérieur, qui lorsqu'il bouge, va tout de suite ouvrir un tro-u vers ce néant. Évidemment, tout ne va pas être aspiré, ce n'est que l'énergie de très forts mouvements qui sera expurgée de la zone (une sphère d'environ 200m de rayon) par un processus de vide-dévide, couplé à une bonne dose de siphonnage thermo-pulsateur.
Il suffit donc de le planter bien droit dans le sol, et tout devrait bien se passer.

Faites-nous confiance.

À une prochaine fois !

Le même charabia, la même écriture pas très droite, et surtout le même sentiment de se faire avoir. Pas de doute, c'était encore eux. Ils avaient récidivé.

Elle inspira un grand coup et se tourna vers l'objet en question. Un long objet cylindrique et métallique d'une trentaine de centimètres. Rien d'autre. Pas de boutons ni de diodes.

Bon, cette fois la lettre avait été un petit peu plus intelligible. Ce truc était censé empêcher les tremblements de terre.

"Arf… Pfiou… Excusez-moi ! Je… Il y avait beaucoup de… Arf… Monde dans la navette donc j'ai loupé… Mon arrêt, et j'ai couru… Comme un malade pour rentrer…

— Mais vous êtes qui ?"

Cette phrase décontenança complètement le Dr Pontaichet. Il écarquilla les yeux, lâcha son accréditation et sa main dérapa du mur sur lequel il s'était appuyé. Comment ?! Lui, son élève, de certes pas longtemps, mais son élève quand même ! Comment pouvait-elle ne pas le reconnaître ?!

"Ah si !"

Cette interjection reconstitua le peu d'espoir que le Dr Pontaichet gardait.

"Vous êtes le type de l’entrepôt n°5. Il y a quelques semaines. Avec… Mais qu'est-ce que vous faites là ?

— Ben… Je… Je suis votre assistant ! Depuis 14h12 !

— Bon, qu'est-ce qu'on va faire de vous ?

— Qui… Que… Moi ?

— Évidemment.

— Je peux pas rester votre assistant ?

— Non.

— Mais je pourrais vous être utile !

— Non plus.

— Alors… Alors… Pourquoi ce papier certifie que vous êtes ma tutrice ?"

Il lui tendit la feuille, qu'elle s'empressa de lire. Tout y était, les signatures, les coups de tampons, et même un post-scriptum qui lui était personnellement dédié. Il était son assistant, qu'elle le veuille ou non.

Avec le maximum de déni qu'elle pouvait mettre dans ses yeux, elle le regarda pendant quelques secondes avant de décréter :

"Mouais."

Ce simple mot suffit à rendre le sourire au Dr Pontaichet.

"Cependant !"

Les paroles étaient menaçantes, teintées de tant de perfidie que même Kaa ne les aurait pas mieux sifflées.

"Vous suivez scrupuleusement mes ordres, c'est compris ?"

Son assistant hocha la tête. Elle soupira. Bon, après tout, ça lui ferait peut-être quelqu'un pour aller chercher le café.


Une petite demi-heure plus tard, son analyse était terminée. Elle avait affaire à un simple tube en PVC, dont l'une des extrémités était bouchée par un solide couvercle de bocal à cornichons, et l'autre avait été fondue et modelée de sorte à former un bout vaguement pointu. Elle n'avait pas osé l'ouvrir, de peur de libérer ce néant cité dans la lettre. Rien d'anormal en somme. Et c'est ça qui l'énervait : un assemblage de matériaux de récupération, digne d'une sculpture de gamin, qui pourtant brisait les lois de la physique. Et ce chef-d’œuvre était fabriqué par un groupe de personnes qui n'avait sûrement jamais eu de quelconque doctorat, et surtout qui la prenait pour une débile à travers ses lettres. Elle brisa un deuxième stylo suite à ces pensées.

L'analyse extérieure était finie, et les tests pouvaient commencer. Elle se sentait assez sûre de l'incompétence de ces personnes pour ne pas avoir à risquer grand chose en l'essayant elle-même. Cependant, cette présence de néant ne la rassurait pas.

Il lui fallait un cobaye.

Elle se dirigea vers l'ordinateur pour envoyer un mail à l'administration, puis se retint. Le Comité d’Éthique n'accepterait jamais de lui envoyer un Classe-D alors qu'elle ne connaissait même pas les limites de cet objet. D'autant plus que cela mettrait du temps. Temps qu'elle ne possédait pas pour un test préliminaire. Il lui fallait un cobaye, maintenant.

"Dites heu… Larb… Assistant.

— Oui, qu'y a-t-il ?

— Vous voulez m'aider ?

— Mais je suis là pour ça ! D'ailleurs, je…

— Très bien. Prenez l'artéfact. Délicatement s'il-vous-plaît."


"On est où là ?

— Ne vous occupez pas de ça. Et laissez ce pot, il ne vous a rien fait.

— Et je fais quoi ? Je ne peux pas utiliser l'artéfact !

— Vous n'aurez pas à l'utiliser, laissez-le planté là où il est. Tout ce que vous avez à faire est de décrire ce que vous ressentez quand je dirai "top". C'est clair ?

— Oui oui, mais…

— C'est parti."

Elle activa le simulateur de tremblements de terre, un engin qui servait avant tout à entraîner le personnel à faire face à des catastrophes d'ordre naturel ou pas. Elle outrepassait une bonne dizaine de règles en expérimentant ainsi : aucune mesure de sécurité, personne d'averti, pas d'appareils de mesure… Mais elle voulait en finir le plus vite possible avec cet artéfact. Ce groupe d'amateurs de l'anormal ne lui ferait pas perdre une minute de plus aujourd'hui.

"Ça tangue un peu, c'est normal ?"

Bien sûr que non. Rien n'était normal ici. Pourquoi se posait-il encore cette question ? Il était arrivé la veille ou quoi ?

"Tout va très bien. Restez où vous êtes."

Le Dr Pontaichet jeta un regard inquiet vers sa tutrice, puis se ragaillardit. Après tout, elle ne lui ferait pas passer une expérience sans voir vérifié qu'elle ne lui porterait pas préjudice non ?

Après quelques minutes, l'assistant devait se cramponner à la chaise vissée sur le sol pour ne pas tomber. Et toujours aucun signe de la part de l'objet.

"Je… Je ne me sens pas bien ! Je pourrais…

— Restez à votre place. Attachez-vous au siège si vous le voulez, mais l'expérience n'est pas terminée."

Dix minutes passèrent, et toujours aucune réaction anormale. Le Dr Merkeslet vérifia le sismogramme : près de 7,5 sur l'échelle de Richter. Ce truc ne fonctionnait pas. Ce n'était qu'une grosse blague. Ce consortium d'amateurs avait réussi : il lui avait fait perdre son temps. De rage, elle asséna un coup de poing sur l'écran.
Pourquoi est-ce qu'elle n'y arrivait pas ? Comment des personnes qui ne savaient pas de quoi elles parlaient réussissaient, et pas elle ?

"Ça va ?"

Elle releva la tête, les yeux au bord des larmes, l'air complètement échevelé.

"Non, parce que vous avez l'air… Un peu tendue."

Le Dr Merkeslet soupira profondément, renifla bruyamment, et dit d'une voix lasse :

"Rapportez ce… Truc. Je ne veux plus en entendre parler.

— De quoi ? De l'artéfact ?

— Oui.

— D'accord d'accord, pas de soucis, j'y vais."

Le Dr Pontaichet sentit qu'il y avait de l'eau dans le gaz, et ne chercha pas à creuser le sujet, bien que l'envie l'en démangeait. Cependant, il s'imaginait que sa tutrice tenait une piste, et que seul le temps pourrait révéler les secrets de ce qu'il venait de ramasser.

Son manque d'attention, couplé à son instabilité provoquée par le simulateur de tremblements de terre fit qu'il loupa complètement la marche. Sa semelle ripa sur le bord, il chuta vers l'avant, et l'artéfact lui échappa complètement des mains. Celui-ci flotta brièvement en l'air, comme s'il avait toujours été destiné à voler, puis s'écrasa lamentablement sur le sol.


Lorsque le Dr Merkeslet reprit conscience, elle eut le plaisir de remarquer qu'elle avait toujours le sens de la vue. Puis elle se rendit compte qu'elle se trouvait actuellement dans un lit d'hôpital. Et qu'elle ne sentait plus sa jambe gauche.

Ah si, elle la ressentait maintenant. Beaucoup trop fort cependant, contre les barreaux du lit.

Qu'est-ce qui avait bien pu se passer ? Elle reconstitua lentement les quelques images qui lui revenaient à l'esprit. Le simulateur. L'artéfact maudit. La course à travers le site. Et… Un abruti lui parlant avec enthousiasme. Qui était-ce déjà ?

À peine eut-elle le temps de se le demander que l'individu en question apparut presque comme par magie au-dessus de sa tête. Elle ne réagit pas, peut-être que cette affreuse vision allait partir ?

"Vous êtes réveillée ?"

Elle ne bougea pas les lèvres. Allez, va-t-en créature abjecte !

"Docteur ! Je crois qu'elle est réveillée !"

Raté. Elle allait encore devoir supporter ce boulet de Pontaichet.

"Ah oui, c'est vrai, tout le monde est docteur ici… Médecin ?! Médecin !"

Elle trouva la force de s'adosser au coussin, et malgré l'estime négative qu'elle portait à son assistant, décida de poser quelques questions :

"Je suis… où ?

— À l'infirmerie ! Vous en avez eu de la chance ! Cinq centimètres sur le côté et vlan ! Vous n'auriez plus de… Plus rien en fait."

Les paroles qu'il débitait n'avaient aucun sens pour elle.

"Mais… De quoi ?

— Ben la chute, le bâtiment ! Vous ne vous rappelez de rien ?

— Non.

— Alors… Regardez."

Ce faisant, il se dirigea vers le rideau, le tira, ce qui éblouit le Dr Merkeslet, et indiqua quelque chose au loin.

"Juste là, vous voyez ?"

La scène avait tout pour être tirée d'un de ces tableaux surréalistes qu'elle ne comprenait pas : le fier cube qui contenait le centre d'entraînement était retourné. Comme si un géant l'avait doucement soulevé, puis reposé à l'envers. On pouvait même discerner les canalisations qui crachotaient encore de l'eau sur le toit qui devait être à l'origine le sol, la porte d'entrée à près de trois mères du perron et les différents véhicules de la Fondation qui l'encerclaient.

"Impressionnant hein ?

— …

— Je crois bien que le plus impressionnant, c'est que personne n'a été trop blessé. Vous vous rendez compte les problèmes qu'on aurait eu après ?

— Et… Et l'artéfact ?

— De quoi ?

— Ce… Ce sur quoi nous travaillons.

— Ah "

Le Dr Pontaichet réfléchit quelques instants, haussa les épaules et répondit :

"Aucune idée. Probablement détruit."

À cette nouvelle, elle poussa un profond soupir.

"Enfin… Après, je suis pas encore allé le chercher hein, mais bon… Y'a peu de chance qu'il soit encore entier avec ce qui lui est tombé dessus."

Elle ne se soucia pas du reste de la phrase. Ce "probablement détruit" lui suffisait amplement. Ainsi que les résultats d'ailleurs. Si jamais l'artéfact était retrouvé, il ne lui resterait plus qu'à catégoriser cet objet comme dangereux, puis à l'oublier dans les entrepôts. L'enquête qui allait porter sur cet incident ? Classifiée comme relative à un groupe de débiles dangereux qui maniaient l'anormal. Son rôle dans tout ça ? Celui d'une personne courageuse qui avait révélé au grand jour les méfaits de cette organisation. La Fondation allait enfin mettre les gros moyens sur cette affaire pour retrouver cette bande. Donc elle n'aurait plus à se soucier de tout cela… Enfin du temps pour s'occuper de vrais projets, et pas de trucs retrouvés dans les poubelles de l'anormal.

Le Dr Merkeslet sourit. Sa rude quête pour discréditer l'Amicale des Amateurs de l'Anormal était enfin arrivée son terme.

Il ne lui restait plus qu'à taper son rapport… Une tâche qui lui semblait insurmontable vu l'état de béatitude dans lequel elle se trouvait. Et pourtant, il fallait qu'elle le fasse, pour enfin mettre un point final à cette affaire…

"Dites.

— Oui ?

— Vous aurez le plaisir de m'écrire un rapport détaillé sur cette affaire. Je veux que la Fondation prenne pleinement conscience de la nature de cette organisation.

— Très bien !"

Le Dr Pontaichet se mit au garde-à-vous, et courut en direction du bureau de sa tutrice. Il était en ce moment-même l'homme le plus heureux du monde. Il avait prouvé son utilité, et avait acquis, et ce dès son premier jour, une importance capitale dans la Fondation. Du moins, c'est comme ça qu'il le ressentait.


[…] certes pas parfait, mais si nous avions eu cet artéfact en notre possession lors d'une autre situation, ainsi que les connaissances nécessaires à son activation plus tôt, il ne fait aucun doute que nous aurions été reconnaissants envers cette organisation.

J'en conclue donc que l'Amicale des Amateurs de l'Anormal est un groupe que nous devons traiter non pas avec mépris, et encore moins avec crainte, mais plutôt avec prudence et reconnaissance. Ces personnes-là ont encore beaucoup à apprendre de la manipulation de l'anormal, comme nous d'eux.

Le Dr Pontaichet signa le mail, le relut une dernière fois, et appuya avec satisfaction sur le bouton 'Envoyer'. Objectivité et rigueur, ce rapport était parfait à ses yeux. Il était sûr que sa tutrice approuverait sa démarche.

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