« Porte-à-porte | Rencontre au sommet »
La Louve repéra les trois 4x4 lorsqu’ils surgirent de la forêt de résineux pour pénétrer dans son territoire, et ne les quitta dès lors plus des yeux. Les véhicules progressèrent lentement sur la route sinueuse et défoncée, passèrent l’enceinte grillagée qui délimitait son domaine, s’arrêtèrent quelques minutes au point de contrôle où un homme de la Krasnaya contrôla l’identité de leurs occupants, puis reprirent leur chemin, passant entre les deux miradors rouillés qui marquaient l’entrée de la base proprement dite.
N’étant pas habitués à recevoir de la visite, les soldats suspendaient leurs activités pour observer le petit convoi tracer sa route entre le vaste hangar des véhicules, les imposantes citernes d’essence dont la peinture blanche s’écaillait à vue d’œil, et les baraquements austères où les hommes de la Krasnaya avaient leurs quartiers. La vision de ces véhicules impeccables, pour ainsi dire neufs, circulant au milieu de cet antre de la rouille et de la moisissure avait quelque chose de particulièrement absurde.
Ils s’arrêtèrent finalement au pied du bâtiment administratif, sur le toit duquel la Louve était perchée. Son second accueillit les visiteurs avec tous les égards qui étaient dus à des invités de marque, ou du moins le supposa-t-elle, car elle n’entendait depuis son perchoir que des bribes éparses de leur échange. Il les fit entrer peu après.
Estimant qu’il faudrait encore un petit moment aux nouveaux arrivants pour la rejoindre, Natali s’assit aussi confortablement que le permettait sa chaise de jardin, originellement blanche et qui affichait désormais par endroit un vert des plus douteux. Au-dessus d’elle, le bleu du ciel pointait entre les nuages cotonneux en vadrouille, et une bise fraîche se lançait à l’assaut de ses longs cheveux qu’elle laissait flotter librement, seule entorse au règlement très strict de sa compagnie qu’elle s’autorisait.
Une après-midi agréable, qui servirait de cadre à une rencontre qui le serait probablement beaucoup moins.
Le grincement caractéristique qui accompagnait l’ouverture de la porte en métal qui menait au toit se fit entendre, et la Louve se retrouva seule avec son illustre visiteuse, et la garde-du-corps de celle-ci.
Cette dernière, elle l’avait déjà vue à trois ou quatre reprises, toujours en la compagnie de celle qu’elle devait protéger ; une grande femme au teint hâlé, aux longs cheveux noir et qui, bien que sa banale carrure n’y fut pour rien, dégageait une inexplicable impression de puissance. La Louve l’avait même déjà vue maîtriser en quelques secondes le chef baraqué d’un groupe de mercenaires, qui avait commis la terrible erreur de « dégainer » son briquet un peu trop brusquement en présence de sa patronne.
Comment s’appelait-elle, déjà ? Globuline, peut-être ?
« J’espère que la présence d’Hématite ne vous pose pas problème, colonel. Peu importe ce que nous dirons, je peux vous assurer qu’elle restera muette comme une tombe, pendant et après l’entretien. »
Voilà, Hématite.
« Asseyez-vous, je vous en prie, proposa la chef mercenaire en anglais, langue qu’elles utiliseraient pendant tout l’entretien. Désolée, « Hématite », mais je n’ai que deux chaises, ici…
- Ça ne la dérange pas de rester debout », affirma la visiteuse tout en s’exécutant.
On aurait pu s’attendre à ce qu’elle enchaîne sans tarder sur la raison de sa présence en ces lieux, surtout après qu’elle ait vanté la discrétion de son accompagnatrice. Ce ne fut pas le cas. Au lieu de ça, elle se tut, Hématite se tut, et seul le bruit du vent se fit entendre pendant d’interminables minutes. Quand elle comprit ce qu’elle essayait de faire, la Louve dut se forcer à réprimer un sourire amer ; en la forçant à faire son auto-critique pour ouvrir l’entretien, elle prenait le dessus à peine la discussion entamée.
Même si elle était dans son fief, entourée de ses hommes, la Russe savait pertinemment qu’elle n’était pas en position de force, et elle mit son amour-propre de côté quelques instants pour obtempérer.
« Aucune de nos règles ne m’empêche de contracter avec des commanditaires inconnus, commença-t-elle.
- Mais certaines de nos règles vous empêchent de contracter avec certaines entités, contra sa visiteuse d’une voix tranquille. S’il leur suffit d’agir sous couvert d’anonymat pour faire affaire avec nous, alors à quoi bon ?
- Rassurez-vous, je suis presque sûre que mon commanditaire ne fait pas partie de l’Église du Dieu Brisé ou d’un quelconque culte sarkique.
- Ce n’est pas d’une quasi-certitude dont j’ai besoin, colonel.
- Alors, disons que je suis sûre.
- Et qu’est-ce qui vous permet d’être aussi catégorique ? »
Bien décidée à ne pas se laisser mener par le bout du nez, la Louve décida de ne pas répondre immédiatement. Lorsque sa main se dirigea vers l’intérieur de sa veste, la dénommée Hématite se tendit presque imperceptiblement, mais la Russe n’en tira qu’un briquet et une roulée qu’elle alluma lentement, et dont elle tira une première bouffée plus lentement encore. Une moue de désapprobation passa sur le visage de la visiteuse, mais elle eut la grâce de ne pas relever.
« Disons que je vois mal pourquoi des excités religieux se soucieraient du sort des anciens employés de la Fondation, lâcha finalement la maîtresse des lieux.
- Vous pourriez être surprise… Mais, je vous l’accorde, il est en effet peu probable que votre commanditaire fasse partie de notre liste noire, fort heureusement pour vous.
- Ça n’est donc pas de ça dont vous êtes venue me parler. En venir directement aux faits pourrait nous faire gagner du temps à toutes les deux, et ni vous ni moi n’en avons à perdre, pas vrai ? »
Son interlocutrice, désireuse de mener l’entretien à sa manière, l’ignora.
« L’homme que vous avez mis sur le coup, comment est-il ?
- Déserteur, donc peu fiable, répliqua la Louve, tirant bouffée sur bouffée.
- Peu fiable, mais vous l’avez quand même envoyé…
- Des hommes plus fiables que lui, j’en ai des dizaines à disposition. Je serais presque prête à dire qu’il est l’individu le moins fiable que comptent mes effectifs à l’heure où nous parlons. Mais, en termes de compétence pour cette mission, il arrive en tête de liste.
- Et pourquoi donc ?
- Pourquoi donc ? répondit la Russe avec un sourire. Parce qu’il est Français. Parce qu’il a appartenu à la Fondation SCP. Parce qu’il a l’air du genre à sauter de bon cœur sur une mine pour sauver un copain.
- Chevaleresque…
- Ou complètement idiot, les interprétations varient. »
Elle jeta son mégot, l’écrasa du talon et embraya :
« Lui et son copain du GRU m’en ramènent déjà un. Avec la nounou que la Fondation lui avait collé en prime.
- Copain du GRU… Alors, la division P est impliquée…
- Par l’intermédiaire d’un de ses hommes, qui agit pendant son temps libre. Puisqu’ils n’ont pas été capables de coller une balle dans la nuque à l’espionne qu’ils ont capturée, ce qui est bien le seul genre de tâche dans lequel la division P excelle encore de nos jours, j’espère bien qu’il l’embarquera avec lui jusqu’en Sibérie pour nous en débarrasser. »
Plongée dans une intense réflexion, la visiteuse était déjà en train de mesurer les implications et conséquences de ces nouvelles informations.
« Circonstances de la capture ? demanda-t-elle.
- Elle voulait appréhender notre déserteur au grand cœur, mais le gars du GRU lui a mis une balle dans l’épaule.
- C’est tout ?
- Que je sache, oui.
- Un agent entraîné de la Fondation SCP ne se serait pas rendu pour une simple balle dans le bras, qu’en penses-tu ? demanda la visiteuse à sa garde-du-corps.
- Ce serait un bien piètre agent, répondit laconiquement Hématite. Elle veut savoir où ils vont.
- J’espère que vos deux compères ont eu la présence d’esprit de songer à la possibilité que leur invitée surprise avait peut-être un émetteur sur elle.
- À mon grand étonnement, ils l’ont eue. L’agent de la division P a « emprunté » un brouilleur à son unité, d’après leurs dires. »
La visiteuse se leva, avança de quelque pas vers le bord de l’immeuble, où on distinguait l’activité grouillante de la maison-mère de la Krasnaya, trois étages plus bas.
Pendant une seconde, la Louve s’imagina la poussant d’un coup d’épaule, l’envoyant s’écraser dix mètres en-dessous. La position désarticulée que prendrait le corps après avoir percuté le sol ne l’intéressait pas le moins du monde, pas plus que d’éprouver le plaisir de tuer que certains individus recherchaient.
Non, ce qu’elle fut tentée de savoir, pendant une seconde, c’était les conséquences qu’aurait eu sa mort sur le fragile équilibre du mercenariat de l’anormal, et sur le monde anormal en général. Bien sûr, Primordial serait toujours en scène, mais sans elle, les choses seraient-elles toujours les mêmes ?
Son invitée dégaina un téléphone portable, alla chercher un numéro dans le répertoire, puis engagea une conversation animée. Tandis que la Louve s’allumait une nouvelle cigarette, Hématite commença à l’observer d’un air à première vue impassible où, elle en était persuadée, pointait un rien de curiosité.
« Oui… Ils y ont paré, oui. Et la division P est peut-être impliquée également. Non, ça ne doit pas être le commanditaire, mais ils doivent vouloir leur part du gâteau aussi… Oui… Et… Non, une complication. Ils ont une prisonnière. Oui, de la Fondation… »
Natali lança un regard insistant à la garde-du-corps, qui la fixait toujours, espérant lui faire détourner les yeux, mais elle ne broncha pas.
« … C’est ce que je pense aussi. Non, sûrement pas de l’élite, mais… Oui, le brouilleur a dû suffire, j’imagine. Ils seraient déjà morts, autrement. »
La Russe s’abîma dans l’observation de cinq ou six de ses subordonnés qui déchargeaient un camion de ravitaillement, échangeant régulièrement des cris. La politesse élémentaire aurait voulu qu’elle n’écoute pas la conversation, mais il était difficile de faire autrement, et elle ne se serait de toute façon privée pour rien au monde de la moindre information qu’elle pourrait saisir au vol.
« …On s’en tient au plan prévu. Oui, on attend la suite, pas de précipitation… C’est ça. Je lui en parle de suite. »
Elle raccrocha, et se retourna vers la Louve, qui la regardait d’un œil vaguement mauvais, léger sourire aux lèvres.
« Alors vous avez déjà un plan dans votre manche ? Votre prévoyance m’étonnera toujours… »
La visiteuse reprit sa place sur la chaise en plastique, croisa les jambes, et, le regard perdu vers l’horizon, déclara :
« Je pense, colonel, que nous nous ressemblons bien trop pour que nous puissions jamais espérer nous entendre véritablement. Nous avons toutes les deux toujours une idée très précise de ce qui doit être fait et comment, et chacune d’entre nous accepte très mal qu’on vienne remettre en question cette vision, ou entraver sa réalisation. Cependant, à défaut de pouvoir nous entendre, nous pouvons nous comprendre…
- Très bien, je vois où vous voulez en venir. Qu’est-ce que vous voulez de moi, au juste ?
- Exceptionnellement, nous allons fermer les yeux sur l’identité de votre commanditaire, et vous allez mener ce contrat à son terme. À condition, cependant, que la mission ne change pas drastiquement, ou que ledit commanditaire ne commence pas à se montrer trop exigeant. Si l’un de ces cas de figure venait à se présenter, prévenez-nous dans les plus brefs délais, et mettez le contrat en suspens jusqu'à ce que de nouvelles instructions vous soient communiquées.
De plus, si quelque chose venait à mal se passer, la Krasnaya en endossera l’entière responsabilité. Nous n’aurons en rien pris part à cette affaire, sommes-nous bien d’accord ? Je ne doute pas que vous ne vous priverez pas de vous décharger sur votre nouvelle recrue en cas de problème, mais on ne peut pas négliger la possibilité que la Fondation découvre votre implication dans tout ça.
- Si je comprends bien, si quelque chose capote, c’est ma compagnie qui payera les pots cassés. Et qu’est-ce que nous y gagnons, au juste ?
- Qui dit pari risqué dit gains élevés. Nous saurons vous récompenser à hauteur de votre contribution. C’est-à-dire grassement.
- Et comment, si ça n’est pas indiscret ?
- Les choses risquent de beaucoup changer sous peu, dans le monde de l’anormal. Si nous manœuvrons bien notre barque, notre organisation pourrait profiter de la conjoncture pour tirer son épingle du jeu, ou au moins grappiller un peu d’influence çà et là. Si tel devait être le cas, soyez assurée que vous serez la première à en bénéficier. »
La visiteuse se leva, tenta vainement de gratter une tâche de crasse verte qui maculait son pantalon, puis, visiblement sur le départ, lança :
« Si d’aventure les choses bougent, vous jouerez probablement un rôle central dans ce que nous prévoyons, je peux vous le garantir, et le jeu en vaut la chandelle. Puis-je compter sur vous, colonel ?
- Je ne crois pas. Pas en l’état actuel des choses. »
Un énième duel de regards s’engagea, véritable quintessence de la rivalité qui opposait ces deux femmes de tête. Derrière la Louve, Hématite s’était de nouveau tendue, mais son visage conservait une expression aussi impénétrable que celle qu’elle arborait au début de la rencontre.
« En toute honnêteté, articula la visiteuse après un temps d’arrêt, ce n’est pas exactement le genre de question auquel vous devriez répondre « non ».
- Si je puis me permettre, répliqua la Louve, vous devriez faire attention à ne pas oublier que, si vous pouvez imposer vos règles et vos directives au mercenariat de l’anormal, c’est parce qu’il en a voulu ainsi. Ne commettez pas l’erreur de croire que ça vous autorise à nous donner des ordres sans que nous puissions exiger des comptes en retour.
- C’est donc ça que vous voulez, des comptes ?
- Qu’est-ce que vous prévoyez ? Quel sera mon rôle là-dedans ? Étant chargée d’assurer la pérennité de ma compagnie, j’ai tout à fait le droit de savoir tout ça pour agir au mieux, ne pensez-vous pas ? »
La visiteuse resta abasourdie quelques secondes, puis un sourire presque carnassier naquit sur son visage.
« Qu’est-ce que je vous disais ? s’amusa-t-elle. Nous nous ressemblons terriblement. »
Elle se rassit.
« La Fondation SCP est dans une position compliquée. Très compliquée. Pour autant que nous le sachions, sa situation financière ne s’améliore pas, et peut-être même qu’elle empire. La décapitation de leur branche française a laissé un gros trou dans l’ancienne sphère d’influence de celle-ci, et elle a du mal à y reprendre pleinement la main.
Après la liquidation de leur site Aleph, nous avons reçu une foule de propositions de contrats, la plupart concernant des attaques sur des convois qui transportaient objets anormaux et données confidentielles vers d’autres de leurs sites. Nous avons fait passer des instructions très strictes : tout refuser en bloc. Nous avons fait savoir à la Fondation ce qu’elle nous devait, et elle a reçu la nouvelle avec la superbe indifférence qui la caractérise à notre égard. Soit, nous ne nous attendions pas à autre chose.
Seulement, il semblerait que plusieurs groupes d’intérêts s’intéressent de très près aux employés licenciés, pour des raisons qui leurs sont propres. Et il s’avère non seulement que la Fondation n’a pas pu les stopper tous, mais aussi, et vous garderez cette information pour vous, que les amnésiques qu’elle a administrés à ses anciens employés sont défaillants, ou sabotés, on ne sait pas encore très bien.
- Je ne vois pas en quoi ça nous concerne. C’est à la limite une bonne nouvelle pour ma recrue et pour mon commanditaire, mais en quoi y avons-nous un intérêt ? Nous sommes censés rester neutres, dans ce genre de situation plus que jamais, d’ailleurs.
- Vous conviendrez que la situation actuelle ne peut que dégénérer. Puisque la question n’est plus de savoir si des groupes d’intérêts rivaux vont mettre la main sur d’anciens employés de la Fondation, mais sur combien et pour en faire quoi, nous avons un coup à jouer. Ceux qui ne profitent pas des opportunités quand elles s’offrent à eux sont condamnés à rester derrière, et se font dévorer. Il est hors de question que quelque chose de semblable nous arrive.
- Si nous nous impliquons, nous risquons la guerre. Vous en êtes consciente, au moins ?
- Ça tombe bien, c’est votre spécialité, la guerre, si je ne m’abuse ? La vôtre, celle de la Colorado Private Task Force, et de beaucoup de vos confrères. Vous avez jusque-là démontré une extraordinaire capacité à porter des coups chacun de votre côté, n’êtes-vous pas tentée de voir ce que ça donnerait, si vous joigniez tous vos forces dans un but commun, pour une fois ?
- Nous vous avons portés et maintenus à la place qui est la vôtre précisément pour éviter que ce genre de choses n’arrive, je me trompe ? Entrer en conflit ouvert avec les grands groupes d’intérêts, je veux dire. Beaucoup risquent de ne pas apprécier.
- Ne vous inquiétez donc pas tant, tout ceci reste purement hypothétique jusqu’à ce que la situation évolue. Tout ce que vous avez à faire pour l’instant, c’est laisser le champ libre à votre Français, réunir autant d’anciens employés de la Fondation que possible, et vous préparer aux éventuelles conséquences que ces actions pourraient avoir pour vous. Nous pouvons compter sur vous ? »
La Russe prit le temps de la réflexion, parcourant du regard l’ancienne base soviétique qui était maintenant celle de la compagnie qu’elle dirigeait, et ses hommes qui vaquaient à leurs occupations, probablement sans se douter une seule seconde qu’une discussion décisive pour leur avenir à tous se tenait quelques mètres au-dessus d’eux.
« Nous agirons comme bon nous semblera, décréta-t-elle finalement. Il se trouve que nos intérêts coïncident pour l’instant quant à la réalisation de ce contrat, nous continuerons donc à l’honorer. Mais ne rêvez pas, nous ne nous sacrifierons pas pour vous épargner des ennuis.
- Fort bien, répondit la visiteuse, se levant cette fois pour de bon. J’imagine que je n’obtiendrai rien de plus de vous pour l’instant. »
Elle se dirigea vers la porte, qu’Hématite venait de passer, et tiqua lorsqu’elle s’aperçut que cette dernière ne l’avait pas maintenue ouverte à son intention. La Louve ne put réprimer un sourire, tant la voir perdre un tant soit peu ses moyens était rare. La visiteuse ne fut pas longue à se reprendre, et, lança en guise d’adieu :
« Au fait, vous feriez bien de garder la prisonnière à portée de main, et de ne pas trop l’amocher. Nous pourrions être bientôt en guerre, ça ne fait aucun doute, mais nous ignorons encore dans quel camp. Il serait dommage de nous attirer les foudres d’un allié potentiel en offrant à ses agents une fosse commune en guise de chambre à coucher.
- J’essayerai de ne pas trop l’abîmer », répondit simplement la Russe.
Patronne et garde-du-corps entreprirent de redescendre, laissant leur hôtesse seule sur son toit. De là où elle était, elle put les voir remonter dans leurs véhicules, qui repartirent comme ils étaient venus.
Elle y resta encore un long moment après leur départ, prenant peu à peu conscience du tour que prenait la situation. Une part d’elle regrettait d’avoir impliqué la Krasnaya à ce point dans tout ça, en ayant accueilli cette bonne poire de déserteur d’abord, puis en ayant accepté ce contrat douteux, et que la division P vienne y fourrer son nez via ce leïtenant ensuite.
Mais elle s’en voulait surtout de ne pas avoir refusé la proposition qu’on venait de lui faire en bloc. Le rôle de son invitée et de son organisation n’était pas de tenter quoi que ce soit contre les grands groupes d’intérêts. C’était au contraire d’éviter toute friction avec ceux-ci, pour assurer aux mercenaires de l’anormal des relations commerciales et non belliqueuses avec eux.
Néanmoins, même elle devait reconnaître qu’ils n’avaient jamais rien fait qui n’ait été mûrement réfléchi au préalable, et elle n’eut aucun mal à se persuader qu’ils savaient ce qu’ils faisaient, au bout du compte.
Pour un peu, elle était presque impatiente de voir comment les choses allaient tourner.
« Rencontre au sommet | Détour humanitaire »