"Putain, tu fais chier Bob."

Putain. Déjà sept heures.

Je déteste ce réveil merdique. Cette sonnerie incessante et stridente bon marché perchée dans un cylindre sur patte.

J'entends Bob grogner. Il aime pas non plus, on dirait.

« Ta gueule, Bob »

Et le voilà qui envoie valser le réveil contre le mur, coupant net la sonnerie.

« Putain, Bob. »

L’enchaînement rapide et monotone douche-café-préparation s'ensuit. Je prend ma mallette, mes clefs, ma veste. J'enfile mes écouteurs, et je met la radio sur le kit main libre avant de prendre le métro.

Rien de neuf. Les infos du matins sont les mêmes qu'hier. Les mêmes guerres, les mêmes politiques, les mêmes lois, les mêmes crimes, les mêmes mystères planant sur la rame de métro retrouvée en confetti et parfumée sauce cadavre quelques jours plus tôt. La deuxième en deux mois. On parle déjà de « monstre des sous-terrains ». Quel bande de cons.

Au moins ça a fait baisser le nombre d'utilisateurs du métro. Moins de cons au centimètre carré le lundi matin à 7 heures, ça aide un peu.
Bousculade, parapluie trempé qui se repose sur ma cuisse, Bob qui râle, une agression et deux pickpockets refoulés. C'est l'arrêt. Enfin.

Le temps de sortir de la nasse populeuse et de retrouver l'air libre, dix minutes ont passées. Trop long. Débiles crétins incapables de marcher à droite et bouchonnant dans la moindre allée souterraine.

Et encore dix autres pour atteindre mon bureau. Ils le font exprès ou quoi ?
Je me pose sur ma chaise et ferme les yeux. Ça allait être un très bon lundi matin.

- Marshall ?

J'ouvre les yeux et me retourne en faisant pivoter la chaise.
Ce crétin de Brook. Inefficace et paresseux. S'il veut encore que je couvre une de ses absences, il peut aller se faire foutre.

- Ouais quoi ?
- Le boss veut te voir dans son bureau. Un problème sur le dossier Whisler.

Oula. Un rendez vous chez les dieux de l'étage supérieur dès le lundi matin pour un problème sur un dossier. Ça sentait pas bon. Du tout. Bob grogne à côté, comme un avertissement.

- Chier.

Je prend une copie du dossier, une gorgée de café, et je me dirige vers l’ascenseur que je venais à peine de quitter.

- Putain, putain, putain.

Je toque timidement à la porte qui arbore le nom du plus gros con élitiste de la planète.

- Ah, enfin. C'est pas trop tôt. Asseyez vous Marshall. Vous connaissez sûrement Lanning, des ressources humaines ?

Un type chauve avec une cravate dégueulasse. Lanning. « The Janitor » comme on l'appelle. Celui qui fait le ménage. J'avais compris.

- Oui.

- Nous sommes là pour parler d'une erreur grave qui a été commise sur le dossier Whisper. Juste là. Page 3. Section 7.

Je lis ledit passage. Sauvé.

- Il doit y avoir une erreur… C'est Brook qui s'est occupé de cette partie et…

- Sauf qu'il était absent le jour où vous avez travaillé sur cette partie pour le couvrir.

Lanning avait parlé.
Putain de Brook. Il avait fait une connerie et se servait de moi pour se décharger. Le fils de pute.

- Non seulement vous avez fait une erreur monumentale, mais en plus vous couvrez des éléments défectueux de l'entreprise. A cause de ça, Whisper nous colle un procès aux fesses, Marshall.

Je le vois cogner contre la porte, qui s'ouvre sur un des vigiles.

- Vos affaires sont dans un carton sur votre bureau. Au revoir Marshall.

- Mais vous ne pouvez pas…

- Faute grave. C'est assez pour vous licencier sans plus de motifs.

- Et mes indemnités ?

Le rire qu'il me lâche me confirme mes craintes. J'entend Bob qui gonfle au loin.
Enculé. Enfoiré. Je te hais toi et ta putain de cravate de merde.

- Vous venez de dire quoi ?

L'expression « penser à voix haute » venait de prendre tout son sens.

Dix minutes plus tard, retour en bas de l'immeuble, trempé par la pluie, sans travail et avec un Bob prêt à sauter à la gorge du premier venu.

Ce putain de métro était pire qu'à l'aller. Sérieusement, ces gens n'ont pas de travail ? Il est dix heures.

- Oui mais toi non plus tu n'as pas de travail.

Pas faux, Bob.
On rentre dans la rame. Des jeunes cons emmerdent une vieille au fond. Je m'assois tranquillement dans mon coin, Bob toujours aussi remonté.

- Hey, connard !

Ces jeunes décidément. Ils emmerdent qui maintenant ?

- Hey CONNARD, je te PARLE !

Moi.
Il allait regretter.

- T'as un problème petit con ? T'as oublié d'aller téter maman ce matin ?

Un autre intervient.

- Vas y comment il te parle mal ce fils de pute, viens on le démonte.

Trois autres apparaissent comme par magie.

- File nous ton carton, enculé.

Bob commence à chauffer.

- TON CARTON.

Et ils joignent le geste à la parole. Je prend une droite et un d'entre eux tombe en m'arrachant le carton des mains.
Les autres s'apprêtent à finir le travail quand le métro stoppe brutalement en plein tunnel.

L'ensemble des passagers est projeté vers l'avant, alors qu'une fumée noire se répand dans toute la rame.
Tout ces fils de putes semblent terrifiés.

Et ils ont raison.

D'un coup, la fumée couvre entièrement le sol et les parois de la rame. Nous sommes désormais dans un endroit noir comme le monde, illuminé seulement par les quelques lumières au plafond qui ne sont pas recouverte.

D'un coup, un brin de fumée se détache pour former un tentacule qui transperce le jeune au carton. Premiers cris.

Dans les secondes qui suivent, des griffes, des mâchoires sortent des murs et avalent, éventrent, transpercent, découpent chaque personne dans la rame.

Je reste immobile devant le carnage. Une fois celui-ci terminé, la fumée fait s'affaisser les parois, pliant le métal comme une feuille, puis se concentre en un point, d'où sort un tentacule trempé de sang.

Celui ci s'approche de moi, et passe sur mon torse d'une façon à la fois meurtrière et chaleureuse.

Je passe la main dessus, sans pouvoir lâcher un :

« Putain, tu fais chier Bob. »

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