"Allez… Parle moi… C'est pas comme si tu dormais pas depuis 3 jours… C'est le moment maintenant… Je me sens tellement seul…"
La voix me parvenait nettement, mais j'avais beaucoup de mal à comprendre ce qu'elle voulait signifier. Je ne voyais que le noir… Et je sentais que j'étais sur quelque chose de confortable, moelleux… Un matelas, probablement… Comme celui qui était chez moi. Chez moi… Je me souvenais maintenant… On m'avait emmené loin de chez moi, et… La douleur… Le sang… La table d'opération… La… Fourmi… Methocha… Articulata…
Je le vis. C'était un des membres de l'organisation. Un membre du labo. Un… "scientifique", comme ils aimaient s'appeler. Ils n'étaient que des bouchers, mais qui leur demande d'assumer leurs actes ou leur prétention ? Leur vanité, celle là même qui les pousse à croire que nous tomberons dans un piège aussi grossier que ça… Ou plutôt, non… Que j'y resterai. Une gigantesque cage, indécelable sous le sable du vallon, qui se referme quand on marche en son centre. Un centre qui a été décoré d'une sorte d’appât grotesque… Un vague bout de viande… Après tout, nous sommes des monstres, alors nous sommes carnivores… Mais réflexion faite, je suis bien carnivore.
Je me réveillais doucement. Je ne savais pas où j'étais… Mais je n'étais plus dans ce labo infernal. Un lit confortable… Sur moi, une couette, sous moi, des draps… Le tout, complètement lacéré. Mais là.
Je descendais les escaliers, longeant de mes longs ongles pointus de profondes et longues entailles laissées dans le bois. J'étais dans une sort de maison, peut-être un chalet, dans une forêt. Comment… C'était peut être encore un piège du labo…
Quand je m'assis avec un léger craquement dans la cuisine, je me rendis compte que je n'étais plus seul. Un… Un être fouillait dans les placards. Environ deux mètres, il aurait pu paraître humain… Mais sous la peau de son dos, les plaques d'une carapace étaient discernables. Ses mains… Pas de mains. Seulement de longues lames, qui semblaient devoir faire office de doigts. Pour couronner le tout, il était complètement nu. Il se tourna vers moi… Un cri d'effroi m'échappa quand je vis son visage. Ses yeux à facettes, les trois points rougeoyants qui ornaient son front, ses mandibules dans sa bouche… Un monstre.
"Non, c'est pas… N'ai pas peur… Tu es… En sécurité… "
Il parlait difficilement, et plusieurs sachets de sucres rendaient l'âme sur ses "doigts". Les draps lacérés me revinrent en mémoire. Les entailles dans le bois. Il avait été humain.
Je regardais maintenant avec appétit le morceau de viande. Bien sûr, l'appât aussi était attirant. Mais pas autant. L'homme attendait, se croyant caché, impatient, sûr de lui… Je me suis donc jetée dans son piège. La cage se referma dans un claquement joyeux. L'homme se leva, un sourire sur le visage. Je tentais désespérément de dissimuler celui qui naissait sur le mien.
"Tu… es réveillée."
La créature essaya de sourire. C'était vraiment hideux. Mais étrangement rassurant. Presque… Familier ? Il ne me voulait pas de mal, et avait finalement l'air plus stupide que dangereux. Le cadavre de boîte de sucre qui pendait à sa main y était pour quelque chose…
"Qui es tu ? Comment sommes nous sortis du labo ? Tu dois être un des sujets d’expérience, et si tu t'es enfui, pourquoi m'avoir emmenée ?"
Son "visage" se figea. Il réfléchit pendant dix bonnes secondes. Mon nouvel ami… Le considérais-je déjà comme tel ?…Mon nouvel ami, donc, semblait relativement lent.
"Je… J'ai coupé des arbres dans le labo… Les fleurs… Il n'y en a plus maintenant… J'ai mangé les champignons."
La mine satisfaite, et semblant très fier d'avoir clarifié la situation, il se remit à chercher dans les placards.
Au fil de la conversation (éprouvante mentalement) que j'eue avec lui, je finis par comprendre qu'il s'était enfui du labo en massacrant tous ses occupants, à part moi.
"Et pourquoi moi ? Pourquoi tu m'as pris moi ?
-Parce que… Tu… Me ressemblais, comme j'étais… Et que maintenant… Tu me ressembles… Comme je suis."
L'homme s'approcha de la cage. Son visage… Il était heureux, ridiculement heureux.
"Tu sais, toi et l'autre, nous voulons vous capturer vivant. Nous voulons vous garder vivant. Vous êtes nos chefs d'oeuvre. Évidemment, toi, au début, nous ne le savions pas… Mais…"
Ses entrailles pendaient. Il ne comprenait pas, il y avait des barreaux. Il se demandait… Comment est ce que…
Sa tête roula sur le sol, il ne se demanda plus. J'étais hors de la cage.
"Comme tu es…?"
La peur emplit mon esprit, mon corps. J'avais froid. Je me mis à courir, cherchant désespérément de quoi…
"Tu es… Comme moi."
De quoi me regarder…
"Comme je suis."
J'appuyais sur l'interrupteur de la salle de bain, griffant le mur au passage. Le miroir était grand, impossible de rater la silhouette qu'il reflétait.
Une taille inhumainement fine, des yeux globuleux à facettes, des mandibules incroyables, des griffes d'une dizaine de centimètres, une armure faite de chitine. Je pris une inspiration… Ma taille disparut presque. Je pouvait devenir fine, très fine…
Les draps lacérés. Mes longs ongles pointus dans le bois des escaliers. Un léger craquement. Le sourire familier de mon nouvel ami.
Je n'étais plus humaine. J'étais devenue… Autre chose. Pas une fourmi, non… J'avais plutôt une taille de… Guêpe ?
Pendant que je mangeais, mon compagnon apparut. Il semblait lui aussi avoir bien travaillé, si on en jugeait d'après le sang qui coulait de ses griffes et de sa bouche.
"Et alors ? Tu as élagué un peu ?"
"Oui… J'en ai eu…"
Long moment de cogitation.
"…3"
Long moment de mine satisfaite.
"Bien joué. Tu verras, ils souffriront autant que nous avons souffert. Ils saigneront autant que j'ai saigné. Qu'ils prient tant qu'ils le peuvent, ça ne les aidera pas quand ils nous feront face…"
Mon compagnon approuva d'un vif hochement de tête, puis partagea mon repas. Nous n'étions plus seuls, et ils allaient le sentir.