Je ne me souviens pas du moment de ma création. Enfin, je suis sûr que c'était un jour de pluie. La première chose que j'ai faite, c'est regarder mon corps. J'étais visiblement un grand gars de la campagne, solide, avec une belle chemise, et des haches greffées aux bras, à la place des mains.
Quoi ? Des haches ? Soit, des haches. Je me suis donc réveillé là, sur une grande table froide, dans une grande salle sombre, où de grands arbres bougeaient autour de la table, et me bouchaient la sortie. Moi, j'ai coupé les arbres, ils n'avaient rien à faire ici. Pauvres arbres, maintenant que j'y pense, ils étaient peut être contents là où ils étaient… Mais sans soleil, les pauvres, ils allaient mourir. Mieux valait les couper tous… Ceux que j'ai trouvés dans les couloirs, dans les bureaux, dans les autres grandes salles sombres… Partout.
Dans un bureau immense où se trouvaient des arbres, il y avait un grand tableau. Acrylique, peut-être peinture à l'huile… Je confonds toujours. Il était magnifique, mais le sujet peint… Qui avait fait ça ? Cette chose était vraiment horrible. Un mélange hideux entre… Un humain et… Je ne savais pas trop. Vous savez, je suis un gars simple, je ne suis pas biologiste, alors les bestioles moi… L'autre truc devait être… Un scolopendre, ou un autre insecte… Une mante, une mantispe ? Enfin, dans tous les cas, ce truc était une aberration totale. Pas de mains… Pas de mains… Pas de… Vous savez, je suis un gars simple, je vais pas… Pas de mains, un corps chitineux, des yeux à facettes, des ailes, une forme humanoïde, des ocelles sur le front, le tout recouvert de chair humaine, pas de mains… C'était tellement laid que j'ai décroché le tableau. Il ne fallait pas que d'autres voient une horreur pareille, même bien peinte…
Dans une salle comme la mienne, j'ai vu sur la grande table un corps de femme. Il y avait des fleurs rouges dessus, et autour aussi. Elle baignait dans les fleurs rouges. C'était joli, mais… Je n'ai pas pu m'empêcher de pleurer. Je ne sais pas pourquoi, c'était vraiment beau. Mais la femme me ressemblait. Enfin, avant. Elle était jolie, elle était simple, et elle avait sûrement dû se demander pourquoi elle était là, avant de s'endormir. J'ai voulu être là quand elle se réveillerait, j'ai donc décider de l'emmener. En prenant toutes les précautions du monde pour ne pas la blesser, je glissais mes haches sous elle. Les fleurs rouges tombaient sur le sol… Bon, tant qu'elles ne tombaient pas toutes… Dans les salles suivantes, sur les tables, il y avait des amas de champignons, je les ai mangés. J'aime les champignons. C'est délicieux, même sans assaisonnement.
Les arbres se multipliaient, c’en était agaçant. J'étais persévérant, mais leurs branches étaient pointues… Alors, j'ai utilisé du désherbant. Je l'avais trouvé dans une des salles… Enfin, je crois… Je ne me souviens plus. Mais je pouvais leur lancer… Les arbres disparaissaient en… En criant. C'était sûrement une espèce d'arbre particulière. La fille que j'avais pris soin de poser sur le sol, derrière moi, ne se réveillait pas malgré l'agitation… Il fallait que je la réveille. Je le devais. Je n'avais pas le choix. Sinon, j'étais seul… Et puis, je voulais lui montrer ce jardin géant…
En continuant mon exploration, j'ai fini par trouver la sortie. J'ai regardé derrière moi. J'étais fier, j'avais permis aux fleurs rouges de pousser en élaguant un peu les arbres sur la fin. Je deviendrais peut être jardinier… Plutôt bûcheron ! Je suis donc sorti, emmenant avec moi la jeune femme, et priant… Priant… Vous savez, je suis un gars simple… En espérant que quelqu'un m'embauche. Comme ça j'aurai de l'argent, je pourrai réveiller la jeune femme… La pluie fit tomber les fleurs rouges sur le sol… Quand je lui raconterai toute l'histoire, elle va sourire, je le sens… Je l'espère…
Les gyrophares peignaient la nuit de couleurs mouvantes et impossibles. Je m'approchais du grand bâtiment sombre, avec ses sombres portes lourdes et son lourd silence de mort. Mes adjoints n'osaient même pas rentrer. Les mecs en combinaison qui avaient pénétré dans le bloc avaient aussi l'air de s'y connaître… On les attendait, sans bouger, les messes basses attisant les imaginations les plus fertiles. Le premier homme en combinaison Hazmat vint vers nous, et retira son casque. Il aurait pas dû, son visage était presque plus flippant que sa combinaison. Il lui manquait une oreille, la balafre qui lui barrait l’œil allait jusqu'à son cou, et ses lèvres… Ben non en fait, justement. Pas ses lèvres. Il avait dû se les faire brûler… Ce qui paraissait étonnant, tant le personnage semblait glacial.
"Alors… ? Vous avez… Enfin… Y'a quoi, là dedans ?
-Des cadavres. Plein de cadavres. Des centaines, la plupart coupés en deux au niveau du tronc.
-Oh. Donc… C'est un meurtre de masse. Il y a des armes sur les lieux ? Vous avez une idée de ce qui aurait fait ça ?"
L'homme sourit, un instant. Un sourire désabusé. Un sourire dessiné par des lèvres inexistantes, ponctué par un soupir.
"C'est marrant, vous avez pas dit "qui". Vous avez pas émis l'hypothèse selon laquelle une personne aurait pu faire ça…
-Ben… Ouais, ça me paraît inhumain votre histoire, complètement horrible.
-Vers la sortie, il y avait des types qui avaient juste été amputés. Un bras, une jambe, des bras, des jambes… La tête… Bref, avant de prendre racine pour l'éternité, ils nous ont raconté l'histoire. En gros, ce labo bossait de manière relativement illégale sur les êtres humains augmentés.
-Des cyborgs ?
-Non, raté. Des humains, dont les membres sont… Dont le corps est amélioré avec des parties d'autres êtres… Et un de ces trucs a marché. Il s'est mis à couper les gens qu'il croisait. Il a finit par arriver au bureau du patron, où il s'est acharné sur un miroir. Ensuite il a récupéré un autre sujet d’expérience, un truc qui avait échoué, complètement mutilé, et l'a embarqué avec lui. Dans les autres salles d'opération, il y a des restes… Ce truc a mangé tous les autres sujets d'expérience. Pour finir, il a fait fondre les gars qui étaient chargés de l'arrêter, avec de l'acide sulfurique. En fait, on s'est rendu compte que le sol était gris qu'à la fin. Tout est maculé de sang, c'est… Bizarre, comme s'il avait fait son possible pour peindre l'intérieur en rouge… Bizarre hein ?"
Je restais sans voix. Comment… Pourquoi une telle horreur était-elle… ? Et pourquoi il me disait tout ça ?
"Il va de soi qu'il ne faut rien dire à personne. Ce serait regrettable… Les gens ne comprendraient pas…
-Ne comprendraient pas quoi ? Qu'une bande de fous a cru que l'humain devait évoluer plus vite, et que pour ça ils ont libéré un monstre tueur fou dans la nature ? Vous avez pété un câble, comment je…"
Le débris métallique s'enfonça dans mon ventre pendant que mes adjoints se faisaient abattre. Je regardais le bâtiments en flammes. Un massacre. Quel massacre ?
"Vous y allez fort, une bande de fous… Nous sommes des scientifiques. Quel dommage que vos adjoints soient entrés dans le labo… Et que l'incendie se soit déclaré à ce moment là… Surtout que vous n'auriez rien trouvé, puisqu'il n'y avait rien… Bonne sieste, inspecteur. Vous allez prier pour vous réveiller, et quand vous vous réveillerez… Vous verrez la vie autrement. L'évolution vous changera. Priez."