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Crédits
Titre original : Pizzicato
Auteur : DrDromeus
Traducteur : Ever Booming
Date de publication originale : 15 juin 2018
Le soleil se leva sur l'aube d'un nouveau jour, sa lumière inondant l'étendue d'arbres visible depuis la fenêtre surélevée. Lentement, la lumière se faufila à travers le paysage, jusqu'à éclairer la pièce sombre au sommet de la structure en béton surplombant la forêt. De cette pièce sombre, la silhouette d'une femme prit forme : grande, droite, et revêtue d'un costume noir comme l'espace. Le soleil illumina un froncement de sourcils solennel et un nez étroit, avant de finalement éclairer deux yeux, sombres et perçants. Beaucoup de ceux ayant vu ses yeux diraient ensuite qu'ils étaient froids, vides d'émotion. Ce n'était que partiellement vrai.
Son bureau était modestement fourni, mais parfait à cet égard. Un bureau noir uniforme, un cadre sur l'un des murs, une armoire sur l'autre. Une grande fenêtre couvrait le mur en face de la porte. Des coups nerveux retentirent de cette même porte, suivis par le clic du verrou de celle-ci. Il n'y avait pas le temps d'attendre, visiblement.
"Lieutenant Dean au rapport, D.C. al Fine," fit une voix depuis le seuil.
"Rapport de situation. Maintenant," requit la voix hautaine.
"Le contremème a été, euh, détecté à nouveau. Un projet anartiste l'exposant en grande quantité a été identifié il y a environ 20 minutes," expliqua la voix plus incertaine.
Un moment de silence. L'on pouvait y sentir l'appréhension de l'homme plus petit. L'on ne pouvait pas y sentir l'inquiétude croissante de la femme sobre. Elle demeura dos à la pièce alors que ses yeux inspectaient la forêt de pins. Ils n'étaient pas froids. Ils étaient calculateurs.
"Combien d'infectés ?" La voix ferme ne laissait pas transparaître le moindre signe de peur.
"Nombre inconnu. La menace anartiste a été exposée pour une durée inconnue, estimée à environ deux jours, durant lesquels le contremème a intégré la population civile. Des civils infectés ont été identifiés et placés en quarantaine sur chaque continent."
Elle savait que quelque chose devait se produire. Elle savait depuis que le contremème avait été détecté qu'il serait une menace globale. Pourtant, cela ne rendait pas la nouvelle plus facile à entendre. Davantage de silence. Davantage de calculs.
"Alors nous devons exécuter la procédure." Les paroles de Fine, lourdes et amères, se répandirent et emplirent la pièce.
"Vous voulez dire… ?" Le lieutenant Dean laissa sa question en suspens, effrayé rien qu'à l'idée d'en prononcer les mots.
"Exactement. Nous sommes à court d'alternatives." Fine se détourna de la fenêtre, plantant son regard dans celui du lieutenant Dean. Elle vit un jeune homme, naïf et craintif.
Elle se tourna à nouveau vers la fenêtre, reprenant le cours de ses pensées. Le soleil l'illumina à nouveau. N'y avait-il vraiment aucune autre option ? Non. Il n'y en avait pas. C'était là leur seule chance. La seule chance de l'humanité. Le monde pesait lourd sur les épaules de cette femme jaugeant le futur de l'humanité. Ses paroles suivantes se voulaient apaisantes. Fermes, mais apaisantes.
"Exécutez la procédure Pizzicato."
Le soleil se leva sur la nouvelle apocalypse.
Extraits du guide pratique de la division PHYSIQUE :
Procédure
Des pas assurés résonnaient dans les couloirs déserts du Site-85. La Chercheuse Vongvichit se pressait au travers d'un couloir froid, passant sous un logo de la Fondation qui se profilait alors qu'elle atteignait la réception. Le réceptionniste lui offrit un salut fatigué, qui parvint à des oreilles distraites alors que la chercheuse le dépassait, passant l'angle d'un autre corridor éventé. Elle aussi était épuisée, mais la fascination prenait dans son esprit une plus grande place que son besoin de dormir. Entre portes et panneaux identiques, la scientifique studieuse était perdue dans ses pensées.
Son directeur de site lui avait récemment confié un fichier présentant les données statistiques d'une forêt proche, en guise de test. Elle ne pouvait travailler sur le SCP présent dans celle-ci à moins d'identifier l'anomalie présente dans ces données. La Chercheuse Vong passa en revue dans son esprit les chiffres et les graphiques tandis qu'elle se pressait vers le bureau. Tous les chercheurs spécialisés en sciences environnementales avaient également reçus les mêmes fichiers, mais le nombre de places était limité pour le projet. Bien sûr, le risque d'une mise en danger de sa personne venait avec la participation à celui-ci, mais presque tous les chercheurs du Site-85 étaient prêts à tout pour échapper à la paperasse. La Chercheuse Vong ne faisait pas exception. Il lui semblait que c'était là un procédé trivial comparé à simplement choisir plusieurs chercheurs directement, mais ce n'était pas sa décision. Le bureau n'était occupé que par quelques chercheurs à cette heure de la nuit, pianotant sur leur clavier ou lisant des papiers, alors qu'elle tirait sa chaise pour s'y asseoir.
Le colis familier se trouvait devant elle alors qu'elle s'asseyait, lui faisant face. Elle l'ouvrit à nouveau, lisant les mots surlignés de jaune néon et les annotations manuscrites. Si anomalie il y avait, elle devrait être facile à repérer. Une erreur flagrante. Mais il n'y avait rien qui sortait de l'ordinaire ici. Tout était prévisible et constant. La croissance des plantes et la population animale ne fluctuaient presque pas. La Chercheuse Vong soupira, se détachant du document. Elle savait que des chercheurs avaient résolu le problème quelques heures après avoir reçu le rapport, alors la solution devait être évidente. Elle se prépara pour une lecture plus attentive, ignorant volontairement les autres piles de papier supposées remplir son emploi du temps.
Ce n'étaient que des affaires banales. La Chercheuse Vong devait se battre contre son besoin de sommeil à cette heure tardive mais, persévérant, elle relut le document en entier une troisième fois. Comme d'habitude, il n'y avait rien. Se sentant plus désespérée que jamais, elle éloigna les papiers.
Une pensée lui vint alors à l'esprit. Elle se saisit à nouveau du dossier. Les notes de bas de page. Elle ne les avait pas lues. Pourquoi ne pensait-elle jamais aux notes de bas de page ? Se réprimandant silencieusement, elle tourna les pages jusqu'à la dernière. Après plusieurs minutes de lecture attentive, Chercheuse Vong vit la note :
27. Les interférences avec la flore et la vie animale peuvent également être attribuées au développement humain. En 2012, une zone incluant un tiers de la surface totale de la forêt a été rasée pour construire des habitations.
Bingo. Il devait s'agir de cela. Au travers des rapports, toutes les données restaient complètement stables. Si un tiers de la forêt avait été détruit, pourquoi aucune des données n'en avait été affectée ? Comment la forêt pouvait rester inchangée après un tel évènement ? C’était dans ces données que l'anomalie se trouvait. La Chercheuse Vong laissa échapper un léger gloussement alors qu'elle se levait pour rapporter sa trouvaille au chef de l'équipe et, espérait-elle, obtenir sa place dans le projet.
Le Dr Adam passait une plutôt bonne journée. Il venait juste de recruter de nouveaux scientifiques talentueux pour son projet de recherche, et la seule chose qui lui restait à faire était de finir la paperasse. Ensuite, les recherches pourraient débuter et ils pourraient enfin s'amuser. Pour cela, il s'était débrouillé pour rassembler certains des scientifiques les plus importants de la région, qui travaillaient tous sur sa découverte. Le Dr Adam appréciait vraiment la découverte d'un nouvel SCP. Les merveilles inexplicables de ce monde étaient là dehors, attendant d'être découvertes et testées. Elles rendaient son travail intéressant, tant qu'elles n'étaient pas dangereuses. Dr Adam détestait quand elles étaient dangereuses.
Ces pensées et le remplissage de paperasse furent interrompus par un coup à la porte.
"Entrez." Il vit la porte s'ouvrir et une petite femme à l'allure sérieuse entrer. Elle semblait familière, et il était certain de l'avoir déjà croisée dans le coin. Quel était son nom ?
"Bonjour, Chercheuse Vin," dit-il prudemment. Il tenta un sourire incertain.
"Bonjour Dr Adam. C'est Vong, mais c'est pas grave. J'ai lu le dossier et je pense avoir identifié l'anomalie dans les données," déclara le Dr Vong avec excitation.
La première pensée du Dr Adam fut "mince, est-ce que j'ai oublié d'annoncer que le projet était complet ?" Sa deuxième pensée fut "mince, est-ce que je dois dire à cette chercheuse qu'elle ne peut pas travailler sur le projet ?" Le Dr Adam soupira.
"Je suis désolé, mais le projet est complet." Il put voir son enthousiasme fondre alors qu'il prononçait cette phrase.
"Je vois. Eh bien, passez une bonne journée." La Chercheuse Vong rassembla un peu de chaleur dans sa phrase tout en quittant la pièce.
Le Dr Adam soupira à nouveau, rassemblant les papiers du dossier de la Chercheuse Vong sur le bureau adjacent. Selon ces fichiers, elle était douée. Une scientifique diligente spécialiste dans les sciences environnementales. S'il n'avait pas déjà tant de spécialistes talentueux, elle aurait été parfaite pour le projet. Quel dommage c'était.
Dr Adam fut surpris par un unique bip de la petite montre connectée à son poignet. Avec un regard, il vit l'heure clignoter sur le petit écran. Il s'éloigna immédiatement de l'ordinateur, se levant de sa chaise pour verrouiller sa porte avec une vitesse prudente. Son visage affichait une mine sombre mais alerte. Il se rassit et détacha de son poignet la montre qu'il posa sur le bureau en chêne verni. Ses doigts vinrent tapoter les coins de l'appareil rectangulaire.
Il cliqua sur chaque coin avec la précision d'une machine. Coin haut-gauche. Coin bas-droit. Haut-gauche. Haut-droit. Haut-droit. Bas-droit. Ainsi de suite. L'écran afficha finalement une grille noire et verte. Dr Adam pressa son doigt sur ce nouveau scanner. D'épais mots verts apparurent sur l'écran.
PROCÉDURE PIZZICATO ACTIVÉE. ENTITÉ MENACE GLOBALE ÉLIMINANT MÉTHODES COMMUNICATION. AGENTS DORMANTS RESTENT EN ALERTE. NE PAS RÉVÉLER POSITIONS. RAPPORTS FRÉQUENTS À COALITION.
Ils clignotèrent une fois. Deux fois. Une troisième fois, puis ils disparurent, remplacés par un simple "10:46" en noir et blanc. Dr Adam déverrouilla sa porte et quitta son bureau. Il avait sous son aile les meilleurs des scientifiques, mais il ne pouvait les surveiller seul.
La Chercheuse Vong était en chemin pour sortir du site lorsque le Dr Adam l'intercepta.
"Chercheuse Vong ? Je crois bien qu'il vient d'y avoir un changement dans les recrutements pour mon projet."
"Hm ?" Chercheuse Vong lui adressa un regard interrogateur. Plutôt rapide comme retournement de situation.
"Je veux dire que vous êtes engagée. Bienvenue dans le projet. Voici quelques documents avec lesquels vous devriez vous familiariser. Vous commencez demain." Le Dr Adam lui confia un petit tas de documents.
"Wow. Merci. Je dois dire que je ne m'attendais pas à un tel changement d'avis."
"Eh bien, disons que les choses peuvent parfois évoluer très vite."
Les bureaux étaient déserts à cette heure. Malgré cela, le Dr Adam s'approcha de la Chercheuse Vong pour lui murmurer ces mots.
"Gardez un œil sur ceux qui vous entourent. Faites-moi des rapports fréquents. Restez vigilante."
"Compris." Tout en répondant, la Chercheuse Vong remonta la manche de sa blouse, juste assez pour laisser entrevoir une montre connectée noire à son poignet. La montre était identique à celle du Dr Adam.
Dans un bâtiment important, à l'écart de la société moderne, des rangées de tables formaient un vaste demi-cercle autour d'une plateforme surélevée au centre d'une grande pièce. Des hommes et femmes âgés en costume erraient autour de la zone, trouvant des places et parlant entre eux. Un silence oppressant et morose emplissait les couloirs, étouffant les conversations. Il n'y avait pas beaucoup de sourires. Il y avait beaucoup de grimaces.
Le bruit concis de la conversation mourut lorsqu'une grande femme dans un costume noir comme l'espace se présenta sur l'estrade. Elle se tint droite, en silence tandis que le logo bleu de la Coalition Mondiale Occulte apparaissait sur l'écran derrière elle.
"Si vous êtes ici, vous connaissez notre organisation. Vous pouvez ne pas être dans les meilleurs termes avec nous, mais vous savez qui nous sommes, et vous connaissez les menaces paranormales, parascientifiques et paratemporelles de ce monde. Certains d'entre vous viennent de pays reconnus. D'autres, d'organisations paranormales. Chacun d'entre vous, cependant, fait partie des personnes importantes qui dirigent ce monde. Et maintenant, nous avons besoin de vous pour le protéger."
La diapositive changea pour afficher le pictogramme d'une tête avec un point d'exclamation lui couvrant la bouche. Les formes noires gravèrent sur le fond jaune d'imposantes données.
"En réponse à un agent mémétique non-confiné à croissance rapide, nous avons activé la procédure Pizzicato. Tout le monde dans cette pièce devrait avoir la documentation en décrivant les conséquences. Cet agent mémétique peut se transmettre par le biais de moyens de communication visuels et auditifs, affectant les individus et les privant non seulement de leur capacité à comprendre toute forme de communication, mais également de celle de transmettre les informations elles-mêmes. Toute forme de contact avec ce "contremème", comme nous l'avons nommé, résultera en une infection et une incapacité à communiquer. Comme nous l'avons dit plus tôt, ce contremème, en plus d'être non-confiné, se répand extrêmement rapidement. Nous estimons que chaque pays compte des individus infectés.
Un chœur de voix s'éleva dans la pièce. Inquiétude et colère se manifestèrent d'une myriade de manières au travers d'une variété de voix. Elles montèrent crescendo jusqu'à ce que la voix ferme et amplifiée de D.C. al Fine ne mette une halte à la panique.
"Calmez-vous. Calmez-vous !"
La voix sévère détonna à travers la pièce, imposant une vague de silence. Seule une figure âgée accoutrée de blanc resta debout. Sur sa tête reposait une mitre décorée d'une croix rouge. Il prit la parole en un italien éloquent, qu'un homme plus jeune, similairement vêtu, traduisit pour lui.
"Sauf votre respect, D.C. al Fine, nous requérons une meilleure compréhension de la situation. Le Saint Ordre des Chevaliers du Temple se doit de s'enquérir des origines de cette entité."
"Patriarche Gallo des Chevaliers du Temple, asseyez-vous je vous prie. Nous avons actuellement pu confirmer que le groupe anartiste Et Maintenant On Est Cool ? est l'instigateur de cette invasion contremémétique.
Davantage de discussions étouffées dans la pièce. Une autre personne se leva, un homme dégarni, brun de peau et vêtu d'un achkan blanc.
"Y-a-t-il d'autres informations disponibles se rapportant à la menace contremémétique ? Combien sont infectés ? Où se concentre-t-elle ?" L'homme s'exprimait avec un fort accent indien.
"Votre Excellence Ra-"
"Que Et Maintenant On Est Cool ? cherche-il à obtenir de ces attaques ? Ont-ils des revendications ?" lança un homme bien vêtu avec un accent français. Davantage d'individus se joignirent à lui, lançant leurs questions dans l'air. Les chœurs confus revinrent noyer la pièce dans le bruit.
Les mots de D.C. al Fine furent forts et acerbes.
"Silence !"
L'audience dans la pièce obéit. Les paroles suivantes furent tranchantes et précises.
"Nous savons à quel point cette situation est regrettable. Plus que quiconque, nous le savons. Nous n'aurions jamais convoqué cette réunion si elle n'était pas absolument nécessaire. Maintenant, laissez-nous mettre en place les mesures nécessaires pour éliminer cette menace mondiale. Nous sommes certains que ce contremème est incontrôlable, et que son élimination est la seule solution. En tant qu'autorité principale à la fois concernant les paramenaces et leur destruction, la Coalition Mondiale Occulte requerra un degré de liberté plus important afin d'établir la sécurité mondiale. Chaque personne présente devrait avoir un document sur son bureau détaillant ce qui vous est demandé."
À nouveau le silence. Le brassage des papiers emplit bientôt la pièce. Plus de silence. Des murmures aux secrétaires et assistants. Aussi terrifiant qu'il était, il s'agissait bien du calme avant la tempête.
"Merde, ça me démange de partout."
Dix silhouettes en tenues noires de combat étaient assises dans le noir. Le bruit étouffé d'un moteur bourdonnait alors que les soldats vacillaient au rythme de la route irrégulière.
"Nouvelle tenue ?" demanda l'une des silhouettes assises. Il était grand et bien bâti. Un grand fusil reposait entre ses mains noires.
"Nouvel agent." répondit une autre. Elle avait une bouche formée par une attitude constamment renfrognée et un visage couvert de cicatrices.
"Merde. Ils t'envoient vraiment ici pour ta première mission ?" demanda le grand.
"Ouais. Où est le problème ? On dirait juste qu'on est coincés dans une autre mission de quarantaine." reprit le premier. Il était plus svelte et jeune que les autres, et avait un teint très pale.
Le plus grand soupira.
"Quel est ton nom, petit ?"
"Bradley Jones."
Le soldat aux cicatrices redevint attentif à la conversation.
"Je te reconnais. Mel, n'est-ce-pas ?" fit-elle remarquer d'un ton moqueur. Jones baissa les yeux et soupira à contrecœur.
"Je ne me débarrasserais jamais de ce surnom, hein ?"
Les sept autres soldats restèrent silencieux. Certains avaient peur pour leur futur. D'autres s'en fichaient, tout simplement.
"Mel ? Qu'est-ce que c'est que ça ?" demanda le plus grand.
"Maigre et lamentable. Il a eu quelques problèmes pour passer le programme d'entraînement." répondit la cicatrisée.
"Bordel, je l'ai fini cet entraînement ! Je l'ai réussi, non ?" cria Mel.
Personne ne répondit. L'atmosphère était lourde dans le camion. Un soldat avec une grande tache sous son œil murmurait une prière à une croix en collier. Ses murmures et le grondement du moteur furent les seuls sons pendant un temps. Mel brisa le silence.
"Bien, puisqu'on échange nos noms, quel est le tien ?" demanda-t-il au grand soldat.
"Juste."
"Juste ?"
"Ouais, puisque je vise toujours juste." Un fin sourire se dessina sur ses lèvres. Le soldat aux cicatrices finit par le dénoncer.
"Conneries, ton nom est Gosse." Elle se tourna vers Mel. "Puisque son é-gosse est plus large que tout." Mel ne comprit pas.
"Genre, son ego. Écoute, c'est pas moi qui ai choisi ce nom. Ils m'appellent Balafrée, et moi au moins je l'assume."
"Qu'est-ce qu'on est venu faire ici ?" demanda Mel.
"Leçon numéro un de la Division PHYSIQUE : toujours lire le foutu briefing." déclara Gosse. "Pour résumer, il y a un virus là-dehors qui te fera oublier comment lire ou écrire. Tu perdras toute capacité à communiquer. Les médecins pensent cependant que ce n'est pas une maladie. On va devoir isoler l'infection et nous occuper des civils."
"Heu… qu'est-ce que tu veux dire par "s'occuper" des civils ?"
"Je pense que tu le sais très bien. On n'a pas de vaccin pour cette chose. On va devoir s'en débarrasser." expliqua Balafrée.
Quelques secondes de silence gêné passèrent.
"Je ne veux pas tuer d'innocents." dit Mel doucement.
Après un autre silence, Gosse reprit.
"Pas le choix."
"Soit on tue ces gens, soit on laisse cette chose tuer chaque personne sur cette planète."
"Mais cette maladie, elle n'est pas mortelle ! Pourquoi est-ce qu'on se contente pas de les confiner et d'attendre pour un vaccin ?" demanda vivement Mel en retenant sa colère.
"Écoute le nouveau, j'en sais rien. C'est pas moi qui décide ici et toi non plus. Tu peux dire ce que tu veux, mais on est quand même ici et on doit quand même suivre les ordres. Il va falloir t'y habituer." Les derniers mots de Balafrée étaient résignés.
Elle soupira. Plus doucement, elle reprit.
"Moi non plus, je ne veux pas tuer d'innocents."
Sur ces mots, un camion rempli de soldats de la Coalition s'en alla vers un destin incertain.
Mots et invectives emplirent l'air alors que les gens se précipitaient autour du site de tournage de la Coalition Mondiale Occulte truffé de caméras. Au centre du brouhaha, un homme bien vêtu ajusta sa cravate et attendit patiemment. Une série de caméras l'entourait, le fixant intensément. Une maquilleuse nerveuse triturait ses cheveux, ses doigts agiles brossant des mèches lisses et grisonnantes. Elle lui lança un regard inquiet.
"Tu es d'attaque ?"
Sa bouche se fondit en un sourire résolu alors qu'il la regardait.
"Plus que jamais."
Un directeur frénétique, l'air épuisé, se précipita sur le plateau. Il requit l'attention de la salle, y imposant le silence.
"Écoutez, tout le monde. On va bientôt commencer à filmer, alors je veux faire une dernière annonce. Dans quelques instants, nous allons diffuser en direct ce qui sera l'une des transmissions les plus importantes de l'histoire. La moindre erreur, le monde entier la verra. Je ne veux effrayer personne, mais nous allons diffuser sur toute la planète. Et plus important que tout, un avertissement. Le monde doit être prévenu de cette menace globale. Alors allons-y et sauvons le monde !"
Des applaudissements sporadiques éclatèrent parmi les hommes tandis qu'ils rejoignaient leur poste. Un appel retentit quelques instants plus tard, réduisant le plateau au silence.
"Silence sur le plateau !"
L'homme bien vêtu congédia la maquilleuse tandis que tout le monde s'écartait de lui. Un mur blanc sur lequel figurait le logo de la Coalition Mondiale Occulte se dressait derrière lui, et des caméras noires formaient un arc devant lui. Il ajusta ses cheveux et planta dans la caméra centrale un regard assuré.
"On tourne."
Dans le monde entier, les écrans s'illuminèrent sur le même regard dur. Un visage fatigué mais robuste, agrémenté d'un éclat de cheveux argentés occupa les écrans des télévisions autour du monde. Le visage autoritaire apparut sur les écrans dans le coin des bars, sur les télévisions à la maison et sur les écrans géants sur les façades de gratte-ciels bondés.
"Bonjour le monde."
"Ce que vous voyez n'est pas une fausse transmission, ni une mauvaise blague. Ce à quoi vous assistez est une diffusion d'urgence, réalisée en coopération avec les gouvernements du monde entier. Pour commencer, une déclaration est nécessaire pour tous les citoyens du monde :"
"Le paranormal existe."
"Autour de nous existent de dangereuses anomalies. Avec le soutien des Nations Unies et du Conseil des 108, nous, la Coalition Mondiale Occulte, combattons des menaces d'ordre paranormal, parascientifique et paratemporel depuis des décennies, protégeant la population humaine de l'inconnu. Notre mission principale a toujours été la paix et la survie de la race humaine, et ainsi nous nous plaçons au dessus des agendas de chaque pays isolé. Notre intérêt se trouve seulement dans la protection de l'humanité."
"Il existe d'autres organisations comme la nôtre, bien que nous ne partagions pas tous les mêmes objectifs. Plus d'explications sur ces organisations et les menaces paranormales du monde seront fournies dans de prochaines diffusions. Actuellement, notre principale priorité est une menace qui, si nous n'agissons pas, possède le pouvoir d'anéantir notre société moderne."
"Une entité basée sur l'information, avec le pouvoir d'éliminer la communication même sous sa forme la plus basique, est actuellement présente au niveau mondial. Une personne infectée perdra le don de la parole, de l'écriture et de la compréhension orale et écrite. Ce contremème, si nous ne faisons rien, peut faire disparaître toute forme de communication dans le monde entier, détruisant jusqu'aux racines de notre société."
Bien que son visage ne trahit aucun changement, sa voix confiante se fit tremblante alors qu'il reprit.
"Nous en sommes rendus à un point où il a été jugé impossible de poursuivre notre politique actuelle de secret. Ainsi, nous devons avertir tous les-"
Une courte pause. Le regard d'acier flancha alors que la confusion naquit dans ses yeux.
"Ainsi, nois devoir avertir tous les-"
La confusion s’intensifiât. La difficulté de prononcer les mots devint apparente.
"Il fao aertir out le mone que la-"
La panique remplaça bientôt la confusion. La transmission s'interrompit tandis que les écrans du monde virèrent au noir.
Dans le studio, la terreur remplaça la panique. L'homme, autrefois confiant et fier, tomba à genoux, du charabia s'échappant continuellement de sa bouche. Quelqu'un décrocha un téléphone du mur et parla à son interlocuteur d'un ton alarmant. En un instant , des agents prêts au combat envahirent la pièce, traînant au travers les portes coupe-feu l’homme qui se débattait.
Le directeur se leva de sa chaise et regarda son assistant. Aucun ne parla, mais la terreur et l'anéantissement dans leurs yeux parlèrent pour eux.
"Seigneur, qu'avons-nous fait ?"
"Bien, tout le monde."
L'attention des nombreux dignitaires et représentants officiels se porta vers D.C. al Fine dans son costume sombre. Sa voix, tranchante et précise, était amplifiée pour résonner dans le grand hall dans lequel la réunion se déroulait.
"Il devrait déjà être évident pour tous que la Coalition Mondiale Occulte est l'organisation la plus à même de s'attaquer à cette menace globale. Nous manquons de temps pour remettre ce fait en cause. Aucune autre organisation n'a notre expérience ou passif avec le paranormal. Il est possible d'éliminer le contremème complètement, mais nous ne pouvons y parvenir sans la coopération de chacun. Je suis certaine que vous comprenez tous la difficulté de mener une opération requérant l'accord de plusieurs branches pour être efficace. De même, le temps de réaction à notre disposition pour réagir aux évènements dangereux est minimisé lorsqu'une majorité de celui-ci est passé à apaiser et négocier avec les parties opposées."
Le discours fut interrompu par un homme au teint hâlé et aux cheveux argentés.
"Al Fine, s'il vous plaît, venez-en aux faits. Quelles sont les demandes de la Coalition Globale Occulte ?"
D.C. al Fine, irritée, lui jeta un regard sévère avant de se tourner vers ses papiers.
"Nous espérons que vous comprenez qu'afin d'être en mesure d'assurer la survie de l'humanité, la Coalition Mondiale Occulte requiert l'application globale de la loi martiale."
Le chaos sombra dans la pièce. Hommes et femmes se dressèrent pour protester, tandis que d'autres se tournaient vers leurs assistants ou leurs voisins. D.C. al Fine se retira du podium un instant tandis que les invités s'accordaient sur comment réagir. Elle attendit un moment, ignorant le barrage de questions et d'accusations, avant de retourner vers le microphone.
"Je ne peux pas répondre à toutes les questions en même temps !" Trop formel pour être un cri, la remarque en portait pourtant la férocité.
"Il y a 198 chefs d'États et de gouvernements dans cette pièce, et 108 de plus dans le Conseil. Nous ne pourrons jamais éliminer l'antimème si nous devons chercher à apaiser plus de trois cent organisations différentes. C'est impossible. La Coalition Mondiale Occulte requiert une confiance et une loyauté infaillibles pour y parvenir."
Bien que la pièce soit en majorité redevenue silencieuse, des protestations la traversaient toujours.
"Nous avons déjà des propositions pour assurer un monde plus sûr. Tout d'abord, un couvre-feu mondial sera établi pour tous les civils afin de nous permettre d'assurer leur sécurité. Ensuite, nous mettrons en place des zones sûres pour les individus dont nous avons confirmés qu'ils sont non-infectés. La liste continue, mais l'idée reste la même : nous n'établirons que des mesures permettant de détruire l'antimème. Rien de plus."
D.C. al Fine autorisa une pause pour l'audience, la laissant récupérer et décider de la marche à suivre. Quelques minutes plus tard, elle reprit la parole.
"Nous allons maintenant voter sur cette mesure. J'espère que nous sommes tous d'accord pour faire ce qui est juste pour le monde."
Tout le monde se tourna du micro vers sa tablette, chaque écran éclairé par trois boutons numériques. Le rouge exhortait "Contre." Le gris indiquait "Abstention." Le vert préconisait "Pour." D.C. al Fine descendit du podium et approcha un groupe d'assistants en retrait.
"Bon sang, je m'adresse aux dirigeants de puissances mondiales où à un zoo ? Tu parles d'une coopération internationale." L'irritation d'al Fine transparaissait dans sa voix. Le groupe hocha la tête d'approbation.
L'un des membres prit la parole, demandant, "Pensez-vous que ce vote va fonctionner ?"
"Il le faut," répondit-elle. "Le monde en a besoin. Si nous échouons, nous sommes perdus."
Un autre demanda, "Que ferons-nous dans ce cas ?"
"Dans ce cas, nous devrons continuer. Il sera toujours possible pour nous de sauver le monde sans leur aide, mais ce sera beaucoup plus difficile." Elle jeta un œil à sa montre et soupira. "Très bien. Voyons voir ce qui arrive maintenant."
L'écran derrière le podium afficha les résultats :
POUR : 117
ABSTENTION : 5
CONTRE : 186
D.C. al Fine reprit sa place au centre du podium.
"Je vois. J'espère que vous prenez tous la mesure de la gravité de votre choix. La Coalition Mondiale Occulte continuera d'agir pour le bien de l'humanité."
Elle se tourna pour s'en aller, mais s'adressa une dernière fois à la foule.
"Et dans le cas où nous ne nous revoyons pas, je vous souhaite à tous bonne chance. C'est un monde de fous, là-dehors."
"Bien sûr que je vais te laisser ignorer mes ordres."
Le pied d'une canne de fer cogna agressivement le sol tandis que le Dr Wythers criait sur l'homme qui tentait de disparaître derrière un bloc-notes.
"Tu sais très bien que tu n'as ni l'autorité ni la force mentale pour ignorer cet ordre. Maintenant dégage d'ici." Elle avait beau se tenir à une canne, à cet instant, le Dr Wrythers se dressait de toute sa hauteur. Et bien qu'elle ne dépassait pas son interlocuteur, celui-ci recula d'un pas tandis qu'elle parlait.
Il s'éclaircit la voix et dit, "C'est juste… que je ne peux pas de bonne foi autoriser l'utilisation de ces armes thaumatiques. Elles ne sont pas sûres. Une bonne partie de cette liste n'a même pas été testée. Certaines armes sont de simples prototypes. C'est une mauvaise décision peu importe de quelle manière vous la regardez."
Elle fit un pas vers lui, le faisant battre en retraite contre la porte en acier derrière lui. La pièce était stérile et blanche, avec une variété d'objets aux formes étranges et couverts de symboles, disposés sur des étagères sur les murs. Quelques hommes et femmes en blouse également couverts de symboles trituraient discrètement certains de ces objets. Bien qu'ils ne la regardaient pas, ils écoutaient s'emporter le Dr Wythers. Sa voix s'éleva alors qu'elle reprit.
"Vraiment, parce que comme je vois les choses, le monde entier part en couille, et tu t'inquiètes parce que ces armes n'ont pas été testées ? Il y a des anomalies là-dehors qui vont tuer des centaines de gens, et aucune foutue balle ne pourra les en empêcher. Tu leur apportes ces armes thaumatiques ou tu laisses des personnes innocentes mourir. Alors sors d'ici et envoie ces foutues armes !"
"Non."
"Non ?"
En gardant la tête haute, il répéta, "Non."
Le Dr Wythers maintint son regard un instant avant de le dépasser en trombe.
"Très bien. Tu es viré. Dégage le chemin que je le fasse moi-même." Tout en parlant, elle éjecta le bloc notes des mains du docteur et ouvrit brusquement la porte.
"Attendez, stop ! Vous ne pouvez pas faire ça !" cria l'autre docteur en la poursuivant à travers les couloirs.
"Bien sûr que je vais le faire ! Maintenant prend la porte, tu ne travailles plus ici." Elle le congédia d'un revers de la main, puis s'arrêta, une idée en tête. Dr Wythers pivota sur sa canne pour faire face à l'autre docteur.
"Et une dernière chose. Nous sommes actuellement en guerre. Si tout allait bien, évidemment que jamais je n'autoriserais ces armes. Mais si tout allait bien, est-ce qu'on rafraîchirait ces séquences de liquidation ? Si tout allait bien, pourquoi choisirions nous d'éliminer les moindres maux maintenant ?"
Son interlocuteur ne répondit pas.
"Parce que maintenant, nous nous battons contre un mal qui pourrait les libérer, les laisser semer la destruction parmi les gens normaux. Si nous étions en train de gagner, nous n'aurions pas à les arrêter maintenant. Mais nous ne sommes pas en train de gagner. Certainement pas."
Le Dr Wythers soupira, agrippée à sa canne. Elle semblait épuisée et reposait son poids sur la canne de fer.
"Écoute gamin, tu n'es pas viré. Mais si j'entends ne serait-ce qu'un mot qui signifierait que tu me désobéis de nouveau, tu le seras. On a besoin de tous les hommes sur le pont. Alors va trouver un moyen de te rendre utile."
L'autre docteur tendit la main pour récupérer son bloc-notes. Le Dr Wythers l'ôta de sa portée et lui tourna le dos, reprenant sa marche dans le couloir.
"J'autoriserai ces armes moi-même."
Ce qu'elle fit.
Emily Davis possédait un talent naturel pour les armes. Ou plus précisément, Emily Davis possédait un talent naturel pour les diriger. Les balles filaient n'importe où elle voulait qu'elles filent. Elles fonctionnaient très bien avec elle, et pas si bien contre elle.
Son affinité avec les balles lui était apparue pour la première fois en s’entraînant au tir sur les îles durant son adolescence. Elle ne loupait jamais sa cible, et son talent devint bientôt une légende locale. Il n'y avait que peu d'habitants sur ces îles, ainsi la rumeur de ses exploits se propagea rapidement et elle devint une célébrité. Le tir n'était pas qu'une simple occupation, mais faisait partie intégrante de son identité. C'était un don.
Mais également une malédiction. Un matin, après une nuit de beuverie et de fête, Emily découvrit sa maison parsemée de balles. Les murs étaient recouverts de ces petits trous profonds, des objets brisés éparpillés sur le sol. Sur l'un des murs, les trous dessinaient un visage souriant. Sur un autre, l'on pouvait lire en pointillés, "JIM EST UN CON."
Elle se rendit bientôt compte que son mystérieux talent pour les armes à feu dépassait le champ des possibles pour un humain. D'impressionnantes vidéos d'elles la montraient en train de tirer, les balles se dirigeant directement derrière elle. Quelques tests au stand de tir achevèrent de prouver la réalité de ce pouvoir hors du commun. D'autres nuits de beuverie et de mauvaises décisions le prouvèrent tout aussi bien.
Certes, peut-être que contrôler ses pulsions ne faisait pas partie de ses qualités. La belle affaire. Bien que son opinion resta longtemps orientée dans ce sens, la réalité de la situation s'avéra plus sérieuse. En quelques années parsemées d'incidents de natures similaires, elle finit par attirer l'attention de puissances supérieures.
Elle n'avait pas la moindre idée qu'elle était suivie. Elle vivait certes sur une île, mais tous les visages des habitants ne lui étaient pas pour autant familiers. Alors ceux qui apparurent ne lui évoquèrent rien. Du moins jusqu'à ce qu'elle se trouve réveillée, au milieu de la nuit, encerclée par des hommes en tenue de combat.
Sa première réaction fut la surprise et la peur. Elle fut emportée avant d'avoir le temps pour une deuxième réaction. Ligotée et déplacée sans ménagement, son souvenir suivant implique de se réveiller dans une installation stérile. Là, elle se rappelle d'expériences, allant d'inconfortables à purement atroces. Toutes étaient centrées autour de ses pouvoirs.
Ce n'est que des mois après qu'elle revint à la maison. Elle ne fut libérée que sur la promesse de ne plus jamais toucher une arme à feu ou mentionner ses expériences à qui que ce soit. À toutes fins utiles, elle s'était simplement permise des vacances prolongées.
Ils revenaient souvent pour la contrôler. Elle développa un sentiment constant de paranoïa en même temps qu'une meilleure capacité à savoir quand elle était suivie. Elle savait qu'ils n'en avaient pas fini avec elle. Il fallut encore des années avant que sa peur ne se vérifia.
C'est en se réveillant ligotée et bâillonnée dans la forêt qu'elle comprit que son heure était venue.
Devant elle se tenaient quatre hommes, vêtus comme ceux qui l'avaient kidnappée des années auparavant. Elle était sur le sol, adossée contre un arbre. Pieds et poings liés, un bâillon recouvrait sa bouche.
Ils discutaient. Elle cria. Personne ne réagit. Elle cria à nouveau. Le bâillon lui blessait la mâchoire et les liens lui tailladaient les poignets et les chevilles. L'un d'entre eux dégaina un pistolet, et un autre sembla le réprimander. Il rengaina l’arme tandis que son interlocuteur lui adressait des paroles étouffées. Les agents finirent leur discussion et tournèrent leur attention en direction d'Emily.
Un soldat fouilla dans son sac et en sortit un objet étrange, semblable à un grand pistolet automatique fait de métal chromé. Des lignes de fines marques étaient gravées sur le canon, qu’Emily ne parvenait pas à distinguer. L’agent armé abaissa le tissu sombre couvrant son visage tout en pointant l’arme sur son crâne. Il parla pour un instant dans une langue qu’Emily ne comprenait pas, et les marques sur le pistolet brillèrent d’une lueur violâtre. Le canon s’illumina d’un rouge qui aveugla presque Emily.
"Y-a-t-il quelque chose que tu aimerais dire avant de mourir ?" dit un autre agent avec un léger accent d'Europe de l'Est. L'un des agents s'approcha précautionneusement, dénouant le bâillon de sa bouche.
"Pourquoi… pourquoi faites-vous cela ?" dit-elle, sa mâchoire douloureuse.
"Pour protéger le mande."
"Pour prétéger le monde".
Son visage afficha une vive confusion.
"Pour pritoger lémolnde."
L'un des soldats le plaqua au sol tandis qu'un autre criait des ordres aux autres.
"Maintenez-le ! Couvrez sa bouche, bordel !"
Un autre des agents se contentait de regarder le soldat cloué au sol, des larmes roulant sur ses joues.
"Merde. Merde. Merde. Merde," répétait-il encore et encore.
L'agent au pistolet brillant se tourna vers le soldat à terre. Au milieu du chaos, Emily tirait sur ses liens. Rien ne se dénoua, mais elle parvint à ramper suffisamment loin de l'arbre. Un pistolet reposait sur le sol, éjecté de son étui pendant la bousculade. Emily rampa pour s'en rapprocher, se tordant pour passer ses bras liés par-dessus sa tête et devant elle. Elle se saisit de l'arme.
Un son éthéré interrompit ses efforts. Se tournant pour regarder, Emily vit la lumière du pistolet étrange s'estomper. Le soldat qui faisait face au canon était figé, affichant une expression horrifiée. Il ne bougea à nouveau que pour crier atrocement. Des parties de sa tenue semblèrent former des bulles. Tout son corps tremblait et se tordait.
Une bulle noire jaillit du costume, laissant derrière elle une parcelle beige de peau nue. La bulle s'éleva et éclata, disparaissant dans l'air. Davantage de bulles suivirent. Davantage de cris également. À court d'armure, les bulles prirent une teinte pêche alors que la peau quittait le corps. Elles devinrent ensuite rouges puis blanches, et il ne resta plus rien après ça. Seulement le sol sur lequel l'agent se trouvait auparavant.
Il était temps d'agir. Emily se saisit de la gâchette de ses doigts tremblants. Elle ne pouvait pas se lever, mais elle n'avait pas besoin de viser.
Trois bruyantes détonations, l'une immédiatement après l'autre, et les soldats restants s'effondrèrent sur le sol. Deux de plus, et les balles brisèrent les entraves d'Emily. Libre, elle se leva et s'étira, avant de vomir. Elle n'avait jamais tué personne avant cela.
Tremblante, elle s'éloigna de la scène. Elle était sauve. Elle était indemne.
Le monde était en danger, mais Emily était sauve.
D.C. al Fine se tenait à l'extrémité d'une table dans une salle indéfinissable. Son costume noir portait les traces d'avoir été porté trop longtemps sans avoir été changé. La table s'étendait à travers la pièce, laissant plus qu'assez de place pour vingt personnes pour s'y installer.
Il n'y avait actuellement que sept personnes assises, chacune d'entre elle aussi éloignée des autres que possible.
D.C. al Fine se tourna vers l'une d'entre elles, un homme dans un costume trois pièces bon marché affalé derrière une plaque indiquant "FONDATION CARITATIVE DE LA MANNE".
"M. Johnson. Des nouvelles de la Main du Serpent ?"
Il lui lança un regard las.
"J'ai bien peur qu'ils ne viennent pas."
D.C. al Fine jura silencieusement et se déplaça vers le bout de la table.
"Bonjour à tous, je suis heureuse que vous ayez tous pu vous déplacer pour cette réunion. Même si vos supérieurs étaient indisponibles, nous apprécions la venue de leurs représentants."
Une femme en costume, plus jeune que les autres participants, l'interrompit.
"Arrêtez ces conneries. C'est au sujet du contremème, n'est-ce-pas ?" Sa plaque indiquait "INSURRECTION DU CHAOS".
"Certes. Nous sommes en pleine crise, et je ne parle pas seulement pour la Coalition. Je fais référence à nous tous, y compris les organisations absentes aujourd'hui. Je parle, bien évidemment, du contremème." répondit al Fine.
Un homme élégant aux cheveux lissés prit la parole derrière sa plaque indiquant "UNITÉ DES INCIDENTS INHABITUELS".
"Nous sommes conscients de la situation actuelle. Cependant, nous manquons d'informations concernant la menace. Pourriez-vous s'il vous plaît partager vos connaissances sur ce contremème avec nous ?" Son ton semblait assimiler la question à un ordre.
"N'est-ce pas pour cela que nous sommes réunis, après tout ? Nous avons tous des informations différentes, des ressources différentes," reprit al Fine de son ton formel habituel.
"Proposez-vous une alliance ?" De l'homme ayant pris la parole émanait une aura de puissance. Son accent était canadien, et bien qu'il eut la quarantaine, il semblait dix années plus jeune. "FONDATION SCP" était gravé sur la plaque devant lui.
"Évidemment que vous alliez proposer ça." La représentante de l'Insurrection du Chaos lança cette phrase au cadre de la Fondation plus qu'à al Fine.
"Je vous demande de prendre en compte toutes les possibilités. Cette menace est plus que capable de tous nous éliminer. Avec une coopération limitée, nous serions tous mieux lotis. Écoutez, au point où nous en sommes, tout est négociable. Nous devons actuellement nous concentrer sur l'élimination de ce contremème."
"Que vous avez créé," ajouta la représentante de l'Insurrection.
"Les accusations ne sont pas la priorité à l'heure actuelle. Nous devons rester concentrés sur le problème le plus important," dit fermement al Fine.
"Facile à dire pour vous," dit un grand homme vêtu d'une chemise blanche, avec un fort accent du Sud. Sa plaque indiquait "LA CINQUIÈME ÉGLISE". "Vous avez tout à gagner. Qu'est-ce qu'il reste pour nous ?"
"Au minimum, une protection mutuelle. Au mieux, eh bien, disons que nous sommes ouverts aux négociations," répondit al Fine avec une pointe d'irritation.
"Non. Ça va pas le faire. Je m'en vais," dit la représentante de l'Insurrection en se levant de sa chaise. "Vous êtes responsables de ce bordel, à vous de le régler."
Al Fine se tourna vers elle, visiblement énervée. "Oh non, vous n'allez pas nous mettre ça sur le dos. Nous l'avons détruit. D'accord, nous avons créé ce truc, mais nous nous en sommes débarrassés. Et nous allons le faire à nouveau."
La représentante de l'Insurrection observait al Fine, amusée.
Al Fine reprit : "C'est lui qui a répandu le contremème." Elle pointa du doigt la figure la plus particulière de la pièce. La représentante de l'Insurrection resta debout, près de la porte.
Vêtu d'un costume rouge et bleu vif volé à un siège de bus des années 80, l'homme aux cheveux grisonnants se contenta de sourire. Il avait apporté une plaque assortie à son costume sur laquelle on pouvait lire "ET MAINTENANT ON EST COOL ?"
"Allons. Qui a transmis l'infection en direct au monde entier ? Certainement pas moi. Je ne sais même pas pourquoi je suis ici. Vous êtes tous des bureaucrates de toute façon. Je m'en vais aussi. Salut." L'homme excentrique se leva et quitta la pièce alors que les débats continuaient, prenant sa plaque avec lui. Un homme bien vêtu prit ensuite la parole.
"Je suis resté silencieux jusqu'à présent, mais je ne trouve pas cette réunion particulièrement productive. Considérant le manque de compétence de la Coalition, le manque de coopération de l'Insurrection, et le manque d'intérêt de tous les autres, il semblerait que rien de tangible ne sortira jamais de ces débats. Mon temps sera bien mieux employé autre part. Il abandonna sur la table sa plaque "MARSHALL, CARTER & DARK LTD" et quitta la pièce, la représentante de l'Insurrection à sa suite.
Al Fine reprit son discours, déclarant, "Je me doutais bien que tout le monde ne serait pas en accord avec cette proposition. Nous n'avons pas besoin d'eux. Ce dont nous avons besoin, c'est chacun d'entre nous."
Al Fine continua, consciente qu'elle avait déjà perdu cette bataille. Elle conclut finalement son discours et serra la main aux quatre personnes restantes dans la pièce, chacune la quittant avec de vagues promesses. La pièce paraissait sinistre, seulement occupée par al Fine.
Aucun des représentants et chefs ne recontacta jamais la Coalition pour cette proposition d'alliance.
Ils mèneraient chacun leurs propres batailles.
Sans coopération, aucun ne les gagnerait.
Une longue nuit silencieuse tombait.