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Luc et Fabrice leur avaient dit de ne jamais s'éloigner du camp. On n’allumait plus de feu pour ne pas attirer les ombres, et il n’y avait de toute manière plus grand chose à cuire. La nuit, les yeux sortaient, et il fallait rester cachés dans les tentes. Sinon, les autres venaient, et il fallait fuir. Ils avaient déjà failli perdre une fois leur équipement comme ça. Ils avaient couru toute la nuit dans les bois, en suivant Luc, puis en se cachant dans une petite crevasse rocheuse.

Le lendemain, Fabrice était parti en éclaireur et avait trouvé des traces de lutte, mais le camp était vide. Ils avaient tout démonté, marché toute la journée en suivant le ruisseau, et s'étaient posés en aval.

Pacôme dormait mal. Les tapis de sol n’ont jamais été confortables, mais c’était surtout la situation qui le peinait. Il aimait bien les bois, les scouts, la patrouille, parce que c’était un jeu ; ce n’en était plus un depuis longtemps. De peur, on ne chantait plus, on avait même arrêté de crier le slogan des castors. C’était normal, bien entendu, il ne fallait pas se faire repérer : mais cela rappelait sans cesse sa situation au jeune garçon. Ils étaient en danger. Tous les soirs, il entendait Nicolas pleurer. Fabrice ne chuchotait même plus pour parler, comme Luc lui demandait : il se taisait à la place et passait ses journées en silence, le regard dans le vide. Luc affichait toujours un sourire de façade, il avait comme le visage bloqué, pour faire croire que tout allait s’arranger. Ses joues s’étaient creusées, il mangeait toujours le dernier.

Mais c’était pour Dorian qu’il s'inquiétait le plus. Les grands, ils pouvaient se débrouiller, bien plus que nobard. Même Nicolas pourrait survivre seul, mais pas Dorian. Sans la troupe, il était condamné. Et la troupe était en train de disparaître. Ils n’étaient plus les castors, ils n’étaient plus que cinq gamins effrayés dans les bois.

En se retournant, Pacôme s'aperçut que Dorian et Nicolas manquaient à l’appel. Il quitta son duvet sans faire un bruit, et sortit de la tente. La forêt était toujours drapée de cet inquiétant silence, qui ne se levait toujours que le temps de quelques murmures inquiétants parmi les ombres, lorsque les autres approchaient. Des murmures qu’il ne fallait pas écouter.

Nulle trace des deux garçons. Il hésita à aller réveiller les deux autres, mais un détail attira son attention. D’un coin de l'œil, un flash lumineux, une lampe. Un coup d'œil rapide sur le front de sa tente lui fit remarquer que la leur manquait à l’appel. Il fallait les garder éteintes, pour ne rien attirer. Pacôme s’arma d’un bâton et silencieusement, un pas après l’autre, il se rapprocha de la lumière.

Nicolas, lampe allumée, tirait Dorian par la main. Il voulut dire quelque chose, mais avant même de savoir dire quoi, son pied se prit dans une branche, et il manqua de peu de s’étaler par terre devant les deux autres. Nicolas lâcha un petit cri de surprise en bondissant de peur, avant de voir son camarade arriver vers eux en clopinant.

« Mais qu’est ce que vous faites, tout les deux ? »

À la lumière de la lampe, le visage de Nicolas était curieux. Il haletait frénétiquement, ses yeux balayaient les alentours de façon erratique, compulsive. Dorian, l’air naïf, le tenant toujours la main, le regardait avec sa bouille ronde.

Nicolas tenta de bafouiller quelque chose, mais ce fut finalement Dorian qui prit la parole :

« Il m’accompagne faire pipi, faut pas se séparer… »

Complètement à la ramasse, Nicolas regarda le cadet d’un air déphasé avant de reprendre.

« Oui, c’est ça…

— Il ne faut pas sortir la nuit. Et les latrines qu’on a creusées, elles sont de l’autre côté.

— … Ah, oui, tu as raison. »

Un silence gêné parcourut la petite assemblée.

« Nicolas, qu’est ce que tu fais ici avec Dorian ? »

Il lâcha la main de Dorian pour avancer vers Pacôme, se jetant presque sur lui, suppliant, pour lui murmurer à l’oreille :

« Écoute, tu sais ce que les autres veulent, tu entends les murmures ! Si on leur échange Dorian, alors ils pourront peut-être… »

Un grand coup en diagonale, une volée de bois en travers de la trogne. Nicolas tomba à terre.

Dorian voulut faire un geste pour l’aider à le relever, mais Pacôme interposa son bâton entre lui et Nicolas.

« Va réveiller les deux autres. Maintenant. »

Dorian partit en courant, laissant les deux autres seuls.

« Écoute, je voulais pas vraiment… »

Nouvelle volée de bois.

« On a pas le choix, merde, Pacôme ! »

Un nouveau coup, puis un encore. Au troisième, Nicolas attrapa le bâton en vol ; Pacôme se jeta sur lui, au sol.

Il maîtrisa le traître rapidement, se mit à genoux sur lui et arma le poing. Dans les yeux de Nicolas, Pacôme ne voyait que de la peur. Dans les yeux de Pacôme, Nicolas ne voyait que de la haine.



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