Nos Derniers Adieux

Pour la première fois de sa vie de Templier et de guerrier, Melbrecht fuyait le champ de bataille.

Ce n’était pas une fuite organisée ou une retraite stratégique. Ses Templiers et lui s’étaient sauvés du champ, courant pour trouver un abri et l’asile à la Maison de Bright. Pour la première fois de sa vie, le grand-maître d’un ordre templier fuyait avec ses hommes, abandonnant leur poste et leur honneur pour sauver leur peau le long de la rue principale.

Sur les deux cent cinquante Templiers qui avaient participé à la sortie de la nuit dernière à sa suite, seul cinquante se tenaient encore auprès de lui au moment où ils avaient abandonné le terrain. Sur ces cinquante, trente seulement avaient échappé à la mort tandis qu’ils s’enfuyaient. Onze Templiers et dix-neuf néophytes.

C’était la débâcle du plus prestigieux des ordres, une marque de déshonneur qui souillerait le nom de l’Ordre de la Corne pour les années à venir, mais pour l’instant Melbrecht n’en avait cure. Il regarda en arrière, vit le fléau qui gagnait du terrain derrière eux et prit conscience de l’ultime combat qui les attendait.

Derrière lui, les restes de l’armée ennemi progressait lentement et inexorablement, comme s’ils avaient tout le temps du monde. À leur tête se trouvait la silhouette imposante d’Asser Clef, paré de son harnois blanc resplendissant et tâché par le sang séché de la Grande Prêtresse. À son côté, la lame de Scrantonum de l’épée-sorcière de Sainte Agatha luisait d’une lumière rouge cramoisie, comme si elle se délectait encore de la chair de la sorcière.

Asser Clef leva les yeux vers la Maison de Bright et sourit.

Tout autour d’eux, des quartiers pauvres d’Altoville jusqu’aux manoirs de pierre grise du Quartier de l’Esprit, la cité tout entière était immobile et silencieuse, tandis que les foules se rassemblaient pour contempler la scène qui se déroulait sous leurs yeux.

La ville était tombée une fois de plus, une nouvelle armée progressait le long de ses rues, vers le Temple au sommet de la Colline de l’Amulette.

Mais cette fois-ci les temples ne brûlaient pas, personne ne se faisait massacrer dans les rues ni ne tombait sous les mâchoires sauvages des envahisseurs. Arnven tomba pour la seconde fois dans un silence total, sous le joug familier de l’humanité.

La Sainte Fondation était de retour.


Raetor regardait la procession depuis la grande fenêtre, un verre de vin à la main. Sur ses genoux se trouvait un petit livre détaillant les comptes impayés des marchands de la ville qu’il avait lui-même rédigé à une époque qui lui paraissait à présent bien lointaine.
Alors que l’armée continuait d’avancer le long de la rue principale, Raetor posa son verre sur la margelle de la fenêtre et déposa à côté le livre de compte. Il ne lui serait plus utile désormais, maintenant que la ville était tombée.

Il se leva de son siège et descendit silencieusement le long des escaliers jusqu’au Vestibule des Saints où régnait un silence de mort.

S’approchant du mur près duquel se trouvait la statue de Saint Mann, il ramassa la petite épée toute simple qu’il avait laissée là deux heures plus tôt. Il soupira et fit quelques mouvements d’échauffement avec en se remémorant le carnage de la Bataille du Chemin et le combat à venir.

Si cela doit être mon dernier jour sur Terre, se dit-il en examinant la lame, alors je le dépenserais au service de ma ville.

Puis, dans un fracas retentissant, les forces brisées de ce qui restait de l’Ordre des Templiers firent irruption dans la Maison de Bright, fourbus, blessés et abattus.

Raetor alla à leur rencontre en remettant son épée au fourreau qu’il portait à la ceinture.

“Où se trouve le grand-maître ?” dit-il d’un ton dur et coléreux.

Aucun des Templiers et des néophytes ne prit la peine de lui répondre, tandis qu’ils s’asseyaient parmi les statues des saints et des préceptes du Seigneur Bright gravés dans le marbre.

Il croisa les bras. “Mort dans ce cas, je présume ?”

Un long rire rauque lui répondit et la porte s’ouvrit une nouvelle fois pour laisser entrer la silhouette voutée du Grand-Maître Melbrecht, blessé et sanguinolent, mais toujours debout appuyé sur la perche de sa longue lance.

Raetor se retourna vers lui, choqué, tandis que Melbrecht s’avançait en claudiquant dans le vestibule où il se laissa glisser sans plus de cérémonie contre le mur de marbre.

“Croyez-moi Raetor,” dit Melbrecht, la voix rauque d’avoir tant crier durant la bataille. “Le grand-maître lui-même aurait préféré l’être.”

“Qu’est-ce qui se passe dehors, Grand-Maître ?” demanda Raetor en s’avançant rapidement face à Melbrecht. “Vous n’avez suivi aucun des plans décidés par le conseil et vous avez abandonné la ville à un soulèvement interne. J’ai dû ordonner à mes propres gens de massacrer les-“

“Droit au but, hein ?” dit Melbrecht en coupant Raetor. “C’était l’idée de la Dame. Ça a presque marché, leur armée était en plein chaos, un tiers d’entre eux étaient morts. Ce n’est pas votre rôle de la remettre en question.”

“Mon rôle, Melbrecht,” répondit Raetor. “est d’assurer la bonne marche de cette ville. Avec votre folle sortie vous avez compromis la paix de la cité.”

“Hmm, donc c’est de ma faute, c’est ça ? D’avoir osé quitter les murs de cette ville pour rompre le siège qui menaçait de la détruire ?” ricana Melbrecht. “Je n’ai pas le temps d’effectuer vos calculs, Raetor. Je suis le plan de la Dame à la lettre.”

“La Dame est mourante.”

La réponse toute simple de Raetor prit Melbrecht de court, il lui jeta un regard incrédule, sa résolution brisée.

“Que…” Melbrecht sauta sur ses pieds en un instant et se rapprocha de Raetor. “Comment ?!” demanda-t-il en mugissant de colère.

Melbrecht se prit la tête dans les mains de frustration. “Où est-elle ?” demanda-t-il.

Raetor fit un mouvement de tête en direction du saint des saints. “Là-bas, avec Frère Jaelen.”

Melbrecht fit un mouvement dans la direction du sanctuaire, mais Raetor lui saisit le bras pour l’arrêter.

“Ils se font leurs derniers adieux, Grand-Maître.” dit Raetor sur un ton d’avertissement. “Il serait plus prudent de ne pas les déranger.”

Melbrecht se retourna vers lui, le visage contorsionné de fureur. Il leva la main comme pour le frapper-

-avant de l’abaisser, les traits radoucis, tandis que son esprit commençait à assimiler la nouvelle.

Le Grand-Maître de l’Ordre de la Corne s’effondra alors et ses genoux heurtèrent le sol. Son cœur se fit plus lourd et son monde commença à s’écrouler autour de lui.

Puis, le Grand-Maître jadis si formidable se transforma en quelqu’un d’autre et Melbrecht fondit en larmes.


Les pas de Jaelen résonnaient sur le sol poli, ses doigts étaient serrés sur l’amulette incrustée de bijoux.

Il pénétra dans le Vestibule des Saints, où les statues des hommes et des femmes emblématiques de l’Église se dressaient de toutes part, leurs visages pleins de bienveillance et de sévérité.

Il les dépassa sans leur jeter un seul regard, se dirigea vers le bout du vestibule. Son cœur se faisait de plus en plus lourd à chaque pas qu’il faisait.

Il n’avait que l’amulette pour lui tenir compagnie dans ce couloir, sa douce chaleur le rassurait tandis qu’il s’apprêtait à affronter ce que le sort lui réservait.

Lorsque Jaelen émergea finalement du vestibule glacial, il trouva Melbrecht avachi sur le sol, effondré et en larme. Raetor, qui se tenait au-dessus du Grand-Maître, se retourna pour regarder le moine, son épée toujours au côté.

Frère Jaelen prit une profonde inspiration et fit un pas en avant, l’amulette autour de son cou brillait d’une magnifique lumière verte. En un instant, sa poitrine lui sembla plus forte et plus légère qu’elle ne l’avait jamais été à mesure qu’il regardait le visage des personnes rassemblées autour de lui.

“Notre cité…” commença-t-il. “Notre cité est tombée. Nos ennemis progressent le long de la rue principale, leur armée est déterminée à massacrer notre population et à enlever notre Dame.

“Nous avons essayé de les mettre en déroute hors de nos murailles et de les chasser loin de nous tant que nous en avions encore la force. Nous avons échoué, mais cela ne se reproduira plus. Nous sommes vos chefs, vos conseillers, les gens de cette cité à qui vous avez confié vos vies et vos foyers. En ce moment même l’ennemi se tient aux portes de ce temple, attendant l’occasion de nous abattre une bonne fois pour toute. Nous vous avons failli la première fois, mais nous ne vous décevrons plus.

“C’est le dernier combat de notre vie, mes amis. Nous avons combattu à l’extérieur de nos murs, à l’intérieur de notre cité, de notre temple, nous avons donné nos vies pour qu’Arnven puisse continuer à vivre. Combien de nos Templiers ont-ils trépassé sur cette terre sainte lorsque les animaux vinrent à nous lors de la Bataille de la Corne ? Combien de nos miliciens sont-ils tombés aux pieds des murs lorsque nous avons fait appel à leurs épées et à leurs lances ?

“Vous avez tous tant donné, je n’ai pas le droit de vous en demander plus.”

Les yeux de Jaelen se tournèrent vers Raetor, puis vers Melbrecht. Tandis que l’assemblée des Templiers et des néophytes le regardaient, il prit une dernière inspiration, réfléchissant aux mots qu’il s’apprêtait à prononcer ensuite.

“Nos ennemis sont des milliers et nous ne sommes que quelques douzaines. Un dernier combat désespéré serait certes noble, mais idiot. Une histoire dont les générations futures se souviendraient comme celle d’une folle entreprise.”

Jaelen saisit une lance dans un râtelier près de lui et la brandit dans les airs de sa bonne main. “C’est pourquoi je vous demande de me laisser combattre Asser Clef d’homme à homme et de laisser le destin de cette ville se décider sur un dernier duel à la lance contre l’épée.”

À ces mots, les personnes qui étaient assemblées là éclatèrent en murmures et le regardèrent avec une expression mêlée d’admiration et d’espoir résigné. Il sentit une main le saisir par le bras et la grande silhouette voûtée du Grand-Maître le força à le regarder dans les yeux.

“Avez-vous perdu l’esprit, Jaelen ?!” dit-il dans un chuchotement rauque. “Asser est une légende parmi les hommes, il porte les reliques et l’armure des saints. Vous n’êtes qu’un petit moine sans la moindre formation militaire de base sans la moindre pièce d’armure pour vous défendre et armé d’une simple lance. Avez-vous l’intention de mourir et de nous entraîner avec vous ?”

Raetor se plaça à la droite de Melbrecht, les yeux baissés perdus dans ses pensées.

Melbrecht continua à parler, les doigts de sa main enfoncés dans l’épaule de Jaelen. “Vous n'avez pas la moindre chance, Jaelen ! Revenez sur votre décision, je vous ordonne de-“

Raetor mit sa main sur l’épaule du Grand-Maître avant qu’il n’aille plus loin. “Une entreprise hasardeuse, certes,” dit-il en les regardant tous les deux. “Mais pas sans mérite. Il se fera sûrement massacrer s’il y va seul…”

“Mais si nous étions trois ?”

Melbrecht et Jaelen se tournèrent vers lui, leur visage affichant la même expression de surprise.

Raetor insista. “Pensez-y, d’accord ? Le Cardinal pensera sécuriser sa victoire, ainsi que l’occasion de mettre son honneur en valeur. Qui rejetterai l’opportunité d’un duel à mort avec le sort de toute une ville en jeu contre un marchand, un vieux guerrier et un moine. Il s’imaginera que ce sera une tâche aisée.”

“Mais de tous les plans que nous ayons, celui-ci est le seul à avoir la moindre petite chance de succès. Melbrecht sera notre fer de lance et attaquera de front pour distraire le Cardinal. Le frère et moi viseront les points faibles dans sa garde et perceront ses défenses pour l’affaiblir au moment opportun. Il n’y aura qu’une faible chance de succès, certes, mais si nous y parvenons nous abattrons leur chef et nous sauverons la cité. Je dis que nous devons le faire.”

Jaelen hocha solennellement la tête. “Je suis d’accord.”

Seul Melbrecht n’avait pas l’air convaincu et il les regardait tous les deux avec une incrédulité croissante.

Puis son visage prit une expression résignée et il hocha à son tour la tête dans leur direction.

“Très bien,” dit le Grand-Maître. “Je vais participer à votre plan insensé.” Il s’esclaffa. “Je n’ai plus grand-chose à perdre de toute façon. Si Bright Lui-même souhaite que cela soit notre dernier combat, alors combattons pour la Dame et la cité.”


La tension emplissait l’atmosphère autour du temple, tandis que l’armée et les habitants attendaient la réponse des personnes qui s’y cachaient.

Maera, qui se rangeait à présent ouvertement du côté de la Fondation, se tenait auprès de la silhouette immaculée d’Asser. Même à présent, une suée nerveuse lui coulait le long du visage, tandis que le grand Docteur Cardinal attendait auprès d’elle en silence.

Cela faisait à peine trois minutes que l’armée s’était immobilisée devant la Maison de Bright, encerclant la Colline de l’Amulette et tenant à bonne distance la noblesse et les citoyens normaux pour les empêcher d’observer l’entrée du Temple. Bien qu’elle eût craint qu’Asser ne donne immédiatement l’ordre à son armée d’investir le temple et de tuer tous ses occupants, les dernières minutes témoignaient du message que souhaitait faire passer le Docteur Cardinal :

Cette affaire relevait de l’Église et personne n’y avait son mot à dire.

Maera prit une profonde inspiration en s’efforçant de conserver une apparence de calme et de sang-froid, mais ses genoux tremblaient sous sa longue toge.

J’ai tant fait pour que nous arrivions à ce moment, se disait-elle en attendant. Si tout devait échouer maintenant ce serait-

Puis, les portes blanches s’ouvrirent et révélèrent trois silhouettes solitaires qui s’avancèrent depuis l’entrée.

Frère Jaelen se tenait tout à droite, le visage dur et sans compromis, à la grande surprise de Maera. Il avait autour du cou une amulette plutôt jolie dans laquelle était enchâssée une étrange et magnifique gemme vert-de-gris qui scintillait quel que soit l’angle sous lequel on l’observait. Il avait troqué sa robe de bure monastique contre une tenue de bataille plus courte et plus sombre qui flottait au vent tandis qu’il marchait. Dans sa bonne main il tenait une fine lance de Templier, une de celle de fabrication et de style nordique.

Au centre, le Grand-Maître Melbrecht marchait lentement de l’avant, sa tignasse rouge attachée vers l’arrière. Sa claudication avait disparu, remplacée par une démarche pleine de dignité, son armure de plate polie reflétant la lumière des lampes. Dans sa main droite il tenait une lance de Templier beaucoup plus longue, de forme similaire à celle de Jaelen, bien que manifestement conçue pour un homme plus large et à la stature bien plus imposante. Des rides parcouraient le visage inquiet du vieux guerrier cinquantenaire alors qu’il descendait les marches du Temple.

À gauche, le Maître des Guildes Raetor marchait au même rythme que les autres conseillers, son regard glacial braqué en direction de Maera. Sa coupe au carré lui donnait un aspect incroyablement austère, plus appropriée pour un général ou un soldat que pour un chef des marchands. Sa longue barbe, sa cotte et sa coiffe de maille accentuaient encore cet effet. Il gardait la main sur la poignée de son épée au fourreau en avançant et ses yeux perçant se posaient alternativement sur ceux de Maera et d’Asser.

Asser fit un pas dans leur direction et Maera le suivit.

L’air froid d’automne soufflait à travers la ville et Asser commença les pourparlers.

“Comment se porte la sorcière ?” demanda-t-il. Son visage casqué ne trahissait aucune émotion dans sa voix. “Pas très bien, je présume ?”

Melbrecht, à la tête des trois conseillers, sourit. “La Grande Prêtresse est sévèrement blessée, mais elle récupère en ce moment même.”

“Vraiment ?” dit Asser d’une voix incrédule. “Dans ce cas transmettez-lui tous mes vœux. Elle sera bien assez tôt en ma compagnie.”

Sur le côté, Maera remarqua que Jaelen tenait fermement l’amulette posée contre sa poitrine.

“Donc,” fit de nouveau Asser en étirant les bras devant lui dans un geste satisfait. “Êtes-vous venus pour vous rendre ? Pour recevoir nos conditions ? Le temps est une ressource précieuse que je ne souhaite pas gaspiller.”

“Nous sommes venus présenter nos conditions,” dit Raetor. “Les conditions qui vous permettront de quitter notre cité en paix.”

“Je crois que la position de la Fondation à ce sujet est devenue plutôt claire,” répliqua Asser en caressant délicatement du pouce le pommeau de l’épée bâtarde à son côté. “Livrez-nous la sorcière ou son cadavre. De plus la tête des meneurs de la rébellion qui ne sont pas encore mort-“ Il indiqua l’extérieur des murs où gisait encore le corps de Garvin. “-ou qui n’ont pas expié leurs péchés en aidant la Fondation à appliquer sa justice.” Il fit un mouvement de tête en direction de Maera qui se tenait à côté de lui.

À ces mots les têtes de Melbrecht et de Jaelen se tournèrent dans sa direction. Le regard de Melbrecht la transperça sur place, mais l’expression de Jaelen indiquait plutôt la pitié et la déception. Elle baissa la tête pour éviter leurs regards.

Raetor se tenait impassible, ses yeux fixés uniquement sur Asser. “Vous considérez-vous vous-même comme un homme d’honneur, Docteur Cardinal ?”

Le regard d’Asser se posa sur Raetor. Soudain, toutes les intonations dans sa voix disparurent. “Oui, marchand. Je le suis.”

“Dans ce cas vous avez dû entendre parler des duels de sang, n’est-ce pas ?”

Asser s’esclaffa et hocha la tête sur le côté pour marquer son incrédulité. “Vous vous riez de moi.”

Raetor se redressa et fit un pas en avant pour se rapprocher d’Asser, leurs visages se touchant presque en raison du dénivelé des marches qui les plaçait au même niveau.

Il sourit. “Et si c’était le cas, Docteur Cardinal ?”

L’atmosphère autour d’eux était pleine de tension, tandis que le peuple d’Arnven et les soldats de la Fondation regardaient la scène qui se déroulait devant eux.

Raetor faisait face au visage casqué du Cardinal en silence, la main fermement refermée sur la garde de son épée.

Melbrecht regardait, les bras croisés.

Jaelen tenait fermement l’amulette autour de son cou et se murmurait quelque chose à lui-même observant les silhouettes qui lui faisaient face.

La main gauche d’Asser agrippait l’épée sorcière et son poing droit frémissait à son côté.

Maera ne pouvait que regarder en retenant son souffle, sa main s’éleva pour couvrir sa bouche.

Non.” répondit simplement Asser à travers ses dents serrées.

Raetor lui rit au nez. Un rire moqueur, un qui s’éternisa longuement à la face d’Asser, ridiculisant un homme de haut rang et de haut lignage comme s’il n’était qu’un moins que rien.

Son rire résonna dans la nuit froide à travers la foule, les rues et les maisons, répandant largement la nouvelle de la couardise d’Asser Clef.

Asser envoya son poing dans la joue de Raetor en réponse, l’envoyant valdinguer sur le sol froid.

L’impassible guerrier blanc sentait à présent la rage et la fureur infuser à travers ses veines et sa vision s’assombrit. Il tira rapidement son épée et l’éleva pour frapper-

Mais Jaelen et Melbrecht se précipitèrent à son secours et bloquèrent la lame de l’épée bâtarde grâce aux solides hampes d’acier de leurs lances de Templiers.

“Si vous voulez le tuer,” dit Jaelen. “Si vous voulez tuer notre Dame,”

“Alors vous allez devoir nous combattre.” dit Melbrecht dans un grondement sourd.

Asser les dévisagea et retira son épée dans un geste vif pour préserver sa dignité.

“Donc…” dit-il à travers ses dents serrées, sa main droite quitta la poignée de son épée pour aller retirer son casque qu’il jeta au loin.

“Putain…” Il utilisa le plat de sa main gauche pour nettoyer son épée du sang de la Grande Prêtresse, colorant le sol à côté de lui d’un rouge sombre.

“Qu’il en soit ainsi.” Il fit passer son épée dans son autre main et la brandit dans leur direction. La précieuse lame de Scrantonum luisit d’une lumière sombre malveillante.

Raetor se redressa triomphalement en essuyant le sang qui coulait de son nez et tira sa lame courte de son fourreau.

“Oui,” dit-il avec un sourire sanglant. “Un guerrier légendaire de la lignée des saints est enfin prêt à relever le défi d’un moine, d’un marchand et d’un vieillard.”

Il ricana de nouveau. “Comme on aurait pu s’y attendre de sa part.”

“Acceptez-vous le défi d’un duel à mort ?” l’interpella Jaelen en plaçant sa lance en garde. “Acceptez-vous de ne céder que devant la mort et d’abandonner vos prétentions sur cette ville si vous perdez ?”

Asser Clef se lécha les lèvres et ses yeux gris brûlèrent d’une rage contenue. “Oh,” dit-il en savourant le combat à venir. “Oh… oui.

Le Cardinal frappa le premier, cingla en direction de Raetor avec une vivacité jamais vue jusqu’alors.

Raetor évita la lame de justesse et s’écarta à la dernière seconde alors que l’épée d’Asser s’approchait dangereusement de son visage.

Melbrecht se fendit à son tour et frappa au genou, là où se rejoignaient les plaques de son armure.

Le guerrier expérimenté l’évita sans efforts, bouscula Melbrecht pour lui faire perdre l’équilibre et dans le même mouvement tenter lui trancher la tête au niveau du cou.

“Non !” hurla Jaelen en donnant un coup de pied dans la cheville du Cardinal, ce qui fit glisser son pied sur le sol.

Voyant qu’il était dangereusement près de perdre l’équilibre, Asser rapprocha ses pieds l’un de l’autre et sa lame érafla la joue de Melbrecht, éclaboussant le sol de sang tandis qu’il battait rapidement en retraite.

“On attaque un par un, hmm ?” dit Asser en esquissant un sourire sur ses lèvres. “Une manœuvre de couards.” Il fit un pas en avant et projeta son épée en direction d’un Jaelen en difficulté, visant sur son torse à découvert-

Avant d’effectuer une feinte dans un rapide changement de direction. Sa lame frappa vers le bas pour toucher le genou de Melbrecht, tranchant à travers la genouillère avec un schliiik ! satisfaisant.

Les yeux de Raetor s’écarquillèrent d’incrédulité lorsqu’il vit Melbrecht hurler de douleur alors que sa jambe cédait sous son poids.

Puis, dans un mouvement digne des plus grands maîtres bretteurs, Asser éleva son épée pour donner le coup de grâce et trancha rapidement et silencieusement la gorge de Melbrecht. Le vieux guerrier s’effondra sur le sol.

“Un travail d’amateurs,” railla Asser en regardant Melbrecht se convulser en vain sur le sol qui s’étranglait dans son propre sang. “Vos gardes sont maladroites, vos réactions trop lentes… c’était le seul qui représentait une menace et il est tombé bien facilement.”

Jaelen détourna le regard alors que Melbrecht rampait en direction d’Asser, laissant derrière lui une trainée de sang sur le sol, tandis que le vieux guerrier utilisait sa main valide pour agripper son cou sanglant.

Asser évita sans difficulté la faible menace que représentait l’homme agonisant et plongea son épée bâtarde dans le dos de Melbrecht et les côtes du vieillard cédèrent sous la lame effilée de l’épée sorcière dans un léger schrack.

Raetor saisit l’opportunité en abattant son arme sur le poignet sans protection de Asser qui la para souplement en retirant son épée du corps de Melbrecht, faisant en sorte que la lame de Raetor ne rencontre que de l’air.

Asser et les deux conseillers restants s’écartèrent de nouveau et reprirent leur souffle le temps de se préparer à la prochaine phase du combat.

“Bande de bâtards imbéciles.” dit Asser en brandissant son épée devant lui, tandis qu’ils se tournaient tous trois en cercle l’un autour de l’autre. “Vous avez eu tort de me défier.”

Ce fut au tour de Jaelen d’attaquer et il plongea en avant à la rencontre d’Asser.

Asser l’évita avec souplesse, sa lame para une botte de Raetor et il contre-attaqua en visant la tête de ce dernier.

Cherchant désespérément à mettre fin au combat, Jaelen attaqua de nouveau avec sa lance en visant le point vulnérable de la cheville d’Asser…

…mais pas assez rapidement pour empêcher Asser de toucher l’un des yeux de Raetor d’un seul geste, arrachant un cri de souffrance au Maître de Guilde.

Une fraction de secondes plus tard, la pointe de la lance de Jaelen déchira la jambe d’Asser, transperça le tissu sous l’armure et rétablit l’équilibre du combat.

Asser se redressa douloureusement et recula sur sa jambe blessée, haletant tandis qu’il battait en retraite.

À quelques mètres à peine devant lui, Raetor se remit sur ses pieds, l’équilibre incertain. Du sang coulait de son œil manquant sur sa joue.

Y voyant là une opportunité, il frappa d’estoc vers la tête de Raetor…

… mais changea de direction au dernier moment et frappa la poitrine de Jaelen, l’envoyant s’effondrer sur le sol.


Les ténèbres envahirent le monde et Jaelen se sentit heurter le sol meuble.

Il sentit quelque chose de chaud mouiller sa poitrine et éleva un bras pour tenter d’endiguer le flot.

Il entendait le bruit mat de l’acier contre la lame-sorcière, tandis que l’obscurité se refermait sur le monde autour de lui.

La blessure sur sa poitrine était de plus en plus froide. Elle envahit sa chair exposée et il sentit ses yeux se fermer et les souvenirs revinrent à sa mémoire.

Puis il la vit, couchée sur le lit de pierre froide du saint-des-saints.

Sigurrós ferma les yeux, les mots qu’elle prononçait lui faisaient mal à mesure qu’elle parlait.

“Je… Je crois que je suis en train de mourir.”

“Par Bright…” dit Jaelen, les yeux écarquillés. “C… comment ?”

Sigurrós leva le moignon de son bras droit et montra à Jaelen la douce lumière rouge qui émanait de sous les bandages. “Le Docteur Cardinal, il…” Elle inspira profondément, l’effort lui broyait les côtes. “Il détient l’épée-sorcière de Sainte Right et s’en est servie pour me couper la main au poignet.”

Elle sourit faiblement en montrant les dents. “C’est la fin du chemin pour moi, Jaelen. Ma magie s’affaiblit en ce moment même et j’ai de plus en plus de mal à garder les yeux ouverts.”

Jaelen, choqué, ne put que la regarder en silence, ses larmes dessinant des traînées sur ses joues.

Sigurrós prit sa main dans la sienne et la tint fermement. “Reste… juste ici, à côté de moi un moment, d’accord ?” Elle se servi de son moignon pour lui relever la tête et le regarder dans ses yeux bruns, ignorant la douleur aigüe que ce geste faisait naître chez elle.

Elle vit le désespoir et le chagrin sur son visage et les larmes commencèrent à s’amonceler au coin de ses yeux. Il ne voulait pas la laisser partir, même si Bright en personne avait surgit de son amulette pour le lui ordonner.

Elle inspira de nouveau et se mordit la lèvre avant de se remettre à parler. “Reste près de moi, Jaelen. Je veux te parler maintenant, comme nous le faisions auparavant.” Elle sourit, même si l’expression sur son visage paraissait bien trop fragile. “Plus de grande prêtresse, plus de conseillers, juste… en tant qu’amis.”

Les larmes coulèrent le long du visage de Jaelen et il détourna les yeux, la respiration secouée de brefs sanglots.

Puis, presque imperceptiblement il parvint à acquiescer légèrement. “D’a…” commença-t-il, la lèvre tremblant légèrement à mesure qu’il parlait. “D’accord.”

La main de Sigurrós se serra encore plus fort sur la sienne et elle se mordit les lèvres tout aussi fort pour retenir ses propres larmes.

“Tu te souviens… tu te souviens quand il n’y avait que toi et moi dans l’auberge ? J’avais pris l’habitude de te regarder prier Bright toute la nuit, réciter les procédures encore et encore. Dès la première fois où je t’ai vu, tu m’avais semblé si… dévot. Plein de foi. Gentil par-dessus tout.” Elle rit à nouveau. “Chaque fois que tu m’enseignais mes sortilèges, chaque fois que tu m’enseignais la Nouvelle Langue plutôt que l’ancienne, tu avais toujours l’air d’avoir cet… état d’esprit. Toujours.”

À cet instant, elle ne put plus retenir ses larmes plus longtemps. “Cette époque dans l’auberge me manque, Jaelen. Il n’y avait que nous deux qui apprenions, enseignons, parlions, crions, rions.”

“Elle me manque aussi.” dit Jaelen en essuyant ses larmes avec la manche de sa robe. “Bright le sait aussi, j’en suis sûr.”

“Je ne peux pas le faire…” Il inspira et ses larmes coulèrent de nouveau. “Je ne peux pas le faire sans toi, Sigurrós. Je… je ne peux tout simplement pas.”

“Tu le peux, Jaelen.” dit Sigurrós en plongeant ses yeux dans ceux de Jaelen. “Tu le dois.”

“Tu as une ville dont tu dois prendre soin à présent, lorsque je serai partie. Tu dirigeras Arnven vers une nouvelle ère, un nouveau commencement loin de l’emprise de la Fondation, loin des troubles qui nous ont suivis.”

“Nous méritons au moins ça, Jaelen.”

“Mais Asser…”

“Asser tombera, comme tout mal doit tomber sous le regard de Bright.” Elle se mordit de nouveau la langue et se rapprocha davantage de lui à mesure qu’elle parlait. “Je serai là avec toi, du moment où tu sortiras de ce temple jusqu’au moment où tu quitteras la Terre. Je serai là quand tu entreras dans le Pays des Saint, attendant le moment où tu viendras me rejoindre. Je serai là dans chaque brin d’herbe que tu verras, dans les étoiles innombrables de la nuit noire, dans chaque stèle de marbre et dans chaque temple.”

Elle chuchota quelque chose dans un souffle et une douce lumière verte apparue entre leurs mains entrelacées.

“Porte ça lorsque je serai partie, lorsque tu feras face à Asser et que tu n’auras plus nulle part où aller. Je serai là pour te guider.”

Puis, en un instant, Jaelen la prit dans ses bras et elle sentit toute sa douleur disparaître tandis que sa douce chaleur enveloppait son corps tout entier.

“Merci.” lui murmura Jaelen à l’oreille.

Sigurrós ne put rien faire d’autre que sourire et ferma les yeux en sentant les ténèbres s’approcher.

Lorsqu’ils se séparèrent, Sigurrós se reposait paisiblement, son corps retenant toujours la chaleur qu’il lui avait donné.

Les larmes de Jaelen coulèrent pour la troisième fois pour la jeune fille qu’il avait tant aimé et il eut l’impression que le monde venait de s’arrêter autour de lui.

Lorsqu’il trouva la force de se relever, plusieurs minutes plus tard, il dégagea sa main et y trouva une petite amulette au creux de sa paume. Il y avant une gemme de la même couleur de ses yeux au centre, pure et magnifique.

Elle chatoyait à présent dans l’obscurité, un petit point de lumière loin devant lui dans le néant obscur qui l’environnait.

Il avança sur ses pieds incertains et tendit la main pour l’attraper.

Ses doigts se refermèrent sur la chaleur de l’amulette, le dernier cadeau de Sigurrós.

Il la tint contre sa poitrine et la berça dans les ténèbres et ses pieds quittèrent le sol, tandis qu’il s’élevait dans les airs.

Vis, Jaelen. dit l’amulette de sa douce chaleur. Vis… pour moi.

Je ne peux pas. dit-il tandis qu’il flottait à travers l’espace obscur. Je veux être avec toi.

Un rire lui répondit, clair et constant, chaud et lumineux. Ce n’était plus l’amulette qui parlait à présent. C’était Sigurrós qui vivait à travers elle – qui vivait à travers lui.

Jamais je ne te quitterai, Jaelen. dit-elle, et sa lumière devint soudain de plus en plus forte. Tu te souviens de ce que j’ai dit ?

Alors ils flottèrent tous les deux dans le vide et il ferma les yeux, laissant la douce chaleur l’emporter où il avait besoin de se rendre.

Alors elle parla de nouveau.

“Ouvre les yeux, Jaelen.” dit-elle.

Et il les ouvrit.

Ses yeux brillants rencontrèrent de nouveau les siens, ses cheveux couleur de soleil flottaient librement dans le vide. Son sourire ne le quitta pas tandis que son visage se rapprochait de lui. La chaleur de ses bras lui disait tout ce qu’il y avait à dire, alors qu’ils se trouvaient réunis à nouveau.

“Tu es…” commença Jaelen, les larmes aux yeux. “Tu es là.”

Sigurrós rapprocha encore son visage et leurs têtes se touchèrent, tandis qu’ils dérivaient tous deux enlacés dans le vide.

“Je t’ai dit que je serai là, n’est-ce pas ?” dit-elle, les yeux brillants et magnifiques. “J’ai dit que je serai toujours avec toi.”

“Je…” Jaelen sourit. “Je ne suis pas très bon pour écouter les gens.”

“Menteur !” répliqua-t-elle sur le ton de la plaisanterie. “Bien sûr que tu l’es, Jaelen !”

Il rit depuis la première fois depuis ce qui lui semblait être une éternité et se pressa davantage contre elle jusqu’à sentir de nouveau sa chaleur. “J’avoue,” dit-il. “Je le suis.”

Sigurrós gloussa. “Alors tu te rappelles aussi de ce que je t’ai dit de faire, n’est-ce pas ?”

Jaelen la regarda et une pointe de tristesse apparut sur son sourire. “Je m’en rappelle, tu sais que je m’en rappelle.”

Elle approcha ses doigts et lui toucha affectueusement le nez. “Alors vas faire ce que je t’ai dit de faire, d’accord ?”

Jaelen détourna la tête pour objecter. “Mais je n’ai pas-“

“Chhhhht…” dit Sigurrós en l’interrompant d’un doigt sur ses lèvres. “Je serai ici quand tu reviendras.”

Elle désigna le vide autour d’eux. “Et alors, quand ce jour viendras, peut-être que tout ceci ne sera pas si sombre.”

Jaelen sourit une dernière fois. “Attends-moi, d’accord ?”

Sigurrós acquiesça et sourit en retour. “Tu sais bien que je le ferai.”

Puis, elle invoqua une langue de flamme verte d’un claquement de doigts. “Souviens-toi d’utiliser mon amulette lorsque tu en auras besoin, d’accord ?”

Jaelen hocha la tête, sentit le bijou dans ses mains et ses doigts se refermèrent dessus. “Je m’en souviendrai.”

Sigurrós sourit largement, puis posa un doigt brillant sur son front et la lumière l’enveloppa de nouveau.

La dernière chose qu’il vit d’elle lorsqu’il partit fut l’éclat de ses yeux.


Jaelen s’éveilla au son de l’acier sonnant et des gémissements contenus de Raetor blessé qui parait une nouvelle botte d’un Asser claudiquant. Le Cardinal pressait son attaque, ses assauts se faisant soudain de plus en plus désespérés, tandis que Raetor bloquait maladroitement chaque attaque de sa propre épée.

Jaelen se remit sur ses pieds, l’amulette étincela de pouvoir et la blessure sur sa poitrine commença à guérir.

Guairy, fit une voix douce dans son esprit, et les chairs de la blessure ouverte se refermèrent.

“ASSER !” cria-t-il en récupérant sa lance sur le sol.

Le Cardinal tourna la tête en entendant le cri soudain. Saisissant sa chance, Raetor se fendit en avant mais son épée lui fut arrachée des mains d’un seul coup.

Puis, d’un coup rapide vers le bas, Asser plongea son épée dans le dos de Raetor.

Silencieusement, il retira son épée du corps du Maître de Guilde et se tourna face à Jaelen pour s’avancer vers lui.

“Tu es censé être mort.” dit-il en élevant son épée au-dessus de sa tête pour préparer son coup.

Jaelen sentit une énergie revigorante couler dans ses veines et laissa échapper un ultime cri de guerre, brandit sa lance en avant avec une vitesse surhumaine dans une attaque que Asser, épuisé, ne para que de justesse.

"C’est…" dit Asser en reprenant sa garde. "C’est impossible !"

Sans mot dire il piqua de sa lance encore et encore, fatiguant le Cardinal qui perdait son temps à parer chaque attaque de sa lame.

Le Docteur Cardinal reculait de plus en plus sous les assauts, parvenant tout juste à contrer les poussées rapides de Jaelen.

Puis il le vit, un point faible dans sa garde.

Avec un sourire triomphal, le Cardinal leva au-dessus de sa tête pour exploiter l’erreur de Jaelen -

Mais il sentit les doigts de Raetor se refermer sur sa cheville et s’enfoncer dans la plaie ouverte que lui avait infligé Jaelen et il perdit l’équilibre et la concentration qu’il possédait un instant plus tôt.

D’une dernière poussée décisive, Jaelen transperça la gorge d’Asser et la pointe émergea de l’autre côté de sa nuque, le tuant instantanément.

Jaelen serra les dents et regarda Asser dans les yeux, la hampe de sa lance toujours enfoncée dans sa gorge.

Alors il parla, son ultime réplique.

"Tu ne sais rien de ce qui est impossible."

Il retira sa lance de la gorge du Cardinal, mettant un terme au duel et regarda la vie quitter les yeux du guerrier.

Asser s’effondra par terre et son sang inonda le sol auprès du corps agonisant de Raetor.

Ils avaient gagné. Tout allait bien.


À ma chère Sigurrós, où que tu sois,

J’apporte de bonnes nouvelles.

Asser est mort, je l’ai tué de mes mains, tandis que ton pouvoir passait à travers moi. Après le duel, la paix a été conclue entre nous et la Fondation. En vérité, il n’y avait qu’Asser qui avait la volonté de mener quelque chose comme une guerre totale contre notre peuple – l’Église était à sec et au bord de la rupture, menacée de l’intérieur par les schismes croissants et de l’extérieur par les restes de l’armée des animaux.

Après que la poussière soit retombée sur Arnven, j’ai pris du galon et suis devenu le Grand Prêtre pour mener notre peuple vers des lendemains meilleurs. Nous avons rebâti, bien que la tâche ait été lente, pour créer quelque chose de nouveau des cendres laissées par le ciel. Un an plus tard, les gens affluent de nouveau dans notre cité pour prier dans nos temples et commercer avec nos marchands. Comme s’il ne s’était rien passé et j’en suis heureux.

Les tensions demeurent élevées malgré tout et le schisme s’impose de jour en jour. La paix fragile entre nous et la Fondation perdure, mais Arnven est devenue sa propre nation d’elle-même. Déjà de plus en plus de cité à l’est suivent notre exemple – Utgard, Eridar, Necramundas et Finrys, devenant leurs propres maîtresses et gagnant leur souveraineté et leur indépendance vis-à-vis de la Fondation à laquelle nous appartenions toutes, suivant les préceptes de Bright, mais rejetant les commandements du Conseil.

J’espère simplement que vous pouvez le voir d’où vous êtes, toi, Melbrecht, Garvin et Raetor.

Maera elle-même a perdu son statut de conseillère peu après l’issue du duel et est retournée dans sa famille en disgrâce. Je lui ai pardonné, si tu arrives à le croire. Un an après elle a commencé à redevenir un membre vital de la noblesse, calmant la colère des gens qui souhaitaient des représailles contre les marchands après la Bataille de la Rue. Peut-être qu’à l’avenir elle retrouvera sa place au conseil en tant que Dame Conseillère, mes nouveaux conseillers ne manquent jamais une occasion de m’en parler.

Eh bien, je suppose qu’à présent que la cité est en paix je n’ai plus grand-chose à évoquer. Ton amulette est toujours pendue autour de mon cou et elle ne le quitte jamais. Parfois je pose mes doigts tremblants sur elle pour me souvenir de toi. Cela ne manque jamais de m’apaiser le cœur. L’épée écarlate d’Asser est suspendue près de la statue de Sainte Right, personne n’y a touché au fil des années ayant suivi le duel. Tes vieilles robes… Je les ai rangées dans le coffre de ta chambre. C’est ce que tu aurais voulu.

Par Bright, cela fait-il vraiment cinq ans ? Parfois j’oublie que tu n’es plus auprès de moi, tes grands yeux brillants comme la gemme de ton amulette. Parfois j’appelle le nouveau Grand-Maître par le nom de Melbrecht ou je regarde le Maréchal et le Maître de Guilde comme je l’aurais fait pour Garvin ou Raetor. Cette paix finale est silencieuse et tranquille, mais parfois je n’arrive pas à en oublier le coût.

Mais chaque jour qui passe apporte plus de vie à la ville, plus de commerce pour les marchands et plus de pèlerins dans les temples. Les cinq dernières années nous ont laissé croître et à présent nous nous tenons plus haut que nous ne l’avons jamais été, suivant notre propre chemin et traçant nos propres voies dans le monde que Bright souhaite que nous prenions possession.

Une fois mon travail achevé ici, j’irais te retrouver dans la terre des saints, Sigurrós. N'oublie pas de m’y attendre.

À toi pour toujours,
Grand Prêtre Jaelen.

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