Nos destins poétiques

Dans le noir de la nuit et le silence nocturne,
une figure émergea de l’ombre, taciturne.
C’était un homme, grand et silencieux, visiblement tendu.
Ses mains étaient dissimulées dans les poches de son manteau, enfouies sous le tissu.

Il leva les yeux vers le lieu de son arrivée :
Une mine ancienne, que le temps n’avait pas épargnée.
Cachée dans le creux d’une forêt, sans vie, abandonnée,
C'était pourtant à elle que les mots sur le message menaient.

Il hésita à attendre dans le froid hivernal.
Mais la curiosité vainquit son incertitude, il était heureux d’échapper à son quotidien banal.
Il s’adossa donc à un tronc, et attendit un signe quelconque, tout en s’allumant une cigarette.
Les minutes passèrent, il se sentit piquer du nez, ses épaules ne soutenaient plus sa tête.

Finalement, du bruit survint des profondeurs de la mine, et l’éveilla.
Il sortit de la somnolence en sursaut, manqua de s’étaler, se repositionna.
Et alors qu’il attendait avec appréhension que l’individu l’ayant convoqué se fasse connaître,
une silhouette émergea progressivement du néant, illuminée par une lanterne à l’état piètre.

C’était une femme à la peau cuivrée et aux cheveux noirs, à la mine sévère et impassible.
La méfiance brillait dans ses yeux, et il y reconnut la peur d’être prise pour cible.
Il se força donc à sourire pour paraître aimable, et voulut prendre la parole le premier.
Elle l’interrompit sans façon, envoyant ses mots résonner sous la sombre canopée :

« – Êtes-vous celui qui m’a convoquée ?
Ou une autre victime égarée ?
»

Il leva un sourcil en entendant ces vers.
Quelle curieuse façon d’éviter de se taire !
Il répondit malgré tout en montrant son message sur papier, ne voulant se montrer impoli.
Et à sa grande surprise, lui aussi ne put s’exprimer que par la poésie :

« – Madame, je suis dans le même cas que vous.
On me fit venir par ce même mot doux.
»

En l’entendant rimer, les yeux de la femme s’écarquillèrent.
Elle avait ainsi des sentiments, et n’était pas une statue de pierre !
Cette pensée ironique aurait fait rire le jeune homme
s’il n'était pas trop occupé à craindre pour sa prose autant que sa personne.

« – Ce recours fut employé sur moi,
j’arrivais sur les lieux la première.
Pas âme qui vive dans ce cimetière.
Je rentrais dans la mine, j’avais froid.

Il fallait être courageuse pour faire cela.
Je n’aurais jamais osé rentrer, par effroi.

Stupide plutôt, comme l’avenir le montrera.
Je suis tombée sur cette lampe, abandonnée là.
À haute voix j’ai parlé de sa couleur amère.
Depuis je suis tourmentée par des phrases en vers.

Cette maladie me serait venue ?
Un événement si incongru…

Et involontaire, soyez-en assuré.
Autrement jamais je ne vous l’aurais montrée.
»

D’un signe de la main, il lui indiqua qu’il ne lui en tenait pas rigueur.
Elle accepta cette indifférence feinte avec une certaine candeur,
ou peut-être n’avait-elle cure de savoir comme se portait son interlocuteur.
La situation lui pesait pourtant bien sur le cœur.

« – Aurions-nous été pauvrement piégés ?
Qui s’intéresse à nos destinées ?
se demanda à haute voix le jeune homme.

Je ne crois pas à la magie, mais aujourd’hui si.
Cela n’arrive pas par hasard, nous sommes maudits,
affirma à son tour l’autre personne. »

Ils restèrent ainsi un moment durant,
immobiles dans la nuit et le froid glaçant.
Finalement, ils finirent par se regarder dans les yeux :
leur regard brillait d’un éclat n’ayant rien à envier au feu.

« – La réponse s’il y a, existe dans cette mine.
L’envie d’y entrer, comme je le crois, vous fascine :
Pourquoi ne pas obéir à cette injonction,
et enquêter dès maintenant sur notre affliction ?

Je comprends votre raisonnement, répondit la femme.
Laissez-moi prendre tous les devants.
J’éclairerai bien notre chemin
De l’ustensile que j’ai dans la main,
fit-elle en montrant la flamme. »

Cet accord fut convenu prestement.
L'homme trouvait son calme très impressionnant.
Il voulut savoir plus précisément à qui il avait affaire,
et s'enquit donc du nom de sa partenaire.

« – Mes parents me nommèrent Amandine.
Ce ne fut pas leur idée la plus fine.

Loin de moi l'idée de m'en moquer.
Après tout, je m'appelle bien Didier.
»

Ils hochèrent la tête en se souriant, n'étant plus étrangers.
Puis s'enfoncèrent ensemble dans les profondeurs du danger.


Il leur fallut user leurs semelles pour parvenir enfin jusqu'aux réponses attendues.
Ni l'un ni l'autre n'avait visiblement prévu cette balade souterraine avec un inconnu.
Des pauses régulières s'imposèrent, et ils prirent le temps de discuter.
Bien que gênants au commencement, leurs échanges vinrent à s'améliorer.

« – Je travaillais chez un maître pâtissier boulanger,
j'aime la cuisine et toutes ses subtilités.
Mais la faillite vint frapper à notre porte
Et avec l'argent il fallut qu'on me sorte.

Mon mari quêtait lui aussi un emploi
Je vous encourage à garder la foi.

Votre époux trouva-t-il à sa convenance un employeur ?
Je sais d'expérience que cela ne va pas sans douleur.

J'ignore la réponse, mais sans trop que je me force
J'ai perdu trace de lui suivant notre divorce.
»

Didier se tut, quelque peu amer.
Il avait connu cela avec son père et sa mère.
Soucieux de revenir sur des bases plus saines
il reprit la parole d'une voix aimable et pleine.

« – Mais je parle de moi sans jamais m'arrêter !
À quel ouvrage exact êtes-vous employée ?
»

Sans manquer un battement et sans hésitation
la femme répondit, toutefois avec une pointe de crispation :

« – De mes petits métiers je pourrais dresser une annexe
Mais aujourd'hui, depuis longtemps, suis-je travailleuse du sexe.
»

Il cligna des yeux, quelque peu surpris,
mais s'en remis bien vite, et chercha à ne pas prendre de parti pris.
Il n'avait pas envie de se mettre à dos sa compagne de mission
et on lui avait appris à ne pas se comporter comme un con.

« – Je ne sais à l'instant quelle réaction avoir, avoua-t-il.
Mais à ma bonne volonté je vous prie de croire, ajouta-t-il en guise de soutien subtil. »

Elle haussa les épaules d'un mouvement désinvolte.
On lui avait probablement adressé des mots plus cruels et des phrases plus sottes.
Ils continuèrent de parler de tout et de rien
jusqu'à ce que vienne le temps de reprendre leur chemin.

Il s'avéra qu'aucun d'eux n'avait jamais été dans une mine auparavant.
Leurs pas hésitants et respirations sifflantes étaient ceux d'enfants.
Dans le noir des entrailles de la terre, très différent de celui d'un ciel ouvert de nuit,
la lumière de la lanterne était leur seul repère pour éviter de se perdre dans l'infini.

Il ne leur vint jamais à l'esprit de tourner les talons, de reculer,
pour une raison idiote : la morsure de leur fierté !
Elle les poussait sans cesser à assouvir leur curiosité
et à ne rien avouer des sombres pensées les faisant secrètement trembler.

Enfin, ils parvinrent jusqu'à un lieu digne de leurs efforts.
Aux tunnels en ruine se substituèrent quatre murs robustes et forts.
Au centre de la pièce se trouvait un autel de pierre
sur lequel Didier pouvait déjà voir gravée une quelconque prière.

Il voulut s'en approcher pour la lire à haute voix,
mais Amandine fut plus rapide, comme à chaque fois.

« – Cette incantation est, ô surprise, un poème.
Je me demande bien s'il sera source d'autres peines.
Je me lance dans sa lecture sans enchantement.
Son contenu, si vous permettez, est le suivant :

"Si vous êtes convoqué.e devant cette tablette
C'est que vous êtes digne de l'épreuve du poète.
Chaque apprenti.e fera l'éloge d'un thème choisi :
en vers elle se fera, l'épreuve sera réussie."

Uh. Plus de poèmes, de rimes, toujours et encore.
Peut-être cela durera-t-il jusqu'à notre mort ?
»

La plaisanterie ne tira aucun sourire à la jeune lectrice.
Elle était trop occupée à déchiffrer la suite de cet écrit factice.

« – Il y a ci-dessous deux listes de mots.
Sans doute les thèmes mentionnés tantôt.

"Pour l'apprenti premier, violon, poison et Satan :
Chacun est à honorer dans un poème prenant.

L'apprenti second aura sifflement, tempête et acceptation,
Il faudra ériger à leur mérite des vers emplis de passion." »

Le silence, en plus d'être or, fut éloquent :
aucun ne voulait commencer ce tourment.
Puis Amandine poussa un long soupir.
Il était temps d'affronter le meilleur comme le pire.

« – Il se dit qu'un poison n'est qu'une liqueur trop forte.
Je voudrais objecter, en tant que vivante et morte.
Ce poison que je bois volontiers par flacons
est la seule raison de vivre qui m'inspire passion. »

Elle attendit un instant, mais rien ne se passa.
Par prudence, elle ajouta :

« – Ce venin qui s'infiltre dans chacune de mes veines
Nécrose tout mon corps et en même temps l'éveille.
Par la mort je deviens incarnation de vie
Et toute vie que je vis devient poison, ennui. »

Comme pour récompenser sa verve soudaine,
la pierre s'illumina d'une lueur sereine.
Et lorsque enfin leurs yeux purent retrouver la vue,
ils virent que le thème associé avait disparu.

« – Il semblerait que j'ai réussi ce recours
et que cette lumière indique votre tour.
»

Le regard de Didier restait fixé sur l'autel, incertain.
Il ne se sentait pas de composer pour le sifflement un quelconque refrain.

« – Il existe un bruit entre chant et éthéré,
un langage du vent aujourd'hui oublié.
C'est le sifflement, cri du coeur simple et agile
qui des arbres comme de l'esprit va frôler la cime. »

Cette fois-ci le premier couplet sut satisfaire le jury
et de nouveau la pierre illumina la nuit.
Sans perdre de temps, Amandine suivit :

« – Le son du violon caresse l'oreille comme une berceuse.
Il transporte les idées dans une âme rêveuse
et mène au son des cordes qui s'entremêlent entre elles
à cette harmonie dont on refuse l'éveil. »

Pas un mot de plus ne fut nécessaire
car les vers semblèrent satisfaire la pierre.

Le thème suivant était ardu, et laissait Didier avec la respiration sifflante.
Comme par réflexe il ressortit un poème du passé, blessure encore brûlante.

« – Quel est ce grondement dehors ?
Quel tremblement dans ce corps !
Ce qui vient me troubler là
est la tempête née de moi.

Elle virevolte dans ma poitrine
et dehors amène les nuages.
Elle rend mon humeur chagrine
et m'empêche de tourner la page.

Je t'en prie, sois mon refuge
Sois mon toit ignifuge
Toi qui initie au cœur
Des maux bien pires que la peur.

Et j'ai peur en effet d'être rejeté
et que ta tempête sur ma tête soit jetée.
Mais je souffre d'une affliction plus crainte encore
Celle d'oublier mon amour pour toi, sa mort.

Alors je viens ici affronter les flots, l'éclair
Le ciel est peut-être trouble, mes sentiments sont clairs :
Je veux passer cette tempête blotti contre toi.
Je veux faire ainsi même si le vent me broie. »

La pierre sembla briller avec plus de force qu'avant ;
et à sa lumière éclatante se substitua un silence dérangeant.
Sitôt les mots sortis, bien sûr, il les regretta.
Amandine, bienveillante, ne releva pas :

« – Le Mal est séduisant, nul ne peut le nier.
Et de tous Satan en est la panacée.
L'exemple sulfureux d'un démon vermeil,
D'un amant divin des plus intimes sommeils. »

Sans réactivité.
La pierre ne voulut pas s'illuminer.
Exaspération, obstinement.
Mais malgré cela, recommencement.

« – Mais Satan représente ce qu'il faut rejeter.
Une tentation frivole ne méritant rien d'autre
Qu'un regard sévère et noir de tous les apôtres.
Je ne commettrai pas la faute, Satan n'est point aimé.

C'est un autre être encore qui sut m'apprivoiser
Un autre qui me liera pour toute l'éternité. »

Cette fois-ci, la tablette offrit ses plus beaux apparats.
Amandine eut un sourire, puis se tourna vers son compagnon, visiblement proie
à une impatience grandissante. C'était après tout le dernier poème.
Et Didier pourtant ne voyait pas avec plaisir arriver la fin de leurs peines.

Ses bras se croisèrent comme pour le protéger.
Ses mains glissèrent comme par réflexe sur les cicatrices sous le tissu épais.
Et dans sa tête dansait l'un des énièmes poèmes conçus par son esprit un soir de douleur,
un énième sursaut de son âme blessée, en pleurs.

Il ne voulut pas sortir celui qui lui vint sur l'acceptation, non.
Tout sauf ça. Plutôt l'omission.
Et dans un dernier élan de désespoir,
il fit une tentative, tout en se traitant de couard :

« – Ok. »

Sans surprise, la tablette se s'illumina pas.
Et à côté de lui, Amandine se tendit, se figea.
Mais il réalisa que ce n'était pas par aigreur,
plutôt par surprise, une réalisation pleine de douceur.

Il n'avait pas été forcé cette fois-ci par la poésie.
Et grâce à cela il se détendit.

Tout doucement, elle aussi fit une tentative
dont ils apprécieraient tous deux l'expertise :

« – Sans rimer ?

En effet.

Pas de vers ?

Pour ce faire. »

En le voyant rimer avec ses propres mot, elle lui jeta un regard écarquillé, mi-déçu mi-craintif,
avant de réaliser qu'il se moquait d'elle, ses yeux plaidaient fautifs.
Elle leva les yeux au ciel pour manifester sa désapprobation
mais un sourire léger naquit sur ses lèvres, en toute déraison.

Puis elle redevint sérieuse,
et à l'essai suivant elle ne fut plus rieuse :

« – Ceci est un test,
et la vie une peste.
»

Sa déception fut si visible que Didier ne put s'empêcher de frémir.
Il était pris dans ce paradoxe entre chagrin et rire.

« – Il semblerait donc que quatre mots suffisent
pour nous ramener la contrainte promise,
finit-il par déclarer.

En effet, je le crois ; pour briser l'enchantement
Ne vous reste plus qu'à composer un vers décent,
lui fit-elle remarquer. »

Sa mine s'assombrit,
à tel point qu'elle en rit.
La tristesse quelque peu apaisée par ce son divin
il amorça bon gré un poème de ses soins.

« – Il y a des choses que la vie ne peut pas changer.
Des tournants malheureux et des occasions manquées.
Mais la vie continue, le manège ne s'arrête pas.
Ô que j'aurais aimé pouvoir marcher dans tes pas.

Mais je dois accepter l'échec et la fatalité.
Mon existence souffre d'illusions trop souvent brisées.
Je prendrai cet instant pour apprendre de toutes mes erreurs.
Je m'efforcerai de vivre sans toi… mon fils… là dans mon cœur. »

Cette rime se termina dans un véritable sanglot,
et soudainement lui manquèrent les mots.
Mais la pierre sut déceler dans sa voix une essence véritable
car elle s'illumina une dernière fois d'une lueur affable.

Amandine posa la main sur son épaule, mue par un instinct criant.
Il se tendit alors, mais accepta cette marque de lien grandissant.
Après quelques minutes de silence douloureux,
ils rompirent le contact corporel, et s'interrogèrent tous deux.

« – Maintenant que faire ? demanda d'un ton étouffé Amandine.

Écouter la pierre, répondit Didier, dont les larmes n'avaient pas étouffé l'ouïe fine. »

Et de ce fait, les murs s'étaient mis à trembler.
En face d'eux vint s'ouvrir une cavité.
De cette porte improvisée émergea une troisième silhouette camouflée
qui s'approcha d'eux, secrète et masquée.

« – Pardonnez le chemin que je vous fis emprunter,
Mais il me fallait m'assurer que vous le méritiez.

Bienvenue ici bas dans l'Antre du Poète,
dont la narration fait l'œuvre de nos prophètes.
»

Amandine et Didier se jetèrent un regard perplexe et indécis.
Chacun semblait attendre de l'autre un avis.

« – Monsieur, quelle est votre nature ?
Et quelle est donc cette aventure ?
s'enquit Didier.

Cela pourrait bien vous paraître saugrenu…
Mais toute chose en ce monde est produit d'une histoire :
et aujourd'hui, lors de ce mémorable soir
vous avez prouvé que vous en étiez les élus.

Assez de ce charabia ! s'exclama Amandine, très agacée.
Les énigmes, ce n'est pas pour moi.

Mes excuses les plus plates sont à votre attention.
Voyez-vous, il naît en cette vie des héros,
et des silhouettes fugaces là pour leur ascension.
Mais il existe aussi les Narrateurs, maîtres des mots.

Notre rôle n'est pas de participer,
mais d'assurer que tout conte soit narré.
Nos cris sont le chant qu'entendent les vivants,
et des poèmes sur les récits naissants.
Nous aidons les hommes à comprendre les choses
Sans jamais user de biais ni de prose.

D'où l'épreuve de langage, réalisa alors l'intrus.
Et de la lampe l'usage.

Très juste, approuva son interlocuteur le voulant convaincu.

Un bien piètre recours, asséna la femme avec colère.
Vous ne me verrez plus un jour.

C'est pourtant là votre destinée, s'excusa-t-il alors devant son ton polaire.
Si à la surface vous persistiez,
Votre vie serait terne, sans joie.
Je ne voudrais pas vous perdre là-bas.
»

Son ton était familier, ce qui semblait augmenter la fureur de l'intéressée.
Elle leva haut la lampe, la faisant balancer.

« – Nous permettre de rimer, j'aurais accepté.
Mais nous y contraindre sans nulle décence, ne me plaît !
Gardez votre maudite lampe, je ne veux pas l'emmener !

Cette lampe me fut prêtée par le destin.
Elle retournera à la surface.
Mais notre monde à nous ne fut pas le sien :
et mes dires ne sont pas des tours de passe-passe.

Vous n'avez aucun avenir en-dehors de ce lieu,
aucun futur sinon d'être le poète que veulent les cieux.
»

Ses mots résonnaient curieusement avec l'âme de Didier.
Il avait l'impression que le manque de sens de sa vie venait d'être comblé.
Mais Amandine n'était pas de cet avis, et secouait furieusement la tête.
Elle semblait considérer l'individu comme un trouble-fête.

« – C'est vous qui le dites, pas moi.
Mon fiancé le prouvera.
»

Alors à ces mots, la voix de l'étranger se fit plus douce.
Il semblait ému qu'elle le repousse.

« – Amandine, il y a eu toujours une musique dans ton cœur.
Il te faut juste apprendre à l'aborder sans avoir peur.
»

Et alors il enleva son masque.
La femme hoqueta en bourrasque.
L'homme sourit et s'avança pour lui prendre les mains.
Didier comprit à ce geste intime qu'il s'agissait dudit fiancé, sans doute aucun.

« – J'espère que tu sauras me pardonner cette excentricité.
Mais pour vous accueillir sans faute, il fallait vous y confronter.
»

Elle ne sut quoi répondre, aussi continua-t-il.
Et cette fois-ci Didier fut inclut dans le fil :

« – Mes excuses sont également à vous, mon ami.
C'était très courageux d'avoir ainsi suivi.

Alors vous vous connaissiez ? s'enquit sa fiancée, encore très amère.
Je ne l'ai jamais rencontré.

Ce n'est pas le cas, lui indiqua Didier d'une timide manière.
Je ne le connais pas.

Si j'ai invité Amandine parce que mon être la sut pourvue,
Je ne puis en dire autant de vous, illustre inconnu des rues.
J'eu simplement le mérite d'être présent lors d'un poème
adressé à l'élu de votre cœur, qui vous causa une grande peine.

S'il ne sut pas répondre à vos élans romantiques,
Je pus au contraire y déceler un timbre typique
des Narrateurs de notre estimée profession :
une âme sincère et pure, et pleines de toutes passions.
»

Didier sentit le rouge lui monter aux joues.
Il ne répondit qu'en détournant le regard.
Puis son teint redevint livide, blafard.
Il avait appris à tenir le coup.

Amandine se complaisait dans un silence rancunier.
Son fiancé attendait le verdict avec une expression craintive.
Puis elle passa ses bras au cou de ce dernier
dans une étreinte se voulant décisive.

« – Qu'ouïe-je ici ? s'émut-il en conséquence.
C'est bien un oui ?

Je t'ai déjà dit oui une première fois, murmura-t-elle comme en transe.
J'attends toujours de te passer la bague au doigt. »

Il déglutit de soulagement, et resta un moment le front pressé contre le sien,
se délectant visiblement dans ce moment de joie brute et de promesses de lendemain.
Puis il se détacha de sa belle avec un regret évident
et se tourna vers celui qui tenait la chandelle, patiemment.

« – Il y a beaucoup d'histoires extraordinaires,
Et si peu, si peu de temps pour toutes les faire.
»

À cette demande courtoise mais accueillante,
Didier fit alors la réponse suivante :

« – Monsieur, je n'ai plus rien dans cette vie, ni enfants ni amis.
Et plus rien pour guérir ni éclairer mon être meurtri.
Je serais un vrai sot si je refusais une telle offre.
Aussi veuillez considérer mon accord, avec force.

Pour une personne ici par aléa, intervint la jeune dame,
c'est une vraie perle que tu as trouvée là.

Je le pense aussi, confirma le Narrateur à sa future femme.
Nous serons amis. »

Il y eut des sourires échangés, des yeux brillants et des rires faciles, au goût de cannelle et aux senteurs vanilles.
Pour la première fois depuis bien longtemps, Didier eut l'impression de retrouver une famille.

« – Devons-nous vivre simplement de silex et de feu ? reprit finalement Amandine avec un ton curieux.
Je ne sais, honnêtement, pas du tout comment l'on peut. »

Le fiancé eut un sourire mystérieux, qui laissait entendre beaucoup de promesses.
Il recula de quelques pas, les invitant vers la porte de pierre, adoptant un port plein de noblesse.

« – C'est là tout le miracle de la poésie.
Elle est lumière, elle est eau, elle est vie aussi.
Et nous offrirons à tous le produit des mots,
le fruit de nos âmes éternelles, sans nul repos.
Car tel est le lot des Poètes et Narrateurs :
Vivre d'amour et d'eau fraîche, et de mots sur le cœur.
»

Alors il se décala, et dans la cavité, Amandine et Didier purent voir une chose magnifique.
Leurs destins poétiques.

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