Nom de code : Désastre

Nom de code : Désastre


22/03/2010, 14 h 34, Le Sinko, Carnac.

De nouveau, il pleuvait. Le bar était presque vide, faute de beau temps. Seuls quelques habitués parsemaient la salle triste. Morne journée pour le patron du modeste établissement qui faisait mine de nettoyer ses ustensiles de travail pour tuer le temps.

Il y eut un juron exclamé d'une voix enrouée depuis l'autre côté de la porte. Un homme recouvert d'un coupe-vent ouvrit le panneau de bois de l'entrée en le poussant du bas du dos en tentant vainement de protéger une liasse de papiers de la pluie. Le barman leva un sourcil, plus pour tromper l'ennui que par véritable intérêt pour ce qui se passait. Et il retint un grognement en identifiant la nature de la liasse que tenait le nouvel arrivant : des prospectus.

Ayant passé la porte, le colleur d'affiches posa son paquet qui semblait à peine entamé sur une table et passa quelques minutes à remettre en ordre les papiers mouillés. Ensuite, il se rendit au comptoir et s'assit lourdement, avec fracas, sur une des chaises hautes tout en soupirant bruyamment.

"Quel temps de merde", s'exclama le nouveau venu.

Après un temps de réflexion, le potentiel client se tourna vers le bar et inspecta les rangées de bouteilles disposées derrière le comptoir, avant de finalement diriger son regard vers le patron. Celui-ci en profita pour observer l'individu peu courtois qui venait de débarquer dans son établissement et qui n'avait toujours pas retiré sa capuche.

Il s'agissait d'un petit bonhomme, pas plus d'un mètre soixante, à la tête ronde, portant une moustache entretenue. Pas grand-chose de plus n'était visible sous le vêtement de pluie jaune criard qu'il portait.

"J'voudrais un café, s'il vous plaît."

Le barman ne donna aucune réponse à l'homme qui ne lui avait même pas souhaité le bonjour mais il fit tout de même mine de préparer la commande. Les autres clients grognèrent face à l'interruption mais reprirent vite leurs discussions respectives.

Pendant ce temps, l'homme de petite stature s'adossait au comptoir et scrutait le tour du reste de la salle. Il survola brièvement les regards haineux des autres clients et posa finalement le sien sur une silhouette qu'il n'avait pas aperçue en arrivant. Il se retourna de nouveau vers le barman alors que celui-ci arrivait avec la tasse de café.

"Dites-moi, commença-t-il sans plus de cérémonie, que fait cette personne sous la pluie ?"

Le tenancier remarqua également la figure floue de la personne assise à l'une de ses tables sous la pluie battante.

"Aïe, s'inquiéta-t-il d'une voix basse, ce doit être Stéphanie.

— Pourquoi reste-t-elle dehors, comme ça ? Elle ne m'a même pas l'air bien couverte.

— Je crois qu'elle est un peu déprimée, elle a perdu son travail récemment. Elle traîne par ici depuis plus d'une semaine. Je devrais peut-être l'inviter à rentrer.

— Laissez, je m'occupe de cette pauvre âme."

Le petit bonhomme se leva prestement et sortit de l'établissement pour se diriger vers la morne silhouette. D'un seul coup, le nouvel arrivant remonta dans l'estime du patron. Quelques instants plus tard, celui-ci les vit rentrer tous les deux dans son bar et s'asseoir à la table où étaient restés les prospectus. En les apercevant, la possibilité que cet acte pourrait être intéressé lui traversa l'esprit. Il décida alors de tendre l'oreille et de garder un œil sur la jeune fille fragile.

"Voyons mademoiselle, commença doucement le petit homme, ce n'est pas raisonnable de rester dehors avec un temps pareil.

— Je ne veux pas de leçon de la part d'un inconnu, répondit-elle sèchement.

— Désolé… Stéphanie, c'est ça ? J'ai entendu dire du sympathique monsieur là-bas que vous aviez récemment perdu votre travail ?

— Qu'est-ce que ça peut vous foutre ?

— Eh bien il se trouve que je suis en recherche d'un employé."

La jeune fille qui, auparavant, fixait l'extérieur par la vitre, se redressa en écarquillant les yeux. Cela permit au tenancier de l'observer plus attentivement. Le contraste entre les deux interlocuteurs était saisissant. Elle était très grande, au moins un mètre quatre-vingts, avait de longs cheveux bruns plaqués sur la nuque et les épaules par l'humidité. Des traits fins bien que tordus par la tristesse et l'eau. Ses vêtements détrempés révélaient des courbes gracieuses mais son corps était prostré, presque comme une réaction défensive.

Cela faisait maintenant dix jours qu'elle visitait régulièrement le bar et chaque fois, elle lui paraissait toujours plus profondément dans la déprime. C'était la première fois qu'il la voyait avec une once d'espoir dans le regard. Si cet homme était sur le point de la tromper ou de gâcher un tant soit peu cet instant, il se ferait un plaisir de le sortir de son bar pour de bon et par la peau du cul s'il le fallait.

"Voyez-vous, je possède un modeste établissement hôtelier du nom de l'Hippocampe, et il me manque un hôte d'accueil.

— C'est que… je ne sais pas si j'en serais capable ?

— Dans quoi travailliez-vous avant ?

— Dans l'informatique, j'étais administratrice de réseau.

— Bon, ne vous inquiétez pas, il n'y a rien de bien compliqué et puis je pourrais vous guider au début.

— Vous êtes sûr ?

— Certain, retrouvez-moi juste demain à cette adresse."

Le petit monsieur tendit une carte de visite à la grande femme. Celle-ci la saisit en tremblant et essuya de l'eau sous ses yeux, ou était-ce des larmes ? Pendant ce temps un rayon de soleil éclaira brièvement la baie vitrée de l'établissement.

"En parlant de ça, il faut que j'y retourne, moi, s'exclama-t-il bruyamment en ramassant ses papiers. J'ai hâte de vous voir là-bas chère demoiselle."

Sur ces mots, le petit bonhomme se leva et quitta la salle en sifflotant gaiement.

Le barman grinça des dents devant ce comportement mais se dit qu'au final, cette personne devait avoir un bon fond. Peut-être un peu trop tête en l'air cependant : ce crétin avait oublié son café…

23/03/2010, 10 h 11, L'Hippocampe, Carnac.

Le soleil était radieux. Pourtant, celui qui était pour l'instant l'unique employé d'accueil de L'Hippocampe ne pouvait pas profiter du moindre petit rayon de lumière pure, ni même de la brise fraîche. Il était malheureusement coincé derrière le comptoir du hall d'entrée, à devoir trier les formulaires.

Pendant ce temps, d'autres profitaient de la plage non loin de là ou se promenaient dans les rues lumineuses, savourant les embruns salés. Et tout ceci lui était malheureusement interdit. Morne journée de plus pour le simple employé saisonnier.

Soudain, la sonnette de la porte d'entrée retentit, le sortant de sa torpeur. Il profita de cette occasion pour lever son nez, proche de l'éternuement, des vieux documents et il ne le regretta pas le moins du monde. Devant lui s'avançait une jeune femme qui resplendissait d'élégance autant dans son apparence que dans son allure. Grande, cheveux longs, habits décontractés, les traits fins, les formes gracieuses, aux environs de la trentaine. Les seules fausses notes étaient son attitude et son expression faciale, hésitantes, incertaines. Elle semblait avancer à tâtons, cherchant des yeux quelque chose.

Elle fixa finalement ses magnifiques yeux gris-verts sur l'employé qui se sentit tout à coup nerveux, sans pouvoir mettre le doigt sur ce qui l'incommodait. Elle s'approcha, cette fois semblant plus sûre d'elle et déposa un objet sur le comptoir.

"B-bonjour, bredouilla-t-elle."

L'employé resta cependant bouche bée quelques instants, émerveillé devant la vision qui s'offrait à lui, et étonné que cette femme lui adresse la parole.

"Hum, je vous dérange peut-être, continua-t-elle ? Je vais repasser, alors.

— Non, non… hum, excusez-moi, finit-il par articuler, j'étais perdu dans mon travail. Comment puis-je vous être utile ?

— Je viens de la part de… hum."

Elle regarda brièvement l'objet sous sa main.

"Monsieur… Bourguignon ?"

Le jeune homme fut soudainement prit de sentiments contradictoires. D'un côté, il se retrouvait en terrain connu et, de l'autre, il savait désormais que cette créature angélique ne lui était plus destinée. L'employé observa néanmoins l'objet apporté par celle-ci : une carte de visite. Résigné, il décrocha le combiné du téléphone sous le comptoir et composa le numéro de son patron. Celui-ci ne mit que quelques instants à répondre.

"Monsieur Bourguignon… oui c'est Patrick, de l'accueil. Une femme demande à vous parler… son nom ? Excusez-moi mademoiselle, puis-je savoir votre nom ?

— Stéphanie… Stéphanie Dóttirier.

— Elle dit s'appeler Stéphanie… très bien, je lui dis. Mademoiselle, monsieur Bourguignon arrive, il n'est pas très loin. Vous pouvez vous asseoir dans les fauteuils du hall si vous le voulez.

— Très bien… merci."

Patrick remit le combiné à sa place et désigna à la jeune femme les sièges adossés devant la baie vitrée qui donnait sur le jardin. Celle-ci fronça légèrement les sourcils, mais ce fut trop bref et elle se retourna trop vite pour que l'employé ne puisse identifier la signification de cette mine. Elle lui tourna donc le dos et alla s'asseoir sur l'un des fauteuils capitonnés faisant face à la pelouse impeccable.

Monsieur Bourguignon arriva donc quelques minutes plus tard par l'entrée du hall. Apercevant la jeune femme qu'il avait trouvée la veille, il approcha directement d'elle, ne lançant qu'un bref signe de remerciement de la main à son employé. Celui-ci, toujours autant fasciné par la présence qu'exerçait la dénommée Stéphanie, décida de prendre une pause dans sa tâche monotone et de suivre la scène qui se déroulait sous ses yeux.

"Ah, je vous trouve en bien meilleure forme, commença le petit bonhomme, d'une voix aussi tonitruante que ses poumons ridicules le lui permettaient. Ça me fait plaisir de vous voir ici.

— Moi aussi, répondit-elle avec le sourire, je vous avoue que je me sentais un peu perdue à mon arrivée ici. Mais de voir un visage connu, ça rassure.

— Content de vous entendre dire ça."

Monsieur Bourguignon s'assit à côté de Stéphanie.

"Bien, comme vous le savez donc, je suis le propriétaire de ce petit complexe hôtelier et j'ai besoin d'une hôtesse d'accueil.

— Mais vous n'avez pas déjà quelqu'un ? dit-elle en jetant un bref coup d'œil à Patrick qui faisait mine de regarder ailleurs.

— Non, vous vous méprenez sur le rôle dont j'ai besoin, Patrick travaille ici la journée, mais c'est en soirée que je requiers vos services.

— Je ne comprends pas.

— Environ tous les trois jours, j'organise des réceptions. Un petit club privé. J'ai besoin de quelqu'un pour s'assurer que les invités soient bien accueillis.

— C'est… c'est tout ?

— Oui, du moins pour l'instant. C'est un travail qui demande un minimum d'organisation. Mais pour quelqu'un qui sait se servir d'un ordinateur ou d'un bloc-notes, ça ne devrait pas poser de problème. Maintenant, je vais vous faire la visite des lieux.

— Très bien, je vous suis."

Les deux interlocuteurs se levèrent. Patrick, voyant qu'ils se tournaient vers lui, replongea dans la paperasse en faisant mine de n'avoir rien entendu. Le propriétaire de l'hôtel prit sa nouvelle employée par la main et la guida vers la porte menant aux étages supérieurs.

Pendant qu'ils franchissaient la porte, l'employé d'accueil put encore percevoir quelques mots.

"Il y a juste une chose que je dois vous préciser.

— Quoi donc ?

— Il y a une seule chose qui ne vous sera pas permise ici et c'est…"

Et la porte se referma sur eux à ce moment-là. Cependant, Patrick savait exactement ce que son patron s'apprêtait à dire. Cela lui avait été répété tant de fois déjà. Tellement qu'il ne put s'empêcher de le réciter à voix haute.

"Ne jamais, au grand jamais, pénétrer dans la chambre du Chambellan."

Du 24/03/2010 au 06/04/2010, Site-62.

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07/04/2010, 19 h 00, Chambre 2, L'Hippocampe, Carnac.

La réception battait son plein. Le Chambellan, depuis sa suite, observait la grand-salle qui se remplissait petit à petit des convives. Ceux-ci étaient bien plus nombreux que d'habitude et le Chambellan pouvait déjà imaginer que certains, n'ayant plus de places assises, devraient se contenter de l'écouter debout pendant toute la soirée.

Cela allait donner du fil à retordre à l'hôtesse d'accueil. Une charmante fille qui exécutait ses tâches à la perfection, ayant fait respecter le plan de table à la lettre pour chaque soirée qu'il avait fait organiser ; ayant tenu le buffet au cours de chacune des réceptions. Et toute seule de surcroît, une véritable héroïne en son genre.

De plus, à chacune des réunions, il la voyait écouter son discours avec attention, comme le reste des invités. Pourtant, les deux premières représentations qu'il avait faites en sa présence, il n'avait même pas eu recours à…

On toqua à sa porte. Ce devait être Olivier, le propriétaire du complexe hôtelier. Il se détourna de la fenêtre devant le balcon et traversa la petite pièce qui lui servait de salon pour atteindre la porte d'entrée de la suite qu'il habitait depuis maintenant près d'un an. Lorsqu'il l'ouvrit, il ravala une grimace de dédain en apercevant le petit Monsieur Bourguignon de l'autre côté de la paroi de bois laqué. Effectivement, celui-ci était venu lui annoncer qu'une bonne partie des invités s'étaient déjà enregistrés à l'accueil… ce qu'il pouvait remarquer depuis sa position stratégique. Mais il se retint de le lui signifier. Il le congédia plutôt, se tournant vers ce qui avait été le centre de son attention pendant plus de la moitié de sa vie.

Il pouvait déjà le sentir. Oui, son mentor et maître l'appelait. Refermant la porte d'entrée, il se dirigea vers la seconde chambre, celle qu'il n'occupait pas la nuit. Le Chambellan sortit de sa poche un trousseau de clés duquel il tira celle du verrou de la salle fermée à double tour. Quand il l'ouvrit, ce fut cette fois une expression de dégoût qui apparut sur son visage. Il fut frappé de plein fouet par la puanteur qui hantait la petite pièce. L'odeur du sang et de la chair putréfiée.

Il plaça son coude devant sa bouche et s'avança vers la tête du lit, devant laquelle il mit un genou à terre. Le lit était entièrement recouvert d'une moustiquaire qui empêchait de voir son occupant. Même le Chambellan n'avait jamais vu son visage.

"Maître, commença-t-il, je suis là, à vos côté, parlez-moi.

— Je sens mon heure venir, dit une voix faible et haletante, Caïus… Les minutes me sont comptées.

— Ne vous inquiétez pas, mon Maître, le grand jour est arrivé. Comptez sur moi, dans quelques heures, tout ceci ne sera qu'un mauvais rêve.

— Dépêche-toi, Caïus… J'ai senti nos ennemis de plus en plus proches… En ce moment-même…"

Caïus se releva et quitta la pièce promptement, l'air inquiet. La voix de son supérieur était plus faible de jour en jour. Il lui tardait que ce spectacle ignoble prenne fin. Mais dans l'immédiat, l'heure était aux réjouissances. Il prit quelques instants pour regagner un semblant du sourire sûr dont il avait le secret et le Chambellan partit pour l'entrée des artistes de la grand-salle, non sans avoir verrouillé soigneusement la chambre et la suite.

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07/04/2010, 22 h 49, Grand-salle, L'Hippocampe, Carnac.

Les convives applaudissaient à tout rompre. Mais un membre de l'assistance ne partageait aucunement l'enthousiasme général. Pourtant, l'homme en question s'était installé debout près du premier rang et battait des mains comme tous les autres. La différence, c'est que lui n'avait absolument rien compris du discours. Ça ne l'empêchait pas cependant de congratuler généreusement la performance du Chambellan.

Il vit que celui-ci avait baissé son micro surement modifié, l'objet de son enquête et la justification principale de son infiltration. Il profita alors que tout le monde dans la pièce ait les mains levées vers le ciel pour se caresser brièvement l'oreille droite dans le sens antihoraire, faisant mine de rabattre ses cheveux mais désactivant en réalité les brouilleurs d'ondes qui lui obstruaient l'ouïe. Ses oreilles lui firent regretter aussitôt ce geste, soudainement surchargées par l'ambiance de la salle.

Heureusement, le tapage prit fin assez vite lorsque le Chambellan quitta l'estrade pour se fondre dans la masse de la foule. L'agent infiltré se fraya alors un chemin parmi les convives pour tenter d'observer de plus près le maître de cérémonie. Il prêta néanmoins une oreille attentive aux conversations des invités sur son passage afin de glaner quelques éléments de ce discours qui semblait avoir fait l'unanimité.

Ayant traversé un dernier groupe de personnes le séparant du buffet, il se rendit compte qu'il avait perdu sa cible de vue. Résigné, il décida de se diriger vers le buffet. C'est ainsi qu'il remarqua la charmante jeune femme qui se trouvait juste derrière la table couverte de divers mets. Celle-ci regardait l'estrade sur laquelle s'était tenu le Chambellan d'un air songeur.

La pauvre, pensa l'intrus, une victime de plus de ces personnes sans scrupule. Elle ne se rendra probablement jamais compte à quel point elle est utilisée.

Tout en scrutant la grande salle de réception à la recherche de son objectif, il aperçut un petit bonhomme s'approcher de lui à grands pas. Par réflexe, il se mit sur ses gardes, prêt à faire face à une attaque. Mais il se rendit vite compte qu'il n'était pas l'objectif du bonhomme qui l'approchait et il s'écarta poliment pour qu'il puisse se rendre derrière la table, avec son employée.

"Stéphanie. Stéphanie ! Je vous trouve enfin, je vous ai cherchée partout.

— J'étais simplement là, Monsieur Bourguignon. J'écoutai le discours fascinant de votre ami.

— Ah, que ça me fait plaisir à entendre. Monsieur le Chambellan est un homme exceptionnel et nous avons de la chance de le recevoir aussi souvent.

— Vous vouliez me dire quelque chose ?

— Ah oui ! C'est à propos du travail que vous avez abattu ce soir. C'est merveilleux, tout est parfait. Je ne sais pas comment vous accomplissez un tel miracle. C'est comme si vous étiez partout à la fois.

— Oh, vous me flattez. C'est juste que je m'ennuie beaucoup et j'essaie de me rendre utile du mieux possible.

— Sérieusement, je n'en reviens toujours pas. J'ai cherché d'autres personnes pour vous aider mais c'est comme si j'étais maudit. C'est affreux.

— Ne vous en faites pas pour ça, je me débrouille très bien toute seule.

— Enfin bref, je suis aussi venu vous annoncer que le Chambellan voulait vous voir. Et dans sa suite, qui plus est.

— Quoi ? Moi ? Mais… je croyais qu'il était interdit d'y entrer ? Et pourquoi donc ?

— Eh bien, le Chambellan doit avoir ses raisons. Il doit encore prendre la parole dans la soirée mais il a dit que vous devriez le rejoindre dans une heure.

— Très bien. J'espère juste ne pas trop le décevoir.

— Mais non. Mais non ! Vous serez parfaite, il l'a dit lui-même. Bon, j'ai à faire, vous me raconterez tout à l'heure."

Et ainsi, le petit monsieur s'éclipsa prestement, du même pas rapide avec lequel il était arrivé. Ce dialogue avait beaucoup intéressé l'agent qui avait tendu l'oreille tout du long. Ainsi donc, la suite du mystérieux Chambellan n'était pas aussi imperméable qu'il pouvait le penser. Il faudrait qu'il discute avec cette jeune femme le lendemain, pour savoir ce qui intéresse tant cet homme d'habitude si inaccessible.

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Un mouvement du côté de l'estrade attira son attention. C'était la jeune femme qu'il venait d'apercevoir qui était montée sur le plateau et rangeait le micro. Mais… il ne venait pas de la voir derrière lui, de l'autre côté du buffet ? Il se retourna et fut à la fois rassuré et confus de ne pas trouver trace de la gracieuse femme derrière le comptoir. Il devait simplement avoir eu une absence.

Un tintement cristallin retentit et tous les invités se tournèrent d'un même mouvement vers le Chambellan, qui s'était attablé et qui brandissait un verre. Le silence se fit promptement tandis que celui-ci s'éclaircissait la gorge.

"Mesdames et Messieurs ou autres formalités, entonna-t-il d'une voix forte et claire, je propose de porter un toast au Saint Quatrième !

— Loué soit le Saint Quatrième, répondit de concert l'assistance."

À la suite de quoi chacun des convives se saisit d'un verre et d'un couteau effilé. Puis un à un, ils se firent une petite incision au bout de l'index et versèrent une goutte de sang dans leur verre respectif. L'agent infiltré les imita dans ce rituel mais usa néanmoins d'une poche de faux sang dissimulée dans sa manche pour l'occasion.

Lorsque cette mascarade fut accomplie, il se faufila à nouveau parmi les invités pour rejoindre le maître de cérémonie insaisissable. Mais lorsqu'il arriva près de la table à laquelle tout le monde l'avait vu assis, celui-ci avait de nouveau disparu. Il avait dû manquer d'atten…

Un bras puissant passa par-dessus ses épaules.

"Surtout, ne t'inquiètes pas."

L'espace d'un instant, il eut la sensation d'une présence étrangère tendant un lien vers son être profond, mais l'intrusion fut tout bonnement oubliée et reléguée à l'idée d'un mirage le temps d'un battement de cil. Bon, au moins il n'avait aucune raison de s'inquiéter. Il tourna la tête à gauche pour apercevoir le visage chaleureux du Chambellan qui le regardait. En fait, presque toute l'assistance le regardait mais seul le maître de cérémonie lui souriait.

"Tu ne devrais pas te trouver ici et tu le sais très bien, mon petit. Tu vas me suivre, je vais te montrer où est ta place."

Soudain, suivre cet homme sembla la chose la plus naturelle à faire. N'était-ce pas sa mission d'ailleurs ? Il eut l'ultime reflexe de chercher des yeux un objet source d'inquiétude. Il le découvrit bien vite, le micro utilisé par le Chambellan et qui était sans nul doute la source de son charisme était posé sur une des tables à convives, loin des mains dangereuses de qui que ce soit. Il n'avait donc évidemment rien à craindre.

08/04/2010, 00 h 12, Suite Charlie, L'Hippocampe, Carnac.

La nuit était glaciale. Mais heureusement, tous les bâtiments étaient convenablement chauffés. Stéphanie, qui avait revêtu un manteau pour ne pas souffrir de la différence de température, traversa la cour de l'hôtel et entra dans le bâtiment opposé à celui où s'était déroulée la réception, dont les invités commençaient à sortir un par un.

Après avoir monté un escalier et traversé un long couloir, elle arriva devant la porte qui lui avait toujours été interdite depuis son arrivé dans l'établissement. Elle hésita quelques secondes avant de toquer.

"Entrez", résonna la voix du Chambellan depuis l'autre côté de la porte.

Elle utilisa alors le passe-partout confié par Monsieur Bourguignon afin de déverrouiller la porte et pénétra dans la suite privée. Le Chambellan l'attendait debout, face aux fenêtres qui donnaient sur la cour. Il se retourna et écarta joyeusement les bras en l'accueillant. C'est alors que Stéphanie découvrit les vêtements du Chambellan couverts de sang. Elle fronça les sourcils mais ne recula néanmoins pas. Un autre détail était que les yeux du Chambellan brillaient d'une étrange lueur.

"Ah, que je suis content de vous voir, dit-il en dévorant son interlocutrice des yeux. Oui, vous ferez parfaitement l'affaire, j'ai vraiment hâte de voir le résultat.

— Puis-je savoir pourquoi je suis là, Monsieur le Chambellan, répondit-elle avec un peu de dégoût dans la voix."

— Chaque chose en son temps, ma jolie. Voilà, ce que tu vas faire, enchaîna-t-il en désignant la porte ouverte de la chambre malodorante, c'est entrer dans cette pièce. Tu ne t'affoleras pas de quoi que ce soit. Souviens-toi simplement de mes enseignements que je t'ai vu suivre avec passion et tout se passera bien.

— Très bien, Monsieur, murmura l'employée en commençant à se diriger vers la porte entrebâillée d'un pas mécanique.

— Une fois à l'intérieur, tu trouveras un lit, mets-toi à genoux devant la tête dudit lit et attends. Tu vois, c'est tout simple."

La jeune femme ne répondit pas et se contenta de continuer sa route vers la chambre. Elle tremblait et serrait les poings mais ne dévia pas devant le regard du Chambellan souriant.

Lorsqu'elle pénétra la chambre, elle fut immédiatement assaillie par l'odeur pestilentielle qui y régnait mais ne broncha pas pour autant.

"Viens, approche mon enfant, prononça une voix faible."

Stéphanie s'exécuta, se présenta devant la tête de lit et mit un genou au sol. Et elle attendit.

"C'est bien, continua la voix derrière la moustiquaire, tu n'as absolument rien à craindre.

— Je n'ai aucunement peur, je voudrais simplement savoir ce que je fais ici.

— Je crois que je peux t'accorder ça. Vois-tu, j'ai la lourde tâche de guider des centaines de fidèles sur la Voie, mais je ne peux le faire éternellement. J'ai besoin de corps vigoureux et surtout, fort à l'intérieur afin de garder mon intégrité. Aujourd'hui, c'est au tour du tien de préserver mon Âme."

Soudain, celle qui se faisait appeler Stéphanie se releva en serrant les poings encore plus forts et, d'un geste, elle écarta la moustiquaire qui cachait le visage du mystérieux maître du Chambellan. Ce qu'il révéla était un vieil homme émacié, au corps frêle et couverts de cicatrices, de coupures fraîches et de tâches de sang. Une vision d'horreur, couplée à l'expression de surprise de l'homme devant ce geste, qui donnait un tableau très contrastant. Une larme se forma dans l'œil droit de l'hôtesse. Un léger courant d'air se leva dans la pièce, malgré le fait que la chambre était entièrement fermée. La moustiquaire et les cheveux de la jeune femme volèrent dans le vent.

"Mais, dit le vieillard… je ne comprends pas ? Caïus devait avoir supprimé ta…

— Ma volonté n'appartient qu'à moi ! le coupa-t-elle d'une voix dorénavant puissante et assurée, mais également emplie de colère et de tristesse.

— Mais… comment ?

— On m'avait prévenu quant aux petits tours de passe-passe de votre "Chambellan". Et il ne pouvait pas choisir meilleure candidate que moi parmi les gens qui se trouvaient ici ce soir, je m'en suis assurée."

Des coups forts retentirent soudain contre la porte de la chambre.

"Maître. Maître ! hurla la voix affolée du Chambellan. Il y a… il y a un monstre dans votre chambre !"

La porte s'ouvrit à la volée et le dénommé Caïus découvrit à la fois la jeune femme debout et le corps meurtri de son maître. Il ravala une remontée acide et tenta de s'avancer pour aider son mentor. Mais il fut prestement repoussé par ce qui lui sembla être une bourrasque.

"Et on m'avait aussi prévenu de votre existence, continua-t-elle en regardant avec dédain le corps faible du vieillard.

— C'est impossible.

— Peut-être. Mais lorsque j'ai écouté vos beaux discours, j'ai réellement voulu croire dans vos paroles. Mais tout cela, du vent ! Tout pour la vie éternelle. Tout pour vos désirs répugnants."

Le maître sourit et se redressa en position assise.

"Oui. Oui ! Tu es puissante, terriblement puissante. Je veux ton corps et je l'aurai !"

D'un geste plus vif que son corps ne laissait suggérer de sa capacité, celui-ci se saisit d'un couteau et se trancha la gorge d'un mouvement net. Le vent cessa de souffler dans la pièce et tout redevint soudainement silencieux.

Le Chambellan se releva péniblement et observa la scène prudemment. Son regard passa du cadavre du vieil homme qui avait été son maître à la jeune femme dont il ne connaissait visiblement rien.

Celle-ci baissa la tête, observa quelques secondes le corps du défunt manipulateur, puis se tourna et avança vers le Chambellan.

"M… maître ? Est-ce que c'est vous ? se décida-t-il à dire d'une voix hésitante."

La soi-disant Stéphanie le regarda, toujours la larme à l'œil.

"Ton maître avait effectivement un esprit puissant."

Le Chambellan réalisa alors l'échec de son mentor. Il tira prestement une arme de poing de sous sa veste et vida le chargeur sur ce qu'il ne pouvait qualifier que de monstre ou de dieu, avec toute l'énergie du désespoir. Mais les balles ne firent que ricocher sur la cible, sans le moindre effet. Il s'effondra alors, résigné.

La femme mystérieuse quitta donc la pièce, laissant le Chambellan en pleurs. Quelques instants plus tard, il y eu des cris, d'autres coups de feu, puis une lueur intense et aveuglante provenant de la cour. Puis, plus rien.

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08/04/2010, 05 h 28, Site Nun.

FORMULAIRE DE RAPPORT D'INCIDENT


Date de l’incident : 08/04/2010
Heure de l’incident : 00 h 20
Site/lieu : L'Hippocampe, Carnac, France
Identifiant unique (Automatique) : 239-060951

Civils impliqués (O/N) : O

  • Nombre de témoins : 43
  • Blessés/morts : 156
  • Amnésiques utilisés : Classe A, B et E

Membres du personnel impliqués (O/N) : O

  • Nombre de membres du personnel impliqués : 1
  • Blessés/morts : 1
  • SCP impliqués (O/N) : N/A
  • Désignation : N/A
  • Brèche de confinement (O/N) : N

Détails : Lorsque le FIM Lambda-5 arriva sur place, il ne restait plus de l'établissement hôtelier que des ruines. Tous les bâtiments semblaient s'être effondrés vers l'extérieur et ce qui était auparavant la cour de l'hôtel était remplacée par un cratère.

De nombreux corps ont été trouvés dans les décombres et autour des ruines. Tous ceux qui faisaient partie du GdI-3088-17 ("La Société du Chambellan"), un groupe d'intérêt mineur associé au GdI-3088 ("L'Église du Second Hytoth") et surveillé depuis plusieurs mois, sont décédés. Le corps de la PdI-3088-087 ("Le Chambellan") a été retrouvé parmi ceux-ci ainsi que celui de l'agent Omar Septus qui s'était infiltré dans le groupe. L'agent Septus semble être décédé des suites de blessures antérieures à l'incident. Les autres blessés ont pu être sauvés.

Les analyses sont en cours mais les données préliminaires suggèrent qu'il s'agit d'un attentat visant exclusivement les membres liés au GdI-3088. Des recherches sont en cours afin de déterminer l'implication possible du GdI-0051 ("SAPHIR"), étant donné les multiples similitudes de mode opératoire.

Mesure à prendre : Une fois la source de l'incident identifiée, surveiller tous les groupes connus de la Fondation liés au GdI-3088 afin de prévenir un évènement de ce type avant qu'il ne se produise.

12/06/2003, 21 h 31, The World's End, Camden.

Il pleuvait. Les lourdes gouttes de pluie tombant sur les pavés résonnaient à l'intérieur de la petite salle du World's End. Une femme aux traits tirés était seule au comptoir, recroquevillée sur une chaise haute, devant une demi-douzaine de verres vides. Elle était vêtue d'un simple ensemble chemisier et pantalon malgré le temps. Cinq autres clients discutaient joyeusement sur 2 tables distinctes. Le tenancier se tenait au fond de son espace de travail et tâchait de ranger des bouteilles vides tout en écoutant le discours des joyeux lurons.

Cela faisait une heure que ce petit tableau durait.

Lorsque la cathédrale de Camden sonna la demi-heure, la porte de l'établissement s'ouvrit doucement, laissant entrer un homme de stature moyenne, légèrement courbé vers l'avant. Il était habillé d'un long manteau grisâtre et il cachait vraisemblablement son visage derrière l'ombre de son capuchon.

Interloqués par le tintement de la clochette de l'entrée, les cinq fêtards se turent quelques instants pour observer le nouvel arrivant. Puis ils reprirent leurs discussions, perdant vite intérêt dans l'étranger.

Celui-ci, après avoir rendu leur regard aux hommes bruyants, se dirigea directement, d'un pas tranquille, vers le comptoir et s'assit à la droite de la jeune femme. Il fit un signe de la main poli au patron qui s'approchait et celui-ci rebroussa chemin et retourna à ses rangements.

Le nouvel arrivant observa les verres vides devant la personne à sa gauche pendant quelques instants. Celle-ci s'était recroquevillée encore plus sur elle-même, espérant se faire oublier. Malheureusement, l'homme était venu là expressément pour s'adresser à elle, ce qu'il fit avec le sourire :

"Excusez-moi, j'aimerais avoir une petite discussion avec vous, serait-ce possible ?

— Non, répondit-elle d'une voix sèche.

— Permettez que j'insiste. Voyez-vous, je suis dans une situation délicate et-

— Vous n'existez pas, le coupa-t-elle soudain."

Quelque chose vibra dans l'air qui se tordit autour de l'homme. Les autres clients et le patron du bar ne remarquèrent rien mais le vieil homme regarda tout autour de lui avec des étoiles dans les yeux, l'air émerveillé, avant de reprendre son sourire neutre.

"C'est tout à fait merveilleux. Mais je dois vous prévenir qu'il est difficile de détruire ce que l'on ne peut pas percevoir."

La femme releva la tête, l'air dubitative. Elle jeta un œil aux verres devant elle, se demandant si elle n'avait pas trop bu. Elle fit pivoter sa chaise et regarda les hommes attablés. D'un coup, l'un d'eux disparut sans laisser la moindre trace. Les quatre autres continuèrent leurs papotages comme si de rien était. Puis celui qui venait de disparaître réapparut tout aussi subitement qu'il était parti. Pourtant aucun ne sembla se soucier de la disparition d'un de leur membre.

La jeune femme se tourna ensuite vers le vieil homme, l'air de plus en plus perplexe. Visiblement agacée, elle ferma les yeux et, la seconde suivante, tous les protagonistes de la scène fermèrent les yeux à l'exact même instant, pour ne les rouvrir que sur une pièce comprenant un acteur de moins.

La jeune femme sortit prestement d'un coin de rue désert. Elle ne semblait pas incommodée, ni même touchée d'ailleurs, par la pluie battante qui sévissait à l'extérieur. Elle se mit à marcher à vive allure, fermement décidée à ne plus se retourner sur ce lieu. Lorsqu'elle entendit des mots familiers :

"Salbjörg Stefáns…"

Le tonnerre retentit soudain, coupant l'homme dans son élan. La femme aussi s'était arrêtée, les poings serrés. Elle se retourna vivement et tendit le bras dans la direction de l'homme mystérieux, cette fois avec assez de colère pour déplacer une montagne rien que dans les yeux. L'air vibra à nouveau autour de l'intrus pendant quelques instants. Celui-ci avait cette fois l'air contrarié et semblait crispé. Quand soudain, l'homme se ratatina morceau par morceau jusqu'à ne plus être qu'une sphère de chair et d'os pas plus grande qu'un doigt, qui s'écrasa au sol en se répandant.

(1) nouvelle notification.


La jeune femme soupira et se retourna pour tomber nez à nez avec le même homme qu'elle venait de pulvériser. Surprise, elle fit un pas en arrière.

"Mais comment ! s'écria-t-elle.

— Voyons du calme, j'admire votre contrôle mais ce n'est pas ça que je reche-"

Un autre coup de tonnerre retentit et le nouvel homme se ratatina de la même façon que le premier et, toujours de la même façon, s'écrasa ridiculement sur le sol.

(1) nouvelle notification.



Dans une ruelle non loin de là, un homme identique faisait les cent pas. En fait, ils étaient trois individus habillés de la même manière et aux traits parfaitement identiques à discuter de la suite des événements.

"Ça n'a que très peu de chances de marcher, dit l'un d'entre eux. Il faut trouver autre chose.

— J'ai pas le choix, pourtant, continua un autre, j'ai besoin d'elle.

— Mais je ne suis peut-être pas prêt pour ça, déclara le troisième ?

— Le temps me manque, repris le premier.

La jeune femme du bar surgit du haut d'un toit et atterrit en douceur devant les trois personnages qui ne bronchèrent pas. Celui qui faisait les cent pas se contenta de s'arrêter pour la regarder.

"On ne peut détruire ce qu'on ne perçoit pas, c'est ce que tu baragouinais tout à l'heure. Et tu croyais vraiment que j'étais incapable de te percevoir ?

— En fait, commença le second, je l'espérais…

— Silence connard !"

Et plus aucun mot ne sorti de la gorge de l'inconnu. À la place, une gerbe de sang fut éjectée et il s'effondra à genoux.

"C'est moi qui parle ! reprit la femme du bar en pointant un doigt haineux.

— Juste pour te prévenir, répondit un des hommes d'un ton rapide mais qui se voulait calme, ce sont mes derniers…"

Avant qu'il ne puisse continuer, il fut soudainement projeté contre l'un des murs de la ruelle, comme si une main invisible l'avait saisi et le maintenait contre la paroi.

"Je veux savoir comment tu connais mon nom. Je veux savoir comment tu m'as trouvée. Je veux savoir ce que tu veux ! Parle, maintenant !

— J'ai fait des recherches, balbutia-t-il en se débattant… j'ai des contacts… on te suit et te surveille… depuis longtemps.

— Donne-moi une bonne raison de ne pas te pulvériser ici et maintenant. Tout de suite !

— Je peux t'aider. Je sais pour ta cicatrice. Je sais comment le localiser. Comme je t'ai localisé.

— Tu mens ! Personne n'est au courant de ma douleur.

— Tu crois être la seule à qui on a arraché l'âme pour ne laisser qu'une coquille vide.

— Dis-moi… dis-moi où il est…

La jeune femme aux terribles pouvoirs tremblait, la voix de plus en plus faible, les larmes aux yeux. L'homme tomba sur le sol tandis que l'autre blessé finissait de s'aplatir par terre, la gorge écrasée.

"Très bien, dit la jeune femme, tu as gagné. Dis-moi ce que tu veux de moi.

— Sincèrement désolé de t'infliger ça, répondit le troisième qui n'avait pas bougé pendant l'attaque. Si je n'avais pas besoin de toi, je n'aurais même jamais eu ce que tu convoites.

— Cesse de tourner autour du pot ! Si tu étais vraiment désolé, tu ne me ferais pas chanter de la sorte.

— Très bien, ce que je veux c'est 50 ans.

— Quoi ?

— Tu m'as bien entendu, j'ai besoin de 50 ans de tes services. C'est le temps qu'il me faudra pour développer mon projet.

— Mais tu es fou ! Je ne vais pas attendre tant de temps pour t…

— Le ferais-tu donc pour moi ?"

La dénommée Salbjörg baissa la tête et ses épaules s'affaissèrent, résignée. Un sourire narquois se dessina sur les lèvres des deux personnages de part et d'autres.

"La réponse est non, bien entendu. À mon tour, que peuvent bien réellement valoir 50 petites années à tes yeux ?

— Un an ! C'est tout ce que je suis prêt à t'offrir. La vie est une torture loin de lui.

— Et nous pourrions marchander longtemps. Je vais nous faire gagner du temps. Si tout se passe comme prévu, je n'aurais plus besoin de toi dans 32 ans et 2 mois environ.

— Ne m'as-tu pas entendu ?

— En échange, je t'offre mes propres services pendant le temps de notre entente, excepté ce qui concerne mon… chantage.

— De quoi aurais-je bien besoin venant d'une ordure telle que toi ?

— La possibilité de ne plus avoir à dépendre des ordures de mon espèce.

— Comment je peux seulement te faire confiance.

— Je peux te donner une information en garantie de ma bonne foi."

La jeune femme se releva lentement, observant attentivement son interlocuteur à la recherche de la moindre trace d'espoir dans son expression. Mais les deux hommes eurent, à son horreur, l'espace d'un instant, le sinistre sourire de l'homme qui sait que la situation est sous son contrôle. C'est celui qui se trouvait derrière elle qui rompit le silence.

"Félicitation ! C'est une fille."

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