Navarro sauve Noël

Des lumières ternes clignotaient dans l'une des nombreuses salles du personnel du Site-19. Elles étaient d'une tristesse sans nom, une simple séquence de lueurs jaunes saccadées accrochées aux angles du plafond. Un petit arbre se tenait sur une table, dans toute sa gloire caoutchouteuse, c'est-à-dire bien peu. Des chercheurs et des gardes de sécurité paressaient, ce que faisaient habituellement les gens dans une salle du personnel, même si c'était le réveillon de Noël.

La Fondation n'appréciait pas particulièrement les vacances, tout simplement car cela signifiait souvent que le personnel voulait des congés. Sans parler du fait que ces vacances impliquaient une potentielle déité potentiellement assassinée brutalement il y a plusieurs décennies, si ses "amis" de la Coalition Mondiale Occulte ne lui mentaient pas. Ce qui, étant donné leur incapacité à détruire quelque chose d'aussi banal qu'une chaise, était peu probable. Mais ces vacances entraînaient une certaine joie chez de nombreux membres du personnel. Aussi, pour préserver leur moral, la Fondation avait disséminé quelques miettes de joie dans ses installations. Pas suffisamment pour égayer l'endroit, et les membres du personnel devaient toujours accomplir ce que leurs responsabilités leur commandaient, mais assez pour qu'ils ne ressentent pas le besoin de trop se plaindre.

Cela ne convenait pas vraiment à Daniel Navarro, agent de terrain de la Fondation et spécialiste de l'art anormal ; il prit donc sur lui afin de remédier à la situation de ses pairs face aux faibles financements des festivités. Il entra d'un pas nonchalant dans la pièce avec une fausse barbe attachée à son menton rêche, un chapeau de Père Noël posé sur la tête, un rictus sur le visage et un sac rouge lancé sur une épaule.

Les membres du personnel le regardèrent d'un air sonné, certains devant plisser les yeux face au rouge brillant contrastant avec les murs gris. Il s'agissait de ceux qui vivaient au sein du Site ou qui avaient déjà bêtement utilisé leurs jours de congé. Coincés entre les murs de béton du Site, ils ne pouvaient apporter leurs décorations à cause des règles de stockage. Et ils étaient désormais à la merci de Navarro et du tas de surprises qu'il transportait.

Navarro les scruta à la recherche d'un visage familier. Gregg Collins lui fit un vague salut avant de retourner à son lait de poule, heureux d'être assis et de ne penser à rien. Dans l'un des nombreux fauteuils se tenait un homme à la peau verdâtre arborant un pull kitsch et un sourire manquant de confiance. Navarro avait déjà travaillé à plusieurs reprises avec lui, mais n'arrivait pas à se souvenir de son nom. Sans doute car l'homme lui-même ne pouvait s'en rappeler. Et puis il y avait Jane Weiss, de Thêta-90. Elle connaissait Navarro suffisamment bien pour tenter d'éviter son regard, mais trop peu pour penser que cela fonctionnerait.

De son sac de surprises, il sortit un amas de lumières multicolores. Le fait qu'elles brillaient sans être branchées attira l'attention des personnes dans la pièce. Il tendit le paquet à Weiss, qui regardait les lumières comme si elles étaient illégales. Ce qui était le cas, puisqu'elles violaient les lois de la physique. La Fondation aimait beaucoup ces lois et aurait sans doute condamné la soustraction de ces objets anormaux à leurs salles de stockage.

Mais l'ennui était une force puissante. Il se resserra autour du cou de Weiss, et les festivités potentiellement imminentes se posèrent sur ses épaules. Elle leva les yeux vers Navarro, dont les yeux étaient pailletés des reflets colorés des lumières dans ses mains. Weiss soupira et les prit. Elle réquisitionna l'un des chercheurs, et ils remplacèrent ensemble les lumières jaunes par leurs homologues plus diverses.

Et c'est ainsi que les autres membres du personnel se levèrent de leurs sièges et se rassemblèrent autour de Navarro et son sac de merveilles afin de récupérer plus d'objets pour améliorer l'ambiance de Noël. L'amnésique obtint une boîte de cookies et se renfonça dans son fauteuil, sans se soucier des autres. Collins fut tiré de sa chaise par un chercheur plus jeune, et ils installèrent ensemble les boissons et les verres.

Un ou deux d'entre eux jetèrent un coup d’œil à la caméra pivotant dans un coin de la pièce. Navarro se contenta de sourire et de secouer la tête, la boule de fourrure au bout de son chapeau se secouant comme un boulet de démolition de Noël. Les pots-de-vin n'étaient pas très chers en cette période de l'année. Un des membres du personnel de sécurité le prouva en sortant un lecteur CD du sac.

Des bonnets et du lait de poule furent distribués, et lorsque suffisamment de personnes furent adéquatement chapeautées et rafraîchies, il se déplaça en direction d'un coin vide de la pièce. Après avoir jeté le sac devant lui, il posa son ouverture contre le sol et tira, révélant une base en plastique vert. Alors que le sac s'élevait, en sortait petit à petit un arbre, jusqu'à ce que Navarro doive se tenir sur la pointe des pieds ; même là, l'arbre était encore plié. Il se raidit lorsqu'il fut entièrement sorti, encore frémissant de rosée.

Avec une certaine forme de révérence, Navarro sortit le dernier objet. Il s'agissait d'une boule en verre avec une base en anneau métallique d'une couleur verte issue d'une peinture en spray. À l'intérieur de la boule se trouvait une petite sphère de feu nucléaire, des épingles d'énergie en excès s'en échappant sous la forme de rayons de lumière. L'étoile miniature contenait toute l'énergie de ses homologues plus grandes, mais, paradoxalement, pas leur chaleur ou leur lumière. Les autres membres du personnel décorèrent l'arbre avec des lumières, des boules en verre et d'autres ornements assortis, au son de chants de Noël, tandis que Navarro rapprochait une chaise de l'arbre. Une fois celui-ci entièrement décoré, Navarro utilisa la chaise comme escabeau pour déposer l'étoile à son sommet.

La pièce brillant désormais d'une lumière chaleureuse et totalement anormale, le groupe se détendit dans les sièges. Ivres de l'esprit de Noël et/ou de spiritueux plus classiques, selon quel lait ils avaient bu, ils se réjouirent dans cette tranquillité joviale. Certains chantaient, d'autres se délectaient des nombreux plats extraits du sac magique de Navarro.

Une fois minuit passé, quelques-uns sortirent de la foule pour se retirer, et Navarro finit par les rejoindre. Il fit un signe à ceux qui restaient et rappela à ceux qui étaient sobres dans quel unité de stockage les objets devaient être replacés. Il se tint dans l'embrasure de la porte et laissa échapper un court mais sincère message avant de quitter la pièce.

"Joyeux Noël tout le monde !"

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